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DIAL 3095
EL SALVADOR - Assassinats de militants écologistes
Edgardo Ayala
lundi 1er mars 2010, mis en ligne par
Avec cet article de Edgardo Ayala publié par Noticias Aliadas le 4 février 2010, nous continuons notre tour d’horizon des conflits et dégâts provoqués par les projets d’exploitation minière de grande ampleur. Ce texte fait suite aux deux articles publiés dans le numéro de janvier, l’un sur le Costa Rica (« COSTA RICA - Le vert ou l’or ? »), et l’autre sur le Pérou (« PÉROU - Une mine engloutit une ville »), ainsi qu’à celui publié dans le numéro de janvier 2009, sur la Colombie (« COLOMBIE - Des communautés de villageois s’affrontent à une entreprise minière »).
Entre juin et décembre 2009, trois défenseurs de l’environnement très critiques sur les mines de métaux ont été assassinés dans le département central salvadorien de Cabañas. Selon ce que dénoncent les écologistes et les habitants de la région, le mobile des crimes pourrait être en effet en relation avec leur opposition à cette activité.
Depuis que l’entreprise Pacific Rim El Salvador, filiale du groupe canadien Pacific Rim Mining, a commencé en 2002 les travaux d’exploration minière dans la mine El Dorado à 65 km au nord-est de San Salvador, à Cabañas, des associations de défense de l’environnement, des organisations religieuses et de droits humains ainsi que des habitants de la zone mènent une campagne permanente contre les activités de la compagnie car ils considèrent que l’extraction des métaux entraîne pour la santé et pour l’environnement des conséquences néfastes dues à l’usage du cyanure dans le processus de production.
L’entreprise n’a pas suspendu ses opérations, bien que le permis d’exploitation de l’or et de l’argent lui ait été refusé par les autorités en décembre 2008, à cause précisément du rejet de cette industrie par la population ; en pleine campagne électorale, ce rejet a incité le président d’alors, Antonio Saca, de l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA), à refuser une telle autorisation.
Devant ce refus du gouvernement, la compagnie a mis en route en décembre 2008 un processus d’arbitrage commercial en s’abritant derrière les clauses de l’Accord de libre-échange de l’Amérique centrale et de la République dominicaine avec les États Unis (DR-CAFTA pour son sigle en anglais) qui protègent les investissements étrangers. Elle exige le règlement d’une somme de 70 millions de dollars en compensation des pertes subies pour avoir investi cet argent et n’avoir pas obtenu l’autorisation. L’arbitrage est traité à Washington par le Centre international de règlements des conflits relatifs aux investissements (ICSID pour son sigle en anglais), affilié à la Banque mondiale.
Les victimes
La première victime a été Marcelo Rivera Moreno, 37 ans, membre de l’Association des Amis de San Isidro Cabañas (ASIC) et l’un des principaux militants contre les opérations de la Pacific Rim dans la région. Il a été trouvé mort le 30 juin 2009 au fond d’un puits, 12 jours après sa disparition.
Rivera Moreno appartenait aussi à San Isidro à la structure locale du parti gouvernemental du Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN) qui, à ce moment là, a demandé une enquête exhaustive sur le crime.
Par ailleurs, Ramiro Rivera Gómez (sans lien de parenté avec Rivera Moreno), 53 ans, du Comité environnemental de Cabañas (Comité Ambiental de Cabañas, CAC) a été assassiné le 20 décembre dernier alors qu’il se déplaçait avec sa camionnette dans un chemin rural du canton de Trinidad, dans la juridiction de Sensuntepeque, Cabañas. Il fut attaqué par des individus qui tirèrent sur lui avec des fusils M-16.
Rivera Gomez avait déjà été l’objet d’une tentative d’homicide le 7 août 2009 et jouissait pour cela d’une protection policière. Mais les deux agents qui l’accompagnaient furent débordés par la puissance de feu des fusils d’assaut.
La troisième victime a été Dora Alicia Sorto, 32 ans, membre aussi du CAC. Elle fut criblée de balles le 26 décembre, à Trinidad également, alors qu’elle revenait de laver du linge dans une petite rivière ; elle a été enlevée par des individus qui la tuèrent avec le même type de fusil. Sorto était enceinte de huit mois et son fils de deux ans qui l’accompagnait a été blessé.
Les militants environnementaux et les habitants de la région où opère la compagnie canadienne soutiennent que derrière ces assassinats se trouve la transnationale, qui aurait recours à une campagne de terreur pour faire taire les dénonciations des défenseurs de l’environnement, bien que pour le moment il soit difficile pour eux de prouver cette connexion.
