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DIAL 2372

MEXIQUE - Le successeur de don Samuel Ruiz : « Je ne viens pas pour détruire mais pour compléter »

dimanche 16 avril 2000, mis en ligne par Dial

Le successeur de Don Samuel Ruiz au siège épiscopal de San Cristóbal de Las Casas est désormais connu : il s’agit de Don Felipe Arizmendi Esquivel, jusqu’à présent évêque de Tapachula. Des manœuvres inquiétantes s’étaient déroulées depuis quelques mois à propos de cette succession - avec notamment l’élimination de Don Raúl Vera (cf DIAL D 2344, 2345, 2350, 2357, 2362). Selon certains observateurs, cette nomination est un « moindre mal » et représente un « compromis » entre tendances opposées. Selon d’autres, comme on le lira ci-dessous, cette décision est l’objet d’une appréciation plus positive. À titre de conclusion au moins provisoire, mentionnons ce propos qui circulait dans les communautés indigènes du Chiapas avant que cette nomination ne soit connue : « Nous avons déjà converti un évêque (allusion à l’évolution faite par Don Raúl Vera), nous pouvons en convertir un second. » Nous publions ci-dessous un portrait du nouvel évêque de San Cristóbal, paru dans Proceso, 2 avril 2000 (Mexico).


Au milieu des spéculations qui annoncent le démantèlement possible du travail de l’évêque Samuel Ruiz à San Cristóbal de Las Casas, Felipe Arizmendi Esquivel, nouvellement désigné évêque de ce diocèse, coupe court en disant : « Chacun se crée ses propres fantasmes, conformément à sa propre vision. Je ne prétends pas me comparer avec Don Samuel, ni avec Don Raúl Vera, qui fut son coadjuteur. Chacun donne ce qu’il est. Nous ne sommes pas au service de positions idéologiques, mais de Jésus-Christ. »

Et il réaffirme - dans son entretien avec Proceso - l’engagement qu’il fit aussitôt qu’il connut sa nomination : « Je confirme que je ne vais pas détruire et encore moins rivaliser, mais compléter. »

De même que Samuel Ruiz, Arizmendi dit que son inspiration est le Concile Vatican II : « Le défi qui m’attend est énorme, parce que les 40 ans de Don Samuel à la tête du diocèse ont laissé des traces. Mais finalement tous les deux nous sommes inspirés par l’Évangile et surtout par le Concile Vatican II. Aussi Don Samuel, ses collaborateurs et moi-même, tâchons-nous d’être fidèles à ce que Dieu nous demande. Et la tâche qui m’attend ne sera pas exclusivement la mienne, mais celle de toute la communauté. »

Respecterez-vous les accords du synode qui vient de s’achever dans le diocèse, et dans lesquels il est indiqué que le chemin à suivre est l’option pour les pauvres ?

« Ce document n’est pas contre le magistère de l’Église. Aussi, nous mènerons à terme tout ce qui est conforme à la doctrine de l’Église. Je ne connais que de façon partielle le document, je m’en imprégnerai davantage et je tâcherai de mener à terme ce qui y est indiqué. Mais je ferai mes propres apports, puisque chaque évêque est différent. »

Arizmendi Esquivel, qui a passé neuf ans à la tête du diocèse de Tapachula et qui prendra possession de celui de San Cristóbal le 1er mai prochain, se déclare ouvertement opposé à la militarisation au Chiapas : « Lorsqu’elle est excessive, personne n’est d’accord avec la présence militaire, où que ce soit. Mais j’ai conscience que cette affaire doit être traitée de façon bilatérale, qu’il doit y avoir une négociation et un accord commun. »

Le nouvel évêque de San Cristóbal a soutenu Samuel Ruiz en diverses occasions. Par exemple, il l’a ouvertement défendu en 1993, lorsque le nonce apostolique d’alors, Jerónimo Prigione, a manœuvré pour que Samuel Ruiz soit éloigné de son diocèse sous prétexte que sa pastorale s’écartait de l’orthodoxie. À l’époque, Arizmendi et l’évêque de Tuxtla, Felipe Aguirre Franco, envoyèrent une lettre de solidarité à Samuel Ruiz, dans laquelle ils lui exprimèrent leur appui pour « son engagement et son dévouement » avec les indigènes. Ils indiquèrent que le travail pastoral de Don Samuel Ruiz « était la meilleure preuve de pauvreté ! C’est cette obéissance qui rachète et libère ! »

Une année plus tard, en 1994 et en plein soulèvement de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale), le secrétariat du gouvernement a demandé à Arizmendi et à Aguirre Franco de servir de médiateurs dans le conflit pour que Samuel Ruiz reste en dehors de la négociation. Cependant, les deux Felipe ont averti Samuel Ruiz

des intentions gouvernementales. Finalement, les trois évêques ont signé un document dans lequel ils indiquent que le soulèvement armé devait « servir de signal d’alarme sur le danger que représente l’abandon des groupes marginaux. »

Maintenant, Arizmendi ratifie son soutien à celui dont il va prendre la relève : « J’apprécie et j’estime énormément Don Samuel ; il a toujours essayé de rechercher la paix et la réconciliation au Chiapas. »

Quelles actions mènerez-vous pour essayer de trouver une solution au conflit ?

