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DIAL 2352

ÉQUATEUR - Après les événements de Quito, les réactions de l’évêque de Cuenca : Six jours de peur pour les uns, cinq cents ans d’inhumanité pour les autres

Mgr Luis Alberto Luna Tobar

mardi 15 février 2000, mis en ligne par Dial

Les événements qui se sont produits à Quito au mois de janvier (cf. DIAL D 2347) se sont terminés par la défaite des peuples indiens (du moins dans l’immédiat) et la continuation de la même politique par l’ex-vice-président devenu président grâce au coup d’État (ce qui n’empêche pas que des civils et militaires soient actuellement poursuivis pour avoir été actifs dans ce coup d’État). Le grand événement fut et restera la mobilisation exceptionnelle dont les peuples indiens ont fait preuve, gage d’espérance pour des changements à venir. Mgr Luis Alberto Luna Tobar, archevêque de Cuenca, dénonce vigoureusement la grave incompréhension à laquelle se heurtent les Indiens et s’en prend avec force à l’aveuglement des « créoles ». Nous publions ci-dessous deux brefs articles qu’il a publiés dans le quotidien El Hoy du 29 janvier et du 5 février 2000.


Indiens...

Peut-être un certain aveuglement engendré par l’orgueil a-t-il créé dans quelques esprits une confusion entre l’occupation pacifique de Quito de la part de nos frères indigènes et le soulèvement politico-militaire qui a tenté de profiter d’eux et de leur incontestable triomphe.

Triomphe, oui ; échec, jamais. On n’a pas le droit de confondre les deux épisodes. Les indigènes se sont retirés de l’espace conquis lorsqu’ils ont constaté leur propre erreur pour laisser aux autres protagonistes le plaisir morbide de la querelle.

Ils se sont retirés, mais ils reviendront. Lorsque les accusations passionnelles se seront taries, les hommes du « pouvoir » et les groupes sociaux de « Blancs » n’auront plus d’excuses, eux qui, à l’encontre de la justice et de la vérité, pensent blanchir leurs péchés avec leurs titres nobiliaires de constitutionnalité et de démocratie.

Nous, coupables de l’issue finale, nous ne voulons pas reconnaître nos vieilles responsabilités. Il a fallu que les « Indiens » nous fassent subir en six jours de peur ce qu’ils ont eux-mêmes vécu en cinq cents ans d’inhumanité. Cette inhumanité qui n’est ni démocratique ni constitutionnelle...

Il n’est pas juste de faire passer dans les informations des faits très importants qui feront date, en essayant de les déformer par une publicité qui crée la confusion et altère les faits. On y a introduit toute la vieille amertume des haines inutiles et des intérêts bâtards. Les informateurs se sont scandalisés parce qu’un dirigeant indigène a parlé de « guerre civile ». Beaucoup se sont scandalisés parce que les « Indiens » ont installé un « parlement ».

Aucun des informateurs qui critiquaient n’a tenté de savoir ce que ces deux termes signifient dans le langage traditionnel de notre peuple indigène. Évidemment, l’expression « guerre civile » ne signifie pas l’appropriation acharnée de ce qui appartient à autrui, de même que le mot « parlement » ne renvoie pas à nos « services » législatifs, profitables pour certains. Il s’agit d’une guerre de la société civile contre le vol, le mensonge et la paresse. Et un « parlement », c’est le lieu dans lequel se pensent avec force l’expérience et la vision des anciens.

L’occupation pacifique de Quito, sans effusion de sang, grâce à la stratégie primitive mais pertinente de nos frères indigènes d’Équateur doit faire l’objet d’une lecture différente de celle faite par tous les moyens de communication sociale et par nos parlementaires à nous. Ce mouvement, ainsi que ce que le parlement a élaboré, nous ont apporté beaucoup d’éléments positifs, dont nous ne connaissons pas encore tout le contenu. C’est le moment de l’étudier profondément, au-delà de l’orgueil créole qui aveugle et de la superbe qui tremble d’être mise à nu et d’apparaître dans l’impudicité de sa corruption.

Si quelque sage demandait à l’Histoire quelle issue reste à l’Équateur après la prise de Quito par les indigènes équatoriens, un vieillard qui s’est engagé à être proche du plus défavorisé répondrait que l’issue qui nous reste est d’être avec l’indigène dans sa vérité, sa justice et sa sincérité. Ce n’est peut-être pas très commode mais ce sera toujours vrai.

29 janvier 2000


L’excitation nerveuse qui a caractérisé les journées sociales et politiques de la semaine passée s’est transformée, au cours des journées suivantes - longues et lentes -, en une façon d’être si amorphe et amortie que nous nous demandons ce qui nous a anesthésié si efficacement, ou qui l’a fait.

Ce qui s’est passé, si remarquable dans sa signification et ses conséquences, aurait dû marquer la sensibilité citoyenne, déterminer une orientation sûre en ce qui concerne les réactions populaires et orienter la conscience civique vers des objectifs clairs, aussi précis que l’argument principal du soulèvement social que nous avons vécu.

La lecture des critiques faites dans notre pays, avec quelques rares exceptions très courageuses, nous amène à regretter la perte notable des valeurs naturelles et l’avancée morbide d’un primitivisme créole des plus inhumains. Les indigènes qui ont pris Quito ont montré que chez eux c’est le naturel qui règne, détermine et l’emporte. Et le naturel n’est pas ce qui est typique, ni ce qui relève du folklore commercialisé ; ce n’est pas non plus un raccourci qui diminue les distances, ni une préférence accordée au klaxon sur le courrier électronique. Non. Ce qui est naturel, c’est la dignité de toutes les personnes, le courage de toute la communauté, la justice de tous les individus et de toutes les communautés. C’est ce qu’ont proclamé nos frères indigènes. Mais la majorité des Équatoriens n’a pas voulu et ne veut pas entendre la vérité. Notre citoyenneté souffre d’une surdité morbide.

Cependant, telle une charge sur le dos de l’éternel lama ou sur les épaules de l’Indien qui nous a fait peur, nous sommes restés impassibles devant le fait que les trois pouvoirs maintiennent les dispositions injustes qui ont motivé le soulèvement. Nous avons toléré insensiblement que l’on prétende rectifier des erreurs avec un sens paranoïaque de la justice. Nous avons ouvert la route à la fièvre des privatisations, à l’immolation des symboles patriotiques qui ont été nord-américanisés, à la complicité de l’État dans le crime de la mobilisation immorale des capitaux privés au service des spéculateurs et, succombant à la tentation d’un glissement facile, nous avons laissé l’Équateur se dollariser, sans exiger, au minimun, une réduction du taux de change par lequel nous avons vendu servilement notre liberté.

À quoi bon une si belle protestation et d’aussi grands sacrifices de la part de ce peuple exemplaire ? Le lendemain de la triste conclusion des événements, qui font et qui feront histoire, notre pays s’est enfermé dans un silence inexpressif, dans un désespoir maladif, et a perdu les réactions normales de critique ou d’approbation d’événements clés de notre vie. Rien n’a changé. Tout a été organisé avec une lenteur programmée, de manière à ce que le peuple comprenne que sa réaction ne pèse rien, et que l’histoire est programmée et se déroule au profit des intérêts de quelques personnes.

La geste indigène de janvier à Quito a été, est et sera un avertissement sévère que nous devons entendre.

5 février 2000


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2352.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : El Hoy, janvier-février 2000.
 
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