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DIAL 2985

BRÉSIL - Une histoire de résistance

Cristiane Passos

vendredi 1er février 2008, mis en ligne par Dial

Ce texte, publié dans le numéro de janvier-mars 2007 de la revue Pastoral da terra a été rédigé par Cristiane Passos, du secteur communication du Secrétariat national de la Commission pastorale de la terre (CPT). Il revient sur l’histoire des résistances des peuples amazoniens depuis les années 70. Cet article s’inscrit donc dans la continuité de l’article sur le Brésil publié dans le numéro de janvier – « BRÉSIL - Lettre pastorale de Dom Xavier Gilles de Maupeou » – et de celui sur le Mexique publié ce mois-ci – « MEXIQUE - Mourir pour la Terre Mère. Les Indiens défendent les forêts de la coupe incontrôlée ».


L’occupation progressive de l’Amazonie brésilienne s’est intensifiée sous le gouvernement militaire dans les années 70 avec des objectifs géopolitiques, à la suite de la création de l’Institut national de la réforme agraire (INCRA) et de l’ouverture de la Transamazonienne. Seulement.....la région était déjà habitée par les peuples indiens et les posseiros [1]. Le gouvernement pensait que ces populations se soumettraient à la structure sociale en expansion et, autre supposition, que dans ce contact, elles disparaîtraient – elles ne seraient pas un obstacle au recul de la frontière. L’idée était d’apporter le « progrès » dans cette partie du Brésil.

Selon l’anthropologue Alfred Wagner Berno de Almeida [2], le gouvernement dictatorial ne s’est préoccupé ni de la culture ni des coutumes de ces communautés. Pour maintenir leur identité, les peuples traditionnels d’Amazonie se sont mis à créer des formes de résistance et d’opposition à une occupation désordonnée qui mettaient en péril leur survie. Le processus fut lent car à cette époque, selon Wagner, il n’y avait pas de mouvements sociaux ; ils n’apparaîtront que dans les années 80. Cependant, les conflits et les assassinats étaient déjà bien présents dans la vie des communautés.

Une des premières initiatives pour rendre visible cette situation fut la création de la Commission pastorale de la terre (CPT) en 75. « Les premières déclarations, les lettres pastorales, l’idée de donner la parole au peuple, à la clameur du peuple, sont venues en 78, 79 et au-delà. Dom Pedro Casaldáliga et d’autres sont des figures qui, en quelque sorte, placent l’Église comme instance médiatrice dans la question des conflits agraires. La CPT est devenue la concrétisation de cette médiation », explique Alfredo Wagner.

La résistance de ces communautés fut l’un des thèmes traités par la CPT lors de sa Rencontre nationale de formation, en novembre 2006, à laquelle participa Alfredo Wagner, professeur invité du programme de troisième cycle « Société et culture en Amazonie » à l’Université fédérale d’Amazonas (UFAM) et coordonnateur du projet Nouvelle cartographie sociale en Amazonie.

Au début, l’organisation des communautés prit la forme de la mise en avant de leaders qui prirent sur eux le poids de la lutte et qui, le plus souvent, finirent par en mourir. Des noms comme celui de Chico Mendes, qui joua un rôle important dans la fondation du Conseil national des setingueiros [3] et qui fut assassiné le 22 décembre 1988 à Xapuri, dans l’État d’Acre, au nord du Brésil. Ou comme Wilson Pinheiro, bien connu aussi dans l’État d’Acre, où il fut assassiné le 21 juillet 1980 au siège du Syndicat des travailleurs ruraux de Brasiléia. Des initiatives comme celles de ces hommes ont impulsé la création de syndicats, organisations, mouvements et rencontres qui cherchaient à faire découvrir à l’ensemble du pays une culture de résistance formatrice d’un savoir propre.

