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DIAL 2462

MEXIQUE - Le discours de la commandante Esther au congrès de l’union. « Ma voix n’a manqué de respect à l’égard de personne, mais pour autant je ne suis pas venue demander des aumônes. »

dimanche 15 avril 2001, mis en ligne par Dial

Le 28 mars 2001, les commandants et commandantes de l’Armée zapatiste de libération nationale ont pris la parole à la tribune officielle du Congrès de l’Union du Mexique. Nous reproduisons ci-dessous l’essentiel du discours donné par la commandante Esther.


(...) Par ma voix, s’exprime la voix de l’Armée zapatiste de libération nationale.

La parole que transmet notre voix est un cri. Mais notre parole est une parole de respect pour cette tribune et pour toutes celles et tous ceux qui nous écoutent. Personne ne recevra de nous insultes ou grossièretés. (...)

La parole que nous délivrons est vraie.

Nous ne venons humilier personne.

Nous ne venons vaincre personne.

Nous ne venons supplanter personne.

Nous ne venons pas légiférer.

Nous venons nous faire écouter et écouter.

Nous venons dialoguer.

(...)

Certains ont pensé que cette tribune serait occupée par le sous-commandant Marcos et que ce serait lui qui délivrerait le message central des zapatistes. Il n’en est pas ainsi. Le sous-commandant rebelle Marcos est cela : un sous-commandant.

Nous sommes les commandants, ceux qui commandent ensemble, ceux qui commandent en obéissant à nos peuples. Nous avons confié au sous-commandant et à ceux qui partagent avec lui espérances et aspirations, la mission de nous conduire à cette tribune.

Eux, nos guerriers et guerrières, ont réussi grâce à l’appui de la mobilisation populaire au Mexique et dans le monde. C’est maintenant notre heure. (...)

Mon nom est Esther, mais cela n’importe pas à présent. Je suis zapatiste, mais cela n’importe pas non plus en ce moment. Je suis indigène et je suis femme et c’est uniquement cela qui importe à présent.

Cette tribune est un symbole, c’est pourquoi elle a provoqué tant de polémiques. C’est pour cela que nous voulions parler de cette tribune et c’est pour cela que certains n’ont pas voulu que nous soyons ici. Et c’est aussi un symbole que ce soit moi, une femme pauvre, indigène et zapatiste, qui prenne en premier la parole et que le message central de notre parole comme zapatistes soit le mien. (...)

Dans ce Congrès existent diverses forces politiques, et chacune d’elles se regroupe et travaille en entière autonomie. On peut approuver ou réprouver leurs façons de faire des accords et les règles de leur cohabitation, mais celles-ci sont respectées et personne n’est persécuté pour appartenir à l’un ou l’autre groupe parlementaire, de la droite, du centre ou de la gauche. Le moment venu, tous se mettent d’accord pour atteindre ce qu’ils considèrent bon pour le pays. Si tous ne sont pas d’accord, c’est alors la majorité qui établit l’accord et la minorité accepte et travaille selon l’accord établi par la majorité. Les législateurs appartiennent à un parti politique et ont une certaine orientation idéologique, mais ils sont, au même temps, les législateurs de tous les Mexicains et Mexicaines, sans qu’importe l’appartenance de quelqu’un ou d’une idée à un parti politique.

Tel est le Mexique que les zapatistes veulent.

Un Mexique où nous, les indigènes, soyons indigènes et Mexicains, où le respect de la différence est équilibré par le respect de ce qui nous fait égaux. Un pays où la différence ne soit pas un motif de mort, prison, persécution, moquerie, humiliation, racisme.

Un pays où on garde toujours présent à l’idée que, formée de ces différences, notre nation est souveraine et indépendante. Et non une colonie où abonde l’exploitation, l’arbitraire et la honte. Un pays où, dans les moments décisifs de notre histoire, nous mettons, toutes et tous, au-dessus de nos différences ce que nous avons en commun, c’est-à-dire le fait d’être mexicain.

Le moment présent est un de ces moments historiques. (...)

Notre heure est venue, à nous les indigènes mexicains.

Nous demandons que soient reconnues nos différences et notre identité mexicaine.

Heureusement pour les peuples indiens et pour le pays, des législateurs comme vous ont élaboré une initiative de Réforme constitutionnelle qui prend en compte aussi bien la reconnaissance des indigènes que, simultanément, le maintien et le renforcement de la souveraineté nationale.

Telle est l’ « Initiative de loi de la COCOPA », appelée ainsi parce que ceux qui la firent, furent les membres de la Commission de concorde et de pacification du Congrès de l’Union. Nous n’ignorons pas que cette initiative de loi de la COCOPA a fait l’objet de certaines critiques.

Pendant quatre ans s’est déroulé un débat qu’aucune initiative de loi n’avait connu au long de l’histoire de la législature fédérale au Mexique. Et dans ce débat, toutes les critiques ont été point par point réfutées par la théorie et la pratique.

On a accusé cette proposition de balkaniser le pays, et on a oublié que le pays était déjà divisé. (...)

