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DIAL 2597

HAITI - Le contexte socio-politique et économique actuel

samedi 16 novembre 2002, par Dial

Une décision – la résolution 822 du 4 septembre 2002 - du Conseil permanent de l’Organisation des États américains (OEA) avait récemment suscité quelque espoir pour la levée de l’embargo en matière d’aide financière dont Haïti, le pays le plus pauvre du continent américain, fait l’objet tant de la part des États-Unis que de l’Union européenne. Mais cette décision est assortie de conditions que le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide aura du mal à respecter. La décision de l’OEA énumère en effet un certain nombre de points devant favoriser le déblocage de l’aide : ils concernent la nomination d’un nouveau Conseil électoral, l’arrestation des « auteurs et complices » de l’attaque du Palais présidentiel le 17 décembre dernier et des locaux de l’opposition les jours suivants ainsi que l’indemnisation des victimes de ces attentats, la réalisation d’un programme de « désarmement » indispensable à la création d’un climat de sécurité, etc. La lutte contre la corruption est d’autant plus difficile que celle-ci atteint le pouvoir en place. Il faut ajouter à cela l’incapacité dans laquelle se trouve Aristide, contrairement à ses promesses, d’indemniser les victimes d’une importante malversation financière (les fameuses banques de 12 %) liée à un système pyramidal de coopératives, etc. Des bandes armées circulent, dont beaucoup estiment qu’elles sont liées au pouvoir. La liberté de la presse est, selon l’avis même de Reporters sans frontières, fort mal assurée. Le discrédit du gouvernement de J.-B. Aristide ne fait que s’aggraver, tandis que la misère, la violence et l’impunité vont bon train. On lira ci-dessous une évaluation d’ensemble de la situation, sous la plume de Marc-Arthur Fils-Aimé, de l’Institut culturel Karl Lévêque, 22 septembre 2002 et une déclaration émanant de la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens à l’occasion du onzième anniversaire du coup d’État du 30 septembre 1991 effectué par le général Raoul Cédras et qui entraîna la fuite du président Aristide. Ces deux textes ont été publiés par le Service-Haïti de l’Entraide missionnaire, Montréal, Canada.


Depuis les élections législatives partielles et municipales de 2001, Haïti se trouve confrontée à de nouvelles difficultés. Sous des traits de crise permanente qui ont toujours caractérisé la société haïtienne depuis sa naissance en tant qu’État et nation, d’autres éléments pervers s’y amoncellent pour dégrader davantage la situation de la majorité de la population. Le retour en octobre 1994 à l’ordre constitutionnel du président Aristide qui a été lâchement démis de ses fonctions par les militaires en septembre 1991 n’a pas donné l’effet escompté. En effet :

Sur le plan politique, le président Aristide a inauguré son quinquennat sur un fond de crise, dû aux malversations de natures diverses qui ont jonché les comices de mai 2001. Les protestations qui s’en sont suivies ont perturbé la journée du 22 novembre de la même année, quand Aristide a été une deuxième fois élu comme chef d’État. Cette fois-ci, 5% seulement environ de la population en âge de voter avaient participé à ce geste citoyen. Une opposition structurellement faible, et sans vision propre, a offert à ladite communauté internationale, sous la baguette des États-Unis d’Amérique, un terrain propice pour arracher du président les dernières miettes des ressources matérielles et de la souveraineté nationales. Cette opposition ne sert que d’épouvantail aux puissances étrangères pour coincer dans des négociations savantes de l’Organisation des Etats Américains (OEA), l’occupant du palais national.

Celui-ci est devenu une marionnette de cette dernière où il est astreint de céder à toutes ses obligations néolibérales au nom du marché-roi.

Ainsi est-il dévidé de toute son ancienne contenance idéologique qui faisait de lui un leader charismatique à vocation farouchement nationaliste. Les slogans souverainistes et autogestionnaires ont totalement disparu de son vocabulaire politique au profit d’un discours noiriste dangereux.

