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HONDURAS - « Un affrontement Nord-Sud se joue sur le dos du Honduras », entretien avec Hélène Roux

JBB, Article XI

mercredi 15 juillet 2009, mis en ligne par Guillaume Beaulande

Samedi 11 juillet 2009 - Article XI - Le Honduras ? Il faut dénoncer le coup d’État, bien entendu. Hurler contre ces saligauds de militaires et d’oligarques, si arcboutés à leurs privilèges qu’ils sont prêts à tout pour ne pas en perdre une miette. Mais ensuite, pour mieux comprendre la situation ? Hélène Roux, journaliste spécialiste de l’Amérique centrale et chercheuse, a répondu à nos questions. Histoire d’y voir plus clair.

C’était le dimanche 28 juin, 200 soldats encerclant le domicile du président du Honduras avant de l’arrêter. Le prétexte ? Une prétendue « illégalité » de la consultation populaire que Manuel Zelaya organisait le jour-même et qui, en cas de succès, ouvrait la voie à un référendum sur une éventuelle convocation de l’Assemblée constituante. La vraie raison ? La crispation de l’oligarchie hondurienne, excédée par le virage progressiste du président - pourtant issu du Parti Libéral - et très soucieuse que le bipartisme régentant la vie politique hondurienne ne soit pas menacé.

Nommé président par intérim, le politicien Roberto Micheletti décrète immédiatement un couvre-feu. Et envoie la troupe contre les manifestants qui se mobilisent, notamment lors de la journée du 1er juillet - 276 blessés parmi les protestataires - et du 2 juillet - 20 000 manifestants dans la rue. La répression et les arrestations se poursuivent toute la semaine, culminant le dimanche 5 juillet quand la troupe tire sur des manifestants pro-Zelaya en route pour l’aéroport (où ils espéraient voir atterrir le président renversé) et fait au moins trois morts.

Près de deux semaines après le coup d’État, le couvre-feu est toujours en place et la pression des militaires ne se relâche pas. Les arrestations se poursuivent et nombre d’opposants et de membres des mouvements sociaux sont contraints de se cacher pour ne pas tomber aux mains des forces armées. Roberto Micheletti campe sur ses positions tandis qu’à l’extérieur du pays, les négociations internationales se poursuivent.

Voilà - façon très bref résumé - ce qu’on sait de la situation actuelle au Honduras. Entre le désintérêt des médias et leur façon très parcellaire - voire politiquement orientée - de traiter le sujet, entre les analyses idéologiquement marquées - d’un côté comme de l’autre - et trop simplistes parce que basées sur des considérations datées, il est finalement difficile de savoir à quoi s’en tenir exactement. C’est pour cela que l’intervention d’Hélène Roux, journaliste qui a passé près de 15 ans au Nicaragua et au Honduras - travaillant notamment pour la revue alternative Apia - et fine connaisseuse de l’Amérique centrale, est si précieuse. Celle qui a participé à l’ouvrage collectif Le Volcan latino-américain [1] et termine actuellement une thèse sur « le processus de contre-réforme (reconcentration) agraire au Nicaragua, comme instrument de reconquête du pouvoir » - « Il s’agit de montrer comment la possession de la terre, influe et conditionne les relations de pouvoir et à partir de là, tenter de comprendre de quelle manière cela a une incidence sur les choix en matière de politiques de développement », explique -telle - nous a très gentiment accordé une longue interview, histoire qu’on sache un peu mieux à quoi s’en tenir. L’occasion de mettre à mal quelques fantasmes et de replacer les choses dans un contexte (chargé). Entretien.


Est-ce que le coup d’État était prévisible ?

Prévisible, c’est beaucoup dire. Mais il y a eu des alertes quelques jours avant le coup d’État, émanant des mouvements sociaux inquiets de la tournure que prenait la polémique déclenchée par l’initiative de la consultation. Polémique ayant débuté il y a quelques mois, quand le président Manuel Zelaya avait annoncé une consultation sur une éventuelle convocation de l’Assemblée constituante.

