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DIAL 3231

AMÉRIQUE LATINE-AFRIQUE - Message du président vénézuélien Hugo Chávez aux chefs d’État et de gouvernement du IIIe Sommet Amérique du Sud-Afrique (Guinée équatoriale, 20-23 février 2013)

lundi 11 mars 2013, mis en ligne par Dial, Thierry Deronne

Au moment où une part croissante de la gauche européenne se convertit au « droit d’ingérence » qu’elle critiquait il y a quelques années et où, complices de l’impunité, les médias occidentaux minimisent les milliers de victimes civiles de bombardements « humanitaires » ou « laïcs » (Afghanistan, Libye, Mali, etc.), les Latino-Américains ne sont pas dupes des habits neufs du colonialisme. Ils savent qu’au-delà du contrôle des matières premières, c’est l’unité politique du Sud qui est visée. La volonté des gouvernements progressistes latino-américains de développer des relations Sud-Sud (suivant la ligne tracée du Congrès de Panama organisé par Bolívar en 1828 au sommet de Bandoeng en 1956…) n’a rien à voir, contrairement à ce que martèlent les médias occidentaux, avec un quelconque « appui aux dictateurs ».

Lorsque le président brésilien Lula da Silva signa avec la Turquie un Pacte appuyant le droit de l’Iran à développer l’énergie nucléaire civile et qu’il critiqua « l’ingérence des occidentaux dans les élections et dans la vie politique de l’Iran », quand les présidents Evo Morales, Cristina Fernández ou Rafael Correa notamment, signent d’importants traités et contrats avec les Iraniens, ils ne font qu’appliquer ce qu’il y a plus de trente ans un certain Régis Debray conseillait au prince à propos des pays du « socialisme réel ». Plutôt que d’entrer dans le Disneyland de la Guerre froide en les ostracisant, développer une stratégie plus subtile et plus ambitieuse, garder des relations politiques et diplomatiques avec eux, pour les influencer dans le bon sens et garder son mot à dire.

En Amérique latine, la concrétisation par des gouvernements de gauche de la démocratie participative, des droits de la femme, de l’éco-socialisme, etc. ne peuvent qu’influencer dans le bon sens la construction d’un monde multipolaire des trois-quarts de l’humanité. On ne peut qu’être frappé en comparaison par le néant idéologique qui caractérise le discours de gouvernants européens devenus simples « commis de commerce » vis-à-vis des nations du Sud (voir le récent sommet UE-CELAC à Santiago du Chili).

Lorsque les Occidentaux (y compris de gauche) raillèrent et rejetèrent la proposition de nombreux gouvernements latino-américains, soutenue par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), d’entamer des pourparlers diplomatiques en Libye afin d’éviter une guerre meurtrière, la présidente argentine sut exprimer le sentiment d’un continent : « Quand je vois les Occidentaux régler leurs affaires à coups de bombes, je suis fière d’être latino-américaine ». (Introduction rédigée par Thierry Deronne.) [1]


Frères et sœurs,

Recevez mon plus fervent salut bolivarien, unioniste et solidaire, avec toute ma joie et toute mon espérance pour le déroulement de ce IIIe Sommet si attendu des Chefs d’État et de gouvernement d’Amérique du Sud et d’Afrique.

Je regrette vraiment, du plus profond de mon être de ne pouvoir être présent physiquement parmi vous pour vous réitérer, par une sincère accolade, mon irrévocable engagement en faveur de l’unité de nos Peuples. Je suis présent, cependant, en la personne du chancelier de la République bolivarienne du Venezuela, le camarade Elías Jaua Milano, à qui j’ai demandé de vous transmettre la plus vive expression de mon amour pour ces continents qui sont plus que frères, unis par de solides liens historiques et destinés à avancer ensemble vers leur rédemption pleine et absolue.

Je le dis du plus profond de ma conscience : l’Amérique du Sud et l’Afrique sont un même peuple. On réussit seulement à comprendre la profondeur de la réalité sociale et politique de notre continent dans les entrailles de l’immense territoire africain où, j’en suis sûr, l’humanité a pris naissance. De lui proviennent les codes et les éléments qui composent le syncrétisme culturel, musical et religieux de notre Amérique, créant une unité non seulement raciale entre nos peuples mais plus encore, spirituelle.

De la même manière, les empires du passé, coupables de l’enfermement et de l’assassinat de millions de filles et de fils de l’Afrique mère dans le but d’alimenter un système d’exploitation esclavagiste dans leurs colonies semèrent dans Notre Amérique le sang africain guerrier et combatif qui brûlait du feu que produit le désir de liberté. Cette semence a germé et notre terre a enfanté des hommes aussi grands que Toussaint Louverture, Alexandre Pétion, José Léonardo Chirinos, Pedro Camejo parmi beaucoup d’autres, avec pour résultat, il y a plus de 200 ans, le début d’un processus indépendantiste, unioniste, anti-impérialiste et reconstructeur dans l’Amérique latine et caribéenne.

