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DIAL 3041

PÉROU - Lettre de nouvel an depuis le sud andin péruvien

Francisco Fritsch

dimanche 1er février 2009, mis en ligne par Dial

Le père Francisco Fritsch vit au Pérou depuis 35 ans. Il s’y est installé après avoir été expulsé du Chili en 1973, après le coup d’État, pour « atteinte à la sécurité de l’État ». En 2006, il a été de nouveau expulsé de la prélature [1] d’Ayaviri par le nouvel évêque, Mgr Kay Martin Schmalheusen Panizo, membre du mouvement Sodalitium Christianae Vitae [2]. Il vit maintenant dans la prélature de Sicuani. Dans ce numéro, nous publions deux textes de lui. Le premier, ci-dessous, est sa traditionnelle carte de Noël et de Nouvel an, où il présente l’évolution de la situation dans la région sud-andine du Pérou. Dans le second texte, il revient plus précisément sur les luttes des communautés indiennes contre les abus des compagnies minières.


Noël 2008

Amigas, amigos,

Noël, temps de joie et d’espérance. Nouvel An, temps d’incertitude et de préoccupation. Comme d’habitude, en ces temps-là, je viens partager avec vous ce que je vis, ce qui me réjouis et ce qui me peine dans le sud andin péruvien.

Il y a du neuf chez nous. Les peuples quechuas et aymaras, les populations autochtones de Bolivie, d’Équateur, du Mexique, du Brésil se réveillent, prennent la parole, s’organisent et obligent leurs gouvernements à les prendre en compte, ou du moins à les prendre au sérieux. Oubliés, marginalisés, méprisés, opprimés et exploités, les « Indiens » comme les appelaient les conquérants espagnols en se trompant de pays, se lèvent, se soulèvent. Dans la région de Cusco et de Puno, les communautés paysannes appellent au « soulèvement des peuples » pour défendre leurs terres contre les entreprises minières multinationales qui polluent leurs lacs et leurs rivières et se comportent dans les Andes comme en territoire conquis. Nous avons vécu à Sicuani, fin novembre, dix jours de grève, avec des routes coupées, des bâtiments publics saccagés, une répression brutale des forces de police. Vous comprenez que ce « réveil indien » me réjouit, non pas que j’approuve la violence, car, qu’on le veuille ou non, la violence engendre toujours une plus grande violence, mais je comprends la colère, le « ras le bol » des « comuneros campesinos » [3]. Je dis souvent à leurs dirigeants : « Il ne faut pas que votre légitime colère se transforme en rage. La rage vous aveugle et vous empêche de lutter avec une tête froide et un cœur chaud qui ne s’affolent pas. Nous n’avons pas besoin de rage au cœur ni d’alcool au ventre pour être courageux et défendre nos droits ».

Comment réagit le gouvernement devant les revendications des paysans ? Alan García, le président péruvien, est un des plus grands défenseurs des États-Unis et des multinationales en Amérique Latine. Quand il ne traite pas les grévistes de « terroristes », il les appelle « chiens de paysan » rappelant un ancien conte où il est question « d’un chien qui ne mange pas et ne laisse pas non plus manger les autres ». Les « campesinos » lui répondent : « C’est vrai, nous ne mangeons pas tous les jours, mais nous ne nous laisserons pas non plus manger par les gros ».

Dans les Andes, au milieu du peuple quechua et dans l’Évangile, j’ai appris la patience, si peu, la compassion et la tendresse, un peu, mais aussi la colère. La compassion n’est pas la commisération. La tendresse n’est pas la pitié qui nous fait démissionner devant l’injustice. Ce sont des sentiments forts qui nous font dire aux victimes des oppresseurs ce que le Christ dit aux malades : « Lève-toi et marche ».

Que devient notre Église au milieu de cette situation sociale en effervescence ? Elle aussi est pleine de tensions et de conflits. Elle reflète souvent ces conflits sociaux dans ses options théologiques et pastorales. Nos nouveaux évêques du sud andin, ultra conservateurs, disent qu’ils veulent « dépolitiser et spiritualiser l’Église ». En fait, ils s’allient avec les hommes d’argent et de pouvoir, entre autres les entreprises minières qui payent cette alliance au prix fort avec des dons pour leurs bonnes œuvres. C’est le cas, entre autres, de l’évêque d’Ayaviri qui reçoit des patrons de la mine San Rafael-Antauta, où j’étais curé pendant longtemps, 9 millions de dollars en trois ans. Vous comprendrez aisément que la pastorale de l’option pour les pauvres et les ouvriers en a pris un coup dans cette mine. La répression aussi continue à l’intérieur de l’Église contre les chrétiens qualifiés de « politiques » : congrégations religieuses dont les religieux de Maryknoll qui travaillèrent durant 65 ans à Juli, expulsés, organismes de pastorale sociale et de droits humains fermés, responsables pastoraux laïcs licenciés. Ces messieurs de l’Opus et de Sodalicio se croient les « purs » dans l’Église et pour cela, sans doute, ils croient devoir jouer aux « meilleurs » et aux « durs » envers les autres et éliminer ceux qui ne sont pas de leur secte. Toutes les religions et toute l’histoire des religions connaissent la maladie du fondamentalisme. Jésus lui-même dans l’Évangile a eu affaire à ces gens là et en a souffert. Heureusement l’évêque de Puno accepte dans son diocèse les expulsés, dont moi-même. C’est vous dire qu’il est brave, l’évêque de Puno. Nous avons un peu l’impression d’être en exil à Puno comme les Juifs à Babylone, mais nous n’avons pas suspendu nos guitares aux saules pleureurs car nous voulons continuer à chanter des chants de liberté et de libération.

