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DIAL 2542

MEXIQUE - Le Vatican réprouve l’ordination de diacres indigènes

André Aubry

samedi 16 mars 2002, mis en ligne par Dial

Les orientations suivies par Don Samuel Ruiz, dont Dial a publié de nombreuses déclarations tant sur la situation au Chiapas que sur ses options relatives à la mise en place d’une Église indigène dans le diocèse de San Cristóbal de Las Casas, ont été l’objet de vives critiques de la part de certains membres influents de la curie romaine. Ne pouvant ordonner prêtres des indigènes en raison de la discipline actuelle en matière de célibat, Samuel Ruiz avait choisi de renforcer le nombre et le rôle des diacres indigènes. Son successeur, Don Arizmendi, qui a toujours fait preuve d’une grande déférence à l’égard des autorités romaines, a lui-même procédé récemment à l’ordination de nouveaux diacres indigènes. Mal lui en a pris car la réaction de la curie ne s’est pas faite attendre, étant donné l’incapacité de ces prélats romains à concevoir d’autres modèles d’Église que celui qu’ils gèrent. Ce faisant, ils relèguent aux oubliettes les orientations majeures prises par l’épiscopat du monde entier au concile Vatican II.

Nous publions ci-dessous un article du 18 février 2001, provenant de la plume d’André Aubry, anthropologue et historien, excellent connaisseur du Chiapas et du diocèse de San Cristóbal, qui fut souvent consulté comme historien lors de la réforme liturgique et qui fut expert auprès du CELAM (Conférence épiscopale latino-américaine) à Medellín de 1968 à 1973. Nous y avons joint une lettre émanant de la curie vaticane et une autre écrite par les diacres indigènes du diocèse.


1

Don Samuel Ruiz, après avoir renoncé à son siège lors de son 75 ème anniversaire (celui de ses 50 ans de sacerdoce dont 40 à la tête de son diocèse) ne serait pas parti la conscience tranquille de San Cristóbal s’il n’avait pu y laisser bien plantées les racines d’une Église autochtone.

Cela aurait été une contradiction insupportable pour celui qui, à temps et à contretemps, n’avait cessé de revendiquer pour l’indigène, naguère objet d’attention, sa place d’acteur social incontournable, son rôle de sujet : de son destin, de ses propres luttes, de son histoire, et donc de son Église.

En 1970, encore toute fraîche la Conférence de Medellín, il profitait de sa position de président du Centre épiscopal de pastorale indigène du Mexique (Cenapi) et de président du Département des missions du Celam (Dmc) pour réunir des catéchistes indigènes de tout le Mexique au carrefour pluriéthnique de Xicotepec. Il les invite alors à se prononcer, dans leurs langues, sur les difficultés qu’ils rencontrent avec l’Église. Le compte-rendu en espagnol de cette rencontre historique est devenu un important document de la pastorale indigène sous le nom de Indigènes en polémique avec leur Église.

Après cette date, Don Samuel peut alors passer de la parole à l’acte, et donne cours à l’application conciliaire du décret Ad Gentes de Vatican II en ordonnant les premiers diacres indigènes permanents. Entre 1970 et 2000, il en aura ordonné 400, les 100 derniers (avec son coadjuteur, le dominicain Raúl Vera, le 18 janvier 2000) comme geste symbolique d’adieu dans le village tzotzil de Huixtan, avant son départ définitif, pour bien identifier qui seront les constructeurs de l’Église autochtone du Chiapas.

Bien entendu, le rêve de Don Samuel aurait été d’ordonner les premiers prêtres indigènes mais la discipline ecclésiastique, en exigeant le célibat, entrait en contradiction avec la culture indienne qui n’accepte pas qu’une responsabilité sociale de poids soit confié à un homme seul (comme au 1er siècle, Tite ou Timothée : époux d’une seule femme et qui sache gérer sa famille). La clause canonique permet de conférer les ordres à des indigènes " désindigénisés ", mais non de faire d’indigènes reconnus comme tels les prêtres de leur communauté. Dans ces conditions adverses, les seuls candidats possibles à l’entrée dans le sacrement de l’Ordre (à trois degrés : diacres, prêtres, évêques) ne pouvaient donc être que des hommes mariés : les 400 diacres dont la qualité sociale, par leur couple et leur famille, sont la principale recommandation, bien mise en valeur dans la liturgie de Huixtan.