En 1985 fut créé le Conseil national des seringueiros, le premier grand mouvement de l’époque dans la région, qui réalisa l’union des peuples de la forêt, englobant seringueiros, castanheiros [4] et peuples indigènes de toutes les ethnies. Cependant, des changements réels ne se produisirent qu’en 1988, quand les mouvements sociaux qui s’étaient créés jusque-là réussirent à introduire dans les travaux de la Constituante, le concept de « terres d’occupation traditionnelle ». C’est aussi en 1988 qu’eut lieu, dans l’État du Para, une réunion entre Eletronorte, qui développait des projets hydroélectriques en Amazonie, et des représentants des communautés menacées par les barrages. La réunion fut le début de la participation de ces peuples aux discussions qui les impliquaient directement mais qui, jusque-là, ne les prenaient pas en compte. Avec une bonne couverture médiatique et plus de visibilité, le champ des luttes prit de l’ampleur.

Après cela, l’année 89 fut marquée par les premières Rencontres. La première Rencontre des quebradeiras [5] des noix de coco babaçu [6] qui donna naissance au Conseil régional des quebradeiras et à la première Rencontre des communautés rurales noires du Maranhão. C’est également à cette époque que surgirent au Brésil des mouvements de lutte pour la survie de la zone traversée par la Transamazonienne et les réseaux de mouvements autour de la BR [7].

Entre 91 et 92 fut créé le GTA, Groupe de travail amazonien qui présenta un Programme pilote de préservation des forêts tropicales. Aujourd’hui, il déclare représenter déjà 600 mouvements. Selon A. Wagner, « ce sont plus de 5 000 organisations aujourd’hui en Amazonie qui sont potentiellement en train de converger pour former des identités collectives réunis en un mouvement social. Ce sont des groupes qui s’organisent selon des critères politiques différenciés comme le genre, l’ethnie ou la relation à l’environnement ».

Les peuples et leurs richesses naturelles

Des artisanes, femmes du bas et moyen Rio Negro, dans l’État d’Amazonas, se sont organisées en associations et ont transformé de l’artisanat en source de revenus pour leurs familles. Le produit principal est le tupé, un tapis très recherché par les touristes et les boutiques de Manaus, Brasília, Rio de Janeiro et São Paulo. Sans tenir compte de ces associations et de leur souci d’une bonne gestion des ressources naturelles, des organismes de protection de l’environnement leur interdirent le ramassage de la matière première dans les îles d’Anavilhanas (État d’Amazonas) sous prétexte que c’étaient des réserves écologiques. Les associations contestent cette interdiction, vu qu’elles sont elles-mêmes les plus intéressées par la préservation des ressources et qu’elles pourraient allier le ramassage de la matière première à la protection de l’environnement.

Les quebradeiras de noix de babaçu s’organisèrent aussi et, à partir de 97, entamèrent des démarches légales pour obtenir libre accès aux palmiers babaçu, indépendamment de la propriété où ils se trouvent. Depuis cette date, des lois municipales dites « Lois du babaçu libre » furent approuvées dans des villes du Maranhão, du Tocantin et du Pará. En 2005, les communautés de Fundo de Pasto, dans l’État de Bahia, réussirent de même à faire approuver la loi dite « du licuri libre ». Le palmier licuri, connu aussi sous les noms de ouricuri, aricuri ou nicuri, possède une amande riche en nutriments que des catadores [8] exploitent dans des organisations communautaires et en famille et qui sert de complément alimentaire pour ces communautés. Les faxinais de la région du centre-sud du Paraná en sont un autre exemple. Ce sont des « systèmes de production rurale traditionnelle qui ont pour caractéristique l’usage collectif de la terre pour la production animale et la conservation de l’environnement. »

Alfred Wagner a montré, par ces exemples, que les formes d’organisation des peuples traditionnels ne sont pas propres à la région amazonienne et qu’elles ne se limitent pas au monde rural.