Ensuite, au XXe siècle, vinrent les luttes de l’Afrique pour la liberté. Ses indépendances, les nouvelles menaces néocoloniales, ses héros et martyrs : Patrice Lumumba, Amílcar Cabral pour n’en citer que quelques-uns. Ceux qui, dans le passé nous ont conquis, aveuglés par leur soif de pouvoir, ne comprirent pas que le colonialisme barbare qu’ils nous imposaient deviendrait l’élément fondateur de nos premières indépendances. Ainsi, l’Amérique latine et les Caraïbes partagent avec l’Afrique un passé d’oppression et d’esclavage. Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes fils de nos libérateurs et de leurs hauts faits, nous pouvons dire, nous devons dire avec force et conviction, que nous unit aussi un présent de lutte indispensable pour la liberté et l’indépendance définitive de nos nations.

Je ne me lasserai pas de le redire, nous sommes un même peuple, nous avons l’obligation de nous rencontrer au-delà des échanges de formalités et des discours dans une même volonté d’unité et ainsi, ensemble, donner vie à l’équation qui devra s’appliquer dans la construction des conditions qui nous permettront de faire sortir nos peuples du labyrinthe dans lequel le colonialisme les a jetés et, par la suite, le capitalisme néo-libéral du XXe siècle.

Pour cela, je veux évoquer la mémoire de deux grands combattants pour la coopération Sud-Sud comme les furent les deux anciens présidents du Brésil et de la Tanzanie, Luis Ignacio « Lula » da Silva et Julius Nyerere dont les apports et les efforts ont permis, en leur temps, la mise en place de ce magnifique forum pour une coopération solidaire et complémentaire qu’est l’ASA [2].

Cependant, les temps que nous vivons nous obligent à consacrer nos plus profondes et urgentes réflexions à l’effort nécessaire pour transformer l’ASA en un véritable instrument générateur de souveraineté et de développement social, économique, politique et environnemental.

C’est sur nos continents que l’on trouve les ressources naturelles, politiques et historiques suffisantes requises pour sauver la planète du chaos où elle a été conduite. Ne perdons pas l’opportunité que le sacrifice indépendantiste de nos ancêtres nous offre aujourd’hui : unifions nos capacités pour transformer nos nations en un authentique pôle de pouvoir qui, pour le dire avec le Père libérateur Simón Bolívar, « soit plus grand par sa liberté et sa gloire que par son extension et ses richesses ».

Les paroles de cet immense général uruguayen José Gervasio Artigas résonnent toujours en mon âme et conscience : « Nous ne pouvons rien attendre si ce n’est de nous-mêmes ». Cette pensée si profonde renferme une grande vérité que nous devons assumer, j’en suis absolument convaincu.

Notre coopération Sud-Sud doit être un authentique et permanent lien de travail conjoint qui doit orienter toutes ses stratégies et ses plans de développement durable vers le Sud, vers nos peuples. Quoiqu’en aucune manière nous ne nions nos relations souveraines avec les puissances occidentales, nous devons nous rappeler que ce ne sont pas elles qui sont la source de la solution entière et définitive pour les problématiques communes de nos pays. Loin de l’être, quelques-unes d’entre elles élaborent une politique néocoloniale qui menace la stabilité que nous avons commencé à renforcer.

Frères et sœurs, je voudrais rappeler pour ce IIIe Sommet des Chefs d’État et de gouvernement de l’ASA, l’esprit de fraternité, d’unionisme et de volonté qui a animé la réalisation de ce merveilleux IIe Sommet sur l’île de Margarita, au Venezuela, qui nous permit d’adopter unanimement les engagements de la Déclaration de Nueva Esparta. Je souhaite avec beaucoup de foi et d’espérance que nous puissions récupérer à Malabo l’élan et l’effort de ce moment extraordinaire pour notre processus d’unité, le Sommet de 2009, dont témoignent le haut niveau de participation autant que la quantité et le contenu des accords conclus.

Du Venezuela, nous renouvelons aujourd’hui notre soutien le plus ferme au renforcement du Secrétariat permanent de la Table présidentielle stratégique de l’ASA avec ses principales tâches et fonctions, pour avancer dans la consolidation de nos institutions et obtenir ainsi une plus grande efficacité dans notre travail conjoint.

