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DIAL 3062

MEXIQUE - Radiographie de l’État de droit : défis et dangers de la réforme pénale

SIPAZ

lundi 1er juin 2009, mis en ligne par Dial

Dans ce numéro, nous publions deux articles sur le Mexique extraits du rapport d’avril 2009 du Service international pour la paix (SIPAZ, Servicio internacional para la Paz). Les questions qu’ils posent, sur les politiques sécuritaires et la criminalisation des luttes sociales notamment, résonnent bien au-delà des frontières du Mexique.


Le 10 février dernier, le Mexique a été évalué par l’Organisation des Nations unies (ONU), par le biais d’un nouveau mécanisme entré en vigueur en 2006 : « l’Examen périodique universel » (EPU). Tous les 4 ans, tous les États membres devront se soumettre à un « dialogue interactif » par le biais duquel il sera analysé s’ils respectent les engagements internationaux qu’ils ont pris en matière de droits humains.

En février, le Mexique a reçu les commentaires et critiques de la part d’un groupe de trois pays et des États membres représentés dans l’EPU. Trois rapports avaient été remis au Conseil des droits humains (CoDH) au préalable : un du gouvernement mexicain, un du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR), et un dernier élaboré par le OHCHR à partir de documents remis par la société civile. Une centaine d’organisations non gouvernementales (ONG) mexicaines et 7 internationales ont dénoncé le fait que « le Mexique ne respecte pas ses engagements internationaux » et que la torture, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, les violations à la liberté d’expression et l’impunité persistent. Le rapport a inclus 60 cas de criminalisation des mobilisations sociales dans 17 états mexicains, et en particulier dans les États du Chiapas, de Guerrero et d’Oaxaca.

L’EPU a présenté, comme résultat final, 91 recommandations à l’État mexicain. Ce dernier en a accepté 83 et a exprimé des réserves sur les 8 autres. Les 83 premières se réfèrent à la nécessaire harmonisation des lois nationales afin qu’elles prennent en compte les engagements internationaux pris par le Mexique. Selon le gouvernement mexicain, les 8 autres requièrent une « analyse interministérielle plus détaillée ». Elles regroupent la plus grande partie des critiques présentées par la société civile dans son rapport : par exemple, l’impunité et les mécanismes qui devraient être mis en place pour la combattre (particulièrement, en ce qui concerne les femmes, les peuples indiens, les mineurs et les journalistes), ainsi que les thèmes de la juridiction militaire, la figure de la détention provisoire et la définition du « crime organisé ».

La réforme pénale : un « changement culturel » en faveur de la légalité ?

De nombreuses recommandations de l’EPU concernent le système judiciaire mexicain. Depuis un certain temps, la société civile mexicaine exigeait des réformes profondes en la matière. La réforme pénale finalement approuvée par le Sénat le 6 mars 2008 cherche à concilier deux tendances contradictoires. D’un côté, elle représente une avancée en matière de droits humains grâce à l’introduction des procès oraux et au changement de la forme d’accusation (présomption d’innocence). D’un autre, elle implique une régression avec la mise en place de mesures répressives qui prétendent répondre à la préoccupation pour la sécurité dans le pays.

Face à l’insécurité générée par la délinquance organisée et le trafic de drogues, le gouvernement de Calderón a mis l’accent sur la loi et l’ordre, et accorde une priorité moindre aux thèmes comme le respect des droits humains ou le problème de l’impunité qui sont pourtant des facteurs-clés dans la lutte contre la délinquance.

Dans le projet initial de réforme, les éléments les plus notables ou questionnables étaient : l’introduction des perquisitions sans mandat judiciaire, l’ampliation de la figure de la détention provisoire, le sous-système d’exception pour les personnes accusées d’appartenir à la « délinquance organisée » et l’existence de délits qui impliquent des peines de prison à vie. Des organisations mexicaines de défense des droits humains, la Commission interaméricaine de droits humains (CIDH) ainsi que plusieurs Rapporteurs spéciaux des Nations unies ont exprimé leurs préoccupations avant son approbation face à des « aspects de la réforme qui mettent les droits humains en danger ».

