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DIAL 3091

MEXIQUE - Lois contre l’avortement : un recul pour les droits des femmes

Natanya Robinowitz

lundi 1er février 2010, par Dial

Ce texte de Natanya Robinowitz a été publié en anglais puis en espagnol sur le site du Programme Americas du Center for International Policy (CIP), le 23 novembre 2009. L’autrice (natanyarobinowitz(a)gmail.com), qui travaille dans le domaine de la santé des femmes à Mexico, revient sur la série de lois contre l’avortement adoptées dans une quinzaine d’États mexicains depuis 2007.


Le 16 novembre 2009, l’assemblée législative de l’État de Veracruz, au Mexique, a adopté une loi selon laquelle la vie commence au moment de la conception et se termine par la mort naturelle. Veracruz devient ainsi le 17e État du Mexique à criminaliser l’avortement. La loi fait partie d’une série de mesures vivement contestées adoptées en réaction à la légalisation de l’avortement à Mexico en avril 2007.

La réforme de la constitution de l’État de Veracruz comporte une disposition ajoutée au dernier moment par le Parti d’action nationale (PAN), aux termes de laquelle les femmes qui avorteront dans l’illégalité pourront éviter la prison en acceptant de suivre un traitement médical et psychologique. Ce changement, prétend-il, « préservera le droit à la vie et protégera les femmes » [1]. Et Margarita Guillaumín, du PRD, de rétorquer : « Dernière nouvelle : les femmes qui se sentent obligées d’avorter sont des femmes malades, folles, déséquilibrées, perturbées, …et ils vont les remettre sur le bon chemin. Alléluia ! » [2]

Le débat à Veracruz, attisé par la passion et la colère, est caractéristique du combat général qui se livre dans tout le Mexique sur la question de l’avortement, et qui revêt une dimension à la fois personnelle et politique. Les batailles de l’avortement au Mexique touchent à des aspects politiques, comme l’intervention directe de l’Église catholique dans un État laïque, et à des problèmes de santé posés par le nombre important de complications consécutives à des avortements clandestins.

En ce qui concerne la dimension personnelle, le débat sur l’avortement contraint la société et la classe politique à examiner les conséquences cachées des politiques rigoureuses suivies en la matière et des avortements clandestins sur la santé et la vie des Mexicaines.

Bref historique : de Mexico à Veracruz

Le 24 août 2007, à l’issue d’un débat nourri dans les églises, dans la rue et dans les médias, l’Assemblée législative du District fédéral [3] a voté, à 46 voix contre 17, une réforme du Code pénal et des lois sur la santé dans le but de dépénaliser l’avortement lorsqu’il survient dans les 12 premières semaines de la grossesse. Selon la nouvelle réforme, passé 12 semaines, les femmes qui avortent peuvent être condamnées à une peine de prison de trois à six mois ou à une période de travaux d’intérêt collectif comprise entre 100 et 300 jours. Avant l’adoption de cette loi, les femmes de Mexico ne pouvaient légalement avorter que pour cause de viol, de malformation du fœtus, de risque pour la vie de la mère, ou d’insémination artificielle sans le consentement de la femme.

Malgré le tollé consécutif à cette décision, le vote n’a pas vraiment été une surprise pour tous ceux qui avaient suivi le débat. L’assemblée législative de Mexico était dirigée par le PRD, libéral [4], lui-même soutenu lors du vote par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et plusieurs petits partis. Sans surprise, le PAN, parti conservateur auquel appartient le président Calderón, et qui a toujours ouvertement pris position contre l’avortement, était opposé aux réformes.

Immédiatement après que l’assemblée législative du District fédéral a rendu sa décision, le PAN a engagé une action en nullité auprès de la Cour suprême de justice, au motif que la résolution était anticonstitutionnelle. La Cour suprême a tenu six audiences publiques sur le sujet, au cours desquelles 40 personnes se sont exprimées pour ou contre les réformes. Pour finir, la Cour suprême, à huit voix contre trois, a confirmé la loi adoptée par le District fédéral sur l’avortement. De nombreux observateurs ont alors pensé que ce jugement créerait un précédent pour que d’autres États engagent des réformes comparables en promulguant des lois moins strictes sur l’avortement.

Combien ils se trompaient ! Avant même que les pro-avortement aient commencé à crier victoire, il est rapidement apparu qu’un mouvement de réaction violente contre la décision de Mexico était en train de gagner tout le pays. Avant le jugement, l’État de Chihuahua, situé dans le nord du pays, était le seul à disposer d’un « amendement sur la personnalité », comme il était dénommé. Mais, trois mois après la décision de la Cour suprême confirmant celle de l’Assemblée législative du District fédéral, l’État de Morelos, situé immédiatement au sud du District fédéral, a réformé sa constitution pour qu’elle déclare que la vie commence au moment de la conception. Et s’est ainsi amorcée la tendance à faire de l’avortement un homicide au regard de la loi : d’abord dans le Morelos, puis, peu à peu, dans les États de Basse Californie, Campeche, Colima, Durango, Guanajuato, Jalisco, Nayarit, Oaxaca, Puebla, Quintana Roo, Querétaro, San Luis Potosí, Sonora, Yucatán et, aujourd’hui, Veracruz. La question fait également débat dans les États de Michoacán et Aguascalientes.

