Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2000-2009 > Année 2009 > Juin 2009 > BRÉSIL - Dom Hélder Câmara, père de l’Église des pauvres, première partie

DIAL 3063

BRÉSIL - Dom Hélder Câmara, père de l’Église des pauvres, première partie

Kenneth P. Serbin

lundi 1er juin 2009, mis en ligne par Dial

Dial publie deux textes, dans ce numéro et le suivant, à l’occasion du centenaire de la naissance de Dom Hélder Câmara [1]. Le premier a été rédigé en 2002 par l’historien Kenneth P. Serbin, maître de conférences de l’Université de San Diego (Californie). Ce texte, publié d’abord en anglais dans un livre collectif (2002) a été traduit et publié en portugais (Brésil) en février 2009 dans la revue brésilienne Espaço Academico. L’article, qui retrace l’itinéraire de Dom Hélder, sera publié en deux parties, la première, ici, et la seconde dans le numéro de juillet.


Dom Hélder Pessôa Câmara, archevêque d’Olinda et Recife, a été l’un des grands leaders du XXe siècle. Mû par un dévouement profond pour la justice sociale par la non-violence, il fut l’homologue latino-américain de Mahatma Gandhi et de Martin Luther King. Par ses efforts pour réformer l’Église catholique romaine, Dom Hélder a contribué à changer le cours de l’une des plus anciennes et des plus importantes institutions d’Amérique latine et du monde.

L’évêque du Ceará, petit, mais plein de fougue, a été le pionnier de la mise en œuvre d’un idéal catholique connu sous le nom de l’« Église des pauvres ». Dans les années 1960 et 1970, l’Église d’Amérique latine, qui était auparavant un pilier du conservatisme, a commencé à lutter pour la justice sociale par le biais d’une transformation profonde de la société. Dom Hélder et l’Église brésilienne ont joué un rôle décisif dans ce changement de cap. Avec d’autres dirigeants de l’Église des pauvres, Dom Hélder prêchait le salut chrétien non comme une vie abstraite après la mort, mais comme une société juste bâtie sur terre dans le présent. L’Église des pauvres défendait les droits humains et l’égalité socioéconomique et prônait une « option préférentielle pour les pauvres » au-dessus des autres classes sociales, en encourageant le peuple à participer activement à la politique, aux syndicats et des mouvements sociaux comme les associations de voisins pour de meilleures écoles. Sur le plan des relations internationales et de la politique économique, l’Église des pauvres adhérait aux idées les plus nationalistes du catholicisme brésilien. Elle était une fervente partisane du développement économique du Brésil – parmi ses adeptes figuraient même des socialistes – et insistait sur les aspects brésiliens et latino-américains du catholicisme par opposition à la tradition européenne.

Comme l’a démontré la vie de Dom Hélder, la foi et la politique sont intimement liées en Amérique latine. Aux côtés des officiers militaires, le clergé a occupé une place importante dans la politique de la région tout au long du XXe siècle. Les prêtres et les évêques exerçaient une influence encore plus importante dans le domaine de la religion, qui jouait un rôle considérable dans la vie quotidienne de la plus grande partie de la population.

Dom Hélder incarne à la fois la participation de la religion à la modernisation politique et sociale du Brésil et l’influence de cette modernisation sur l’évolution de la religion. Son itinéraire fut long, difficile et complexe. Dom Hélder, décédé en 1999 à l’âge de 90 ans, a vécu à une époque dominée par les conflits. Son développement théologique et politique reflète et renforce à la fois nombre des principaux thèmes d’un siècle marqué par la lutte – et souvent par l’échec – du Brésil et des autres pays d’Amérique latine pour établir des systèmes démocratiques, industrialiser leur économie et atténuer les ravages de la pauvreté. L’implication de l’Église a approfondi ce processus et abouti à sa transformation religieuse et politique. La modernisation du catholicisme a eu un prix. Dom Hélder a reçu des éloges de toutes parts et étendu son influence dans toute l’Amérique latine, puis aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Mais il a également fait l’objet de nombreuses critiques pour avoir dénoncé les abus des droits humains et les injustices sociales pratiquées par les nations puissantes contre les plus faibles, et ses partisans et lui ont été victimes d’une violente persécution menée par le régime militaire brésilien.

