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DIAL 2517

MEXIQUE - Filiales de multinationales : les maquilas. II.- Des travailleurs s’expriment

samedi 1er décembre 2001, mis en ligne par Dial

Voir introduction DIAL D 2516. Ci-dessous, un texte provenant d’un travail effectué par la Pastorale de la jeunesse ouvrière de Matamoros, Tamaulipas (Mexique), et publié dans son bulletin d’information de novembre 2000.


L’industrie de sous-traitance, ou maquila, s’est implantée à Matamoros, [dans l’État de Tamaulipas au nord du Mexique] à la fin des années 60, principalement l’électronique qui emploie en majorité des femmes dans ses secteurs de production. Avec l’entrée en vigueur du Traité de libre commerce d’Amérique du Nord, la croissance industrielle a été impressionnante. Actuellement il existe plus de 152 maquilas à capitaux étrangers ; l’État de Tamaulipas est le quatrième pour l’afflux de ces capitaux, après celui de Nuevo León, de Basse Californie et de Chihuahua. Les principales entreprises établies à Matamoros appartiennent aux branches de l’automobile, de l’électronique, de l’électroménager et de la couture industrielle. Elles emploient plus de 80 000 travailleurs, dont un peu plus de 60 % de femmes. Parmi ces entreprises, il y a des compagnies comme le groupe Delphi, Zénith, Lucent Technologies, Breed Technologies, Eaton.

Le gouvernement mexicain a favorisé l’investissement étranger et mis en place une politique de protection : exonération d’impôts, infrastructures adéquates, main-d’œuvre bon marché et hautement qualifiée, contrôle du syndicalisme officiel et surtout impunité pour le non-respect des réglementations concernant la santé, la sécurité, l’hygiène et l’environnement. Tout ceci a fait de Matamoros le paradis ou la terre promise des grandes transnationales et du capital étranger. Cela, au détriment des conditions de vie et de travail des travailleurs et des travailleuses : diminution des salaires, allongement des journées de travail, constante violation des droits individuels et collectifs du travail. Tout ceci a un impact plus alarmant encore sur les problèmes de santé que vivent les travailleurs et les travailleuses, causés par les très mauvaises conditions de travail. C’est le prix qu’ont dû payer les travailleurs et les travailleuses à ce modèle économique en train de s’imposer dans ce pays et dans le monde entier.

Santé, sécurité et hygiène à Matamoros

Une enquête réalisée par l’Université autonome métropolitaine auprès de travailleurs de différentes maquilas de Matamoros en novembre 1998 fournit des données alarmantes sur les conditions dans lesquelles travaillent plus de 80 000 personnes dans ce type d’industrie. 61 % sont des femmes, 33 % des jeunes entre 18 et 25 ans, 67 % viennent de l’intérieur de l’État de Tamaulipas et d’autres régions du Mexique, principalement de Veracruz. 53 % des travailleurs utilisent des produits chimiques toxiques comme des solvants, des colles, des peintures, des diluants, des dégraissants, des soudures, etc. Les 47 % restants ne savent pas si les produits qu’ils utilisent sont toxiques. 60 % des personnes travaillent dans un environnement pollué par le bruit, la poussière, des fumées et des vapeurs. 83 % disent recevoir un équipement de sécurité insuffisant pour protéger leur santé. 92 % des entreprises ont des commissions mixtes d’hygiène et de sécurité, mais qui ne fonctionnent pas de façon adéquate.

61 % des travailleurs disent que le travail qu’ils font a des effets nocifs sur leur santé : infections de la peau : 15,53 % ; irritation nasale : 15,13 % ; irritation de la gorge : 14,74 % ; insuffisances respiratoires : 12,15 % ; urticaire : 11,35 % ; asthme : 7,56 % ; fausses couches : 5,17 % ; enfants qui présentent des déficiences à la naissance : 4,58 % ; ne savent pas : 13,74 %. 58 % seulement des travailleurs soumis à l’enquête disent que l’entreprise reconnaît ces maladies comme professionnelles.