Dans le projet de loi finalement approuvé par le pouvoir législatif, la partie portant sur les perquisitions fut éliminée. Le résultat a été considéré comme un « changement culturel » en faveur de la légalité par le gouvernement mexicain. Certains l’appellent cependant « réforme Frankenstein », vu que sa rédaction intègre à la fois des améliorations du système judiciaire et un plus grand nombre de mesures répressives (comme les détentions provisoires ou la définition polémique de la « délinquance organisée »). D’autres comme la sénatrice Rosario Ibarra (également présidente du Comité Eureka, qui travaille depuis plusieurs décennies sur le thème des disparitions forcées), vont même plus loin et parlent de « loi Gestapo ».

Deux voies judiciaires parallèles et un risque accru de criminalisation des luttes sociales

Les recommandations effectuées dans le cadre de l’EPU se centrent principalement sur les nouveaux règlements touchant aux détentions provisoires et au crime organisé. La critique la plus fréquente tient au fait que la réforme pénale construit un système à deux voies dans l’exercice de la justice : un pour les délits de droit commun et l’autre pour le crime organisé. La réforme se matérialisera au bout de huit ans, une fois que tous les États de la fédération l’auront mise en place. De sérieux doutes existent quant au respect de la présomption d’innocence dans les cas liés au « crime organisé ». Selon la logique des droits humains, c’est précisément dans le cas des délits les plus graves que le respect des garanties judiciaires devrait assurer un procès le plus juste possible.

Un grand obstacle pour le système judiciaire est celui de la définition du « crime organisé » et du critère d’application déterminant qui peut utiliser cet outil. L’article 16 définit que « par délinquance organisée, on entend une organisation, de trois personnes ou plus, qui commet des délits de manière permanente ou réitérée, selon les termes de la loi en la matière ». De nombreuses organisations et mouvements sociaux craignent que cet article puisse être appliqué contre les luttes sociales, vu que la loi ne spécifie pas les types de conduite qui pourront constituer un délit dans ce cadre. La création de ce « régime d’exception » viole le principe fondamental d’égalité devant la loi ; il ouvre qui plus est la possibilité de décisions arbitraires de la part de l’État, ce qui pourrait être utilisé contre les mouvements d’opposition. Selon le Centre de droits humains Fray Bartolomé de las Casas, « la présence dans la Constitution d’une hypothèse aussi ouverte qui ne spécifie pas ce qui sera considéré comme délinquance organisée aura de lourdes conséquences, puisque qu’il sera beaucoup plus facile de modifier la loi secondaire et d’établir des délits qui ne sont pas vraiment graves et qui menacent la sécurité nationale ».

Pour des organisations de droits humains du Guerrero, « la perte de garanties individuelles et sociales signalées dans le cadre de la guerre contre le trafic de drogues est une nouveauté qui menace les défenseurs des droits humains et les membres d’organisations sociales, et qui, en outre, provoque une crise du système judiciaire et des mécanismes de protection des droits humains ». Ils expliquent que l’État a « lancé une campagne de criminalisation des défenseurs des droits humains en cherchant à mettre en cause la légitimité de leur travail, en les discréditant, en harcelant ceux qui utilisent les systèmes de défense, en leur fabriquant des délits ou en ignorant des abus commis à leur encontre ». Si l’on prend en compte ne serait-ce que les derniers mois, le nombre d’actions pénales menées contre des leaders sociaux a augmenté de manière préoccupante dans tout le pays. Il faut ajouter à ce fait des antécédents inquiétants avant même l’approbation de la réforme, à Oaxaca ou à Atenco par exemple, où des membres d’organisations sociales ont été accusés de séquestration, de barrages de routes ou de sédition.

Détentions provisoires et risques de torture

Une autre crainte exprimée par les défenseurs des droits humains face à la réforme pénale et en particulier dans le cadre de la « criminalisation des mobilisations sociales » est liée à la détention provisoire, une figure juridique apparue dans la loi fédérale afin d’être appliquée dans le combat contre la délinquance organisée.

La détention provisoire est une mesure de précaution qui existe dans de nombreux codes pénaux d’Amérique latine. Elle est censée être un instrument démocratique qui pourra être utilisé par la Préfecture de police au cours d’une enquête criminelle, dans les cas où il y aurait un risque d’évasion de la part de la personne inculpée : un juge ordonne une « détention provisoire à domicile » obligeant la personne à rester chez elle sous surveillance et sans permis de sortie pendant la durée de l’enquête. Par le passé, le délai maximum était de 40 jours, une durée qui, depuis la réforme, peut se prolonger jusqu’à 80 jours (dans d’autres pays, une détention provisoire dure généralement entre 2 et 7 jours).