« Évidemment, prier beaucoup pour convertir les cœurs. Tout sera inutile si les cœurs ne se convertissent pas. En second lieu, savoir écouter et dialoguer avec beaucoup de patience. En dépit des accusations d’un côté et de l’autre, l’important est de savoir s’asseoir pour dialoguer. La paix est le travail de tous. Le Chiapas a faim de paix. »

Un autre défi qui attend le nouvel évêque est de faire la paix avec ce que l’on appelle les « authentiques coletos » [1] qui sont toujours restés des ennemis tant de Don Samuel que de Vera car ils ne partagent pas la ligne pastorale de l’option pour les pauvres.

« Je chercherai la réconciliation non seulement avec les coletos mais aussi avec les zapatistes et avec tous les groupes. La mission d’un évêque est d’être un pont pour unir. »

La nomination d’Arizmendi s’est produite au milieu d’une grande épreuve de force à l’intérieur de l’épiscopat mexicain. Le coadjuteur Raúl Vera, bien qu’il soit arrivé au diocèse avec le droit de succéder à Samuel Ruiz, a été muté à la fin de l’année passée. Les analystes des réalités ecclésiales ont considéré que le changement correspondait à une manœuvre du « club de Rome », dont l’un des membres, l’évêque Onésimo Cepeda se proposa même pour aller à San Cristóbal. (...)

Originaire de Chiltepec, dans l’État de Mexico où il est né en 1940, Arizmendi entra au séminaire de Toluca en 1952. Il étudia ensuite la théologie dogmatique à l’Université pontificale de Salamanque, en Espagne. Il est ordonné prêtre en 1963. Pendant dix ans, de 1981 à 1991, il a été recteur du séminaire de Toluca, où il donnait aussi des cours de liturgie et de théologie pastorale.

En février 1991, il fut nommé évêque de Tapachula. À l’intérieur de l’épiscopat mexicain il a occupé différentes charges : président de la Commission des séminaires et vocations, membre de la Commission du clergé et pour les réfugiés, conseiller du Plan pastoral 1997-2000. En Amérique latine, il eut un poste important : secrétaire général du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) poste auquel il va renoncer pour se consacrer entièrement à son nouveau diocèse.

Le vendredi 31 (mars), lorsque sa nomination fut connue, Arizmendi fit une déclaration écrite dans laquelle il faisait la louange du « dévouement des 40 ans d’épiscopat » de Don Samuel avec lequel il partage, dit-il, « une foi identique, une même espérance et une unique charité. » Il fit également l’éloge du travail pastoral des « collaborateurs dévoués » de l’évêque sortant. Arizmendi demanda aussi l’appui de tout le clergé mexicain dont « la communion et la solidarité » lui seront nécessaires pour être à la tête de ce diocèse controversé qui a reçu diverses attaques de la part du gouvernement mexicain.

De son côté, dans un autre communiqué, Samuel Ruiz a indiqué que lui et ses prêtres non seulement obéissent à la décision du pape mais que « nous ne pouvons pas cacher notre joie » pour la nomination, puisque Arizmendi a toujours exprimé « sa fraternité à notre égard en cheminant dans l’unité. » Et il a invité tous ses fidèles à « faire un accueil empressé au nouvel évêque. »

Étranger à l’intrigue vaticane

Andrés Aubry, historien du diocèse, souligne qu’Arizmendi n’a pas été formé à Rome comme la majorité des évêques : « Il a été formé à l’Université de Salamanque. Il a une éducation plus européenne d’un point de vue théologique. Il vient sans liens avec Rome, il est plus autonome. Je veux dire qu’il n’a pas été à l’intérieur des mécanismes et de la bureaucratie de la Curie. Il n’a pas participé à l’intrigue vaticane. »

Personne mieux qu’Aubry ne connaît la marque laissée par les évêques au Chiapas, depuis Fray Bartolomé de Las Casas jusqu’à Samuel Ruiz. Il a même publié sur eux une recherche.

Dans sa vieille maison de San Cristóbal, l’historien français se souvient qu’Arizmendi s’est engagé dès le début dans le processus de paix lorsque, avec Samuel Ruiz et Felipe Aguirre, il a rejoint la Commission de paix : « Arizmendi ne s’est jamais écarté des actions collectives, dont l’initiative venait de San Cristóbal. »

Prudent sans ses opinions, Aubry se laisse cependant gagner par l’optimisme : « Le succès du nouvel évêque dépendra du concept qu’il a de la communauté. Sans doute devra-t-il travailler comme le firent Don Samuel et Raúl Vera pour empêcher la polarisation. » Le travail d’Arizmendi va dépendre également, dit-il, de « la position qu’il adoptera dans les communautés : s’il va y aller simplement pour participer aux cérémonies, ou bien, pour écouter les gens, les diacres et les catéchistes. Ceux-ci sont prêts à parler avec celui qui vient. »

Un avantage d’Arizmendi, ajoute-il, est que dans son diocèse de Tapachula il y a aussi des indigènes - « peu, mais il y en a » - c’est pourquoi il connaît la problématique qui affecte le monde indigène et l’État du Chiapas, et, pour autant qu’on le sache, il est disposé à travailler à l’une des tâches principales : la réconciliation dans les communautés. Aubry indique, pour terminer, que le nouvel évêque devra continuer sur le chemin tracé par le synode diocésain qui a duré cinq ans, de 1995 à 1999. (...)


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2372.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Processo, avril 2000.
 
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[1Coletos : surnom donné aux Blancs (puis à tous les gens) originaires de San Cristóbal, qui, autrefois, avaient derrière la tête une touffe de cheveux en forme de petite queue de cheval à la manière des toreros. Il s’agit ici des gens, en général de la classe moyenne (banquiers, hôteliers, gros commerçants) opposés à la pastorale du diocèse, et tout spécialement à Don Samuel (NdT).

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