Jalisco est un exemple emblématique de l’offensive anti-avortement observée au Mexique, qui rappelle des actions similaires mais infructueuses menée aux États-Unis. Le gouverneur ultraconservateur membre du PAN Emilio González Márquez a déposé récemment un recours pour interdire aux femmes d’avorter dans tous les cas, y compris le viol. Lors d’une conférence de presse, González a déclaré : « Je pense, comme la population de Jalisco, que l’avortement est condamnable. » [5] Et c’est ce même gouverneur qui a lancé une campagne pour prévenir la propagation du VIH/sida par l’abstinence et la fidélité, en déclarant que « la propagation du virus du sida est causée par les mauvaises mœurs et non par le défaut d’utilisation de préservatifs. » [6]

Les conséquences des amendements constitutionnels à Veracruz et dans d’autres États sont considérables et portent le débat au niveau fédéral. L’État a adopté une proposition qui requiert du Congrès (fédéral) d’examiner la possibilité d’une interdiction de l’avortement dans tout le pays, action légale car la constitution stipule que l’assemblée législative d’un État peut proposer une réforme qui devra être examinée par le Congrès.

En outre, cette évolution de la législation illustre une dilution de la frontière entre le monde laïque et la sphère religieuse, en plus de l’ingérence de l’Église dans la politique des États.

Un État laïque ?

La ressemblance entre les déclarations de la hiérarchie catholique au Mexique et la terminologie employée dans les lois anti-avortement montre que l’Église catholique a joué un rôle déterminant dans l’adoption de lois récentes. Après le jugement rendu en 1997 par le District fédéral, le pape Benoît XVI a écrit aux évêques mexicains pour les encourager à faire front contre cette loi. Les dirigeants de l’Église au Mexique ont alors menacé d’excommunication les hommes politiques qui soutiendraient la loi. « Ils seront punis d’excommunication. Ce n’est pas de la vengeance, mais simplement ce qui se fait en cas de péché grave » [7], a déclaré l’archevêque d’Acapulco.

Dans un pays en majorité catholique, mais avec un État laïque, l’activisme de l’Église a suscité des réactions contre sa hiérarchie, accusée d’intervenir sur le terrain constitutionnel, même si elle l’a fait par des voies indirectes. Dans un article récent du quotidien mexicain La Jornada, Javier Flores explique que, le Mexique étant un État laïque, l’Église a été contrainte, pour mener son action, de s’abriter derrière des « partis politiques dans les États, des organisations de la société civile, des comités de bioéthique ad hoc, des associations de parents, des intellectuels, des médecins et des scientifiques [8]. Que ce soit ouvertement ou sous une forme discrète, nul doute que l’Église a participé activement à la bataille législative sur l’avortement et s’est immiscée, en conséquence, dans la vie la plus intime des femmes.

Ce que les lois anti-avortement signifient pour les femmes

Dans un contexte marqué par des querelles partisanes, les protestations des laïques, et les nombreuses questions qui se posent autour des politiques suivies en matière d’avortement, en quoi cette loi influe-t-elle sur la vie quotidienne des femmes ? Que donnent ces réformes constitutionnelles sur le terrain, et quels sont les choix qui s’offrent à une femme dans le cas d’une grossesse non désirée ?

Il est impossible d’obtenir des chiffre exacts, mais on estime que le nombre d’avortements au Mexique a grimpé de 533 000 à 875 000 par an entre 1990 et 2006 [9]. Dans la plupart des États, pour subir un avortement dans la légalité, la femme doit adresser au gouvernement une demande prouvant qu’elle peut se faire avorter légalement. En règle générale, elle doit pour cela avoir été victime d’un viol.

La doctoresse Olivia Piña Ballesteros, gynécologue à Mexico dans une clinique de l’association humanitaire Mexfam, a complètement rejeté la thèse selon laquelle il était possible de se faire avorter légalement avant 2007, en expliquant que le mur de la bureaucratie était quasiment infranchissable et que, quand par bonheur un rapport était émis, l’enfant était déjà né. C’est ce que confirme une étude de 2006 dans laquelle Human Rights Watch démontre que les fonctionnaires utilisent la paperasserie, l’intimidation et l’humiliation, entre autres moyens, pour dissuader les femmes d’avorter à la suite d’un viol [10]. On peut donc en déduire que les avortements pratiqués avant 2007 au Mexique étaient presque tous clandestins.

La culture, la logistique et les risques entourant les avortements clandestins sont presque tombés dans l’oubli aux États-Unis depuis le jugement Roe v. Wade en 1973. La doctoresse Piña explique qu’au Mexique ces avortements sont effectués généralement avec des instruments non stérilisés, dans des lieux insalubres, par des sages-femmes, des médecins généralistes ou des individus qui se font passer pour des médecins. Le résultat en est que, gynécologue à Mexico avant la décision de 2007, la doctoresse Piña a rencontré beaucoup de patientes qui présentaient des complications à la suite d’un avortement. Selon l’Institut mexicain de la sécurité sociale, 63% des hospitalisations enregistrées pour des problèmes de grossesse sont dues à des complications provoquées par un avortement [11].