Dom Hélder a persévéré en conservant une foi religieuse profonde et inébranlable. Né en 1909 dans une famille nombreuse et humble à Fortaleza, capitale de l’État du Ceará et port important sur la côte atlantique au nord-est du Brésil, Dom Hélder, comme de nombreux Brésiliens, reçoit ses premiers exemples de piété de sa mère, institutrice à l’école primaire. Elle veut qu’il devienne prêtre. Le père d’Hélder, comptable, ignore les aspects antireligieux de la loge maçonnique dont il est membre et pratique sa foi avec ferveur. Le Ceará avait l’une des plus fortes traditions catholiques au Brésil. Le père Cícero, le prêtre le plus vénéré du Brésil, considéré comme un saint par la population du Nord-Est, avait établi un site de pèlerinage populaire dans l’arrière-pays du Ceará à la fin du dix-neuvième siècle avant de devenir gouverneur de l’État. En 1927, alors qu’il est encore un jeune séminariste, Dom Hélder rencontre le père Cícero et est témoin du profond respect que manifestent encore les pauvres à l’égard de ce prêtre de 85 ans.

Dom Hélder étudie avec les Pères lazaristes français et hollandais, un ordre religieux régi par des règles et des tâches uniques dans la spiritualité et l’atmosphère d’une fraternité étroitement liée. Ces religieux à la discipline stricte ont joué un rôle essentiel dans la romanisation, ou la modernisation conservatrice, du catholicisme brésilien entre les années 1850 et 1960. Pendant cette période, l’Église a considérablement accru son influence politique et sociale en se réorganisant soigneusement, en insistant sur la moralité et en alignant les pratiques religieuses quotidiennes du peuple, parfois peu orthodoxes, sur les enseignements officiels de l’Église. Auprès des Pères lazaristes, Dom Hélder apprend l’obéissance à la hiérarchie de l’Église, mais il remet également en question la façon arbitraire qu’a l’institution de réprimer la créativité. Comme la plupart des prêtres brésiliens, Dom Hélder quitte le séminaire avec une éducation supérieure – il a appris le français et le latin, par exemple –, mais dépourvu de connaissances sur l’actualité et la réalité de son pays. En 1931, Dom Hélder est ordonné prêtre diocésain et relève ainsi de l’autorité de l’archidiocèse de Fortaleza et de son archevêque.

Dom Hélder développe une discipline spirituelle et un dévouement remarquable envers Dieu. Il renonce aux plaisirs physiques, offre à Dieu ses sentiments d’attirance envers les femmes et jeûne une fois si rigoureusement qu’il s’évanouit. Il porte sa soutane tous les jours, longtemps après que la plupart des prêtres ont abandonné la leur. La longue robe blanche accentue son image d’homme simple, saint et bon. Tout au long de sa vie d’adulte, Dom Hélder se réveille à deux heures tous les matins et, pendant les trois heures suivantes, prie, lit son bréviaire (le livre de prières des prêtres), répond à son courrier, médite sur les difficultés de la veille et écrit de la poésie. Au total, pendant ces veilles nocturnes, Dom Hélder compose plus de 7 000 poèmes, connus sous le nom de « Méditations du Père José ». Son renoncement au confort physique impressionne le peuple. « Il était impossible de ne pas être attiré par lui, se souvient Rose Marie Muraro, une intellectuelle catholique en vue qui a travaillé avec le Père Hélder dans les années 1940. Et nous savions tous que c’était un homme qui ne mangeait et ne buvait pratiquement pas, qui priait tout le temps, qui ne dormait pas et qui exprimait un amour si profond ! » Dom Hélder tire sa plus grande inspiration des enseignements et de la vie de Saint François d’Assise, son saint préféré, dont l’abnégation de soi ressemble aux aspects rigoureux et pénitentiels de l’arrière-pays du Nord-Est tout en les adoucissant. « Frei Francisco » était l’un des surnoms préférés de Dom Hélder. Avec sa tendresse, sa tolérance et son sourire captivant, il est sans doute ce qui se rapproche le plus d’un Saint François brésilien. La spiritualité profonde et l’ascétisme de Dom Hélder lui donneront par la suite la force de surmonter les adversités de sa vie publique et politique.