II

Le 23 février 2000, le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Sodano (qui n’a aucune compétence en matière de sacrements) convoque une réunion regroupant plusieurs dicastères (six congrégations romaines : du culte, de la doctrine de la foi, des évêques, du clergé, de l’éducation catholique, de l’Amérique latine) pour commenter ces ordinations de diacres indigènes (souligné dans le texte officiel). Ces cardinaux siègent le 18 juillet et chargent le cardinal préfet de la Congrégation du culte divin de rédiger leur évaluation, formulée en une lettre protocolaire (la 159/00) au successeur de Don Samuel, Don Felipe Arizendi, datée du 20 juillet 2000 (rendue publique seulement en 2001).

Sa première partie – doctrinale - “précise” (en réalité met en question) l’expression “Église autochtone”.

La seconde est disciplinaire : elle est un reproche au diocèse pour son manque de pastorale des vocations (donc celle des diacres n’en serait pas une).

La troisième, plus longue, est rituelle et canonique. Elle demande au nouvel évêque de “suspendre les ordinations de diacres pour un temps qui ne peut être bref” ; de façon raciste, elle met en doute la conscience que peuvent avoir les 400 indigènes de leur identité diaconale, leur permet de se libérer des engagements de leur ordination, et même les invite à la désertion moyennant les bons offices du Vatican ; elle demande d’ “éviter le terme diacre indigène permanent” ; et enfin identifie les vices rituels de la liturgie Huixtan.

III

Explicitons quelques termes de la constitution d’Ad Gentes du concile Vatican II auxquels Don Samuel a donné toute leur dimension : ce que l’on appelait avant Vatican II les diocèses de mission doivent devenir des Églises particulières autochtones avec hiérarchie propre (non importée, n°5) dont le premier degré est le diaconat permanent d’hommes mariés (n°16). Ces “jeunes Églises” peuvent apparaître différentes (n°6) par leur richesse culturelle qui est souvent une étrangeté pour des Occidentaux quand, en réalité, c’est “un secret de Dieu” (n°9) et la garantie de la croissance de racines ecclésiales en la diversité de chaque groupe humain (n°16).

Ces axes conciliaires de Vatican II deviennent désormais les griefs faits à Don Samuel, les dangers signalés à son successeur Don Felipe Arizmendi, et les erreurs à éviter.

Habilement, ce protocole amplement diffusé n’est qu’une letttre de l’actuel évêque de San Cristóbal, mais ce document romain, en réalité, devient une révision du concile. La parole, par conséquent, plus qu’à son destinataire, appartient aux acteurs de Vatican II : les auteurs collégiaux encore survivants des textes incriminés, tous évêques à la retraite (à cause de leur âge) et, de façon indirecte, les experts qui, alors, les ont aidés à la rédaction d’Ad Gentes (sur les diocèses de mission) et de Lunen Gentium (sur l’Église). Elle l’est aussi aux évêques en fonction qui peuvent exercer, de plein droit, la collégialité épiscopale conquise à Vatican II.

Rappelons que Ad Gentes est le texte conciliaire qui a le plus occupé les évêques : du tout début en mars 1962 à quasi la clôture du concile en décembre 1965 ; qu’il leur en a coûté huit rédactions successives dont l’une, la sixième, bien qu’appuyée par Paul VI, a été rejetée (contre seulement 311 placet [1] à la thèse du pape) ; que le texte incriminé par les injonctions du cardinal Sodano, le huitième et dernier projet, a reçu la plus haute votation de tout le concile avec seulement cinq non placet [2] (2 934 placet).

Qui défendra ce qui a été si chèrement acquis et se trouve aujourd’hui comme censuré par quelques personnalités de la bureaucratie romaine, les Otaviani du jour ?

IV

Le plus grave est que les choses n’en restent pas là. En une nouvelle lettre récente du même préfet de la Congrégation des rites, datée du 1er février 2002, le cardinal Medina Estévez, en se référant de nouveau aux désirs surprenants en la matière de la secrétairie d’État normalement occupée en d’autres questions, semonce Don Felipe Arizmendi pour avoir encore ordonné quelques diacres indigènes, ce qui pourrait être compris, lui reproche-t-on, comme une incitation à suivre “un modèle ecclésial alternatif apparemment conseillé en situation culturelles et ethniques particulières”. Cette nouvelle missive resserre les verrous : elle interdit, non seulement à l’évêque de San Cristobal mais à l’Église entière toute ordination de diacres permanents pour une période d’au moins cinq ans.

