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BOLIVIE - Premier succès de l’UNASUR contesté par l’opposition

Guillaume Beaulande

mercredi 31 décembre 2008, mis en ligne par Guillaume Beaulande

Le 23 mai 2008, 12 pays d’Amérique du sud [1] concrétisèrent à Brasilia (Brésil) la volonté exprimée en décembre 2004 à Cuzco (Pérou) de « construire une communauté sud-américaine des nations ». Ce projet, connu sous le nom de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), promettait d’être aussi lent qu’ambitieux. Cependant son premier sommet s’est réuni de toute urgence le 15 septembre 2008 en réaction aux événements tragiques de ce que la presse nationale appelle déjà le « massacre de Pando ».

Les 12 pays fondateurs de l’UNASUR avaient pour ambition de construire une identité et une citoyenneté sud-américaine et de développer un espace régional intégré dans les domaines politique, économique, sociale, culturel, de l’environnement et des infrastructures. Nul doute que la mise en place de cet accord multilatéral recouvrant une superficie de 17,6 millions de km² et comptant sur une population de plus de 380 millions d’habitants serait difficile tant en raison de l’envergure géographique et démographique [2] que de la diversité des horizons politiques.

La première difficulté de l’UNASUR réside dans le fait que les États signataires proposent des modèles de sociétés non pas seulement différents mais antagonistes, des tenants de l’économie de marché aux défendeurs de l’alternative bolivarienne et de la révolution démocratique.

La présidence tournante de L’UNASUR ayant été confiée d’abord à Michelle Bachelet, présidente sociale-démocrate du Chili, la déclaration de La Moneda [3], issue du premier sommet extraordinaire de l’UNASUR réuni le 16 septembre 2008, condamnait le massacre de 20 paysans survenus à Pando (Sud-ouest de la Bolivie) 5 jours plus tôt.

Dans le même temps, l’UNASUR ne désignait aucun coupable malgré les accusations portées par le président bolivien Evo Morales sur le gouverneur du département de Pando, elle appelait à un retour au calme et à la mise en place d’une table des négociations : « On appelle au dialogue pour établir les conditions qui permettent de sortir de la situation actuelle et pour rechercher ensemble une solution durable dans le cadre du respect de l’État de Droit et selon le cadre légal en vigueur. » [4]

Le département du Pando fait partie de la région appelée « demi-lune ». Frontalier du Brésil, il est l’un des fiefs de l’opposition au gouvernement bolivien. Ce poumon économique de par la richesse de ses sols est devenu une véritable poudrière depuis le référendum d’auto-détermination de mai 2008 voté par l’oligarchie locale et déclarée illégal par Miguel Insulza, président de l’Organisation des États américains (OEA).

Ces exactions ont conduit le procureur général de la Bolivie, Mario Uribe, à établir un mandat d’arrêt contre le préfet Leopoldo Fernandez, jugé responsable de la répression de ces manifestants pro-gouvernementaux.

Cristian Dominguez, une des victimes, témoigne : « Nous avons accompagné nos camarades pour manifester de Las Piedras à Puerto Rico. Ils disent que nous étions armés mais aucun n’avait ne serait-ce qu’une serpette, nous n’avons tué personne, nous n’avons fait que tenter de nous défendre ou de fuir » [5].

Selon le rapport de l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie, pris au piège dans la ville de Porvenir par des camions remplis d’hommes armés, 21 paysans ont tenté de s’enfuir, tantôt en se réfugiant dans la montagne tantôt en se jetant dans le fleuve Tahuamanu, mais ils ont été arrêtés par les balles.

La réunion exceptionnelle de l’UNASUR avait décidé d’une commission d’enquête sur ce massacre pour en désigner les responsables, celle-ci a rendu un rapport sur ce que Rodolfo Matarrollo (coordinateur de la mission) considère comme un « crime contre l’humanité » dans lequel la responsabilité du préfet de Pando est confirmée, il demeure donc incarcéré dans une prison de La Paz. En revanche, rien n’a pu être établi quant à la mort de deux partisans de L. Fernandez et la commission demande au gouvernement bolivien d’enquêter à ce sujet.

Mais le sénateur Roberto Yáñez, du Parti démocratique et social (Podemos) se scandalise et récuse ce rapport : « Il s’agit d’un rapport partial, de personnes payées par le président vénézuélien, Hugo Chávez, qui vise à jeter davantage le pays dans la confusion. » a-t-il soutenu le mercredi 3 décembre dans le journal Los Tiempos.

