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DIAL 2362

MEXIQUE - Un « coup d’État » du « club de Rome » dans la Conférence épiscopale

Rodrigo Vera

jeudi 16 mars 2000, par Dial

L’action du « club de Rome » - qui regroupe quelques cardinaux et évêques mexicains très proches du secrétaire d’État du Vatican le cardinal Angelo Sodano et de l’ancien nonce au Mexique Jerónimo Prigione - se poursuit au sein de la Conférence épiscopale mexicaine. DIAL a déjà fait état de l’influence exercée par ce groupe conservateur (cf. DIAL D 2357). L’article ci-dessous donne des éléments complémentaires permettant de mieux comprendre les réseaux, les jeux d’influence et, surtout, les enjeux qui s’en suivent pour l’Église mexicaine. Le chercheur en religions Bernado Barranco, interviewé ci-dessous, n’hésite pas à parler d’une sorte de « coup d’État » en raison des résultats obtenus par le « club de Rome » de décembre 1999 à février 2000. Article de Rodrigo Vera, Proceso, 5 mars 2000.


À l’ombre de l’ex-nonce Jerónimo Prigione, le dénommé « club de Rome », composé par un petit groupe de prélats de la ligne dure, a fait une sorte de « coup d’État » au sein de la Conférence de l’épiscopat mexicain (CEM), en déclenchant un ensemble de mutations et de nominations qui changeront la répartition des forces dans l’Église mexicaine. Le déplacement de Raúl Vera du diocèse de San Cristóbal à celui de Saltillo, le remplacement du nonce Justo Mullor par le diplomate conservateur Leonardo Sandri et la destitution du prêtre Alberto Athié Gallo du secrétariat exécutif de la Commission de pastorale sociale de la CEM sont pour le moment les changements les plus significatifs orchestrés par le « club de Rome ».

Le chercheur Bernado Barranco, président du Centre des études des religions au Mexique (CEREM) indique : « Ces changements sont une sorte de « coup d’État » accompli en très peu de temps, de décembre à février, et représentent un réaménagement des forces au sein de l’épiscopat. Du jour au lendemain, nous nous trouvons avec un ensemble de nouvelles corrélations. »

Le « club de Rome » est composé de six membres de la hiérarchie : le cardinal Roberto Rivera Carrera, archevêque de Mexico, le cardinal Juan Sandoval Iñiguez, archevêque de Guadalajara, Onésimo Cepeda, évêque d’Ecatepec et porte-parole de l’épiscopat, Emilio Berlié Belaunzarán, archevêque de Yucatán, Luis Reynoso Cervantes, évêque de Cuernavaca et, finalement, l’ancien évêque de Zacatecas, Javier Lozano Barragán, actuel responsable au Vatican du dicastère du Service de santé.

Barranco précise : « Ils forment tous un bloc et proviennent d’une même matrice : ce sont des disciples de Prigione ; ils ont fait leur la doctrine Prigione. L’ombre de Prigione les accompagne. »

En quoi consiste cette doctrine ?

« Lorsque Prigione fut nonce à Mexico, il fit en sorte que seuls quelques groupes, quelques évêques soient les interlocuteurs privilégiés du pouvoir politique et économique du pays, ceux avec lesquels il fit des alliances. Et Prigione lui-même incarna, en un certain sens, la figure de l’interlocuteur solitaire qui négociait directement avec Rome et avec les pouvoirs politiques du Mexique. »

Finalement, quel objectif poursuit le « club de Rome » ?

« Le même : il aspire à devenir l’interlocuteur absolu avec le Vatican, le gouvernement mexicain et les autres groupes puissants. Il est composé par des cardinaux et des évêques qui ont dans leurs mains les diocèses les plus importants du pays, ceux que leur a procurés Prigione.

Il y a quelques années on a beaucoup polémiqué à propos du combat entre « mexicanistes » et « vaticanistes » dans l’épiscopat. Les premiers penchaient pour des décisions prises davantage de façon consensuelle et en provenance d’initiatives particulières. Les seconds suivaient l’école de Prigione qui penchait pour un interventionnisme excessif du Vatican dans l’Église mexicaine. On peut dire que le « club de Rome » est actuellement la version la plus achevée des vaticanistes, elle est son stade ultime. »

Et Prigione est-il toujours actif ?

« Tout semble indiquer que oui. Et le « club de Rome » profite de ses vastes contacts avec lui et avec d’autres fonctionnaires du Vatican, surtout avec Angelo Sodano, secrétaire d’État, qui, en raison de la mauvaise santé du pape Jean-Paul II, prend la plupart des décisions vaticanes. Aujourd’hui, rien ne freine Sodano. Son pouvoir paraît illimité. »

Barranco mentionne d’autres liens du « club de Rome » avec la haute bureaucratie vaticane : l’étroite relation et la coïncidence d’idées entre Norberto Rivera et le cardinal Alfonso López Trujillo, préfet de la Congrégation pour la famille, ou l’amitié de Juan Sandoval Iñiguez avec le cardinal Joseph Ratzinger qui est à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Un nonce incommode

Barranco explique pourquoi Mullor, en plus de son appui au travail pastoral de Samuel Ruiz au diocèse de San Cristóbal, est devenu un nonce incommode pour le « club de Rome » : « Dès son arrivée au Mexique, Mullor a clairement fait savoir qu’il serait pasteur à 90 % et diplomate à 10 %. Et il a essayé de donner un poids institutionnel à l’Église catholique à travers l’ensemble de l’épiscopat. Il voulait que le corps ecclésiastique, à travers ses commissions respectives, soit le véritable interlocuteur face à l’État et à la société.