Outre l’affront à un évêque dont l’obéissance disciplinée a toujours été rigoureuse, la lettre vaticane pose de graves questions qui expliquent peut-être l’intervention du cardinal secrétaire d’État :

Les trois griefs de la lettre de juillet 2000 (Église autochtone, hiérarchie diaconale, différence culturelle) sont aussi les cibles de la guerre de basse intensité au Chiapas ; et l’incitation à la désertion l’un de ses moyens préférés. Les diacres indigènes sont aujourd’hui les constantes victimes des paramilitaires et, parfois, d’officiers d’une troupe qui a toutes les caractéristiques d’une armée d’occupation lorsque, aux barrages anticonstitutionnels où ils font leurs interrogatoires, ils ironisent sur l’Église autochtone et la théologie indienne, ou lorsqu’ils méconnaissent la hiérarchie des diacres dans les églises rurales, ou même ferment celles-ci manu militari.

Ces mises en question anticonstitutionnelles font partie de la stratégie contre-insurrectionelle qui, pour diviser, polarise les différences afin de déchirer le tissu social des communautés indiennes et affaiblir leur résistance. Les positions apparement pastorales, liturgiques ou doctrinales du Vatican jettent de l’huile sur le feu en fomentant la division des communautés, sont un obstacle à la réconciliation, et un instrument de la violence qui affecte gravement le processus de paix.
Dans ces conditions, défendre le concile dépasse le théologique, c’est aussi la défense de la paix au Chiapas.

***

La lettre du Vatican adressée à Mgr Felipe Arizmendi, évêque de San Cristóbal de Las Casas, Chiapas

Congrégation du culte divin et de la discipline des sacrements

Rome, 1er février 2002

(...) Nous sommes très surpris que Votre Excellence ait procédé à la célébration de nouvelles ordinations de diacres permanents, sans consulter préalablement cette Congrégation [3] et malgré les claires indications émanant de la Réunion inter-dicastères expressément voulue par la Secrétairerie d’État pour examiner et résoudre la question des ordinations massives de diacres permanents dans le diocèse de San Cristóbal de Las Casas, indications dans lesquelles il était explicitement demandé de ne plus ordonner de diacres permanents pour un temps qui ne peut être bref, et qui furent envoyées en leur temps à Votre Excellence. La confusion de ce Dicastère est due au fait que continuer à ordonner des diacres permanents, alors qu’il y en a déjà tant dans ce diocèse, équivaut à soutenir encore un modèle ecclésiologique étranger à la tradition et à la vie de l’Église, fait qui laisse les portes ouvertes pour que d’autres diocèses, se trouvant dans des situations et avec une configuration semblables, comprennent ce fait comme une invitation tacite à prendre des dispositions analogues.

(…) Si on continue d’augmenter le nombre de diacres permanents, le danger que l’on peut y percevoir est que l’initiative soutenue par Mgr Samuel Ruiz Garcia continue de s’affirmer, empêchant la normalisation de la vie ecclésiale dans votre diocèse, et envoyant à d’autres circonscriptions ecclésiastiques un message d’appui implicite de la part du Saint-Siège à un modèle ecclésial " alternatif ", qui conviendrait apparemment pour des " situations culturelles et ethniques particulières ".

Nous nous permettons donc d’insister auprès de Votre Excellence sur le fait que, alors même que l’on affirme qu’il n’y a aucun danger idéologique avec la célébration de nouvelles ordinations de diacres permanents à San Cristóbal de Las Casas, l’on prête attention aux indications de la Réunion inter-dicastères, en ne procédant pas à de nouvelles ordinations de diacres permanents pour une période d’au moins cinq ans. (…)

Jorge A. Cardinal Medina E., Préfet

Francesco Pio Tamburrino, Archevêque secrétaire

***

La lettre des diacres indigènes au pape Jean-Paul II

Village de San Cayetano

Municipio del Bosque, Chiapas

26 février 2002

Comme Église de ce diocèse nous vous envoyons un salut fraternel et affectueux, ainsi qu’à vos collaborateurs au Saint Siège, dans le Christ Jésus notre Seigneur.