Il faut bien comprendre tout ce que ce débat a d’artificiel. La consultation du 28 juin ne portait que sur la possibilité, ou non, de déposer une quatrième urne lors des élections législatives prévues pour novembre : il ne s’agissait donc que d’une consultation sur une future consultation. Mais cela a été complètement travesti par les médias, ici comme au Honduras, qui ont tous affirmé en chœur que Manuel Zelaya jouait sa réélection.

Ce qui n’est pas du tout le cas ?

C’est possible que Manuel Zelaya ait eu cela en tête. Mais l’enjeu de la consultation allait bien au-delà son éventuelle réélection : pour les mouvements sociaux et populaires, l’éventuelle convocation d’une Assemblée constituante était une très jolie occasion de remettre en cause le bipartisme - le Parti national et le Parti libéral contrôlent toute la vie politique et constituent une véritable oligarchie politique - qui empoisonne le Honduras. Ces mouvements avaient enfin une possibilité d’entrer en lice et d’obtenir cette participation qu’ils n’ont jamais eu.

En raison de l’histoire politique du Honduras ?

Évidemment. Il ne faut pas oublier que des régimes militaires ont régné au Honduras jusqu’en 1982. Et que le climat politique est resté extrêmement dur jusqu’au début des années 90, avec une politique de sécurité nationale, d’assujettissement de toute la société à la censure militaire et à la lutte antisubversive.

Rappelons aussi que dans les années 1970-90, soit pendant toute la durée des conflits en Amérique centrale, le pays avait été la base arrière des États-Unis dans la zone. Ce qu’illustre parfaitement le rôle déterminant joué par John Negroponte, ambassadeur états-unien au Honduras de 1981 à 85, homme d’influence dans toutes les guerres de l’Amérique centrale et tête de pont de l’Irangate [2]. C’est par le Honduras que transitaient les armes. L’influence états-unienne sur ce pays était donc énorme, spécifiquement dans l’armée. Un grand nombre d’anciens présidents du Honduras ont d’ailleurs fait leurs études au États-Unis.

Cette influence états-unienne est toujours déterminante ?

Plus de la même façon. Si le Honduras a été longtemps l’arrière-cour des États-Unis, les choses ont évolué au cours des années 90, et particulièrement avec l’ouragan Mitch de 1998 : l’Union européenne s’est alors imposée comme le principal bailleur de fonds d’une partie des pays d’Amérique centrale.

Aujourd’hui, le Honduras est l’un des pays de la zone qui reçoit le plus de subsides de l’Union européenne. Cette dernière y mène des programmes importants, notamment en ce qui concerne les réserves naturelles, le réseau d’adduction d’eau, la réduction de la pauvreté et les réformes institutionnelles. L’Union européenne occupe désormais une partie de la place.

Quel intérêt a-t-elle à y investir ?

Elle veut se positionner en Amérique centrale, et positionner ses entreprises, en vue d’atteindre le marché nord-américain. D’abord en développant le marché régional, puis en travaillant sur l’interconnexion et en remontant vers le Nord. Ce qui fonctionne : nombre d’entreprises européennes, surtout espagnoles, sont en très bonne position sur place. Notamment dans le secteur de l’énergie et de la finance : la banque Santander est – si je ne m’abuse – leader en Amérique latine, BBVA occupe également une bonne place.

L’Union européenne n’est pas la seule sur le coup, non ?

En effet. Le programme Meso-Amérique (Mesoamérica en espagnol), qui émane indirectement [3] des États-Unis, prévoit la mise en place de tout un ensemble d’infrastructures allant du Mexique au Panama et à la Colombie. C’est un programme qui comprend la création d’infrastructures de transport et la réalisation de l’intégration énergétique sur cette zone.