Dom Hélder développe une importante carrière politique et suit une profonde évolution idéologique avant de devenir un militant pour la paix et la justice sociale. Dès le séminaire, il démontre déjà un fort penchant pour la politique et admire particulièrement les idées de Jackson de Figueiredo, un fervent converti au catholicisme. Jackson était un adepte de l’intégralisme français, une forme archiconservatrice et corporatiste de catholicisme teintée d’éléments du fascisme. Jackson est le fondateur de la revue A Ordem (L’Ordre) et de l’important Centro Dom Vital, qui ont tous deux profondément influencé de nombreux intellectuels brésiliens. Au début des années 1930, Dom Hélder s’implique profondément dans le mouvement Ação Integralista Brasileira (AIB, ou Action intégraliste brésilienne), tout d’abord au Ceará, où il fait avec succès la promotion du mouvement, puis à Rio de Janeiro, où il agit en tant que membre secret du conseil suprême de l’AIB sur l’ordre de Dom Sebastião Leme da Silveira Cintra, le cardinal-archevêque de Rio de Janeiro. Dom Leme, l’évêque le plus influent de son époque, apporte le soutien de l’Église au régime du Président Getúlio Vargas, qui s’est emparé du pouvoir pendant la Révolution de 1930. En échange de privilèges et de subventions, l’Église apporte au régime de Vargas, de plus en plus nationaliste et autoritaire, son soutien moral et un cadre idéologique catholique pour maintenir le statu quo social. Dom Leme ressent également le besoin de miser discrètement sur les Intégralistes au cas où ceux-ci prendraient le pouvoir. De nombreux autres hommes d’Église rejoignent l’AIB ou sympathisent avec le mouvement à cause de son opposition aussi bien au communisme qu’au capitalisme libéral. D’un côté, le communisme est bien entendu athée, et l’échec de la révolte de ses adeptes en 1935 contre le gouvernement de Vargas a pour résultat de polariser la société. De l’autre, le capitalisme est trop individualiste et ne reconnaît pas le besoin d’un filet de sécurité sociale et d’unité politique du modèle intégraliste. Il est significatif que l’adhésion du père Hélder à l’intégralisme dans sa jeunesse l’ait amené à défendre l’utilisation de la violence à des fins politiques. Toutefois, se méfiant du potentiel de l’Intégralisme comme concurrent politique, Vargas démantèle l’organisation en 1938.

Comme beaucoup d’autres intellectuels intégralistes importants, Dom Hélder rejette finalement le mouvement pour son association avec la violence et le fascisme européen dans la période précédant la seconde Guerre mondiale. (Lorsque ses opposants politiques tenteront par la suite d’utiliser son passé autoritaire contre lui, Dom Hélder reconnaîtra volontiers son erreur.) Il est à noter, toutefois, que ces anciens Intégralistes ont conservé la ferveur nationaliste de leur mouvement. Parmi eux figurent les grands intellectuels San Tiago Dantas, qui deviendra ministre des affaires étrangères sous le président gauchiste João Goulart (1961-1964), et Alceu Almoroso Lima. Ce dernier introduit Dom Hélder au travail du philosophe catholique français Jacques Maritain, dont l’« humanisme intégral » antiautoritaire, la défense de la démocratie et l’acceptation du pluralisme religieux a influencé une génération entière d’hommes d’Église et d’intellectuels brésiliens qui deviendront par la suite des adeptes de l’Église des pauvres et de la théologie de la libération.

À partir de la fin des années 1940, les opinions politiques de Dom Hélder évoluent progressivement vers la gauche. Afin que l’Église ne se laisse pas distancer par l’évolution rapide du monde de l’après-guerre, il entreprend des efforts pour moderniser l’Église et la sensibiliser davantage aux questions sociales. Ce faisant, il devient le leader le plus dynamique et le plus original de l’histoire récente de l’Église brésilienne.

