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DIAL 2975 - Une étude révèle qu’un tiers des Uruguayens ont des ancêtres charrúas

URUGUAY - L’héritage indien

Pablo Long

mardi 1er janvier 2008, mis en ligne par Dial

L’article de la loi de réforme migratoire touchant aux tests ADN a déclenché d’intenses débats durant l’automne 2007 en France. En Uruguay, un autre type d’utilisation de l’outil génétique a produit des résultats fort différents en montrant qu’au moins un tiers des Uruguayens étaient descendants des Indiens charrúas. Cette étude fait resurgir des réalités complément masquées – puisque contradictoires – par l’histoire officielle nationale des deux derniers siècles. Ce texte de Pablo Long, publié par Noticias Aliadas le 22 août 2007, remet une nouvelle fois sur la table une évidence sans cesse oubliée et toujours redécouverte : les sentiments d’identité nationale sont des constructions. Et ces imaginaires sociaux [1] fonctionnent en général sur une base dichotomique, distinguant un « nous » des autres [2].


Pendant près de deux siècles, les Uruguayens se sont crus le plus européen des peuples d’Amérique Latine. Une étude anthropologique vient de démontrer que, contrairement à ce qu’ils croyaient, ils ont bien du sang indien dans les veines. On y apprend, en effet, que plus d’un tiers de la population (près de 1,2 million de personnes sur une population qui en compte 3,5 millions) est d’ascendance charrúa.

« Nous étudions nos racines génétiques depuis longtemps, nous nous sommes tout d’abord intéressés aux traits morphologiques avant de procéder à des études sanguines et moléculaires. La présence importante d’ADN indienne dans les molécules de notre population ne fait aucun doute. Les Charrúas ont été exterminés au XIXe siècle, mais cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas laissé de descendants », explique l’anthropologue Mónica Sans, directrice du département d’anthropologie biologique de l’Université de la République (Uruguay) à l’origine de cette étude.

« Les résultats de nos recherches sont diamétralement opposés à l’idée que nous nous faisions de l’identité uruguayenne. Nous avons toujours cru, car c’est ce qu’affirmait l’histoire officielle, que nos racines étaient en Europe, ce qui, culturellement, se vérifie, mais n’est clairement pas le cas du point de vue sanguin », ajoute-t-elle.

L’Uruguay s’était jusqu’à présent targué d’être le seul pays sud-américain sans Indiens, et, par conséquent, sans les problèmes qui les accompagnent, comme il est dit dans le Libro del Centenario (Livre du Centenaire), publié à l’occasion du centenaire de l’indépendance proclamée le 25 août 1825.

Le 25 août 1831, les quelques Charrúas survivants de la guerre d’indépendance pendant laquelle ils constituèrent le gros des rangs de la cavalerie de l’armée de libération, furent victimes d’un guet-apens tendu par le président de l’époque, Fructuoso Rivera. Ils furent assassinés sur les rives du torrent Salsipuedes, dans le département de Paysandú, à 320 km au nord de Montevideo.

Dans l’ordre d’extermination signé de sa main, Rivera, qui s’était servi des Charrúas lors de ses campagnes militaires, disait se sentir obligé d’agir ainsi pour la structuration d’une société devant s’organiser sur les bases de l’ordre et du respect de la propriété privée, et justifiait le massacre en expliquant qu’ils étaient propriétaires, depuis des siècles, de la plus belle et la plus enviable partie du territoire de la République.

Sans donner de chiffres, les relevés n’ayant pas été effectués dans la totalité des 19 départements du pays, Mónica Sans explique que les résultats des études préliminaires de l’ADN mitochondrial, exclusivement transmis par la mère, ont été très surprenants. En effet, selon d’autres études, le taux de descendants charrúas se situait entre 10 et 20% selon les régions, chiffre qui s’élève maintenant à 62% dans des départements comme Tacuarembó.

« Selon nos estimations, il y aurait, au niveau national, environ 40% de descendants charrúas. Nous nous basons pour cela sur les études de Cynthia Pagano, directrice de l’équipe technique du laboratoire de biologie de la police uruguayenne, qui parlent d’un taux de 31%. Nous avons ajouté à ces 31% tout ce qui a été perdu car non transmis par le père », explique Enrique Auyanet de l’Association des descendants de la nation charrúa (ADENCH) [3].

Mónica Sans, du même avis que lui, souligne le sérieux du travail de Cynthia Pagano : « Ces 31% ne concernent que ce qui est transmis par la mère. Combien sont ceux dont l’héritage génétique charrúa provient du père ? Ce chiffre ne pouvant être remis en question, il est correct d’estimer le nombre de descendants charrúas autour de 40% ».

La majorité des anthropologues partage l’hypothèse de Mónica Sans sur les raisons d’une présence d’ADN indienne aussi élevée chez les uruguayens. Les hommes qui sont arrivés pendant la conquête espagnole, sans femmes, s’installaient dans les zones rurales et avaient des enfants avec des Indiennes. Ces enfants, restés dans les campagnes, sont aujourd’hui la base de la population uruguayenne, comme on peut l’observer dans l’étude sur l’ADN mitochondrial menée à Tacuarembó.

