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AMÉRIQUE DU SUD - Qu’est-il arrivé à l’UNASUR ?

Oscar Ugarteche et Armando Negrete

lundi 28 mai 2018, mis en ligne par Françoise Couëdel

22 mai 2018.

L’Union des Nations sud-américaines (UNASUR) entra en fonction en août 2008 avec le Traité constitutif de l’Union des Nations sud-américaines, signé par l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, le Chili, l’Équateur, le Guyana, le Paraguay, le Pérou, le Surinam, l’Uruguay et le Venezuela, qui fut ratifié en mars 2011.

La volonté qui présida à son élaboration fut motivée par l’intervention ouverte des États-Unis dans la vie politique de la Bolivie après trois années d’actions systématiques de déstabilisation allant jusqu’à une tentative de guerre interne, après l’élection d’Evo Morales à la présidence.

Le président Morales dialogua avec les présidents Kirchner et Lula et, ils créèrent conjointement un espace de discussion autonome qui serait indépendant de l’OEA. Le président Chávez donna son accord, à la suite de quoi fut organisé une réunion à Brasilia en 2008. Ce fut la première réunion de l’UNASUR. C’était un espace analogue au Conseil de l’Europe, destiné à aborder des problèmes en toute autonomie, sans interventions extra-régionales. L’UNASUR mit en évidence qu’une divergence existait entre l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale, Panamá étant la limite, et l’Amérique du Sud. Elle fit le constat que l’interventionnisme des États-Unis en Amérique du Sud était inacceptable tandis que l’autre moitié de l’hémisphère leur était ouvertement et irrémédiablement subordonnée.

S’appuyant sur la convergence politique et économique des gouvernements progressistes de Lula au Brésil, Michelle Bachelet au Chili, Tabaré Vázquez en Uruguay, Hugo Chávez au Venezuela, Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa en Équateur et Cristina Fernández en Argentine, se constitua le bloc politique le plus important de l’histoire du continent. Depuis lors, selon un schéma particulier d’intégration, défini comme un régionalisme ouvert, l’UNASUR aurait souhaité organiser le Marché Commun du Sud, unissant le Mercosur (1991) à la Communauté andine (1993) mais cela n’aboutit pas. En revanche, cela renforça l’autonomie de la région en matière de gestion des crises politiques et de construction de conditions régionales destinées à dépasser les limites à la coopération qu’imposait la structure de l’Organisation des États américains (OEA) et l’influence des États-Unis sur le continent. Des avancées importantes virent le jour sur la question de la coopération financière régionale et la promotion de fonds régionaux de développement avec la création de la Banque du Sud et le lancement à Quito, en 2007, d’une architecture financière régionale.

L’UNASUR a dû faire face à des changements quant à la convergence de ses objectifs régionaux avec les revirements politiques des gouvernements de l’Argentine (2015), du Brésil (2016) et du Chili (2017). Les désaccords et les divisions engendrés sont arrivés à un point tel que l’organisme, à partir du 31janvier 2017, a fonctionné sans Secrétaire général, faute d’accord : pas d’accord sur l’agenda, ni de consensus concernant les réunions des organes collectifs de décision ; tandis que les dissensions politiques entre les factions des gouvernements étaient de plus en plus fréquentes. L’organisme a sombré dans la paralysie institutionnelle qui a rendu son action inopérante et inopportune. En août 2017, dans ce contexte, s’est constitué le groupe de Lima pour affronter le gouvernement du Venezuela, à l’initiative du gouvernement péruvien, et c’est alors que les gouvernements sud-américains ont joué un jeu contraire à celui de l’UNASUR.

Une semaine après le VIIIe Sommet des Amériques de Lima, et deux jours après la nomination de la Bolivie à la présidence pro tempore de l’UNASUR, le 20 avril 2018, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou ont présenté leur démission temporaire et indéfinie. Cette décision a été annoncée avec la consigne de la non réintégration tant que « ne serait pas garanti le fonctionnement adéquat de l’organisation ». C’est ainsi que l’UNASUR s’est retrouvée avec six membres actifs, moins de la moitié plus un, sans financement et sans pouvoir de décision, ce qui fait d’elle uniquement un organisme témoin. Ce projet d’intégration politique s’est effondré, comme auparavant, se sont effondrées toutes les initiatives imaginées depuis que Bolívar, le premier, Diego Portales et Juan Bautista Alberdi, ont imaginé des schémas d’intégration, dès l’obtention de l’indépendance de l’Espagne.