Dom Hélder commence par réorganiser Ação Católica (Action catholique), le plus important mouvement de laïcs au sein de l’Église. Les laïcs étaient les membres de l’Église qui n’étaient ni prêtres ni religieux. Traditionnellement, ils se contentaient de suivre l’exemple du clergé. Mais, au vingtième siècle, la peur de perdre ses ouailles convainc l’Église de faire participer plus activement les laïcs à la vie de l’institution. Le mouvement Action catholique arrive au Brésil dans les années 1930. Directeur national du mouvement de 1952 à 1962, Dom Hélder le fait évoluer, passant d’un mouvement axé sur la spiritualité, les questions d’organisation et le traitement paternaliste des laïcs à un ensemble dynamique de groupes impliqués dans l’alphabétisation des adultes (par exemple, dans le Movimento de Educação de Base, ou MEB), l’organisation de syndicats et d’autres types de travail politique et social. Le groupe le plus influent du mouvement Action catholique est la Juventude Universitária Católica (JUC, ou Jeunesse universitaire catholique). La JUC, qui voit son importance politique s’accroître rapidement, défend le nationalisme culturel et économique. En 1959, la JUC met au point « un idéal historique chrétien pour le peuple brésilien ». Cette plateforme met l’accent sur le sous-développement économique du Brésil, critique le capitalisme en raison de ses abus antichrétiens et accepte le socialisme comme une option viable. Au début des années 1960, la JUC sert de leader au mouvement radical étudiant.

En stimulant la quête d’une foi pertinente sur le plan social, Dom Hélder contribue à provoquer un changement majeur dans les valeurs fondamentales du catholicisme. Il veut que l’Église cesse de mettre l’accent exclusivement sur la vie après la mort et sur la moralité traditionnelle pour se concentrer au contraire sur les préoccupations et les besoins des gens au quotidien. Sa défense de la réforme agraire en est un excellent exemple. Aux côtés d’autres ecclésiastiques, Dom Hélder est en partie à l’origine de la première discussion sérieuse sur cette question. En 1950, alors qu’il n’est encore que prêtre, il écrit une célèbre lettre pastorale sur le sujet, publiée sous le nom d’un évêque. L’Église croit que la redistribution des terres des grands propriétaires aux pauvres permettra de mettre fin à l’exode rural vers les villes et, ainsi, de résoudre le problème de l’essor anarchique des favelas (bidonvilles urbains) et de préserver la base traditionnelle de l’Église à la campagne. La demande de réforme agraire devient la marque de fabrique de l’Église des pauvres et aboutit finalement à la fondation de sa Commission pastorale de la terre en 1975. Cette commission défend les petits propriétaires ruraux et les travailleurs agricoles privés de terres dans leur lutte contre les spéculateurs immobiliers violents, les grands propriétaires terriens et les actions oppressives du gouvernement. Le travail de l’Église dans ce domaine contribue de façon significative à la création du Mouvement des sans-terre, sans doute l’initiative pour les pauvres la plus vivante et la plus innovante à avoir émergé dans toute l’Amérique latine dans les années 1980 et 1990. Ses activistes occupent fréquemment des terrains privés et publics non utilisés pour faire pousser des cultures vivrières de base. Les efforts de Dom Hélder et de l’Église des pauvres illustrent la tentative menée par l’Église pour pousser le Brésil, qui n’a toujours pas mis en œuvre de véritable réforme agraire, à moderniser ses structures sociales.

Dom Hélder œuvre pour moderniser l’Église en fondant la Conferência Nacional dos Bispos do Brasil (CNBB, ou Conférence nationale des évêques du Brésil) en 1952. La CNBB, l’une des premières organisations de ce type dans le monde catholique, redonne vie à l’institution, développe l’intérêt des évêques pour les problèmes sociaux et économiques et pose les fondations de programmes tels que la Commission pastorale de la terre. Dom Hélder remplit les fonctions de secrétaire général de la CNBB depuis sa création jusqu’en 1964. Pendant cette période, la CNBB fait pression sans relâche sur les dirigeants brésiliens à propos des questions de justice sociale.