Au Mexique, elle s’applique en outre de manière particulière. Généralement, la personne ne doit pas rester chez elle mais est envoyée dans des « maisons de détention préventive » qui sont sous la responsabilité du bureau du Procureur général de la République (PGR). Ces endroits peuvent être des hôtels, des bains publics ou des édifices clandestins. Même si légalement son dossier est suivi par un juge, la personne reste dans les faits sous la responsabilité de la Préfecture de police, ce qui donne à celle-ci et à la police judiciaire un pouvoir de contrôle beaucoup plus fort sur le suspect.

L’aspect le plus préoccupant, c’est qu’au lieu d’être utilisée comme un outil permettant d’obtenir des informations en vue d’une possible inculpation, la détention provisoire pourrait être utilisée pour faire pression sur le suspect afin d’obtenir des aveux. De nombreux cas de torture ont été dénoncés par des organisations de droits humains dans ces « maisons » et l’on peut craindre qu’elle soit appliquée de manière plus fréquente contre des manifestants et des mouvements sociaux.

Juridiction militaire : la grande absente de la réforme pénale

La juridiction militaire, qui ne fait l’objet d’aucun contrôle civil, est repérée dans les recommandations de l’EPU comme l’un des aspects les plus préoccupants. Il faut aussi rappeler que ce sujet a fait l’objet de constantes critiques et recommandations à l’État mexicain de la part des organisations de droits humains.

Tout au long de l’année 2008, plusieurs de ces organisations ont souligné le besoin de limiter la portée de la juridiction militaire aux procès de militaires dans les cas de délits commis contre la fonction militaire sans « l’étendre aux enquêtes et procédures liées à des faits qui constituent des violations des droits humains ». L’an dernier, le Centre des droits humains Miguel Agustín Pro Juárez (Centre Prodh) a enregistré 120 cas d’abus commis par des militaires mexicains : perquisitions illégales, agressions physiques, tortures et arrestations arbitraires. Le Guerrero est l’un des États les plus affectés par cette question. Les ONG exigent la mise en place de contrôles civils sur l’armée de manière urgente. Elles attendent la réponse de la Cour suprême de justice de la nation qui devra se prononcer sur le thème de la juridiction « de guerre » dans les cas où des civils auraient fait l’objet de violations de droits humains de la part de militaires. Luis Arriaga, directeur du Centro Prodh, affirme que cette situation « perpétue l’impunité et mine le contrôle civil qui, dans toute démocratie, doit prévaloir par rapport aux institutions militaires ».

Quelles perspectives ?

Au delà des défis que représente le contenu de la réforme elle-même, un autre, non moindre, sera celui de sa mise en œuvre. Dans son rapport de 2008, Human Rights Watch a signalé le « double visage » de l’État mexicain. Celui-ci a signé de multiples traités internationaux pour la défense et la promotion des droits humains et maintient un profil haut dans les espaces internationaux qui existent sur la question ; cependant, ces mêmes traités semblent rester lettres mortes à l’heure de leur application dans le pays. Même si l’on veut considérer cette réforme pénale comme une avancée, ou même comme le début d’un « changement culturel », il reste à voir dans quelle mesure celle-ci peut se transformer en réalité.

Pour finir, le rapport de force entre l’État et la société civile est toujours source d’inquiétude. Les mouvements sociaux et les organisations civiles seront-ils en mesure de jouer un rôle de contrepoids face aux tendances répressives de l’État ? Ou bien, au contraire, le crime organisé et les milliers de morts qu’il provoque chaque année serviront-ils d’excuse pour que l’État mexicain continue à légaliser des procédures pénales répressives et violatrices des droits humains, avec en outre la bénédiction d’une partie de la communauté internationale également préoccupée par le thème de la sécurité ?


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3062.
 Traduction du SIPAZ. Version française revue par Dial.
 Source (français) : Bulletin du SIPAZ, vol XIV, n°1, avril 2009.
 Texte original (espagnol) : Informe SIPAZ, vol. XIV, n°1, avril 2009.

En cas de reproduction, mentionner au moins la source (SIPAZ - http://www.sipaz.org) et l’adresse internet de l’article.

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