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DIAL 3080 - Dossier Situations des femmes

PARAGUAY - « Nous avons appris à lutter pour ce que nous voulons », entretien avec Line Bareiro, candidate au CEDAW

Natalia Ruiz Díaz

dimanche 1er novembre 2009, mis en ligne par Dial

Ce dossier, composé de deux entretiens, se propose de croiser deux regards sur un thème commun : la situation actuelle des femmes. Line Bareiro en brosse un tableau d’ensemble, à partir d’une perspective paraguayenne. Miriam Cardona Fuentes témoigne des luttes des femmes pour l’égalité dans le monde du travail et des syndicats. Elle s’appuie pour cela sur son expérience au sein du STITCH, un réseau féminin de syndicalistes et de militantes qui réunit des femmes en lutte d’Amérique centrale et des États-Unis. Ces textes ont parus respectivement dans IPS (avril 2009) et dans la Revue d’actualité de septembre-octobre 2008 du Projet accompagnement Québec-Guatemala.


Les femmes du Paraguay ont appris à exprimer ce qu’elles veulent et à se battre pour l’obtenir, déclare la leader féministe Line Bareiro. Connue pour ses activités de défense des droits humains, elle a été proposée comme candidate pour faire partie du Comité pour l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes (CEDAW, pour Committee on the Elimination of Discrimination against Women).

Sa candidature est proposée par le gouvernement, des organisations féministes, des associations de femmes et des réseaux internationaux de la société civile. 12 des 23 membres du CEDAW seront élues en novembre par les 183 pays qui ont ratifié la Convention qui a donné naissance à cet organisme, par vote secret, et ils auront un mandat de quatre ans à partir de 2010.

Politologue et avocate de profession Bareiro est une militante de notoriété mondiale en tant qu’experte en droits humains, démocratie et égalité des sexes.

Lors d’une entrevue avec IPS, la leader féministe a évoqué les principaux thèmes de mobilisation sur les droits des humaines au niveau local, régional et mondial.

IPS : Le proverbe guarani « Kuna Kuimba’épe ha so’o mbarakajape » (la femme est pour l’homme ce que la viande est pour les chats) continue-t-il à avoir cours dans la société paraguayenne ?

Line Bareiro : Cette façon de penser est propre au patriarcat du Paraguay qui n’est pas très raffiné, à l’inverse du patriarcat allemand, par exemple, qui lui, oui, a été formé parce que ses grands philosophes étaient misogynes et ont conditionné la pensée occidentale.

Au Paraguay c’est quelque peu rudimentaire. Ce genre de machisme marqué par le caractère latino-américain de rusticité patriarcale, a cours. Mais je crois que c’est en train de changer dans de vastes secteurs sociaux, surtout parce que les femmes y conquièrent de l’espace.

IPS : Qu’elle a été la chose la plus difficile que vous ayez eu à affronter dans votre lutte pour la défense des droits de la femme ?

Line Bareiro : C’est dans la construction d’institutions démocratiques au Paraguay et dans les tensions internes au mouvement des femmes que j’ai rencontré les principales difficultés. Je n’ai pas de problème pour affronter ceux qui ne pensent pas comme moi mais, pour moi, les tensions internes au mouvement des femmes ont été, elles, très éprouvantes. Et ce qui le reste c’est de voir que les institutions sur lesquelles nous avions misé ne fonctionnent pas comme nous l’espérions.

IPS : Quelle est la situation des femmes qui travaillent ?

Line Bareiro : La seule discrimination légale dans le monde du travail est celle qui s’exerce à l’encontre des femmes qui s’occupent des tâches ménagères. Il s’agit de l’activité principale des femmes au Paraguay et en Amérique latine et elles ne sont pas en situation d’égalité légale. Si nous livrons le combat contre la pauvreté dans une perspective d’égalité des sexes nous devons travailler intensément sur ce sujet.

Concernant le salaire minimum, il n’y a pratiquement pas de différence entre les sexes, mais les études montrent que plus on monte les échelons professionnels, plus la discrimination s’amplifie.

Ceci dit nous constatons des formes terribles de discrimination liées au harcèlement sexuel et aux difficultés de la vie quotidienne. Au Paraguay on considère encore que la femme qui a des compétences reste la « vice- » (la seconde) et le numéro un est un homme – et elle fait la plus grande partie du travail.

IPS : Y a-t-il eu des avancées dans la participation des femmes à la politique ?

Line Bareiro : Peu. Le CEDAW a dû réitérer ses recommandations au gouvernement du Paraguay sur ce sujet et lui dire : changez votre législation. Notre quota de 20% dans les élections internes aux partis se traduit approximativement par un 10% au parlement et dans les institutions locales. En résumé, notre pays se trouve en dessous de la moyenne dans la région qui est à peu prés de 15%.