Toutes ces tensions et divisions dans l’Église nous font mal, nous font de la peine et devraient nous scandaliser. Nous ne pouvons pas en prendre notre parti, nous y installer, nous y conformer. D’abord parce cette situation est contraire à la volonté du Christ qui avait la préoccupation, la passion, j’allais écrire l’obsession, de l’unité entre ses disciples, parce qu’elle nous enlève toute crédibilité dans le monde et parce qu’elle nous quitte les forces nécessaires au service pastoral. Il nous faut prier et travailler pour l’unité de l’Église. Mais l’unité ne s’obtient pas à coup de diktats de l’autorité, ni au détriment de la liberté de pensée, de parole et d’un légitime pluralisme. Suivons le conseil de Saint Augustin qui vécut au milieu de grands conflits sociaux et ecclésiaux : « Unité pour l’essentiel, liberté pour le reste, charité en tout ». Travaillons pour construire l’Église des exclus et non l’Église de l’exclusion.

Notre monde change et pas seulement en mal. « Un autre monde est possible », telle est la consigne de tous les Forums sociaux mondiaux. Une Église autre est aussi possible. Nous ne voulons pas une autre Église, nous voulons une Église autre, autrement, moins sectaire, plus humaine, plus fraternelle, plus solidaire avec les pauvres.

Notre bon vieux dictionnaire Larousse nous dit que « crise » vient du grec –krisis – et signifie : temps de changement, temps de décision, de conversion pour nous chrétiens. Nous avons la chance de vivre au XXIème siècle. Il y a du changement dans l’air, dans les mentalités, dans les cœurs, dans les structures. L’espérance ne passe pas de mode. Globalisons l’espérance.

Espérons contre vents et marées. Les pauvres dans le monde, le peuple andin et même notre chère Église qui ont un passé souvent douloureux, ont de l’avenir, parce que Jésus, Manuelito comme l’appellent affectueusement les enfants des Andes, Emmanuel – Dieu avec nous – chemine avec nous sur les chemins du changement et de la conversion.

Joyeux Noël ! Bon courage et bonne espérance pour 2009 !

Francisco.

Francisco Fritsch
A.12 – Serpost – Sicuani. PERÚ.
Courriel : franciscofritsch[AT]hotmail.com


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3041.

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[1Une prélature est une entité territoriale correspondant à un diocèse sans en avoir le statut juridique.

[3Villageois paysans.

Messages

  • Dans la foi ,grâces du Père ,je vous remercie de ce témoignage ,j’ai une pensée pour vous tous ,dans ce temps de l’Avent si loin ,et si pres .Je n’ose imaginer les conditions encore de cette année pour vous ,et les nouvelles sont si alarmatantes dans ce monde,chez nous aussi ,la détresse s’installe ,vie différente ,en Notre Seul Seigneur ,richesse de votre écrit ,de vous tous .
    " Nous ne voulons pas une autre Église, nous voulons une Église autre, autrement, moins sectaire, plus humaine, plus fraternelle, plus solidaire avec les pauvres."
    Je me permets juste de réagir ,en parlant au Père ,dans la prière "Notre Père"de ce passage ,pour vous faire part de ma souffrance ,car si chrétien nous avions partagé ,car l’Eglise est si présente là déjà dans ce continent
    depuis les "invasions" et bien puissante auprés des instances royales et aujourd’hui politiques ,pourquoi aujourd’hui ,portons nous ce poids
    dans tous ces chaines des richesses ,qui nous lient ,aujourd’hui encore sont là ,le bien être de nos cultes ,pour qui ,je n’y trouve la volonté du Père
    et je découvre cette réalité ,que oui nos instances retiennent encore l’argent ,le pouvoir ,la pauvrté en rassure tant ,la misére ,ils s’en nourrissent ,et ce sont des chrétiens .
    Alors pardon mais cette phrase ,pourquoi dois _ je percevoir ce constat en fait defétiste ,pourquoi toujours encore les pauvres ,oui mais comblien de catholiques ,laics ,clergé ,ammassent ,sur la pauvreté ,la "charité" ,et ne partagerons jamais ,si pour des "indulgences ou se glosser .
    C’est nous les nantis de cette Eglise qui portons le poids ,des pauvres que nous entretenons dans cet état ,en leur imposant nos désirs .
    Et ainsi imposons ,nos volontés ,nos besoins .et bafouons depuis des siècles tous ces êtres dans leur culture ,leur vie tout court ,eux ausssi les enfants chéris du Père ,notre seul Dieu .Espoir de cet évenement
    aLors ,dans cette prière au Père ,merci pour cette force ,à tous pour vous libérer ,déjà du joug ,de ceux qui dirigent ,ou ont pouvoir (justement par l’argent souvent des dons )pour en Christ ,Notre Seul Seigneur ,Maître ,vous nous libérer de leur joug ,en le Père ,nous lever ,et là Christ est !.
    Une grand-mère française
    Marie-Agnès ,avec tous dans le Père ,en Christ ,réalité trinitaire ,nos vies .

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