Je regrette avec beaucoup de douleur et de peine que tout notre travail commencé formellement depuis 2006 ait été interrompu par les forces impérialistes qui prétendent encore dominer le monde. Ce n’est pas un hasard, je le dis et je l’assume pleinement, que depuis le Sommet de Margarita, le continent africain ait été victime de multiples interventions et de multiples attaques de la part des puissances occidentales.

Les diverses invasions et bombardements impériaux, écartant toute possibilité de solutions politiques et pacifiques aux conflits internes qui ont commencé dans différentes nations d’Afrique, ont eu parmi leurs objectif principaux de freiner le processus de consolidation de l’unité des peuples africains et, en conséquence, de miner les progrès de l’union de ces États avec les peuples latino-américains et caribéens.

La stratégie néocoloniale a été, depuis le début du XIXe, de diviser les nations les plus vulnérables du monde pour ainsi les soumettre à des rapports de dépendance esclavagiste. C’est pour cela que le Venezuela s’est opposé, radicalement et depuis le début, à l’intervention militaire étrangère en Libye et c’est pour le même motif que le Venezuela réitère aujourd’hui son rejet le plus absolu à toute activité d’ingérence de l’OTAN.

Face à la menace extrarégionale pour empêcher l’avancée et l’approfondissement de notre coopération Sud-Sud, je reprends les mots de Bolívar dans sa Lettre de Jamaïque de 1815 : « Union, union, union, cela doit être notre plus importante consigne. » Notre gouvernement réaffirme, en ce IIIe Sommet de l’ASA dans cette République sœur de Guinée Équatoriale, son absolue disposition à avancer dans le travail nécessaire pour consolider notre coopération dans les secteurs que j’ai personnellement proposés lors notre dernier sommet, dans la belle île de Margarita. Énergie, éducation, agriculture, finances et communication continuent d’être nos priorités et pour celles-ci, nous réitérons notre proposition d’avancer dans des initiatives concrètes comme Petrosur, l’Université des peuples du Sud ou la Banque du Sud, pour ne citer que quelques exemples. Dans le secteur de la communication, nous proposons, à partir du Venezuela, que cet effort que nous avons réussi à développer ensemble, avec différents pays d’Amérique du Sud, TeleSur, s’articule avec l’Afrique afin qu’elle puisse remplir à partir de ces latitudes sa principale fonction : relier les peuples du monde entre eux, ainsi qu’à la vérité et à la réalité de nos pays.

Enfin, je veux vous redire mon désir que les résultats acquis lors de ce IIIe Sommet de l’ASA nous permettent de transformer ce forum en un outil utile pour conquérir notre définitive indépendance en nous plaçant à la hauteur de l’exigence de l’époque et apporter, comme le dirait le Libérateur, « la plus grande somme de bonheur pour nos peuples ». Je suis pleinement et résolument convaincu que nous réussirons à faire aboutir cette cause multiséculaire que nous ont confiée nos libérateurs et martyrs, nos millions de femmes et d’hommes qui se sont sacrifiés pour une liberté pleine et absolue. Avec le père immense, notre Libérateur Simón Bolívar, je le répète une nouvelle fois : « Nous devons attendre beaucoup du temps, son ventre immense contient plus d’espoirs que de succès passés et les prodiges futurs doivent être supérieurs aux précédents ».

Marchons donc vers notre union et notre indépendance définitive. En paraphrasant Bolívar, je dis maintenant : « Formons une patrie, un continent, un seul peuple, à tout prix, et tout le reste sera supportable. »

Vive l’union sud-américaine et africaine !

Vive l’ASA !

Jusqu’à la victoire toujours !

Nous vivrons et nous vaincrons !

Hugo Chávez Frías
Président de la République bolivarienne du Venezuela

Le troisième Sommet Afrique-Amérique latine et Caraïbes, qui a réuni une soixantaine de chefs d’État à Malabo (Guinée Équatoriale) du 20 au 23 février 2013 a permis la signature de 27 accords de coopération Sud-Sud dans tous les secteurs d’activité. La réunion se poursuivra à Caracas le 26 avril 2013.

 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3231.
 Traduction de Gaston Lopez, revue par Dial.
 Source (espagnol) : Service de presse de la présidence, 22 février 2013.
 Source (français) : Cuba Si, antenne de Provence, 23 février 2013.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, l’une des sources françaises et l’une des adresses internet de l’article.

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[1Thierry Deronne est un collaborateur régulier de DIAL et AlterInfos - América latina. Ce texte a été rédigé pour introduire la publication de cette lettre sur le blog Venezuela Infos, puis sur le site AlterInfos-DIAL. La parution de cette lettre avait été prévue avant l’annonce du décès du président vénézuélien, Hugo Chávez, le 5 mars 2013. Elle témoigne d’une des facettes de ce que son gouvernement aura cherché à construire.

[2ASA : América del Sur - Africa – NdT.

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