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DIAL 2796

ARGENTINE - L’économie solidaire, antidote contre l’exclusion

Viviane Alonso

samedi 16 avril 2005, par Dial

Des milliers de travailleurs argentins construisent une économie solidaire sous forme de coopératives manufacturières et rurales, d’entreprises qu’ils reprennent après fermeture, en pratiquant l’autogestion et en favorisant la création de petits ateliers. Article de Viviane Alonso, IPS, février 2005.


En Argentine il existe de multiples exemples d’organisations qui ont des activités économiques poursuivant des objectifs différents de ceux du capital, avec des structures horizontales et une gestion démocratique et participative. C’est ce qu’affirme un document de l’Espace de l’économie sociale de la Centrale des travailleurs argentins (CTA) : il existe « dans le pays des exemples depuis plus de 100 ans. Aux traditionnelles coopératives, mu-tuelles et autres formes d’associations déjà existantes, vient s’ajouter l’apparition de micro-entreprises qui agissent de manière solidaire, regroupent leurs achats et mettent en œuvre de nombreuses alternatives d’économie populaire. »

Après la crise de 2001, qui a presque paralysé l’économie et causé de nombreux dégâts sociaux, des initiatives de ce type ont poussé comme des champignons.

La Centrale des travailleurs argentins ainsi que d’autres organisations sociales, politiques, universitaires et étudiantes réuniront différents secteurs afin de débattre et de décider des projets qui consolideront les expériences d’économie sociale comme alternatives à des modèles économiques pratiquant l’exclusion.

Parmi ces expériences, on compte des petits producteurs insérés dans des économies régionales, des travailleurs qui, devant la perte de leurs emplois, s’organisent pour reprendre l’entreprise, des communautés qui s’unissent pour répondre aux besoins essentiels tels que la santé, le logement ou la nourriture, et des initiatives qui, isolées, ne seraient pas viables, mais qui créent des espaces d’échanges et de collaboration.
L’économie sociale « change les règles actuelles du jeu, qui ne cherchent qu’à optimiser les bénéfices d’un petit nombre à partir de l’accumulation du capital. Elle améliore la qualité de vie des travailleurs et de leurs familles en répondant aux besoins de base par des actions fondées sur la coopération, la solidarité et l’autogestion » explique à IPS Soraya Giraldez, de l’Institut des études et de formation (IEF) de la Centrale des travailleurs argentins.

« Ces expériences marquent la possibilité d’avancer vers de nouvelles formes de distribution de la richesse », affirme-t-elle.

Il s’agit de chercher des formes plus justes dans l’organisation de la production, le travail, la consommation et la distribution. Ainsi la relation traditionnelle d’opposition entre le capital et le travail, propre au capitalisme, se transforme-t-elle en une construction alternative.
C’est ainsi que ces dernières années sont apparues ces usines abandonnées ou fermées par leurs propriétaires et récupérées par leurs employés, les entreprises d’autogestion, les coopératives rurales et les groupes de troc de biens et de services.

Ces formes fournissent un savoir-faire pour s’organiser, en même temps qu’elles satisfont les besoins de façon innovante et parviennent à remettre en question des aspects clef du système dominant, en remettant par exemple les moyens de production aux mains des travailleurs.

Les universités de Buenos Aires, La Plata et General Sarmiento, l’Institut mobilisateur des fonds coopératifs, la Fédération agraire argentine, le Centre Nueva Tierra, le comité local du Forum social mondial et de nombreuses organisations non gouvernementales travaillent sur cette proposition mise en avant par la Confédération des travailleurs argentins.

Avec des apports différents, ces entités essaient de créer des outils d’aide technique, de qualification et d’appui à la mise en marche de projets viables, et de donner également des conseils dans la formation des réseaux commerciaux et la coopération.

Elles collaborent également à la gestion des plans officiels d’aide au chômage dans le but de les canaliser dans des expériences de production, tout en accompagnant les travailleurs pour qu’ils obtiennent un appui des organismes publics et privés.

Mais les actions cherchent surtout à articuler et créer des instances d’organisation pour éviter l’isolement des expériences économiques et pour les encadrer dans un même projet politique et social.