Surtout, les États-Unis et l’Amérique centrale sont liés par le DROITE-CAFTA, un traité de libre-échange qui a commencé à être discuté après l’échec des négociations concernant la ZLEA (Zone de libre échange des Amériques, soit le grand projet de l’administration Bush).

Et tout ça est important pour saisir les ressorts du coup d’État ?

C’est au moins essentiel pour comprendre pourquoi ce coup d’État emmerde tellement, en réalité, les États-Unis et l’Union européenne. Côté états-unien, c’est même, à mon avis, le pire scénario imaginable : le Honduras est une pièce-clef du plan Meso-Amérique, notamment parce que c’est le seul pays ayant à la fois un port digne de ce nom sur l’Atlantique (Puerto Cortés), avec des produits partant directement pour La Nouvelle Orléans, et une bonne intégration au Pacifique, à travers les infrastructures routières (via le Salvador notamment). Aucun des autres pays d’Amérique centrale n’a cette connexion privilégiée.

En clair : le coup d’État ne peut pas être une bonne chose pour les États-Unis. Surtout si le gouvernement de facto du Honduras n’était pas reconnu par la communauté internationale et qu’il y a des sanctions prises contre lui. Et dans l’état actuel des choses, il ne peut pas être reconnu…

Mais on a beaucoup entendu parler du rôle supposé des États-Unis de ce qu’il vient de se passer…

C’est une explication un peu simpliste, en tout cas incomplète. Bien entendu, les États-Unis ont un passé plus que trouble dans la zone. Bien entendu aussi, ils ont été mouillés dans la tentative d’attentat contre Chavez, en 2002. Mais en l’état actuel des choses et vu l’image que souhaite se donner l’administration Obama, ils ne peuvent pas se permettre de jouer à ce petit jeu au Honduras. Simplement parce que la configuration a énormément changé en quelques années.

Attention : ça ne veut pas dire que les États-Unis ne souhaitaient pas se débarrasser de Manuel Zelaya. Au contraire, même. Mais pas de cette façon : dans un article du New-York Times paru le 30 juin, « In a Coup in Honduras, Ghosts of Past U.S. Policies », un fonctionnaire états-unien a expliqué qu’il existait bien un plan pour faire décamper Zelaya. Il s’agissait de l’attaquer sur le plan juridique, en lui collant une affaire de corruption sur le dos.

Ça avait peut-être même déjà commencé : Otto Reich, ancien secrétaire d’État adjoint chargé de l’hémisphère occidental du gouvernement Bush, homme auparavant mêlé à l’affaire Irangate et aujourd’hui reconverti en consultant privé, a lancé récemment des accusations contre Manuel Zelaya et contre des membres de son gouvernement, leur reprochant d’avoir accepté des pots de vin pour qu’une entreprise de communication obtienne des concessions au Honduras. Une accusation qui prend également son sens quand on sait que les concessions de télécommunication étaient il y a quelques années gérées par l’armée.

Bref, les États-Unis songeaient bien à coincer Zelaya. Mais plutôt en montant un procès contre lui et en tablant sur leurs alliés locaux, qui contrôlent la Cour Suprême de Justice du Honduras. Pas de chance : les gorilles de l’armée ont tout foutu par terre… Eux, ainsi qu’une classe politique hondurienne si effrayée par le projet de constituante qu’elle a suivi les premiers barbouzes venus. Cette élite avait une telle mainmise sur le pays qu’elle n’a pu supporter de voir remise en cause une parcelle de son influence. Pour elle, il y avait le feu à la baraque…

Le scénario états-unien de la mise en accusation de Zelaya aurait pu fonctionner ?

Je pense que oui. Et c’était le seul scénario crédible, pour les États-Uniens. Il ne faut pas oublier que le rapport de force est désormais défavorable aux États-Unis en Amérique latine, qu’ils n’ont plus les moyens de faire pression comme avant et d’imposer leur volonté. Alors qu’ils faisaient la pluie et le beau temps jusqu’au début des années 2000, leur influence s’est très fortement étiolée. À l’Organisation des États américains (OEA), instance politique regroupant tous les pays d’Amérique, ils n’ont plus que le Mexique et la Colombie comme alliés inconditionnels – ainsi que le Canada –, quand ils ne comptaient que des soutiens et un président à leur botte il y a une dizaine d’années. Illustration parfaite de cette évolution, l’OEA vient de réintégrer Cuba.