Je voudrais parler un peu de la critique de la loi de la COCOPA sous prétexte qu’elle légalise la discrimination et la marginalisation de la femme indigène.

Messieurs et mesdames les députés,

Sénateurs et sénatrices,

Je veux vous expliquer la situation de la femme indigène dans nos communautés alors que le respect de la femme est garanti par la Constitution.

La situation du pays est très dure. Depuis de nombreuses années nous subissons la douleur, l’oubli, le mépris, la marginalisation et l’oppression.

Nous subissons l’oubli parce que personne ne se souvient de nous. On nous a poussés à aller vivre au recoin de montagnes du pays pour que personne ne vienne nous visiter ou ne vienne voir comment nous vivons. Alors que nous n’avons pas de service d’eau potable, d’électricité, d’école, d’habitat correct, de routes, de cliniques, et encore moins d’hôpitaux. Alors que beaucoup de nous sœurs, femmes, enfants et vieillards meurent de maladies guérissables, de dénutrition et que beaucoup meurent lors d’un accouchement, parce qu’il n’y a pas de cliniques ou d’hôpitaux où aller.

Ce n’est qu’en ville, là où vivent les riches, qu’il y a des hôpitaux avec tous les soins et les services. Nous ne bénéficions pas de tout ce qu’il y a en ville parce que nous n’avons pas d’argent, ni de moyens de transport, et s’il y en a, nous mourons avant d’arriver en ville.

Surtout, ce sont les femmes qui éprouvent la douleur de l’accouchement, qui voient mourir leurs fils dans leurs bras, par dénutrition, par manque de soins. Elles voient leurs enfants pieds-nus, sans vêtements, parce elles n’ont pas d’argent pour en acheter, car elles prennent soin du foyer, elles voient ce qui leur manque pour se nourrir. Elles transportent l’eau pendant deux ou trois heures de chemin dans une cruche, en portant leur enfant, et elle fait tout le travail de la cuisine.

Depuis toutes petites, nous commençons à faire les travaux humbles. Une fois grandes, nous allons travailler dans les champs, pour semer, nettoyer, toujours en portant notre enfant.

De leur côté, les hommes vont travailler dans les grandes propriétés de café et de canne à sucre pour obtenir un peu d’argent afin de pouvoir survivre avec leur famille, parfois ils ne reviennent plus parce qu’ils sont morts de maladie. Ils n’ont pas le temps pour rentrer à la maison, ou s’ils reviennent, ils reviennent malades, sans argent, et parfois, déjà morts. Alors, la femme reste avec une grande douleur parce qu’elle reste seule à garder leurs enfants.

Nous subissons aussi le mépris et la marginalisation depuis notre naissance parce qu’on ne prend pas bien soin de nous. Parce que nous sommes des filles, on pense que nous ne valons rien, que nous ne savons pas penser, ni travailler, ni gérer notre vie.

C’est pourquoi nombreuses sont les femmes analphabètes car nous n’avons pas eu l’occasion d’aller à l’école. Et lorsque nous sommes un peu plus grandes nos pères nous obligent à nous marier de force, peu importe si nous ne le voulons pas, ils ne nous demandent pas notre consentement. On ne tient pas compte de notre volonté. En tant que femme on nous frappe. Nous sommes maltraitées par nos propres époux ou membres de la famille. Nous ne pouvons rien dire parce qu’on nous dit que nous n’avons pas le droit de nous défendre.

Les « ladinos » et les riches se moquent de nous, les femmes indigènes, à cause de notre façon de nous habiller, de parler notre langue, notre façon de prier et de soigner et de notre couleur, nous qui sommes la couleur de la terre que nous travaillons.

Nous sommes réduites à la terre à laquelle nous travaillons et on nous ne permet pas de participer à d’autres travaux. On dit que nous sommes des cochonnes, que nous ne nous lavons pas parce que nous sommes indigènes.

Nous, les femmes indigènes, nous n’avons pas les mêmes chances que les hommes, eux qui ont le droit de tout décider. Eux seuls ont droit à la terre et la femme n’y a pas droit, comme si nous ne travaillions pas aussi la terre et comme si nous n’étions pas des êtres humains, nous subissons l’inégalité.

Cette façon d’être, ce sont les mauvais gouvernements qui nous l’ont apprise.

Nous, les femmes indigènes, nous n’avons pas une bonne alimentation, nous n’avons pas d’habitat correct, nous n’avons pas de service de santé, ni d’école. (...)

Alors nous avons décidé de nous organiser pour lutter comme femmes zapatistes.

Pour changer la situation, parce que nous sommes fatiguées de tant de souffrances, sans avoir nos droits. Nous ne disons pas tout cela pour que vous nous preniez en pitié ou que vous veniez nous libérer de ces abus. Nous avons lutté pour changer cela et nous continuerons à le faire. Mais nous avons besoin que notre lutte soit reconnue dans les lois, parce que jusqu’à présent elle n’est pas reconnue.

