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ÉTATS-UNIS - La charité humanitaire de l’ingérence : la guerre comme fer de lance des corporations

Jorge Elbaum

mercredi 13 mars 2019, mis en ligne par Françoise Couëdel

Lundi 18 février 2019.

L’aide humanitaire proposée par les États-Unis pour atténuer la crise économique et sociale que vit Caracas a été précédée d’un programme destiné à mettre au pas la République bolivarienne, et toute la région, dans le but d’éliminer les options souveraines alternatives au néolibéralisme.

Au delà des controverses sur l’existence ou non de responsabilités de gestion et/ou de l’inefficacité des politiques du chavisme dans la situation interne du Venezuela, la prétendue aide humanitaire déployée par la force militaire du Commando sud du Pentagone ne répond pas aux protocoles exigés par les organismes de coopération internationale : elle ne peut pas être considérée comme une contribution destinée à pallier la souffrance des Vénézuéliens.

Le dimanche 10 février, le Comité international de la Croix rouge (CICR) a indiqué, dans un bulletin officiel, que cette aide est dépourvue de tout caractère humanitaire car elle n’est pas gérée par des organismes spécifiques spécialisés dans ce type de coopération. Il a ajouté qu’en outre elle est organisée par des forces militaires qui menacent d’envahir un territoire souverain.

Aussi bien l’Assemblée des Nations unies que son Conseil de sécurité – les piliers de l’architecture institutionnelle globale – ont rejeté, majoritairement, l’intervention dans les affaires intérieures du Venezuela. Cependant les pays mis en minorité dans les votes de ces deux organisations multilatérales, parmi eux les États-Unis et une partie des membres de la Communauté économique européenne, ont poursuivi leur offensive d’ingérence, ignorant les accords internationaux et le principe de non-ingérence inscrit dans la charte fondatrice de l’ONU.

Dans ce cadre, le président Donald Trump a abandonné l’isolationnisme annoncé, qu’il avait promis au cours de sa campagne électorale, et déclaré qu’il n’écarte pas l’intervention militaire ou la collaboration avec les forces armées des pays limitrophes du Venezuela, disposés à contribuer à la liquidation de la résistance chaviste.

Au cours de la semaine dernière, le premier mandataire colombien, Iván Duque, s’est rendu à Washington pour adhérer aux plans décidés par le Département d’État. Parallèlement, l’ex-ambassadeur des États-Unis en poste à Caracas, William Brownfield a fait remarquer que « peut-être la meilleure solution serait d’accélérer l’effondrement de l’économie », autrement dit d’isoler le pays et provoquer une crise fatale pour la population caribéenne. De son côté, le chancelier russe Serguei Lavrov, a accusé Trump de déguiser une intervention militaire au Venezuela sous couvert d’une l’aide humanitaire. Il a déclaré, faisant allusion aux déclarations de Brownfield, qu’on cherche à « camoufler des provocations […] par l’envoi de l’aide humanitaire, comme moyen de déstabiliser la situation au Venezuela et d’avoir un prétexte pour une intervention militaire directe ».

La prise de position de la Russie coïncide avec celle de la Chine et celle des deux tiers des pays membres de l’ONU. Dans ce cadre, le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Stephan Dujarric, a affirmé que l’organisme reconnait la légitimité du Président constitutionnel du Venezuela, Nicolas Maduro, comme unique autorité de la nation. Par la voix de son porte-parole, Antonio Guterres, il a rejeté la demande des États-Unis de reconnaître Juan Guaido, député de l’Assemblée nationale, pour non-respect de la constitution [1].

L’humanisme du « gros bâton »

Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), une des voix les plus représentatives de la reconnaissance des urgences internationales, a recensé 7 pays en situation de détresse humanitaire dans le monde, au cours de l’année 2018 : l’Irak, le Nigeria, la République démocratique du Congo, la Syrie, le Soudan du Sud, le Yémen et le Myanmar (cas des rohingyas) [2]. Sur tous ces territoires, des massacres, des déplacements de populations et des crimes de lèse-humanité, ont été dénoncés.