Et que faites-vous des documents prouvant que les putschistes honduriens sont passés par la School of the Americas, un annexe du Pentagone formant à la contre-insurrection ?

Justement, ça ne prouve rien : tous les militaires de haut-rang du Honduras sont passés par la School of the Americas. Mieux : la majorité des militaires d’Amérique latine - et en particulier ceux qui ont joué un rôle dans les nombreux coups tordus qui ont ponctué l’histoire du sous-continent - y sont passés… [4] Je veux bien qu’on revienne toujours au plan Condor, mais ce n’est pas forcément la meilleure grille d’analyse…

Le fait que les dignitaires de l’armée hondurienne soient passés par cette école ne démontre pas que les États-Unis soient derrière le coup d’État, mais juste que la leçon a été bien apprise.

Maintenant, je veux bien faire une spéculation : il est possible que certains secteurs particulièrement conservateurs de l’administration états-unienne soient en train de faire un enfant dans le dos à Obama en soutenant le coup d’État. Là oui. Mais supposer l’implication de l’appareil d’État dans son entier n’est pas très crédible.

Ça renvoie à autre chose, finalement. Soit à l’impression que tout ce qu’on peut lire dans nos médias sur la situation au Honduras, dans un sens ou dans l’autre, est parcellaire et au moins partiellement faux…

Oui. Ça s’explique d’abord par le fait que très peu de gens connaissent le Honduras. Personnellement, je n’ai rencontré que trois journalistes qui s’y soient rendus. Et l’un des seuls spécialistes français de la question, qui était mon directeur de thèse, est décédé l’an passé [5]. Conséquence : il y a très peu de gens qui sont capables de cadrer un peu le sujet, de se montrer pédagogiques.

De façon générale, les médias français ne s’intéressent pas au Honduras, ils n’y connaissent rien et, même s’ils voulaient s’y intéresser, ils n’en auraient pas le temps. S’y ajoute le retour d’une logique d’affrontement de blocs par Amérique centrale interposée : c’est ainsi qu’on peut lire dans Le Monde la reprise d’un article de La Prensa, un quotidien conservateur du Nicaragua, prétendant qu’il faut voir dans le renversement hondurien un coup d’État « d’un genre nouveau », commis pour rétablir la démocratie. Scandaleux !

Le Monde est habitué à raconter n’importe quoi sur l’Amérique latine…

C’est clair qu’il a toujours été nul sur la question et que ses correspondants en Amérique latine ont toujours été particulièrement venimeux. Bertrand de la Grange a raconté n’importe quoi pendant des années, Paulo A. Paranaguá a apparemment pris le relais. Ce dernier a produit des articles sur Chávez vraiment lamentables, de la pure désinformation ; il a fait de même récemment avec la Bolivie en présentant Ruben Costas, le préfet raciste de la province de Santa Cruz comme un brave type. L’Amérique latine a toujours été traitée sous forme de caricature dans les colonnes de ce journal… Comment s’en étonner : j’ai vu des journalistes du Monde y partir qui ne parlaient même pas espagnol…

C’est d’ailleurs pour cela que j’ai fini par me réorienter vers la recherche, même si je continue d’écrire des articles pour la presse alternative et aussi parfois pour certaines publications latino-américaines : je me suis rendue compte que je ne pourrais jamais pratiquer le journalisme que je souhaitais. Une amie avait une bonne formule pour cela, elle disait qu’on me demandait toujours une caricature quand je voulais faire de la peinture à l’huile.

