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ARGENTINE - A propos de deux « scandales » concernant des évêques, Morale à géométrie variable au Vatican (Alain Durand, Témoignage chrétien)

vendredi 16 septembre 2005, mis en ligne par Dial

Deux événements se sont produits dans l’Eglise d’Argentine cette année, qui méritent d’être rapprochés l’un de l’autre.

Le premier concerne des propos tenus par l’évêque argentin aux armées, Antonio Baseotto, qui a menacé de « jeter à la mer, avec une pierre autour du cou, le ministre de la santé favorable à la dépénalisation de l’avortement ». Cette phrase - qui rappelle un texte évangélique concernant le sort de ceux qui scandalisent les enfants - évoque aussi en Argentine la pratique des militaires au temps de la dictature qui jetaient dans le Rio de la Plata des opposants au régime à partir d’un avion. Le président Kirchner a demandé au Vatican la révocation de l’évêque. Elle fut refusée. De plus, le cardinal Renato Martino, président de la Commission pontificale Justice et Paix fit l’éloge de l’évêque aux armées pour son opposition à l’avortement et à la distribution de préservatifs. Il lui écrivit : « Je vous fais parvenir ma solidarité avec votre déclaration, qui constitue une véritable défense de la personne humaine et de ses droits. »

Le second événement date du mois d’août. Mgr Juan Carlos Maccarone était évêque de Santiago del Estero, un des Etats argentins où le pouvoir a été pendant plusieurs décennies entre les mains d’un véritable groupe maffieux qui n’a pas hésité à jouer de la corruption et du meurtre. Mgr Juan Carlos Maccarone s’est comporté en homme courageux dans une situation périlleuse, prenant hardiment la défense des pauvres et de tous ceux que le pouvoir exploitait de façon éhontée. Il s’était plaint, il y a deux mois, d’agents secrets l’espionnant. Tout récemment, ce même évêque a été filmé au cours d’une relation homosexuelle avec un jeune adulte. Le film, tourné à son insu par son propre partenaire, fut envoyé à la presse et au Vatican. L’évêque de Santiago del Estero présenta sa démission, qui fut immédiatement acceptée par le Vatican.
Cette acceptation n’est pas pour surprendre, et on voit mal comment il aurait pu en être autrement. Mais une question naît du contraste ainsi créé entre le soutien accordé par le Vatican à l’évêque aux armées et le sort réservé à l’évêque de Santiago del Estero.

Le constat concernant l’évêque Maccarone peut se résumer ainsi : la sexualité reste la loi suprême et le critère le plus décisif en matière de morale. La pratique de la justice, le choix concret pour les pauvres, la défense des opprimés victimes d’un pouvoir crapuleux ne pèsent pas lourd face à une pratique sexuelle jugée déviante. Telle est la logique ecclésiale généralement dominante. C’est elle que l’on retrouve dans les propos de l’évêque aux armées. Menacer un ministre qui veut dépénaliser l’avortement devient tout à fait normal, et même hautement louable : les droits d’un homme adulte - en l’occurrence le ministre de la santé que l’on accuse de « délit d’homicide » - et le respect des femmes en situation de détresse (auxquelles on interdit même l’usage de préservatifs) peuvent être légitimement bafoués pour sauver des embryons.

On peut objecter à ma présentation que l’avortement est bien le meurtre d’un être humain, donc aussi un acte contraire à la justice. En fait, si tel était vraiment le point de vue des défenseurs de la morale, pourquoi mêler avortement et préservatifs dans une même condamnation alors qu’aucun esprit moyennement éclairé ne peut faire s’équivaloir ces deux pratiques, pourquoi les « droits de la femme » sont-ils ignorés au profit des « droits de l’embryon », pourquoi s’acharne-t-on à confondre dépénalisation de l’avortement et avortement, pourquoi refuse-t-on toute distinction entre un problème de législation et une loi morale, pourquoi ose-t-on affirmer que les promoteurs de cette dépénalisation se rendent coupables d’un « délit d’homicide » ? Derrière la défense apparente des embryons, c’est tout un ordre moral qui se cache concernant le comportement sexuel que l’on veut défendre à tout prix. Le problème n’est pas qu’il y ait une « morale de la sexualité » puisque celle-ci relève de l’agir responsable de l’homme. Le problème est que le respect de la justice doive céder la place devant la toute-puissance de l’ordre sexuel.

L’ordre des choses proposé par Jésus dans les Evangiles est à l’inverse de celui qui est mis ici en pratique. Jésus ne cesse de rappeler que le critère dernier est toujours celui de la justice dans le comportement, et donc la prise en compte prioritaire de la situation des pauvres, non celui du comportement sexuel. La double histoire ici rappelée témoigne de l’inversion des valeurs à laquelle il est procédé dans la compréhension de l’Evangile. Le nombre de fois où Jésus reproche à ses contemporains leur conduite sexuelle est insignifiant par rapport aux reproches répétés qu’il leur adresse en matière de justice et de respect des pauvres. L’Evangile est presque silencieux sur le premier point et incroyablement abondant sur le second. Reprenant la parole de Jésus, ne pourrait-on pas dire aujourd’hui : « Les homosexuels et les femmes que vous laissez avorter dans la plus grande détresse vous précéderont dans le Royaume de Dieu. »

S’il y a en cette histoire quelque chose de rassurant, c’est la réaction du porte-parole de l’archevêché de Buenos Aires, Guillermo Marcó, qui a dénoncé dans l’affaire de l’évêque de Santiago del Estero une manœuvre de « vengeance politique ». Au cours d’une émission à radio Continental, il a déclaré à propos de l’évêque : « Personne ne peut faire objection à son travail pastoral, qui l’a situé aux côtés des plus pauvres, très engagé avec les gens ». De son côté, l’épiscopat argentin, après avoir évoqué la douleur et la déception du peuple, a exprimé à l’évêque sa reconnaissance pour son « travail de six années au service des pauvres et de ceux dont la vie et la foi sont menacées ». Lorsqu’on sait l’ancienne compromission de cet épiscopat avec une dictature insensible à la misère des pauvres, on mesure le chemin parcouru. Une pratique sexuelle déterminée ne peut pas disqualifier tout un engagement au service des pauvres. Voilà une « nouvelle » façon de voir qui se rapproche fort heureusement de l’ordre des priorités mis en œuvre dans les évangiles.

Il convient, pour finir ces brèves réflexions, de laisser la parole à un prêtre argentin, le Père Leonardo Belderrain déclarant que l’Eglise « d’après Maccarone », pourrait être celle qui « reconnaît ses pulsions, plus miséricordieuse, probablement plus semblable à Jésus... Jésus n’est pas venu proposer aux hommes un modèle vaniteux de vertus, mais il est venu nous dire que nous pouvons aimer au-delà de la douleur et de l’humiliation. »


Source : Témoignage chrétien du 6 au 14 septembre - n° 3169.

Alain Durand est dominicain. Il est directeur de Dial (Diffusion de l’information sur l’Amérique latine)

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