« On en est arrivé aux extrémités ; nous avons de véritables martyrs de l’environnement à Cabañas, et moi, je rends personnellement l’entreprise Pacific Rim responsable de ces meurtres » a déclaré à Noticias Aliadas Ricardo Navarro, directeur du Centre salvadorien de technologies appropriées (CESTA) lors d’une veillée célébrée le 8 janvier dernier dans le canton de Trinidad en soutien aux familles des victimes.
« Ce sont eux (Pacific Rim) les responsables moraux. Je ne sais pas si le président de la compagnie a commandité ou non les assassinats, mais ce que je sais c’est qu’ils sont venus ici avec l’intention d’extraire l’or et l’argent, et ce sont eux qui ont créé tout ce climat de violence », a ajouté Navarro, un des militants environnementaux les plus importants du pays.
Navarro se réfère au fait que depuis l’arrivée de l’entreprise canadienne ont eu lieu des assassinats et des manifestations de violence inhabituelle dans une région comparativement plus tranquille que le reste du pays qui vit depuis longtemps une poussée de violence. Le nombre d’homicides dans le pays atteint 52 pour 100 000 habitants, selon les données de la police.
Mobiles du crime
Au début, les enquêteurs de la Police nationale civile (PNC) ont considéré que le mobile des assassinats pouvait venir de querelles de famille auxquelles auraient été mêlées les victimes. Cette version est récusée par les défenseurs de l’environnement qui pensent que c’est une tentative pour dissocier ces crimes de ce qui devrait être la principale piste de recherche : la Pacific Rim.
Cependant, le sous-directeur des opérations de la PNC, Howard Cotto, a assuré à Noticias Aliadas que la police est ouverte à toutes les hypothèses et n’écarte aucune piste de recherche, y compris celle qui vise la compagnie canadienne.
S’il est vrai que nous ne pouvons affirmer aujourd’hui que le mobile de tous les crimes a ou non quelque chose à voir avec les mines, ce qui est clair c’est que dans toutes les régions où Pacific Rim a entrepris des explorations minières, de graves conflits sont apparus, a signalé Cotto. « Mais il n’est pas correct qu’en tant qu’institution, nous nous prononcions en faveur d’une position ou d’une autre si nous n’avons pas encore de preuves. »
Le président de Pacific Rim, Tom Shrake, dans un entretien téléphonique accordé le 6 janvier dernier à Jesse Freeston, journaliste du site d’information The Real News Network, a nié qu’il y ait un lien quelconque entre les crimes et la compagnie qu’il préside.
« Une avalanche continuelle de déclarations relient ces assassinats à Pacific Rim et il n’existe absolument aucune preuve, mais les déclarations continuent », a-t-il affirmé.
« Je ne crois pas que les meurtres dans la région de Trinidad aient quelque choses à voir avec les mines » a-t-il déclaré. « Ces gens étaient déjà en conflit bien avant notre arrivée ».
La fièvre de l’or
Le livre El lado oscuro del oro : impactos de la minería en El Salvador (« La face cachée de l’or : impact de l’industrie minière à El Salvador »), écrit par Florian Erzinger, Luis González et Ángel M. Ibarra et publié en décembre 2008, affirme que l’Amérique centrale souffre d’une « nouvelle fièvre de l’or » avec l’exceptionnelle montée du prix de l’once d’or qui a atteint 1 000 dollars.
Dans le cas salvadorien, près de 29 projets d’exploration minière ont été approuvés depuis 2006 et 25 d’entre eux prétendaient commencer des travaux d’extraction à charge de 11 entreprises minières transnationales. Mais les projets sont restés en suspend après le refus officiel qui a été donné à Pacific Rim.
Le nouveau gouvernement de Mauricio Funes, arrivé au pouvoir le 1er juin dernier sous les auspices du FMLN, de gauche, n’est pas non plus disposé à octroyer de telles autorisations.
Le total à extraire dans ces 25 projets miniers atteindrait les 12 millions d’onces d’or, plus 78 millions d’onces d’argent, selon le livre cité plus haut. Dans le processus on utiliserait jusqu’à 160 millions de litres d’eau et on ferait emploi de quelque 950 tonnes de cyanure, produit toxique mortel.
La Pacific Rim extrairait de la mine El Dorado 1,4 million d’onces d’or, indiquent les auteurs du livre, et ils évaluent à 10 milliards de dollars le total des gains que produiraient dans leur ensemble les 25 projets.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3095.
– Traduction de Bernard & Jacqueline Blanchy pour Dial.
– Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 4 février 2010.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, les traducteurs, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.