Au rayon médias, toujours : qu’est-ce que vous inspire la comparaison des traitements médiatiques sur la crise en Iran et sur le coup d’État du Honduras ?

Il y a sans doute un point commun, l’absence totale de vérification des informations et la superficialité de ce traitement. Pour le reste, c’est clair qu’on est dans un rapport de un à mille en terme de couverture…

Ce qui m’a paru le plus choquant, finalement, c’est la façon dont les médias ont pris pour argent comptant l’idée qu’il y avait une fraude électorale en Iran - laquelle est probable mais pas avérée - et la façon dont les mêmes ont pris pour argent comptant l’idée que le coup d’État au Honduras faisait avancer la démocratie et était légitime.

Peut être qu’en cette période estivale, les rédactions n’ont personne qui parle espagnol… En revanche, force est de constater que le farsi est apparemment une langue très courue dans les médias (surtout audiovisuels).

Vous parliez un peu plus haut du retour d’une logique de blocs : de quoi s’agit-il ?

Dans les années 80, les États-Unis et l’URSS se sont notamment affrontés sur le dos du Nicaragua. Et de façon générale, tous les conflits qui ont touché l’Amérique centrale à cette époque étaient une expression de la Guerre froide.

Là, c’est la même chose : un affrontement Nord-Sud se joue sur le dos du Honduras, ce qui explique en partie les analyses simplistes sur le rôle états-unien. Le coup d’État et surtout son traitement médiatique ont été l’expression du conflit opposant le Venezuela et les États-Unis, les deux faisant monter la sauce. Quand Hugo Chavez se rend, juste après le coup d’État, au Nicaragua pour y faire un discours martial et évoquer une intervention militaire, il joue avec le feu en raison du contentieux existant entre le Honduras et le Nicaragua. C’est dévastateur comme déclaration, à cause du passif historique, des dix ans de guerre que les gens au Nicaragua n’ont pas oublié. D’ailleurs Daniel Ortega, président du Nicaragua, se rappelle, lui, que c’est la guerre qui a fait perdre les élections aux Sandinistes en 1990. Et c’est aussi pourquoi, lorsque le 5 juillet Micheletti a commencé sa conférence de presse en accusant le Nicaragua (et le Venezuela) d’être sur le point d’envoyer des groupes armés au Honduras (ou de les avoir déjà envoyés), Ortega a immédiatement démenti. De façon d’autant plus crédible que l’éventualité d’une « intervention « de l’armée nicaraguayenne au Honduras, ou ailleurs, est un scénario totalement invraisemblable…

Finalement, l’analyse la plus juste est celle qui fait une large part à la lutte des classes…

D’une certaine façon, oui. Le coup d’État s’explique essentiellement par la réaction d’oligarchies locales – nourries et appuyées militairement, économiquement et financièrement par les États-Unis pendant des siècles – qui n’acceptent pas de perdre du terrain et de voir rognés leurs privilèges. A l’image de la réaction de l’oligarchie bolivienne blanche s’accrochant et prenant des initiatives désespérées pour tenter de contrer les réformes de Morales.

Comment réagit la société civile ?

Du côté des mouvements sociaux, l’opposition est unanime. Les coups d’État, ils ont déjà donné, ils savent très bien ce que cela veut dire… Mais il y a aussi des secteurs de la société – y compris populaire – qui sont pour le renversement de Zelaya, de la même façon qu’ici il y a eu des gens pour voter Sarkozy. Il ne faut pas oublier que les Honduriens ont été littéralement gavés d’anticommunisme et d’anti-subversion pendant des années et des années. De ce côté-là, on peut clairement parler d’influence des États-Unis : le lavage de cerveau a très bien fonctionné.

Il faut aussi souligner que les auteurs du coup d’État ont le soutien de la presse : les propriétaires des trois grands quotidiens du Honduras ont été des propagateurs actifs du renversement. Et il en est de même pour les télévisions privées.