Dans trois d’entre eux (Irak, Syrie, Yémen), les forces armées des États-Unis sont accusées de massacres de population civiles, soit par bombardement par la force aérienne et/ou pour des aides, des financements ou des fournitures d’armes aux groupes impliqués dans les crimes de masse cités. Dans le cas spécifique de la Syrie elles ont provoqué les opérations des groupes fondamentalistes islamistes (de l’État islamique), qui reproduisent le modèle de soutien à Al-Qaïda, en Afghanistan, dans la guerre menée contre l’ex-Union soviétique, dans les années 80.

La dernière situation d’urgence internationale relevée par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s’étend à l’heure actuelle à proximité de la frontière avec les États-Unis et concerne 50% de la population de Haïti, qui subit une situation de violence interne, de famine, et de pandémies prévisibles, capables de s’étendre dangereusement à sa voisine, la République dominicaine. Ces derniers jours les agences de Nations unies, installées dans sa capitale, dénombraient 52 morts et presque 300 blessés, dus à un mouvement social violent qui exige le renoncement de son premier mandataire dictatorial, Jovenel Moïse, curieusement soutenu par le Département d’État, et qui a été élu grâce à une fraude électorale monumentale, téléguidée par Washington [3].

Les guerres dites « démocratisantes », encouragées par Washington depuis 1945, ont imposé des dictatures, c’est le cas en Corée du Sud, ou engendré des millions de morts : ce fut le cas au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, en Somalie ou en Lybie. La prétendue aide humanitaire est la phase actuelle d’un processus de longue date qui a commencé en 2002 avec le coup d’État contre le président d’alors, Hugo Chávez.

L’offensive s’est accompagnée d’une campagne médiatique destinée à saper les décisions souveraines du gouvernement vénézuélien, processus qui a inclus la protection de chefs d’entreprises dénoncés par Caracas, qui ont trouvé refuge à Miami. La campagne de déstabilisation s’est accompagnée de l’acceptation, de la part des organismes de contrôle de Washington, d’une gigantesque fuite de capitaux, canalisée par les entités bancaires offshore qui gèrent des capitaux étatsuniens et britanniques, installées dans des îles de la Caraïbe et l’état de Delaware. Les étapes postérieures ont inclus un blocus progressif qui a empêché l’importation de médicaments et d’aliments et une tentative d’assassinat du président Maduro, au moyen de drones explosifs.

Les masques tombent

La phase actuelle de la campagne en faveur de l’aide humanitaire, dissimule une forme de duplicité du Pouvoir exécutif vénézuélien avec la reconnaissance du président auto-proclamé Juan Guaidó [4]. Dans l’entourage des cabinets des congressistes étatsuniens circulent des commentaires concernant la crise humanitaire qui impliquerait, pour les chefs d’entreprise nord-américains, une perte de profits juteux : le Venezuela a la plus grande réserve certifiée de pétrole du monde, la troisième de gaz, la troisième d’or, la cinquième de fer, et la perspective de compter sur les gisements de coltan les plus importants du monde, minerai vital pour l’élaboration des futures batteries des dispositifs électroniques nécessaires à la quatrième révolution industrielle.

Les commentaires qui circulent dans les bureaux du Capitole se sont fait plus aigres quand on a su que le chef de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, le démocrate Eliot Lance Engel, a rejeté l’autorisation par son parti, qui détient la majorité des sièges, d’une intervention militaire au Venezuela, telle que l’avait évoquée à plusieurs reprises le président Donal Trump.

Ces rancœurs se sont trouvés justifiées par l’intervention de la congressiste Alexandria Ocasio-Cortez, qui a récemment fait référence au rôle des corporations transnationales monopolistiques, particulièrement des compagnies pétrolières et d’équipements militaires : elles corrompent, a-t-elle insinué, le système politique étasunien en encourageant des interventions militaires et des invasions dans le but d’en retirer des avantages stratégiques, tels que des accès aux matières premières et un contrôle logistique territorial. Ocasio Cortetz, a eu recours à l’humour pour démasquer le mécanisme qui permet aux parlementaires et aux membres du pouvoir exécutif de tirer des profits, en se laissant corrompre par les corporations et les entreprises. Face à un comité d’experts en éthique, convoqués à une audience de la commission de surveillance du Congrès, semble expliquer les récentes motivations d’ingérence au Venezuela [5].