Zaira Berenice Gutiérrez, psychologue dans la même clinique de Mexfam, explique ce qu’est la culture des avortements clandestins. Mme Gutiérrez a commencé à travailler dans un organisme de planning familial à la suite d’une expérience au cours de laquelle elle avait accompagné une amie âgée de 16 ans qui devait se faire avorter clandestinement. Tout le monde sait, dit-elle, où se trouvent ces centres, que l’on appelle clínicas mata cigüeña (« cliniques tueuses de cigogne »). Dans ces endroits, la patiente et la personne qui l’accompagne signent un formulaire où elles déclarent qu’elles ont 18 ans ou plus et qu’elles s’engagent à ne rien révéler du centre dans l’éventualité de complications.

Mme Gutierrez explique que, depuis l’adoption de la loi autorisant les avortements en 2007, les patientes ont accès à des soins de bien meilleure qualité. De plus, les cliniques professionnelles assurent le suivi de la patiente après l’avortement.

« Avant, ajoute Mme Gutiérrez, nous pouvions expliquer aux femmes quels choix elles avaient, mais si elles se décidaient pour un avortement clandestin, elles sortaient d’ici et disparaissaient à jamais. Maintenant, nous avons l’assurance que les femmes reçoivent des soins de qualité et le suivi approprié. Et elles savent qu’elles peuvent compter sur nous. »

Quand des avortements sont pratiqués dans le secret et dans un milieu non professionnel, il ne faut pas s’étonner qu’autant de femmes connaissent des complications qui peuvent être mortelles. Selon une étude réalisée par le Colegio de México, le bureau mexicain de l’organisme The Population Council et l’Institut Guttmacher, 17% des Mexicaines ayant avorté en 2006 ont été traitées dans des hôpitaux publics pour des complications, contre moins de 0,3% aux États-Unis [12].

Il est également dit dans le rapport que les femmes qui avortent sont plus nombreuses au Mexique qu’aux États-Unis, où l’avortement est légal. « Ces observations corroborent les conclusions d’enquêtes effectuées dans d’autres parties du monde : déclarer les avortements illégaux n’en réduit pas sensiblement la fréquence mais ne fait que les rendre plus risqués et mettre la vie de femmes en péril », affirme Fátima Juárez, chercheuse principale pour l’étude de l’Institut Guttmacher [13].

Pourquoi autant d’avortements ?

Le taux d’avortements élevé que l’on enregistre au Mexique pose aussi la question de savoir pourquoi il y a autant de grossesses non désirées dans le pays. Le programme gouvernemental de planning familial, lancé en 1974, est jugé extrêmement efficace puisqu’il a permis de faire tomber le taux de natalité à 2,4 enfants par femme au Mexique [14]. Cependant, selon Estela Kempis, médecin qui exerce dans sa propre clinique à Cuernavaca, ses patientes connaissent très mal les méthodes contraceptives. Pire, ajoute-t-elle, leurs connaissances sont souvent erronées.

Mme Kempis souligne le manque d’éducation sexuelle dans le pays. « Le programme d’études n’est pas adapté et je pense ici aux matières principales : mathématiques, espagnol, grammaire. Alors imaginez la place que peut occuper l’éducation sexuelle ! C’est le néant. »

Si le système éducatif du Mexique n’assure pas à ses élèves une éducation complète et de qualité pour leur inculquer une culture de relations sexuelles protégées, comment le gouvernement peut-il espérer que les Mexicaines évitent des grossesses non désirées ? C’est évidemment impossible, et ce sont les femmes qui en paient le prix.

Vraies vies, vrais coûts

Les femmes qui avortent, légalement ou non, le font pour toutes sortes de raisons : mauvais moment, carrière, pauvreté, viol, inceste ou risques pour leur propre vie. Alors que beaucoup de militantes emploient le vocabulaire du choix pour évoquer ce débat, dans la plus grande partie du Mexique la limitation des choix signifie que les femmes peuvent soit mener à son terme une grossesse non désirée, soit l’interrompre dans des conditions dangereuses, souvent au péril de leur vie. Le gouvernement fait face au vrai choix : rester passif pendant que des femmes risquent leur vie pour se faire avorter clandestinement ou bien légaliser l’avortement et permettre aux femmes de choisir en leur offrant l’accès à des services médicaux professionnels.

Le débat sur les corps des femmes dans les assemblées législatives de tout le pays met en lumière l’abîme de plus en plus vaste entre la politique et la vie des Mexicaines ordinaires. Malgré tout le bruit que la question suscite dans la classe politique, les vrais perdants sont ailleurs. Ce sont les centaines de milliers de femmes non entendues qui se mettent en danger pour mener courageusement leur vie selon leurs propres choix.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3091.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (anglais) : Americas Program, 23 novembre 2009.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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