Dom Hélder recherche également la modernisation religieuse en ayant recours aux médias de masse pour transmettre le message de l’Église. Il publie fréquemment des articles dans des journaux et d’autres publications, apparaît dans une émission de télévision hebdomadaire diffusée aux heures de grande audience, intitulée « Dans les pas de Dieu », et parle dans un programme radio de nuit. En 1959, Dom Hélder organise une « manifestation de foi » le Vendredi saint, rassemblant 200 000 personnes dans le stade de football de Maracanã, diffusée à la télévision et sur un réseau de radios comprenant 300 stations dans tout le pays. La popularité de Dom Hélder à la télévision incite même certains conservateurs brésiliens à le traiter de « frimeur ».

L’année 1955 marque un tournant décisif dans la quête religieuse et politique de Dom Hélder. Cette année-là, il gravit un nouvel échelon de prestige ecclésiastique en devenant archevêque. Il organise également le 36e Congrès eucharistique international (CEI). Lors de cet événement, organisé à Rio avec l’appui du gouvernement, l’État, l’armée, les entreprises, l’industrie touristique, le prolétariat et l’Église unissent leurs forces au sein d’une campagne pour le développement économique et contre le communisme. Ce Congrès marque l’apogée du modèle de catholicisme triomphaliste et corporatiste de la néo-chrétienté, introduit pour la première fois par les Lazaristes puis concrétisé par Dom Leme. Le CEI met en évidence les capacités d’organisation extraordinaires (mais souvent oubliées) de Dom Hélder. L’événement renforce son succès auprès des élites sociales et économiques et fait de lui l’évêque le plus dynamique et le plus aimé du Brésil. Mais le CEI a également pour effet de forcer Dom Hélder à réfléchir à l’écart croissant qui se creuse entre les riches et les pauvres à cause du modèle de développement brésilien. Le cardinal Pierre Gerlier, l’un des dignitaires venus d’Europe pour assister à l’événement, encourage Dom Hélder à « mettre tout ce talent d’organisateur que le Seigneur vous a donné au service des pauvres [.] Vous devez savoir que, même si Rio de Janeiro est l’une des plus belles villes du monde, elle est également l’une des plus hideuses, car toutes ces favelas dans un si beau décor sont une insulte au Créateur ». Dom Hélder se rappellera par la suite être « tombé à terre comme Saul sur la route de Damas ».

Après le Congrès eucharistique international, Dom Hélder intensifie ses efforts en faveur des pauvres. Il prend part à la formation du Conselho Espiscopal Latino-Americano (CELAM, ou Conseil épiscopal latino-américain), qui contribue à faire prendre conscience de l’importance de l’Amérique latine dans l’Église catholique et apporte son soutien à l’Église des pauvres, qui n’en est encore qu’à ses débuts. À Rio, Dom Hélder inaugure un projet de logement pour les habitants des favelas et met en place une campagne permanente de charité pour les nécessiteux. Il acquiert bientôt une renommée internationale au titre d’« évêque des bidonvilles ». Dom Hélder fait également pression auprès du gouvernement pour la mise en œuvre de programmes de développement visant à venir en aide aux masses. Grâce à son prestige et à son influence politique croissante, il devient l’un des principaux conseillers du Président Juscelino Kubitschek (1956-1961), qui favorise le développement industriel rapide par l’investissement de capitaux étrangers, l’impulsion du gouvernement et le transfert de la capitale du Brésil de Rio à Brasilia. Dom Hélder et le CNBB aident Kubitschek dans son effort pour répandre les bienfaits du développement. Par exemple, les évêques jouent un rôle absolument essentiel dans la fondation d’un programme gouvernemental ambitieux visant à apporter l’industrie et le progrès dans la région appauvrie du Nord-Est.

Dom Hélder trouve son inspiration spirituelle dans des groupes qui s’identifient avec l’expérience de la pauvreté, notamment les prêtres ouvriers français, qui cherchent à attirer la classe ouvrière à l’Église en gagnant leur vie dans des usines. Avec d’autres ecclésiastiques de son époque, Dom Hélder adopte une spiritualité de la pauvreté et cherche littéralement à vivre comme les pauvres. À Recife, il abandonne le palais archiépiscopal pour vivre dans une petite maison paroissiale derrière une modeste église.

