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DIAL 2659

CHILI - L’anniversaire du 11 septembre chilien. Le dernier discours de Salvador Allende

lundi 1er septembre 2003, par Dial

ÉDITORIAL

IMPUNITÉ : avancées et reculs

Le 11 septembre 2003 est le trentième anniversaire du renversement du régime socialiste de Salvador Allende au CHILI et le début de la dictature du général Augusto Pinochet. L’expérience d’Allende avait suscité une grande espérance, non seulement dans le peuple chilien, mais à travers le monde. Nous publions le dernier discours prononcé par Allende le 11 septembre 1973 à la radio, avant qu’il ne soit abattu le jour même (cf. DIAL D 2659).

La question de l’impunité reste toujours d’actualité au Chili. Le président Ricardo Lagos tente d’introduire dans la législation chilienne la reconnaissance de « circonstances atténuantes » pour les auteurs de crimes de la répression, commis sous la dictature du général Pinochet de 1973 à 1990 (cf. DIAL D 2660). Quant aux enfants de ceux qui furent massacrés, torturés ou qui sont disparus, ils crient leur indignation face à l’impunité persistante au Chili (cf. DIAL D 2661).

C’est aussi le trentième anniversaire (exactement le 27 juin) de la prise de pouvoir des militaires en URUGUAY où ils sévirent de 1973 à 1985. Le premier rapport officiel sur les violations des droits humains durant ces 12 années de dictature vient de paraître. Aucun coupable des crimes commis sous la dictature n’est sous les verrous (cf. DIAL D 2662).

Toujours sur la question de l’impunité qui fait suite aux dictatures, en Argentine, les obstacles législatifs empêchant le jugement des militaires violateurs de droits humains sous la dictature (1976-1983) sont levés. Il est important de rappeler à ce sujet le rôle joué depuis quelques années par la pression internationale (cf. DIAL D 2663).

Une mauvaise nouvelle en ce domaine concernant le Guatemala : le général Ríos Montt qui fut pendant 16 mois de présidence (1982-1983) l’un des dictateurs les plus sanguinaires d’Amérique latine vient d’être autorisé par la Cour constitutionnelle à être candidat aux élections présidentielles du 9 novembre prochain (cf. DIAL D 2664).

Enfin, une bonne nouvelle pour terminer. Au Pérou vient de sortir le volumineux rapport, tant attendu, de la Commission de la vérité et de la réconciliation sur les crimes commis de 1985 à 1990 par les mouvements de guérillas et le pouvoir d’État (cf. L’actualité en bref, qui termine cette livraison de DIAL). Nous reviendrons ultérieurement sur cet événement.

DIAL


À l’occasion du trentième anniversaire de la mort du président Salvador Allende, nous publions le dernier discours qu’il a prononcé à la radio alors que les bombes détruisaient le Palais présidentiel de La Moneda et que la rébellion des militaires sonnait le glas de la démocratie.


Je paierai de ma vie la défense des principes qui sont chers à cette patrie. La honte rejaillira sur ceux qui ont renié leurs engagements et manqué à leur parole, comme ils ont renié la doctrine des forces armées…

Le peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer ni massacrer, mais il doit défendre ses conquêtes. Il doit défendre le droit de construire avec son travail une vie digne et meilleure…

En ce moment les avions nous survolent. Il est possible qu’ils nous criblent de projectiles. Mais sachez que nous sommes ici, ne serait-ce que pour affirmer par notre exemple que, dans ce pays, il y a des hommes qui savent accomplir leur devoir. Je le ferai comme représentant du peuple et avec la volonté lucide d’un président qui a conscience de la dignité de sa charge…

Compatriotes, il est possible qu’ils réduisent les radios au silence. Je prends congé de vous. Peut-être est-ce la dernière fois que j’ai l’occasion de m’adresser à vous. Les forces aériennes ont bombardé les tours des radios Portales et Corporación. Mes paroles n’expriment pas l’amertume mais la déception. Elles seront le châtiment moral de ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté, les soldats chiliens, les commandants en chef, l’amiral Merino qui s’est lui-même désigné comme tel, le général Mendoza, ce général vil qui, hier encore, manifestait sa solidarité et sa loyauté envers le gouvernement et qui s’est désigné lui-même commandant en chef des carabiniers.

Face à ces événements, il ne me reste qu’une chose à dire aux travailleurs : je n’abdiquerai pas. Situé en ce moment historique, je paierai de ma vie ma loyauté au peuple. Je vous dis avoir la certitude que la semence que nous avons enfouie dans la conscience digne de milliers et de milliers de Chiliens ne sera pas définitivement perdue. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais on n’arrête les mouvements sociaux ni avec le crime ni avec la force. L’histoire est nôtre, ce sont les peuples qui la font.

Travailleurs de mon pays, je veux vous dire ma gratitude pour la loyauté que vous avez toujours eue, pour la confiance que vous avez mise en un homme qui fut seulement l’interprète des grandes aspirations à la justice, qui s’est engagé à respecter la Constitution et la loi, et qui l’a fait.

C’est le moment final, le dernier où je peux m’adresser à vous. J’espère que la leçon sera comprise. Le capital étranger, l’impérialisme, uni à la réaction, ont créé le climat propice pour que les forces armées rompent avec leur tradition, celle que Schneider leur avait indiquée et que le commandant Araya avait réaffirmée, victimes du même milieu social qui doit aujourd’hui attendre dans ses maisons de conquérir le pouvoir avec l’aide de l’étranger, pour continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges.

Je m’adresse surtout à la femme modeste de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé davantage, à la mère qui a toujours su s’occuper de ses enfants. Je m’adresse aux cadres de la patrie, aux cadres patriotes, à ceux qui depuis longtemps luttent contre la sédition dirigée par les syndicats patronaux, syndicats de classe dont le but est de défendre les avantages d’une société capitaliste.

Je m’adresse à la jeunesse, à ces jeunes qui chantèrent et communiquèrent leur joie et leur esprit de lutte.

Je m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à ceux qui seront poursuivis parce que le fascisme est déjà présent depuis longtemps dans notre pays, perpétrant des attentats terroristes, faisant sauter les ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et les gazoducs, devant le silence de ceux qui avaient le devoir d’agir … l’histoire les jugera.

Radio Magallanes va sûrement être réduite au silence et le son paisible de ma voix n’arrivera pas jusqu’à vous. Peu importe, vous continuerez à m’entendre. Je serai toujours à vos côtés, mon souvenir sera au moins celui d’un homme digne qui fut loyal à sa patrie. Le peuple doit se défendre, mais ne pas être sacrifié. Le peuple ne doit pas se laisser abattre ni cribler de coups, et il ne doit pas non plus se laisser humilier.
Travailleurs de mon pays, j’ai foi au Chili et en son destin. D’autres hommes surmonteront le moment triste et amer où la trahison prétend s’imposer. Continuez à penser que s’ouvriront bientôt, beaucoup plus tôt que tard, les grandes avenues où passera l’homme libre pour construire un monde meilleur.

Vive le Chili, vive le peuple, vivent les travailleurs !

Ce sont mes dernières paroles. J’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain. J’ai la certitude que, du moins, il y aura une sanction morale qui châtiera la félonie, la lâcheté et la trahison.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2659.
 Traduction Dial.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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