La maquila Autotrim

Breed Technologies, entreprise étasunienne dont la maison-mère se trouve à Lakeland en Floride, est considérée comme un des plus gros fournisseurs du monde de pièces pour automobiles. Une compagnie lui appartenant, Autotrim, emploie plus de 1 400 travailleurs dans sa filiale établie à Matamoros depuis plus de 15 ans. Celle-ci y réalise le gainage en cuir de volants et de leviers de vitesse pour les automobiles et fournit des produits pour la General Motors, Ford et Chrysler entre autres. Autotrim n’est qu’un exemple parmi d’autres des répercussions qu’a la maquila sur la santé des travailleurs et des travailleuses de cette l’industrie :

La voix des travailleurs

« Nous sommes des êtres humains, nous avons notre dignité. »

« Nous, travailleurs et travailleuses d’Autotrim, nous effectuons les coutures pour les volants et leviers de vitesse des automobiles ; ces coutures se font à la main, elles requièrent des mouvements répétitifs et demandent d’exercer une force excessive, ce qui nous cause de sérieuses douleurs aux tendons et muscles des mains, des bras et du cou ; nous utilisons aussi des colles et des solvants sans que l’on nous donne aucun équipement adéquat de protection, ce qui nous cause de graves problèmes de santé : irritations de la gorge, problèmes de peau, problèmes respiratoires, allergies, et problèmes pour la santé de nos enfants. » (Communiqué de presse des travailleurs d’Autotrim, le 26 juillet 2000, journal El Mañana).

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« Ce modèle néolibéral n’a d’oreilles que pour répondre aux besoins des grandes transnationales. Qui écoute les cris des travailleurs et des travailleuses ? »

« Un matin d’août 1996, en sortant de mon travail, je me suis sentie mal. Mon mari me conduisit à l’hôpital, le médecin me dit que j’avais déjà les symptômes de l’accouchement et que ma fille était sur le point de naître. Quand elle naquit, on la mit dans une couveuse, les médecins dirent à mon mari que le bébé présentait à la naissance des problèmes respiratoires, et qu’elle allait très mal. Le lendemain, la fillette eut une rechute, elle eut un arrêt cardiaque et mourut. À ce moment, ni mon mari ni moi n’avons pensé que la mort de ma fille pouvait être la conséquences des colles et solvants que mon mari et moi utilisons dans l’usine. Mais quand ma fille est née, le médecin me demandait avec insistance si j’utilisais des drogues, de l’alcool ou si je fumais, et les conditions dans lesquelles je travaillais. Quand nous avons appris qu’il y avait eu plusieurs cas de collègues dont les enfants avaient eu des problèmes respiratoires et qui sont morts dans des conditions qui présentaient les mêmes caractéristiques, nous avons commencé à nous inquiéter. »

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« Cela fait quatre ans que je travaille à Autotrim ; j’ai travaillé deux ans dans la section « couture » ; je me suis abîmé la main et je suis restée pendant un an sans pouvoir travailler ; maintenant je suis dans la section « finition » ; je nettoie le volant avec un chiffon imbibé de Barsol pour retirer les taches de colle ; je le chauffe avec un pistolet pour effacer les plis. Mon quota de production est de 65 volants à chaque tour, mais je n’en fais que 45 ; j’ai des difficultés à étendre la main pour prendre le volant ; mes doigts s’engourdissent facilement ; j’ai mal à tout le bras droit, au cou, dans le dos. Le soir, en rentrant à la maison, je ne peux pas étendre le bras, je dois me masser pour lui redonner de la chaleur ; je dois prendre des cachets, quelquefois même toutes les quatre heures ; je ne peux pas faire les travaux de la maison, les objets me tombent des mains, je ne peux pas laver le linge, ni porter des choses lourdes ; j’arrive à la maison très contrariée, je me sens inutile ; ça me déprime beaucoup d’être comme cela, je pleure très souvent, même mon mari me fait des reproches. »

« Avant, je n’étais pas aussi consciente de ce qui se passait dans l’usine. Mais il y a un an, mon second fils est né avec des problèmes d’anencéphalie et il mourut. J’ai commencé à être très en colère. Je me demandais : Qu’est-ce qui se passe ? Quinze jours après, naquit une autre fillette avec des problèmes d’anencéphalie. Cette année, il y a déjà 6 cas : deux d’anencéphalie, un d’hydrocéphalie, et trois présentant des problèmes respiratoires. Il y a eu aussi plus de 10 cas de fausses couches. À partir de tout ceci, j’ai discuté avec mes collègues, et je leur ai parlé de ce qui se passait. Les injustices qu’ils commettent avec moi et mes collègues me rendent folle. Je veux faire quelque chose pour empêcher qu’ils continuent à nuire à davantage de gens. Quelqu’un doit arrêter cela. »

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« Il y a plus d’un an que je suis malade, et je souffre beaucoup ; j’ai très mal à la main, au bras et à l’épaule. J’ai toujours rempli mon quota de production et je n’ai pas de problèmes avec mon chef d’atelier ; à l’usine, ils ne savent pas que je suis atteinte ; je n’ai voulu le dire à personne ; je n’ai pas voulu non plus aller à l’infirmerie de l’entreprise parce que je n’ai pas voulu avoir de problèmes. Les collègues atteints qui se sont plaints, l’entreprise les envoie à la section des « Yonkes ». On appelle section des « Yonkes » la chaîne de production où l’entreprise met les travailleurs atteints et où ils n’ont aucun privilège ; ce sont ceux qui subissent le plus de pression dans leur travail et ceux qui sont les plus surveillés. Dans cette section, les chefs d’atelier insultent et humilient les travailleurs, ils les traitent très mal. »