Pour le moment, plus de 20 activités de production et de services dans la capitale du pays et la province de Buenos Aires ont fourni l’information sur leurs expériences, dans le but de créer une base de données pour coordonner le travail et faciliter la communication.

Pour la Confédération des travailleurs argentins, il est capital de créer un lieu, à partir de l’Institut d’études et formation, pour proposer une formation et des conseils techniques aux projets et pour faciliter les rencontres et les échanges entre les différentes initiatives.

Il est essentiel et capital d’identifier les obstacles à l’économie sociale, qui sont presque toujours d’ordre légal (ils se fondent sur de nouvelles formes associatives), mais aussi du domaine de l’impôt et du crédit.
La rencontre étudiera la question de l’accès à des crédits à faible taux, de la reprise des entreprises fermées et des espaces publics inutilisés, des circuits de vente sans intermédiaires et lancera un appel pour que l’Etat considère que ces activités puissent faire partie de plans alimentaires et sociaux.

Mais pour la Centrale des travailleurs argentins, l’engagement de l’Etat doit aller au delà de « l’assistanat » et doit être fondé sur des investissements pour proposer des chemins, encourager des industries spécifiques et contribuer à réactiver les économies régionales, l’une des clefs de la proposition qui sera mise en avant cette année.

« L’économie sociale n’est pas une économie de la pauvreté » mais une initiative qui exige la participation de l’Etat, « qui doit adopter des mesures visant à diminuer l’accumulation du capital » dans les secteurs dominants, déclare Giraldez.

La chercheuse se souvient que « jusqu’à l’arrivée de José Martínez de Hoz au ministère de l’économie (avec le coup d’Etat militaire de 1976), il y avait en Argentine plus de 200 établissements bancaires solidaires et qu’aujourd’hui il n’en reste pratiquement aucun ».

Selon la Centrale des travailleurs argentins « les conséquences du modèle d’exclusion, renforcé ces dernières années, sont bien connues ». Mais « au-delà de celles que l’on peut retrouver dans les indicateurs sociaux économiques, qui sont dramatiques, il existe une rupture inquiétante du lien social qui empêche de réaliser un développement endogène des communautés », affirme la centrale ouvrière.

Au commencement de cette année, 60% des salariés ne gagnaient pas le nécessaire pour couvrir les besoins élémentaires en biens et services pour un foyer de 4 personnes. Et à l’intérieur de ce groupe, 250 000 personnes sont devenues indigentes puisqu’elles ne pouvaient même pas acheter la nourriture de base.

Selon le très officiel Institut national des statistiques et du recensement, 44% des 37 millions d’Argentins sont pauvres, dont 17% vivent dans l’indigence. La portion des 10% les plus riches de la population a 26,3 fois plus de revenus que les 10% les plus pauvres .

Les 20% les plus riches reçoivent 53,1% des revenus, le secteur moyen (soit 40%) en perçoit 34,7% et les 40% restant, au plus bas de l’échelle, n’en reçoivent que 12,2%.

Selon Giraldez, « il faut que surgisse un acteur politique capable de générer des propositions, avec la possibilité de faire pression et de réaliser ses objectifs. En un mot, un collectif qui puisse produire des transformations ».

Dans de nombreux pays d’Amérique latine, comme le Venezuela et le Brésil, on est en train de mettre en route et d’institutionnaliser des projets d’économie sociale avec lesquels l’Argentine doit se mettre en relation.

Quant à l’accès aux lignes de micro-crédit venant de l’extérieur, Giraldez pense que « si des fonds arrivent, ils serviront dans la mesure où ici on pourra créer les conditions pour que les projets survivent ».

Toutes les entreprises d’économie sociale ne pourront pas non plus se projeter vers le marché extérieur, car elles pourront « difficilement rivaliser avec des entreprises de grande envergure ».

Aussi, une des clefs du succès sera, dit-elle, « de dynamiser le marché intérieur » encore déprimé par le chômage et le sous-emploi qui affectent plus de 5,5 millions d’Argentins, presque le tiers de la population économiquement active, soit 16,8 millions de personnes.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2796.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, février 2005.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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