Cette disposition est totalement contraire à la doctrine Prigione parce qu’elle représentait un autre équilibre des pouvoirs au sein de l’épiscopat. Mullor a essayé de donner de la force à ce que l’on appelle la « majorité silencieuse » : cet ensemble d’évêques qui apparaissait peu dans la presse mais qui est représentatif de la volonté collective, comme Sergio Obeso ou Luis Morales Reyes, actuel président de l’épiscopat. Tout ceci portait atteinte au « club de Rome ».

Le 29 février, Mullor indiquait que les évêques « faisaient des efforts pour exercer une autorité collégiale à la place d’une autorité de dimension personnelle ». Devant l’épiscopat tout entier, réuni ce jour en assemblée extraordinaire, il souligna que la « grande majorité » des évêques ne devait pas s’adonner à des ingérences indues de l’Église dans l’État, et vice-versa.

Ce même jour on a fait connaître formellement la nomination de l’argentin Leonardo Sandri comme nouveau nonce.

Docteur en droit canonique et âgé de 57 ans, Sandri a inauguré sa carrière diplomatique en 1974, lorsqu’il a été désigné secrétaire de la nonciature à Madagascar. Ensuite, de 1977 à 1989, il a été rattaché à la secrétairerie d’État du Vatican. Ensuite, il a été conseiller de la nonciature aux États-Unis jusqu’en 1991, lorsqu’il revint à la secrétairerie d’État, mais déjà comme sous-secrétaire, charge qu’il abandonna quand on le nomma en 1997 nonce au Venezuela. C’est de là qu’il viendra au Mexique.

Sandri se pliera-t-il aux orientations du « club de Rome » ?

« C’est une inconnue. Sandri est situé comme orthodoxe et conservateur. Mais finalement tout cela reste à voir. »

Barranco indique que, selon une information qui lui est parvenue du Vatican, le pape Jean-Paul II a tenu le 4 février une réunion privée avec Luis Morales Reyes, président de la CEM, Sergio Obeso Rivera, archevêque de Xalapa et le cardinal Aldolfo Suárez Rivera, archevêque de Monterrey. Ceux-ci se plaignirent au pontife des manœuvres obscures du « club de Rome ». Et le pape se fâcha parce qu’il ignorait de nombreux aspects concernant les changements de Raúl Vera et Justo Mullor... Il était désinformé.

Barranco mentionne l’autre coup asséné récemment par le « club de Rome » : la destitution du prêtre Alberto Athié Gallo aussi bien du secrétariat exécutif de la Commission de pastorale sociale que du secrétariat pour la Commission pour la paix et la réconciliation au Chiapas.

Jouant un rôle clé dans la mise en œuvre de politiques ecclésiales importantes, Athié Gallo commit le péché, comme Mullor, de se prononcer en faveur du travail pastoral de Samuel Ruiz parmi les indigènes chiapanèques. De plus, il fut responsable de l’élaboration du document De la rencontre avec Jésus-Christ à la solidarité avec tous, dans lequel l’épiscopat fait connaître sa position face à la réalité actuelle du pays, et qui n’a pas encore été rendu public. Prêtre de l’archidiocèse de Rivera Carrera, on a demandé à Athié Gallo de rejoindre celui-ci.

Pendant ce temps, dans les cercles ecclésiaux, on fait déjà beaucoup mention de trois possibles successeurs de Samuel Ruiz à San Cristóbal de Las Casas : Mario de Gasperín Gasperín, évêque de Querétaro, Felipe Arizmendi, de Tapachula, et Miguel Ángel Alba Díaz, évêque auxiliaire de Oaxaca.

Barranco avertit que le « club de Rome » se prépare à obtenir même la présidence de l’épiscopat : « Le mandat de Luis Morales s’achève en novembre prochain ; les évêques éliront donc leur nouveau président. Il sera intéressant de voir si un membre de ce groupe réussit à obtenir cette charge. Là, le vote de la « majorité silencieuse » sera décisive. » Et il déclare que le surnom « club de Rome » ( Barranco fut un des premiers à l’utiliser) n’est en rien un concept sociologique mais une « simple expression ironique pour définir ce groupe d’évêques qui profitent de leurs contacts à Rome pour imposer ici leurs critères. C’est un peu la parodie d’un club de banquiers puissants qui se partagent un gros gâteau. »

Il mentionne que, finalement, le « club de Rome » est exposé aux vicissitudes du Vatican, surtout au changement imminent de pape : « À la mort de Jean-Paul II et à l’arrivée d’un autre pape, il est probable que le cadre changera complètement. Ce groupe pourrait tomber en disgrâce avec un possible règlement de comptes et, dans le meilleur des cas, au lieu de l’appeler « club de Rome », nous l’appellerions « club de Xochimilcho [1]. »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2362.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Proceso, mars 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Expression ironique car Xochimilcho désigne un quartier de Mexico réputé de peu d’importance et facilement inondable. Il arrive qu’on y conduise... même des touristes (NdT) !

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