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DIAL 2428

BOLIVIE - Un ancien ouvrier cordonnier a fait plier la Banque mondiale

Gumisai Mutume

vendredi 1er décembre 2000, mis en ligne par Dial

Des manifestations populaires très importantes ont eu lieu en avril de cette année à Cochabamba (Bolivie) contre la décision de privatiser, conformément aux exigences de la Banque mondiale, le service d’eau de la ville. Un des principaux leaders de cette lutte fut l’ancien ouvrier cordonnier Oscar Olivera. Le gouvernement bolivien dut finalement renoncer à son projet de privatisation qui pénalisait très fortement la population la plus pauvre. Texte de Gumisai Mutume, IPS, 23 octobre 2000.


Avec ses 1,55 m, l’ouvrier cordonnier Oscar Olivera ne correspond pas à l’image du révolutionnaire qui a dirigé une révolte contre un projet de privatisation de l’eau organisé par la Banque mondiale, à Cochabamba en Bolivie.

Pourtant, mi-octobre, Olivera a reçu à Washington le prix des droits humains Letelier-Moffitt pour sa participation à la bataille victorieuse contre la privatisation de la distribution de l’eau de la troisième ville de Bolivie en faveur d’un consortium privé, dans lequel entre même la compagnie étasunienne Bechtel. Le prix est attribué en mémoire de l’ex-ministre des affaires étrangères chilien, Orlando Letelier, et de la chercheuse étasunienne de l’Institut d’études politiques, Ronni Karpen Moffitt, assassinés par ordre de l’ex-dictateur chilien, Augusto Pinochet, en 1976.

« Il a été très difficile pour nous de gagner la bataille, mais soutenir la lutte a été dix mille fois plus difficile », a déclaré Olivera. « L’eau est un produit de base très rare à Cochabamba et nous essayons de mettre en place une compagnie de distribution basée sur la justice sociale pour être sûr que ceux qui en ont le plus besoin soient les premiers à la recevoir. »

La vie de ce père de quatre enfants, âgé de 46 ans, a été une lutte constante. À 16 ans, il a commencé à travailler dans une usine de chaussures. Aujourd’hui, il est à la tête de la Fédération des ouvriers artisans à Cochabamba, une organisation formée de 50 syndicats, alors que les compagnonnages souffrent de la pression des politiques néolibérales pour les briser.

Olivera est apparu sur la scène internationale l’année passée quand le gouvernement bolivien a transféré le service d’eau de Cochabamba au consortium privé Aguas de Tunari. La privatisation a été exigée dans le cadre des rapports du gouvernement avec les institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), et a provoqué une augmentation du prix de l’eau de 200 % dans une ville où les familles gagnent en moyenne 100 dollars par mois. La majorité des foyers a été frappé par des augmentations de plus de 20 dollars par mois.

En réponse, Cochabamba a été le théâtre, pendant des mois, de manifestations de la population qui ont culminé par un violent affrontement avec les soldats de l’armée au mois d’avril. Le gouvernement s’est vu obligé d’accepter les revendications populaires et Bechtel, l’associé de Aguas de Tunari, a quitté le pays. Bechtel, dont le siège est à San Francisco, est une des principales organisations mondiales en ingénierie, en construction et en administration d’entreprises ; elle emploie 40 000 personnes et rien que l’année dernière elle a gagné 15 milliards de dollars.

Le gouvernement bolivien a accepté de libérer des douzaines de dirigeants populaires arrêtés pendant les manifestations de milliers de personnes et a approuvé la réforme de la loi nationale de l’eau afin d’en garder le contrôle local, ce qui avait été à l’origine des manifestations rurales. Cameron Duncan, secrétaire régional interaméricain de l’organisation non gouvernementale Services publics internationaux, a déclaré que l’expérience de Cochabamba « a été une inspiration pour le mouvement croissant contre la globalisation dirigé par les organisations. »

Depuis le Sommet de la Terre, qui s’est tenu en 1992 à Río de Janeiro, l’attention internationale s’est concentrée sur les moyens de rendre l’eau sûre et accessible pour tous. Les plus grandes multinationales du monde ont commencé à faire pression pour la privatisation des services publics d’eau.

Les compagnies ont proclamé que c’était une solution pour limiter les coûts, et elles ont été cautionnées par les politiques prônées par les organismes de Bretton Woods, qui ont posé la privatisation des services d’eau comme condition pour obtenir de nouveaux crédits. La Banque mondiale a souligné le progrès des réformes effectuées par le gouvernement bolivien. Les compagnies pétrolières et minières de l’État ont été régionalisées et les mines improductives fermées. Le Congrès a approuvé la loi de privatisation, permettant ainsi la vente de la majorité des entreprises publiques. Au cours de ce processus, le président Hugo Bánzer a commencé à vendre ou à liquider une cinquantaine d’entreprises appartenant à des corporations régionales de développement.

La Banque mondiale a justifié sa politique en déclarant que « la croissance rapide est une condition nécessaire, et cela peut s’obtenir seulement par le développement accéléré du secteur privé. » En juin 1999, en contrôlant les dépenses publiques de la Bolivie, la Banque a recommandé de ne pas donner de subventions pour alléger l’augmentation des tarifs de l’eau à Cochabamba, « qui doivent représenter le coût total du service. »

Selon l’écologiste indienne Vandana Shiva, « dès lors qu’on permet au marché de manipuler la situation, ce qui se passera c’est que l’eau de la piscine des riches aura la priorité sur l’eau potable que boivent les pauvres. » En juin, Shiva a dirigé à Bruxelles une conférence de sept pays parmi les plus pauvres du monde qui a exigé l’arrêt de la privatisation des ressources globales en eau. Les sept pays participants ont été la Bolivie, le Burkina Faso, le Cambodge, l’Égypte, l’Éthiopie, Madagascar et le Sénégal.

Selon les experts, cette tendance à la privatisation de l’eau fera que le nombre de gens dépendants de la distribution privée va augmenter de 300 millions à 1,6 milliards d’ici 2015. Même dans des pays de revenus moyens comme l’Afrique du Sud, moins dépendants des diktats financiers des sœurs jumelles de Bretton Woods, il y a eu des campagnes de promotion pour que les autorités locales, dans certaines villes, passent des contrats de services d’eau avec des compagnies privées.

Elles ont allégué qu’il s’agissait d’encourager un accès à des services d’eau efficaces, économiques et durables pour tous les consommateurs. Olivera a fait remarquer que la solution n’était pas aussi simple et que, étant donné son expérience à Cochabamba, « l’eau doit rester une ressource publique ».

Olivera n’a jamais rencontré officiellement le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn. Il l’a seulement vu un instant dans les rues de Washington, quand il faisait partie d’un groupe d’activistes qui a présenté une pétition à cet organisme pendant les réunions annuelles de la banque et du FMI. « J’aurais aimé le rencontrer et lui demander pourquoi la Banque se consacre tellement à imposer des politiques qui appauvrissent encore plus les pauvres du monde », a-t-il déclaré.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2428.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, octobre 2000.
 
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