Les pouvoirs du capitalisme monopolistique global au cœur de la politique étatsunienne. Une explication de la façon dont fonctionne l’offensive de l’ingérence

À la fin du XXe siècle Hugo Chávez a inauguré une étape de remise en question du libéralisme qui a eu des échos, des continuateurs et des alliés, dans divers pays d’Amérique latine. Ce processus s’est consolidé en 2005, dans la ville argentine de Mar del Plata, avec le « Non à l’ALCA » (Accord de libre échange des Amériques) qui a signifié une limite précise à la mainmise de Washington sur la région.

L’irruption du suprématiste de Trump a aggravé la guerre de basse intensité, basée sur des sanctions financières, la prétendue dualisation et la restriction pour récupérer des réserves d’or et de devises déposées en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Selon une analyse récente détaillée, diffusée par le Centre stratégique latino-américain de géopolitique(CELAG), l’isolement humanitaire – mieux nommé asphyxie programmée – a supposé la perte de 350 milliards de dollars en production de biens et de services entre 2013 et 2017 : « Depuis que Nicolas Maduro a accédé à la présidence, en 2013, le secteur public vénézuélien a cessé de recevoir, en termes net, des flux, qui dans les années 208-2012, avaient supposé plus de 95 milliards de dollars, c’est à dire, quelque 19 milliards de dollars annuels [6].

Le blocus économique et la menace de guerre civile pour entraîner la faillite, l’imposition d’un imaginaire qui justifie l’existence d’un pouvoir double et l’invasion étatsunienne annoncée par les opposants, à la date précise du 23 février, dissimulé dans le cheval de Troie de la supposée aide humanitaire : tout cela est destiné à en finir, et faire un exemple dans la région, avec le virus de la Révolution bolivarienne.

Il y a quelques années un important fonctionnaire de la chancellerie argentine participa à Washington à la présentation du livre de Henry Kissinger, L’Ordre du monde, qui était alors un best seller mondial. Après les remarques élogieuses des commentateurs et la longue allocution de l’auteur, on autorisa l’assistance à poser des questions. Le diplomate argentin demanda respectueusement à l’auteur : « Pour quelle raison, Monsieur Kissinger, vous référez-vous à l’Amérique latine de façon anecdotique et secondaire dans votre texte ? ». L’ex-chef du Département d’État répondit, dissimulant un sourire : « Parce que l’Amérique latine n’est pas un problème de politique étrangère pour les États-Unis. C’est une question de politique intérieure pour notre pays ». Les aveux de l’accusé ont force de preuve.


Jorge Elbaum est sociologue, docteur en sciences économiques et analyste senior du Centre latino-américain d’analyses stratégiques (CLAE, www.estrategia.la).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.elcohetealaluna.com/la-caridad-humanitaria-del-injerencismo

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[1Tous les pays de l’Union européenne (UE) ne sont pas d’avis de désavouer Maduro. Jusqu’à maintenant l’Italie, la Grèce, la Roumanie, l’Irlande, la Bulgarie, Chypre, Malte, et la Slovaquie, n’ont pas reconnu Juan Guaidó. Au total seul 40 pays des 193 reconnus par les Nations Unies ont reconnu le premier mandataire autoproclamé Juan Guaidó.

[4Le blocus interdit au Venezuela l’accès aux marchés financiers internationaux, ce qui l’empêche de renégocier les titres de sa dette publique ou d’en solliciter de nouveaux. Il rend l’achat de pétrole léger en échange du raffinage de la matière première, ce qui entraîne de fortes baisses d’entrées de devises. Un processus mis en place par les États-Unis pour accélérer la chute.

[5https://www.lavanguardia.com/internacional/20190212/46411250884/juego-corrupicon-alexandria-ocasio-cortez.html. La vidéo de Alexandria Ocasio-Cortez sur la corruption institutionnalisée est devenu la vidéo politique la plus vue de l’histoire de Twitter avec 40 millions de consultations.

[6Le blocus interdit au Venezuela l’accès aux marchés financiers internationaux, ce qui l’empêche de renouveler ses titres de dette publique ou d’en solliciter de nouveaux. Il rend impossible l’achat de brut léger contre le raffinage de son pétrole brut ce qui entraîne de fortes chutes de l’entrée de devises. Un processus mis en place par les États-Unis pour précipiter la faillite.

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