Sous le prétexte de recoudre le tissu social haïtien déchiré par les luttes internes entre Lafanmi Lavalas et la Convergence démocratique, tout en niant volontairement toute possibilité d’alternative réelle à la crise, les bailleurs de fonds internationaux avaient suspendu toute aide et tout prêt au gouvernement Lavalas. Pourtant, ce refus de collaboration au niveau financier profitait politiquement, dans une certaine mesure, certes, au pouvoir. Il sert de paravent aux dirigeants pour cacher leur incapacité de gérer le pays et de le mettre sous une direction viable, comme la grande majorité des Haïtiens l’espéraient en 1990-1991.

Face à la rancœur grandissante de toutes tes catégories sociales, le président Aristide a institué de manière informelle une sorte de milice, que la sagesse populaire identifie sous le nom de « chimè ». Ces bandes, armées parfois très lourdement, sont formées de gens venus en général des milieux très pauvres. Elles attaquent en tous moments et en tous lieux des passants, bloquent les rues, dressent des barricades, cassent les vitres des voitures, tuent, violent et interdisent les réunions. Ces bandes ne s’en prennent pas aux leurs, c’est-à-dire à ceux qui ouvertement, soutiennent le président Aristide. Ce sont de véritables hordes de mercenaires, hors et au-dessus de la loi. Un tel comportement du pouvoir, en plus de tous les autres problèmes sociaux et économiques, isole de plus en plus Aristide du reste de la population.

Haïti vit une dictature rampante qualitativement différente de celle des Duvalier, par exemple. Ceux-ci ne cachaient pas la dureté de leur régime qui, au nom de leur anticommunisme, recevaient l’appui presque inconditionnel des puissances occidentales. Aujourd’hui, la présidence et le gouvernement ne cessent de proclamer leur volonté démocratique alors que partout, le désordre, l’anarchie, l’intolérance soutenue par une impunité institutionnalisée caractérisent la conjoncture politique depuis bientôt deux ans.

Sur le plan économique et social, le pays s’enlise dans une régression qui n’épargne aucun secteur de la vie nationale. Avec la chute de la monnaie nationale, le salaire minimum équivaut en chiffre absolu à celui des années 80, une décennie qui connaissait un taux de chômage inférieur à celui d’aujourd’hui. L’analphabétisme, la mortalité infantile, et tous les autres indicateurs qui définissent le mal-développement maintiennent leur courbe ascendante.

Haïti est devenue totalement dépendante, en premier lieu des États-Unis, pour l’importation de tout, même des produits agricoles comme le riz, le sucre que naguère, elle exportait. Avec le marché libre, la tendance à l’extinction quasi totale de la production nationale s’accentue. La privatisation réelle ou rampante des usines comme la Minoterie, le Ciment d’Haïti, la Télécommunication, etc. qui, autrefois, garantissaient tant bien que mal, malgré la corruption, une certaine marge de manœuvre financière à l’État et aux différents gouvernements, rend ces derniers encore moins autonomes dans leur gestion de la chose publique, et dans des décisions qu’ils auraient prises en faveur du peuple haïtien.

Cette dure réalité porte de plus en plus de personnes ou de groupes de personnes à évoquer le temps de Duvalier où les valeurs morales et le niveau de la vie paraissaient meilleurs. Cette analyse facile oublie ou sous-estime dans quelle condition de répression ouverte cette apparence se maintenait. Parallèlement à ce discours imprégné de remords, un autre se répand surtout subtilement dans certains milieux de la petite bourgeoisie intellectuelle. On réintroduit Préval, sous la forme d’un ballon d’essai en parlant de son tempérament honnête. On veut faire de lui quelqu’un qui aurait pu bien diriger le pays si ce n’était l’emprise et la mauvaise foi d’Aristide. Est-ce une tactique pour reconduire Lafanmi Lavalas au pouvoir ?