Nous les diacres et les candidats [4] qui appartenons à dix paroisses de langue tsotsil, tsetsal, zoque, ch’ol, nous avons assumé notre ordination diaconale à partir de 1990 dans différentes communautés en raison des distances qu’il y a entre les communautés et de la rareté des prêtres, cela nous l’avons fait à la lumière du concile Vatican II. Nos paroisses se trouvent dans des régions très pauvres et isolées et il faut plusieurs heures pour aller des unes aux autres. La communauté aime célébrer la Parole de Dieu. Les vocations [5] fleurissent avec le ministère que nous y accomplissons.

Comme diacres, nous sommes mariés, nous avons une familles à entretenir, nous sommes pauvres, nous n’avons pas de salaire, nous survivons grâce à notre travail dans de trop petites parcelles de terre, nous sommes sous-alimentés, non seulement nous mais toute la région.

Nous célébrons la Parole de Dieu, nous la réfléchissons, nous célébrons les sacrements avec nos rites et nos coutumes et dans notre propre langue. Il y a beaucoup de problèmes dans nos communautés, il nous faut être des médiateurs et défendre notre foi catholique face aux sectes (de différentes religions) protestantes. Nous visitons les malades, nous administrons l’Eucharistie, nous donnons les bénédictions au cours des fêtes patronales de chaque communauté ou dans la région. Avec ce ministère que nous avons reçu du sacrement du diaconat, nous avons été choisis par la voix de l’Église, c’est-à-dire que c’est la communauté elle-même qui a envoyé une lettre de demande au diocèse. Bien que nous soyons très pauvres, nous avons toujours lutté pour recevoir notre formation de la part des agents de pastorale, par des cours et des rencontres.

Si le Vatican ne nous soutient plus, les protestants se moquent de nous, et c’est comme si nous étions orphelins. Et des enfants peuvent mourir sans sacrement parce qu’il n’y a plus de diacres, mais en même temps l’Évangile dit que ces choses sont en notre faveur (Mt 11,25).

Maintenant, comme diacres et avec nos communautés, nous sommes très profondément tristes dans notre cœur, parce que nous avons reçu la lettre de votre Sainteté dans laquelle est suspendue l’ordination des diacres dans notre diocèse. D. Felipe, puisqu’il est notre évêque, a autorité pour ordonner des diacres, il est votre représentant dans cette terre bénie.

Nous nous rappelons aussi votre prochaine visite pastorale au Mexique le 30 juillet de cette année, mais avant de canoniser Juan Diego [6], que ta parole ne nous ferme pas la porte de ce diocèse, car il est le chemin de la sainteté de l’Église, aussi pour les peuples indigènes. Si nous avons commis quelque erreur, fais-le nous savoir, mais ne renie pas le chemin que nous avons parcouru.

Par cette lettre, nous invitons l’un ou l’autre de vos représentants pour qu’il y ait une communication directe, pour écouter la parole du Saint Père grâce à son représentant, pour que nous-mêmes nous connaissions aussi nos erreurs, mais ne nous prive pas de la force de notre Église autochtone.

Nous vous remercions de prendre le temps d’écouter notre parole et que vous continuiez de prendre pleinement en compte notre Église autochtone et que vous ayez le souci de continuer à appuyer notre diocèse où fleurit l’Église autochtone.

Nous vous saluons, tous les diacres avec leurs épouses, les candidats au diaconat avec leurs épouses, les principales (les principales accompagnent les diacres et les candidats dans leur ministère, ils prennent soin du peuple [7]).

N.B. : Ci-joint à l’original de cette lettre 4 feuilles contenant 129 signatures ou empreintes digitales qui tiennent lieu de signatures.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2542.
 Traduction Dial.

En cas de reproduction, mentionner au moins la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[1Oui.

[2Non.

[3Pour le culte divin et la discipline sacramentaire.

[4Au diaconat.

[5Au diaconat.

[6Il s’agit de l’Indien visionnaire de la Vierge de Guadalupe au Mexique (NdT).

[7Les principales sont des anciens de grand prestige communautaire qui doivent leur autorité morale à l’excellence avec laquelle ils ont rempli leurs successives fonctions et charges civiques, religieuses, agraires et municipales. Mais hors fonction à cause de l’âge, ils constituent collégialement une espèce de sénat villageois dont les avis sont pris en compte (NdT).

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