Tandis que L. Fernández, à court d’argument, parle d’un affrontement entre deux bandes rivales, le rapport établit que « les paysans se rendaient à une Assemblée pour la revendication de leurs terres [...] leurs agresseurs ont agi de façon organisée et obéissait à des ordres précis, ils eurent l’appui de fonctionnaires et de moyens fournis par le gouvernement départemental au service d’une entreprise criminelle ». Le rapport de l’UNASUR confirme donc celui de L’APDHB.

Dans le cas où la présence des paramilitaires dans la région ne serait pas étrangère à ces événements, le rapport invite le gouvernement bolivien à « désarticuler toute organisation privée ou publique qui ait pour objectif la réalisation d’actes criminels ». Autrement dit : l’UNASUR conseille au gouvernement de désarmer les armées irrégulières. Ainsi que d’ouvrir une enquête sur « les exécutions sommaires de femmes et d’enfants », « les enterrements clandestins » qui furent dénoncés par de nombreux habitants de Pando.

L’opposition semble faire feu de tout bois pour détourner l’attention des accusations qui portent sur ses représentants, elle attend ou provoque la moindre occasion de déstabiliser le pouvoir légitime en place. Ainsi, lorsque le Général López, l’ex-président de la douane nationale, accuse le préfet intérimaire de Pando, Rafael Bandeiras Arce et le ministre de la présidence, Juan Ramón Quintana d’être impliqués dans des affaires de contrebandes (notamment dans le passage illégale de 33 camions en juillet 2007), cette accusation semble venir à point nommé.

Cependant si cette accusation servait une stratégie politico-médiatique, il s’agirait d’un joli faux pas de la part de l’opposition. En agitant ainsi de façon désespérée l’épouvantail d’un pouvoir corrompu, elle ne servirait que son discrédit face à l’opinion publique internationale dans le sens où il n’est ici, en aucune façon, question de vies humaines.

En tout état de cause, ces événements ont permis à l’UNASUR de faire montre de sa capacité à dépasser les divergences politiques des pays signataire, du conservatisme du président colombien Álvaro Uribe au bolivarisme du président vénézuélien Hugo Chávez. Le président brésilien Lula da Silva a servi de modérateur et le soutien au gouvernement légitime bolivien a été unanime. Un de ses objectifs semble avoir été atteint, car en se passant de l’arbitrage de l’OEA et de l’ingérence de Washington qui a prévalu jusqu’alors, l’UNASUR ouvre la voie à la construction d’un monde multipolaire et permet, sinon l’intégration, au moins l’union latino-américaine au sens où l’entendait le « libérateur » Simón Bolivar.

La volonté d’indépendance retrouve vraisemblablement, presque deux siècles plus tard, un souffle nouveau. La nouvelle Constitution politique de l’État (CPE) constitue le fer de lance de la politique d’Evo Morales et le point de mire des partis d’opposition. Il apparaît, aux yeux de nombreux Boliviens, comme une voie fiable pour sortir de la « néo-dépendance » face à l’oligarchie et aux transnationales. Reste à savoir si les 9 à 10 millions de Boliviens qui iront voter, le 25 janvier 2009, lors du référendum constitutionnel, confirmeront ou pas leur soutien à la politique engagée dans leur pays. L’opposition tente d’en retarder l’échéance par tous les moyens, y compris les plus condamnables, mais sans doute est-ce sans compter sur le rôle majeur que l’UNASUR joue, aujourd’hui, dans l’arbitrage des conflits internes, devenant l’un des piliers d’une nouvelle unité latino-américaine.

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[1Brésil, Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou, Bolivie, Paraguay, Uruguay, Argentine, Chili, Guyana, Surinam.

[2Les 27 pays de l’Union européenne s’étendent sur 4,4 millions de km² et comptent 494 millions d’habitants.

[3Palais de La Moneda : lieu symbolique en commémoration des événements tragiques survenus 35 ans plus tôt lors du coup d’état d’A. Pinochet.

[4Déclaration de La Moneda, Santiago (Chili), 15 septembre 2008.

[5Propos recueillis par l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie (APDHB) le 15 septembre 2008. La Razón, vendredi 5 décembre 2008.

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