Aujourd’hui, malgré toutes les preuves d’inconsistance fournies par le pouvoir en place, l’OEA vient de voter au tout début de ce mois de septembre, une résolution, la 822, qui délie les bourses des bailleurs de fonds internationaux en faveur de ce pouvoir. À moins que ce relâchement soit totalement conditionné au respect de toutes les clauses de ce renforcement de la mise sous tutelle du pays, le numéro 11 de ce contrat « libère » le staff dirigeant pour lui permettre de monnayer davantage sa base. L’opposition traditionnelle, il est vrai, concentrée dans la Convergence démocratique ne représente aucune force véritable, capable de remplacer le régime en place.

Ce constat évident ne permet nullement à cet organisme continental de consolider ce régime et de lui offrir les moyens pour perpétuer sa débile gestion qui depuis 94 affaiblit l’Etat, enlève l’espoir de ses citoyens à un point tel qu’à nouveau des cadres, parmi les mieux préparés, des jeunes fraîchement sortis de l’école ou de l’université, abandonnent le pays pour aller s’installer ailleurs. Le phénomène des boat people a repris de l’ampleur. De plus en plus de femmes et d’hommes se sentant encore capables de travailler et qui ne possèdent pas les moyens d’obtenir légalement un visa pour un pays étranger s’aventurent en mer où les garde-côtes américains et bahaméens les captent et les refoulent comme de vrais parias sur le warf de Port-au-Prince. Ils reçoivent moins de 10$ US d’un office gouvernemental pour regagner leur maison.

Le mouvement social haïtien, notamment les organisations populaires, évolue dans cette ambiance délétère. La déception presque générale qui envahit tous les espaces sociaux gangrène aussi les groupes de base qui sont à la merci des plus offrants, soit du pouvoir, soit de l’opposition traditionnelle qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule pour les coopter, ou faute de quoi, pour les annihiler. Pourtant le nombre de groupes ou de leurs membres qui résistent depuis le Coup d’État pendant que le consulat américain les décapitait en offrant des visas à leurs meilleurs cadres, ne cessent d’augmenter. De plus en plus de jeunes dirigeants et de dirigeantes avec une vision plus consciente de leur avenir et de celui de leur pays, embrassent la lutte. Leurs efforts et l’effet multiplicateur qui en résultera, méritent l’encouragement et le soutien des institutions et de toutes les forces à vocation alternative.

***

Implication pour le futur, l’année 2003

Aucun signe probant d’un changement qualitatif dans la conjoncture n’est à espérer dans les prochains mois. Les différents protagonistes de la crise électorale n’ont pas avancé d’un pouce dans le jeu du chat et de la souris qu’ils exposent au grand public. Leurs positions de départ, malgré les éléments de propositions qui ont été produits lors des négociations de juillet 2001 demeurent presque figées. C’est cette réalité qui explique la position de l’OEA avec la résolution 822. Cette institution qui se considérait jusque-là comme médiatrice a, de façon unilatérale, soumis un mode de résolution de la crise. Entre autres dispositions, signalons ces éléments :

 Encouragement de l’OEA adressé aux bailleurs de fonds internationaux pour la reprise de la coopération économique et financière avec Haïti.

 Tenue des élections législatives et municipales au cours du premier semestre de l’année 2003.

 Poursuite judiciaire des responsables des casses survenus le 17 décembre 2001.

 Réparations des dommages causés aux victimes du 17 décembre.
Vu que la crise haïtienne n’est pas seulement une simple question de conflit électoral, la proposition de l’OEA ne pourra qu’atténuer ou ajourner la tension. Ainsi, ne faut-il s’attendre à aucun vrai changement capable d’améliorer la situation des masses populaires. Celles-ci doivent continuer à lutter en même temps pour leur survie immédiate, et pour la mise en place de conditions pour une vie humaine qui répond aux conditions de ce 21ème siècle.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2597.
 Source (français) : Entraide missionnaire (Montréal, Canada), septembre 2002.

En cas de reproduction, mentionner au moins la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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