IPS : Est-ce que l’on continue à considérer la violence à l’intérieur de la famille comme un problème relevant du domaine privé ?

Line Bareiro : Il y a une avancée importante car il est très différent de penser qu’il s’agit d’un sujet à gérer au niveau privé et de savoir que tu peux compter sur l’État pour cela. C’est important, y compris pour une raison qui peut ne pas être de notre goût, car la société préfère s’occuper des problèmes d’une femme en tant que victime, une certaine attention est cependant portée à ce problème. Désormais il n’est plus aussi fréquent que les femmes aillent voir la police et qu’on leur dise « rentre chez toi ».

Nous ne sommes pas encore passés à la seconde génération de lois. La loi 1600 contre la violence domestique est un acquis significatif mais nous n’atteignons pas encore cette seconde génération, la pénalisation, et bien évidemment on n’a pas encore pris en compte le « fémicide ».

Sur certains points les médias se montrent très en retard car ils présentent cela comme un crime passionnel quand il s’agit d’un assassinat pour des raisons liées au genre.

IPS : Où en est le Paraguay en ce qui concerne l’application du troisième Objectif de développement du millénaire ( 3ODM ), qui est de parvenir à l’égalité des sexes ?

Line Bareiro : Mal en point. Et pas seulement sur le troisième. Le pire étant le taux de mortalité des mères. C’est un indicateur qui ne bouge pas ni au Paraguay ni dans la région. L’indicateur de pauvreté est, lui aussi, une honte.

Concernant l’égalité il y a eu des avancées grâce à l’action des femmes. Quand nous nous décidons à entrer en action les choses changent. Nous n’avançons pas autant quand nous essayons de séduire et de convaincre pour partager les tâches domestiques, l’éducation des enfants ; il se passe la même chose dans d’autres pays.

Ici c’est un pays de femmes fortes, historiquement, et qui, à quelques exceptions prés, avaient renoncé à leurs droits. Mais plus maintenant, nous avons appris à vouloir, à dire ce que nous voulons et à lutter pour l’obtenir.

IPS : Quelle est votre analyse quant aux avancées advenues relativement à la défense des droits de la femme au plan mondial ?

Line Bareiro : Je crois que le monde n’était pas préparé à cela. Les États n’étaient pas prêts pour s’occuper des droits humains en général. Encore moins pour aborder le problème de l’égalité des femmes et pour que les femmes occupent la place qui leur revient en tant que moitié de l’humanité.

Nous vivons un moment où l’existence des structures patriarcales les plus dures va de pair avec la possibilité réelle, pour les femmes, d’un exercice du pouvoir, de transformations, de la reconnaissance et de l’exercice de leurs droits dans de vastes secteurs.

Au Paraguay et dans toute l’Amérique latine, nous n’avons pas encore obtenu que la Convention de Belem do Pará [1] pour l’éradication de la violence envers les femmes se répercute sur les lois nationales. Il faut que, nous, les femmes, ne restions pas exclues des constitutions que, nous-mêmes, entérinons.

IPS : En quoi le CEDAW est-il important ?

Line Bareiro : Le Comité étudie ce que les gouvernements affirment avoir fait pour la mise en application de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes.

Expertes et experts du Comité reçoivent les rapports et communiquent leurs observations et recommandations. Il y a un aspect que, nous les femmes, considérons important : le Comité a atteint un niveau de réflexion très avancé et fournit des arguments par ses observations et recommandations, et il dépend des organisations de droits humains, du mouvement féministe et des femmes d’en obtenir la mise en application.

En outre, un groupe de pays a ratifié le Protocole facultatif de la convention. Dans notre région, tous l’ont fait sauf quatre.

Dans les pays qui l’ont fait les femmes peuvent porter un cas devant le Comité, elles peuvent le faire individuellement ou en groupe. La réponse du Comité a une valeur particulière parce que sa raison d’être n’est pas seulement de considérer les cas qui lui sont soumis d’un point de vue des droits humains mais aussi de prendre en compte la question du genre.

IPS : Des lèvres entourées de la phrase « ta bouche est fondamentale contre les fondamentalismes » apparaissent sur votre T-shirt. Que signifie ce message ?

Line Bareiro : C’est un des éléments d’une campagne que mène le Réseau féministe Mercosur (personnalités et organisations de 7 pays sud américains). C’est fascinant parce qu’avec l’arme des idées nous menons un combat contre ceux qui prétendent que les pouvoirs dans le monde sont immuables.

Nous ne sommes en faveur d’aucun fondamentalisme, nous sommes pour les sociétés démocratiques et dans ces sociétés on peut parler de tout quand bien même existent des désaccords et c’est ainsi que les choses se résolvent. Tout ceci est résumé dans cette phrase « ta bouche est fondamentale contre les fondamentalismes ».


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3080.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : IPS, avril 2009.

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[1Adoptée en 1994.

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