C’est la foi profonde de Dom Hélder dans le peuple brésilien qui, plus que tout, l’a poussé à défendre la justice sociale. Même s’il représente, en tant qu’archevêque, le pouvoir central de l’organisation multinationale et multiculturelle mondiale par excellence, il croit en l’autodétermination des nations et des individus. Bien que profondément loyal envers l’institution, il est également favorable à la décentralisation – voire à la démocratisation – administrative d’une Église extrêmement hiérarchisée et dominée par les hommes. Selon lui, ce n’est qu’en respectant la dignité de tous ses adeptes que le catholicisme pourra devenir véritablement moderne. En tant que dirigeant du mouvement Action catholique, Dom Hélder encourage les laïcs à s’affirmer au sein de l’Église et à mettre l’accent sur des questions d’importance nationale. Il met ces idéaux en pratique en se montrant disposé à déléguer des responsabilités, en particulier aux femmes. Une foule de femmes membres d’Action catholique, bénévoles et employées de l’Église assisteront ainsi Dom Hélder tout au long de sa carrière. Parmi celles-ci figure la jeune Rose Marie Muraro, qui deviendra par la suite une intellectuelle et auteur féministe reconnue. Elle appartient à l’époque à un groupe de jeunes femmes adeptes connu sous le nom des « Filles d’Hélder ». « Dom Hélder fut vraiment l’un des premiers hommes à valoriser les femmes, se souvient-elle. Il avait de très bonnes amies, mais tout le monde acceptait cela comme quelque chose d’humain et d’important, y compris la convivialité spirituelle très profonde qu’il partageait avec les femmes. » Rose Marie et certaines des autres femmes finiront par occuper des postes importants au sein de l’Église. Les assistantes en particulier ont joué un rôle très important à l’époque où Dom Hélder était président du CNBB. La relation de Dom Hélder avec les femmes contraste vivement avec l’exploitation des religieuses et des autres femmes dans de nombreux secteurs de l’Église. À ce jour, sa confiance dans les femmes et dans le peuple n’a jamais été égalée au sein de l’Église qui, comme nombre d’autres institutions brésiliennes, conserve encore aujourd’hui une structure patriarcale obsolète dont l’efficacité est entravée par le refus d’exploiter le potentiel professionnel et de direction des femmes.

Dom Hélder va au-delà des questions brésiliennes pour devenir un porte-parole du monde sous-développé. Certains de ses plus grands exploits ont lieu pendant le Concile de Vatican II. Pendant cette série de réunions capitales, quelque 2 000 évêques du monde entier se rassemblent à Rome entre 1962 et 1965 pour discuter de la modernisation de l’Église. Le concile de Vatican II aboutira à la plus grande réforme de l’histoire de l’institution. Pendant le concile, Dom Hélder répand avec succès les idées de l’Église des pauvres, qui n’en est encore qu’à ses débuts. Il souligne la nécessité de résoudre les injustices de l’économie mondiale par le dialogue entre les pays riches et les pays pauvres et par la coopération internationale pour le développement. En organisant des réunions informelles d’évêques partisans de la réforme, Dom Hélder travaille dans l’ombre pour faire évoluer l’organisation hiérarchique de l’Église centrée sur l’Europe et pour encourager une plus grande participation des laïcs. Il œuvre également pour faire adopter par le Concile des relations œcuméniques avec d’autres religions (telles que le judaïsme et le protestantisme) et un dialogue avec d’autres idéologies, notamment le marxisme athée. Vatican II révèle ainsi la nouvelle influence des idées latino-américaines dans le catholicisme et confère à Dom Hélder un statut de chef de file international au sein de l’Église.

La deuxième partie de ce texte est publiée dans le numéro de juillet.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3063.
 Traduction de Cécile Rousseau pour Dial.
 Source (portugais du Brésil) : Revista Espaço Acadêmico n° 93, février 2009.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.


[1Pour celles et ceux qui s’intéressent aux différents évènements organisés pour le centenaire, nous recommandons le site Dom Helder Camara : Mémoire et Actualité, qui propose, parmi de nombreuses autres richesses, un agenda des rencontres en France, au Brésil et ailleurs.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.