Le poids de l’histoire officielle, racontée depuis le génocide de Salsipuedes, est cependant tellement puissant que lors du dernier recensement de la population en 2006, à la question portant sur l’ethnie des ancêtres, seuls 3,5% de la population (à peine 115 159 Uruguayens) ont répondu avoir un bisaïeul, ou un ancêtre plus lointain, indien.

« L’histoire officielle nous a caché notre identité, et je crois qu’aujourd’hui, nous commençons à nous redécouvrir tels que nous sommes objectivement », a déclaré Enrique Auyanet. « Il nous a été difficile de nous considérer comme des Indiens : les communautés n’existent plus, les traits physiques et la couleur de peau ne sont plus clairement distinctifs et le sujet n’a jamais été véritablement abordé dans les familles, soit parce que les anciens ne savaient vraiment rien de leurs ancêtres, soit parce que, d’une certaine façon, ils avaient honte de leur origine charrúa ».

Ceux qui aujourd’hui se proclament Charrúas et admettent que la continuité culturelle n’existe pas, réclament également la sauvegarde du maigre héritage laissé par leurs ancêtres : la vie en harmonie avec la nature, les techniques pour monter à cheval et dresser l’animal sans violence, les techniques culinaires et près de 60 mots – nombres et éléments de la nature – clairement identifiés par les linguistes.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2975.
 Traduction de Gabrielle Luce-Véronique pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, n°15, 22 août 2007.

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[1Voir par exemple Benedict ANDERSON, L’imaginaire national, Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2006 ; ou Eric HOBSBAWM & Terence RANGER, L’Invention de la tradition, Paris, éditions Amsterdam, 2006.

[2Tzvetan TODOROV, Nous et les autres, La réflexion française sur la diversité humaine, collection Points essais, Paris, éditions du Seuil, 1992.

[3Asociación de Descendientes de la Nación Charrúa.

Messages

  • Il s’agit bien là d’un article à l’européenne, criant au scandale. loin de l’impartialité qui doit avoir un article de ce genre.On nous a caché..... on se veut d’origine européenne......
    Mais SVP, si on parle de 3 générations en arrière on est d’origine européenne autant que d’origine indienne.Et alors ?
    Je ne crois pas que l’uruguayen cache ses origine ou qu’il ait honte de dire que parmi ces ancêtres il y a des indiens.
    L’uruguayen actuel est surtout préocupé à sa survie, et à ces origines il n’y pense pas,et ne s’en préocupe pas, ou ne sait tout simplement pas qui étaient leurs ancêtres.

    Quand à la version de l’histoire:on sait que les indiens ont existé, vécu, lutté , et utilisés pour la guerre , et mort dépaysés(car vous ne dites pas que les derniers indiens furent transportés par François de Curel en France, pour être exposés dans un cirque, 2 sont morts de tuberculose, et le dernier seul, s’est laissé mourir de peine et de solitude).C’étaient Tacuabé, Guyunusa et le dernier, je ne me rappelle pas en ce moment son nom.....
    Prenez mon exemple:Grand parents uruguayens, nés à Colonia,et Durazno. Arrière grand parents paternels:uruguayens.
    Mais je chercherai un jour leurs origines, en demandant leurs actes de naissance(Ah, si on pouvait les avoir par Internet !), j’ai essayé déjà mais pour l’instant c’est impossible.Mais je sais que ma grand-mère est d’origine italienne.Nom :Meza Celina.
    Mes grand-parents maternels:grand père fils d’une anglaise et un uruguayen( Morris López)
    Mes grand -parents maternels:uruguayens.
    Mais ma grand-mère maternelle est fille d’un indien et d’une espagnole, selon les dires de mère.
    Et je crois fermement que mon courage à supporter l’adversité vient de ma goutte de sang indien, tout comme ma force intérieure. Mais les autres ascendances ont aussi forgé ma personnalité....Mais je suis par dessus tout URUGUAYENNE, quelque soient mes origines,et je ne les renie pas,et j’ai une identité uruguayenne et tous mes compatriotes ont cette identité, avec une forte composante européenne et un peu indienne aussi.
    Alors ce que vous avez confirmé, en toute impartialité (comme il doit être)ne dément pas qu’on a une identité uruguayenne et de ces origines, beaucoup les ignorent, ne s’en intéressent pas, mais je ne croient pas qu’ils en aient honte.
    Alors, un peu de modestie, investiguez, constatez, vérifiez, mais cela ne changera pas pas à notre identité et notre culture, multiraciale

    • Pour information, cet article a été publié d’abord en espagnol dans Noticias Aliadas, une revue péruvienne, comme l’indiquent les détails donnés à la fin du texte. Il a été écrit par Pablo Long, qui est originaire du Cône Sud, où il vit toujours.

      Nous ne voyons donc pas bien en quoi cela fait de ce texte un « article à l’européenne ».

      Bien cordialement,

      la rédaction de la revue Dial.

  • Merci pour ce document je suis Uruguayen coté maternel et Francais Allemand coté paternel
    Fier de mon pays auquel j’y ai vécu plusieurs années notament a Colonia del sacramento.

    A bientôt

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