« Aujourd’hui, nous sommes obligés de repenser l’Amazonie en prenant cela en compte, puisque les gerazeiros [9] du nord de l’État de Minas et les faxinais au Paraná, prouvent que ces différences sont en train d’appraître dans d’autres lieux. Il y a aussi des mouvements qui tentent de récupérer leur identité même en étant loin de leurs territoires d’origine. À Belém, par exemple, dans l’État du Pará, a été créée une Association des Indiens de la région métropolitaine de Belém (AIAMB) qui a pour préoccupation principale la lutte pour la reconnaissance dans la société de leur droit en tant qu’Indiens. »

Politiques gouvernementales et territorialité

Concernant les stratégies gouvernementales à l’égard des peuples traditionnels, le professeur a ajouté : « On peut craindre aujourd’hui qu’on en revienne à tout faire comme on avait fait ; je veux dire, de manière totalement erronée, sans les consultations nécessaires. On utilise des instruments limités, avec des règles qui empêchent les personnes d’exprimer leur opinion, et qui finissent par être des contraintes. Par exemple, il y a des barrages approuvés par l’Étude d’impact sur l’environnement (EIA RIMA) [10] qui ignorent les communautés. L’État fixe beaucoup de règles pour les besoins biologiques et matériels des groupes, la première chose considérée c’est l’estomac, les maisons en dur et autres choses du même genre – on oublie que les personnes n’ont pas que des besoins physiques, qu’ils ont des besoins immatériels. En outre, il y a le problème de la prise de conscience de ces besoins, il faut agir d’une manière qui respecte ce que les gens croient et les besoins dont ils ont conscience. »

En juin 2002, le Brésil a bien avancé dans la discussion concernant les territoires traditionnels en ratifiant la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), de juin 1989, qui reconnaît comme critère fondamental l’acte d’auto-identification donnant le droit de propriété et la possession des terres aux peuples qui traditionnellement les occupent. De même, en décembre 2004, sous la pression des mouvements sociaux, le gouvernement fédéral a créé la Commission du développement durable des communautés traditionnelles afin de promouvoir la mise en place d’une politique nationale orientée spécialement vers ces communautés.

Même ainsi, la question de la territorialité et la reconnaissance des aires traditionnelles progresse lentement et laborieusement. Le sens de la terre pour ces peuples suit une logique propre. La terre et le libre accès aux ressources naturelles sont symbole d’identité et cohésion sociale pour les communautés. Dans beaucoup de cas, à cause de l’inertie du gouvernement, le conflit avec les grileiros [11] et fazendeiros [12] devient permanent et violent. « La ratification de la convention 169 fut une étape importante parce que les groupes sociaux y perçurent une brèche dans la conquête de quelque chose d’essentiel pour eux – les territoires. Mais des processus différenciés existent pour construire ces territoires », ajoute le professeur.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2985.
 Traduction de Jean Desgouttes pour Dial.
 Source (portugais) : revue Pastoral da terra, janvier-mars 2007.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteure, le traducteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[1Occupants d’un territoire qu’ils se sont partagé pour y travailler , mais sans titre de propriété.

[2Auteur de Terras de Quilombo, Terras Indígenas, “Babaçuais Livres”, “Castanhais do Povo”, Faxinais e Fundos de Pasto : Terras Tradicionalmente Ocupadas, collection « Tradição e Ordenamento Jurídico », volume 2, Manaus, 2006.

[3Personnes qui récoltent le latex pour la fabrication du caoutchouc.

[4Ramasseurs de fruits.

[5Casseuses.

[6Fruits du palmier babaçu, parfois nommé aussi babassu en français. Un documentaire sur les casseuses de noix de babaçu a été réalisé l’an dernier par Marcelo Silva : « Raimunda a quebradeiras » (2007, Brésil, 52 min). Pour une brève présentation du film, consulter l’article publié sur le site de Regards, « Les casseuses de noix de babaçu rentrent en politique ».

[7Route fédérale.

[8Personnes qui en font la cueillette.

[9Petits agriculteurs et cueilleurs du cerrado semi-aride (savane) de l’État de Minas Gerais.

[10Estudo de Impacto Ambiental – Relatório de Impacto Ambiental .

[11Les propriétaires qui laissent leurs terres en friche.

[12Les propriétaires de grands domaines agricoles.

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