Accueil > Cinema > FILM - CHILI- La nana (La Bonne), de Sebastián Silva (2009)

FILM - CHILI- La nana (La Bonne), de Sebastián Silva (2009)

Françoise Couëdel

mercredi 11 juin 2014, mis en ligne par Françoise Couëdel

 Avec Catalina Saavedra, Claudia Celedón, Alejandro Goic, Andrea García Huidobro, Agustín Silva Delfina Guzmán.
 Durée : 95 minutes.
 Sortie en salles (France) : 14 octobre 2009.

Raquel, le personnage central de l’histoire, est au service de la famille Valdés, représentative de la bourgeoisie aisée de Santiago du Chili. Elle a été la nounou des deux enfants et a fait preuve, durant vingt-trois ans, d’une loyauté et d’un dévouement sans faille. La famille se réunit pour lui fêter son anniversaire. Quarante et un ans déjà ! Mais rien ne peut la dérider. Elle garde l’expression butée, méfiante, qu’elle a toujours eue, en dépit de l’affection que lui témoignent ses patrons. Durant ses longues années au service de la famille, son univers s’est limité aux nombreuses pièces à entretenir et au jardin de la luxueuse maison des Valdés, protégée par de hauts murs. Elle n’en sort jamais, n’a pas d’amis, sa tendresse est réservée à Lucas, le plus jeune des enfants, son chouchou. Quelle douleur secrète cache son mutisme et son regard sombre ? Celle d’être de condition modeste, d’origine indienne, sans autre alternative que de servir des patrons ?

Son caractère ombrageux va se manifester, lui faire inventer les pires stratagèmes, lorsque Pilar, la maîtresse de maison, voulant la soulager d’une part des tâches domestiques, tente d’embaucher d’autres bonnes pour la seconder. Elles seront toutes découragées par les pièges que leur tend Raquel qui veut rester la seule maîtresse de son domaine, de la cuisine aux chambres à coucher. La dernière candidate, Lucy, optimiste, généreuse, et qui n’a pas froid aux yeux, va gagner progressivement la confiance de Raquel et l’aider à sortir de son enfermement physique et psychique. La transformation sera lente mais spectaculaire.

Dans le rôle de la Nana, Catalina Saavedra, grande actrice de théâtre, campe avec brio une Raquel qui est l’incarnation de l’asservissement, de l’acceptation douloureuse d’une condition séculaire jamais remise en cause.

Ce film, bien que sorti en 2009, reste d’actualité car une grande partie de la société chilienne, malgré des années d’alternance démocratique, ne remet pas en cause les valeurs héritées de la dictature, les rapports de classes — legs de la colonisation —, qui évoluent lentement. Sebastián Silva, dans un entretien, raconte une anecdote qui l’a scandalisé. Alors qu’il proposait, pour actrice principale, Catalina Saavedra, dans un rôle à l’opposé de celui qu’elle incarne dans La nana, il s’est vu répondre par le producteur qu’elle était trop laide pour le rôle. Entendez, trop indienne de traits, ne correspondant pas aux critères de beauté imposés par les séries états-uniennes, de blonde platinée aux yeux clairs.

Dans La nana, Sebastián Silva révèle, à travers le personnage de Raquel, les tensions qui existent, plus ou moins diffuses, entre les classes sociales, tensions liées aux discriminations ethniques encore très fortes au Chili. Raquel a des origines indiennes, est d’un milieu modeste, elle est donc née pour servir. La famille Valdés incarne la classe dominante d’origine européenne, celle qui détient les postes clés de l’économie et de la politique chiliennes. La grand-mère maternelle, jouée par Delfina Guzmán, qui intervient pour proposer une remplaçante à Raquel, est à la limite de la caricature.

Sebastián Silva, dans diverses entretiens, dit qu’il s’est inspiré, pour créer le personnage de la nana, des bonnes qu’il a observées dans sa propre famille et dans des familles amies. Il déplore les conditions qui leur sont faites : elles n’ont qu’un jour de congé par semaine, sont logées, certes, mais n’ont aucune possibilité de vie amoureuse ou d’échapper à leur condition. Il espère que son film fera évoluer les mentalités, permettra que soit formalisé un statut du personnel domestique, plus respectueux de ses droits.


Le réalisateur

Sebastián Silva est l’une des figures du cinéma indépendant chilien. Diplômé en cinéma et animation, il a étudié au Chili et au Canada. C’est un artiste à multiples facettes : il écrit des scénarios, peint et fait de la musique. Il a travaillé en tant qu’assistant réalisateur avec les mexicains Iñárritu et Guillermo del Toro.

En 2009, le film a été nominé au Golden Globes, dans la catégorie meilleur film en langue étrangère, a obtenu le Grand Prix du Jury et le Prix d’interprétation féminine au Festival de Sundance, le Colón de Oro au Festival de Huelva.

Depuis cette date, Sebastián Silva a réalisé Gatos viejos [Les Vieux Chats], sorti en 2012, une comédie sur le thème du règlement de compte familial,qui a remporté un franc succès, et dans laquelle Catalina Saavedra est une jeune femme déjantée, homosexuelle, qui se shoote à la cocaïne.

Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.