(...) Nous savons bien quels sont les us et les coutumes qui sont bons et ceux qui sont mauvais. C’est mauvais de frapper et taper la femme, la vendre et l’acheter, la marier de force sans qu’elle le désire, l’empêcher de participer aux assemblées et de sortir de sa maison.

C’est pourquoi nous voulons que soit approuvée la loi des droits et de la culture indigène. C’est très important pour nous, les femmes indigènes de tout le Mexique. Cela va permettre que nous soyons reconnues et respectées comme les femmes indigènes que nous sommes. Cela veut dire que nous voulons que soit reconnue notre façon de nous habiller, de parler, de nous gouverner et organiser, de prier, de soigner, notre façon collective de travailler, de respecter la terre et d’appréhender la vie, cette nature dont nous faisons partie. Dans cette loi sont inclus nos droits en tant que femme, de telle sorte que personne ne puisse empêcher notre participation ainsi que notre dignité et intégrité dans l’accomplissement de tout travail, comme c’est le cas pour les hommes. (...)

C’est pourquoi nous voulons vous demander, à tous les députés et sénateurs, afin de faire votre devoir, d’être les vrais représentants du peuple. (...)

Ne permettez plus que notre dignité soit bafouée.

Nous vous le demandons comme femmes, comme pauvres, comme indigènes et comme zapatistes. (...)

L’annonce du retrait militaire de Guadalupe Tepeyac, La Garrucha et Río Euseba, et les mesures mises en œuvre pour le réaliser, ne passent pas inaperçues pour l’EZLN. Vicente Fox répond à une des demandes que nos peuples faisaient par nous-mêmes : il est le commandant suprême de l’armée fédérale et celle-ci répond à ses ordres, pour le meilleur ou pour le pire.

Dans le cas présent, ses ordres ont été un signal de paix et c’est pour cela que nous-mêmes, les commandants et commandantes, nous donnerons aussi des ordres de paix à nos forces :

Premièrement. Nous ordonnons à notre camarade le sous-commandant rebelle Marcos, au titre du commandement militaire des forces régulières et irrégulières de l’EZLN, qu’il assume, qu’il prenne les mesures nécessaires pour que nos forces militaires ne viennent pas occuper les positions que l’armée a abandonnées et qu’il ordonne que nos forces restent sur les positions actuelles dans les montagnes. (...)

Deuxièmement. Nous donnons des instructions à Fernando Yáñez Muñoz, pour que le plus tôt possible il rentre en contact avec la Commission de concorde et pacification et avec le délégué gouvernemental pour la paix, Luis Héctor Álvarez, et qu’il leur propose de voyager ensemble au sud-est, dans l’État du Chiapas, et qu’ils attestent personnellement que les sept positions sont libres de toute présence militaire et que se trouve ainsi réalisée une des trois conditions posées par l’EZLN pour renouer le dialogue.

Troisièmement. De même nous donnons des instructions à Fernando Yáñez Muñoz pour qu’il se présente devant le gouvernement fédéral que dirige Vicente Fox, en qualité de correspondant officiel de l’EZLN avec le délégué gouvernemental pour la paix, et pour qu’il travaille de façon coordonnée pour obtenir le plus rapidement possible la mise en œuvre des deux conditions restantes et que le dialogue puisse ainsi formellement reprendre : la libération de tous les prisonniers zapatistes et la reconnaissance constitutionnelle des droits et de la culture indigène, en accord avec l’initiative de loi de la COCOPA. (...)

Quatrièmement. Nous demandons respectueusement au Congrès de l’Union que, dans la mesure où c’est ici que s’est ouverte la porte du dialogue et de la paix, il nous accorde ici un lieu pour y tenir une première rencontre entre le gouvernement fédéral et le correspondant de l’EZLN, si le délégué gouvernemental pour la paix le veut bien.

Mesdames les législatrices et messieurs les législateurs :

Je suis une femme indigène et zapatiste.

Par ma voix, non seulement parlent les centaines de milliers de zapatistes du Sud-Est mexicain, mais aussi des millions d’indigènes de tout le pays, ainsi que la majorité du peuple mexicain.

Ma voix n’a manqué de respect à l’égard de personne, mais pour autant je ne suis pas venue demander des aumônes.

Ma voix est venue demander la justice, la liberté et la démocratie pour les peuples indiens.

Ma voix a demandé et demande la reconnaissance constitutionnelle de nos droits et de notre culture.

Je vais mettre un terme à ma parole par un cri avec lequel, vous toutes et vous tous, ceux qui sont présents et ceux qui sont absents seront d’accord :

Avec les peuples indiens !

Vive le Mexique ! Vive le Mexique ! Vive le Mexique !

Démocratie ! Liberté ! Justice !

Depuis la Chambre législative de San Lázaro au Congrès de l’Union.

Comité clandestin révolutionnaire indigène - Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale.

Mexico, 28 mars 2001

Merci beaucoup.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2462.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Congrès de l’Union du Mexique, mars 2001.
 
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