Enfin, il y a des pressions patronales – notamment de la part des patrons des industries maquiladoras du Nord – pour obliger leurs salariés à participer aux manifestations pro-coup d’État. Au Honduras – et en général en Amérique latine – c’est un procédé assez courant. Il y a même un mot pour ça dans certaines régions : « acarreado ». Ce sont les gens amenés en véhicules (ou payés) pour faire faire la claque dans des manifestations politiques ou électorales.

Justement : quelle attitude adoptent les patrons ?

C’est peut-être en train d’évoluer. Mercredi, une radio du Honduras a fait état de l’engagement à maintenir les prix des représentants de la corporation des patrons. C’est une façon de dire aux habitants de ce pays très pauvre : ne vous inquiétez pas. Mais c’est surtout le signe que ces patrons commencent sérieusement à prendre peur, à être effrayés. D’autant plus que les États-Unis ont commencé à retirer les visas à certains : là, c’est la Berezina pour eux…

D’ailleurs, alors que les Honduriens attendaient le retour de Zelaya dimanche, une radio a révélé qu’un certain nombre de chefs d’entreprise – parmi les plus gros du pays, avec entre autres l’ancien président Carlos Flores Facussé – étaient en train de tenter de négocier une sortie de crise à Washington. Le pouvoir économique est déjà en train de tourner casaque, et si cette tendance se confirme et s’accentue, le président remplaçant, Roberto Micheletti, n’aurait plus avec lui que les militaires et un certain nombre de politiciens ultraconservateurs. C’est en tout cas ce qu’une radio du Honduras, qui tente de rester indépendante, répercutait dimanche dernier, le 5 juillet.

Vous pensez que la situation peut évoluer favorablement ?

C’est possible, mais c’est difficile à dire. Je crois que tout va se jouer dans la conjugaison des pressions sociales – elles ne sont pas négligeables, les gens résistent vraiment (par exemple, les enseignants refusent massivement de reprendre les cours) même si ça ne suffira probablement pas à renverser la situation – et des pressions du grand capital hondurien, ainsi que dans les garanties que les putschistes pourront arracher au cours des tractations internationales pour obtenir l’impunité en cas de retour en arrière. Dans tous les cas, l’armée pèsera aussi dans les négociations.

Pour finir, ce qui vient de se passer – le coup d’État, la répression et les arrestations – a sans doute cristallisé un réveil des mouvements sociaux au Honduras. Quelle que soit l’issue de la crise, rien ne sera plus pareil.


http://www.article11.info/spip/spip.php?article499

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[1Livre paru chez Textuel.

[2John Negroponte a, alors qu’il était ambassadeur au Honduras, supervisé l’approvisionnement en armes et l’entraînement des Contras du Nicaragua, en lutte contre les Sandinistes au pouvoir. Une partie des revenus générés servaient aux interventions états-uniennes secrètes en Iran et constituent l’origine du scandale de l’affaire Iran-Contra, qui a touché le président Ronald Reagan lors de son deuxième mandat (1984/1988).

[3« Indirectement parce que ce ne sont pas les financeurs directs… mais ce "projet de développement de toute la région" profite en premier lieu aux États-Unis. Il est destiné à favoriser et à alimenter le marché états-unien. Le Plan Mesoamérica est une nouvelle mouture de ce qui s’est appelé auparavant Plan Puebla Panamá (Ce plan avait été présenté par le président mexicain Vicente Fox (2000-2006) dès le début de son mandat) », précise Hélène Roux.

[4« À l’exception des militaires cubains et nicaraguayens (depuis les années 60 pour les premiers et 80 pour les seconds) », précise Hélène Roux.

[5Il s’agit d’André Marcel D’Ans, anthropologue, linguiste et sociologue. Professeur à Paris 7, il a écrit deux livres sur le Honduras : Le Honduras, difficile émergence d’une nation, d’un État (éd. Karthala 1997) et Écologie politique d’un désastre, le Honduras après l’ouragan Mitch (éd. Karthala 2005).

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