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« Au retour d’une absence pour incapacité à cause de mes mains, on m’a envoyée travailler à la section du OLDS H ; on a mis une caméra vidéo en face de moi pour enregistrer tout ce que je faisais ; on m’a interdit de parler, de me lever ; si je le faisais, le chef d’atelier était sur mon dos pour me rappeler à l’ordre ; on me demandait de faire 22 volants à chaque tour, et moi je ne pouvais en faire que 7 ; cela me perturbait de savoir que tous mes mouvements étaient enregistrés ; je souffrais beaucoup de mes mains ; j’étais désespérée et personne ne m’aidait, aussi me suis-je mise à pleurer au travail ; quand le chef du personnel et le chef de la production me virent pleurer, ils m’emmenèrent au département du personnel pour que je me calme, et ensuite ils me changèrent de section. »

L’organisation des travailleurs et travailleuses d’Autotrim

« Développer un processus d’organisation afin d’améliorer les conditions de travail, et défendre la santé et la vie des travailleurs et travailleuses n’est pas un chemin facile. Cela implique de faire face à de grandes difficultés et à de grands défis, de s’affronter à tout un système économique et politique international en touchant aux intérêts des grandes transnationales ; cela demande d’apprendre chemin faisant, à valoriser nos forces, à vaincre nos faiblesses, et à augmenter nos capacités d’analyse et nos stratégies d’organisation. »

Depuis 1996, les travailleurs et travailleuses d’Autotrim avec la pastorale de la jeunesse ouvrière, nous avons mis en œuvre un processus d’organisation pour défendre la santé et la vie des travailleurs et travailleuses en créant et en soutenant des circuits d’information et de communication permanente à l’intérieur de l’usine. La formation d’un réseau entre les travailleurs d’Autotrim et de Customtrim a rendu possible l’articulation des efforts et la réalisation d’actions conjointes. L’éducation et la formation des travailleurs et travailleuses sur les problèmes liés à la santé, l’hygiène et la sécurité ont été renforcées. La formation de leaders syndicaux pour essayer de démocratiser le syndicalisme officiel de la Centrale des travailleurs du Mexique (CTM), la participation des travailleurs dans les Commissions mixtes d’hygiène et de sécurité, les pressions sur l’entreprise par des arrêts de travail, les nombreux essais de dialogue avec les cadres de l’entreprise, les actions de solidarité avec les organisations nationales et internationales, tout cela a joué un rôle important dans notre lutte. La pression sur les instances gouvernementales chargées de faire respecter les lois sur la santé et la sécurité, même si elles n’ont pas apporté de réponse satisfaisante, a mis en évidence leur inefficacité et leur corruption.

« Nous avons eu recours à plusieurs reprises aux cadres de l’entreprise pour leur demander de nous expliquer et nous aider à comprendre pourquoi nous avons ces problèmes de santé ; ils ont répondu que les problèmes que nous vivons sont « psychologiques ». En même temps, nous avons demandé l’aide de nos représentants syndicaux pour avoir leur appui à ce sujet, mais jusqu’à présent nous n’avons pas eu de solutions. Nous avons eu recours aussi à l’Institut mexicain de sécurité sociale, à la Délégation fédérale de travail de Ciudad Victoria et à la Direction générale de la santé, en leur manifestant par écrit nos problèmes et en leur demandant leur intervention, mais la situation dans l’usine ne s’est pas améliorée, nous continuons à nous affronter aux mêmes problèmes. » (Communiqué de presse des travailleurs d’Autotrim, le 26 juillet 2000, journal El Mañana).

Le processus n’a pas été facile : les mécanismes de contrôle et de répression, tant de la part de l’entreprise, du gouvernement que du syndicalisme officiel de la CTM, ont eu comme résultat le renvoi de plus de 400 travailleurs durant ces deux dernières années... des travailleurs aux mains immobilisées, sans aucune compensation pour accident de travail ou maladie professionnelle et sans possibilité de pouvoir trouver un autre emploi dans l’industrie maquila parce qu’ils ne sont plus capables d’un quelconque travail et parce qu’ils sont inscrits sur les listes noires de l’Association des maquilas comme personnes à problèmes pour avoir osé défendre leurs droits.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2517.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Bulletin d’information de Pastorale de la jeunesse ouvrière de Matamoros,, novembre 2000.
 
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