Le retrait de ces six pays est à relier, en partie, à divers mécanismes de pression du gouvernement états-unien, au fil des années, contre les schémas d’intégration régionale. Cette fois-ci le prétexte a été l’opposition à Nicolas Maduro, au Venezuela, via le Groupe de Lima. Les six membres qui ont suspendu leur participation sont, comme par hasard, les mêmes qui ont se sont ralliés aux États-Unis dans la campagne de condamnation du Venezuela pour violation des droits humains et qu’on peut qualifier de « Républiques des entrepreneurs ». Par ailleurs, leur sortie de l’UNASUR révèle les divergences politiques qui existent entre les gouvernements sud-américains. Après une décennie et demie de gouvernements progressistes, de consolidation du marché intérieur et de promotion de l’intégration régionale, avec le retour des républiques des chefs d’entreprise, les politiques néolibérales de dérégulation économique se sont accentuées, caractérisées par une croissance due aux exportations et le renforcement des politiques pan-américanistes orientées par les États-Unis. Dans cette nouvelle configuration il n’y a pas de conflit au nom de l’autonomie politique ; les pays latino-américains sont considérés par le gouvernement états-unien comme « un chien sympathique qui dort couché sur la carpette et ne pose aucun problème » (Kuczynski, Discours à l’Université de Princeton, en février 2017). C’est là l’expression claire de la subordination souhaitée et obtenue, dans la relation maître /esclave.

Officiellement, la sortie de l’UNASUR s’expliquerait par la réticence à user du consensus pour la prise de décisions. Le désaccord qu’ont manifesté le Venezuela et la Bolivie sur la candidature argentine d’Octavio Bordón, au Secrétariat général, a été perçu comme un veto politique et jugé comme participant du piège idéologique dans lequel était tombé l’organisme. Néanmoins, la réapparition sur la scène de l’OEA, comme organisme de choc et de sabotage du projet d’intégration régionale autonome, n’a pas été le fruit du hasard.

Depuis sa fondation, l’UNASUR a eu pour but de s’organiser en un bloc régional qui permettrait une autonomie régionale, en particulier commerciale et financière, pour faire face à la subordination et à la dépendance aux institutions multilatérales du Consensus de Washington. La perte d’un organisme régional comme celui-ci représente, non seulement un recul politique en termes d’intégration mais, au contraire, un renforcement du modèle économique néolibéral et dépendant du modèle exportateur de matières premières, dans le cadre d’une guerre commerciale entre l’Orient et l’Occident. L’affaiblissement de l’UNASUR est la porte ouverte à la légitimation de l’intervention économique et politique des États-Unis en Amérique du Sud, dont le thème a été objet de débat.

De la même manière que l’ALADI (Association latino-américaine d’intégration, 1980) a échoué ainsi que l’ALAC (Association latino-américaine de libre échange, 1962) auparavant, le Pacte andin et la Communauté andine, 1969) et le SIECA (Secrétariat d’économie centre-américaine, 1960) et le Traité du Bassin du Río de la Plata de 1941, c’est maintenant l’UNASUR qui s’effondre. Il est clair que les élites sud-américaines se divisent entre les exportateurs de matières premières et les tenants de l’industrialisation, les modernisateurs et les traditionalistes, et que ces derniers sont liés au capital financier international ; raison pour laquelle la subordination au marché financier et au capital transnational est rentable en termes financiers et politiques. À cet effet la subordination politique est indispensable. C’est ainsi que l’Amérique latine est, une fois encore, à la merci des conflits hégémoniques et des intérêts particuliers sur le continent, incarnés maintenant par les rivalités entre la Chine, la Russie, les États-Unis et leurs capitaux transnationaux. La subordination idéologique semble être le facteur commun à tous ces effondrements successifs.


Oscar Ugarteche, économiste péruvien, est chercheur titulaire « C » de l’IIEc-UNAM (Mexique), SNI II, et coordinateur du projet OBELA.

Armando Negrete est membre du projet OBELA.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Texte original (espagnol) : www.obela.org/analisis/que-le-paso-a-la-UNASUR.

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