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DIAL 2300
BRÉSIL - Le verdict du Tribunal de la dette extérieure
Tribunal de la dette extérieure
mardi 1er juin 1999, mis en ligne par
Au mois d’avril 1999 s’est tenu à Rio de Janeiro le Tribunal de la dette extérieure, avec l’appui de nombreuses organisations, dans le but de renforcer la campagne actuelle en faveur de l’annulation de la dette extérieure (cf. DIAL D 2192, D 2243, D 2288). On lira ci-dessous le verdict de ce tribunal, en date du 28 avril 1999, dont l’intérêt réside surtout dans les arguments avancés en faveur de l’annulation.
Le Tribunal de la dette extérieure s’est réuni du 26 au 28 avril 1999, dans le Théâtre João Caetano à Rio de Janeiro, Brésil, où fut pendu Tiradentes, héros et martyr de l’indépendance, en présence et avec la participation de 1200 personnes venues de tout le Brésil et de divers pays du monde. Avec l’appui de la CNBB - Conférence nationale des évêques du Brésil et Caritas, CONIC - Conseil national des Églises chrétiennes, CESE - Coordination œcuménique de services, CMP - Centrale de mouvements populaires, MST - Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, l’IAB - Institut des avocats brésiliens, avec l’appui du CORECON/RJ - Conseil régional de l’économie de Rio de Janeiro, SENGE/RJ - Syndicat des ingénieurs de Rio de Janeiro, SINDECON/RJ - Syndicat des économistes de Rio de Janeiro, IERJ - Institut des économistes de Rio de Janeiro, PACS - Institut de politiques alternatives, et Koinonia, le tribunal a eu comme objectif de traiter le cas de la dette extérieure du Brésil et de renforcer la campagne du Jubilé 2000 en faveur de l’annulation de la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés.
Le Brésil, comme quelques autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes, est un des pays considérés comme émergents et dont le niveau de revenu est moyen. Il est également un des pays du monde qui a un des pires profils en ce qui concerne la répartition des richesses, avec un quart de sa population - 40 millions de personnes - situé en-dessous du seuil de pauvreté. Aussi un des objectifs du Tribunal fut-il d’identifier le rapport entre la dette extérieure et cette situation d’injustice et de misère.
Outre l’identification des facteurs qui sont à l’origine de la dette extérieure, qui la constituent et qui l’augmentent, outre l’identification de ses responsables, le Tribunal a eu pour but de définir des politiques alternatives et des stratégies pour surmonter le mieux possible la crise de l’endettement extérieur et ses conséquences sur la société et l’environnement.
Après avoir étudié une très importante documentation, écouté des dépositions et des témoignages de Brésiliens et de spécialistes d’autres pays, lors de quatre sessions - sur le système financier international, sur l’endettement brésilien, sur les cas exemplaires d’endettement d’autres pays et sur des perspectives d’actions pour affronter et dépasser la crise de l’endettement brésilien -, le Tribunal populaire, constitué par des représentants de divers secteurs de la société brésilienne, est arrivé au verdict suivant :
Les considérants :
1. D’après des études et des données présentées au Tribunal, la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés a déjà été payée et est impayable dans le système actuel de comptabilité.
2. La dette brésilienne, depuis la dernière renégociation il y a 5 ans, est passée de 148 milliards de dollars à la fin de 1994 à 235 milliards de dollars en novembre 1998 et, pendant cette période, ont été payés près de 126 milliards de dollars aux créanciers extérieurs. Cette vitesse de l’endettement devient insupportable, au point que presque tous les nouveaux contrats sont destinés au service de cette dette, créant ainsi un cercle vicieux d’endettement.
3. La décision unilatérale des États-Unis d’Amérique à la fin des années 70 d’augmenter le taux des intérêts du niveau historique de 4 % à 6 % à plus de 20 % en quelques mois a été une trahison de l’esprit des contrats d’origine. De plus, le fait d’avoir forcé les pays débiteurs à contracter des prêts pour payer les intérêts a entraîné un paiement supplémentaire qui a représenté une perte de 106 milliards de dollars pour l’Amérique latine.
4. Le fait que les créanciers imposent aux débiteurs une taxe de risque pour se protéger d’une éventuelle incapacité de paiement donne à ceux-ci le droit de se déclarer insolvables sans charges supplémentaires.
5. Les gouvernements liés à de grandes entreprises et à des banques endettées avec l’étranger ont nationalisé leur dette extérieure privée, nationalisant ainsi les coûts et augmentant encore plus le poids public de la dette extérieure.
6. Des entreprises publiques stratégiques ont été utilisées comme des instruments de surendettement, compromettant leur santé financière et leur capacité d’investissement, ce qui a servi de prétexte pour leur privatisation postérieure.
7. Il existe un lien explicite entre la dette extérieure, l’endettement public interne excessif et la recherche de capital extérieur à court terme, ce qui soumet le pays à une politique de taux d’intérêts très élevés.
8. Le gouvernement, qui a fait du système financier une priorité absolue et une fin, a sacrifié la part du budget consacrée aux dépenses prévues pour les politiques sociales et de dynamisation de l’économie intérieure, afin de maintenir à jour le paiement des dettes. Le résultat a été l’abandon de la politique de la santé, de l’éducation, de l’emploi et du logement populaire, de démarcation et de garantie des terres indigènes et des conditions de survie des indigènes en tant que peuples, de la prise en compte des personnes âgées et des enfants, de la réalisation de la réforme agraire, de la conservation et de la récupération du milieu ambiant.
9. Les conséquences désastreuses des politiques économiques et d’ajustement du FMI sont bien connues des pays qui y sont soumis. Et elles ne servent qu’à augmenter encore plus la dette et d’autres passifs extérieurs de ces pays en créant un moratoire sans fin des dettes sociales et environnementales dont les créanciers sont les enfants, les femmes et les travailleurs ruraux ou citadins, les Noirs, les peuples indigènes et la nature.
10. Les États-Unis manipulent l’ONU, l’OMC, le FMI, la Banque mondiale et l’OTAN en fonction de leurs stratégies hégémoniques et de contrôle des peuples de la terre.
11. L’endettement public brésilien a toujours favorisé les intérêts et les privilèges des élites dominantes.
12. L’endettement brésilien excessif a été généré surtout dans les trois dernières décennies marquées par 21 ans de dictature et par la transition vers des gouvernements civils qui ont soumis la politique économique au capital financier.
13. Cet endettement a été contracté par des régimes de dictature et donc illégitimes et anti-populaires, et les créanciers de ces régimes, outre le fait d’avoir été leurs complices, avaient conscience des risques qu’impliquaient ces prêts.
14. L’augmentation de la dette est liée aux élites brésiliennes qui dans toute l’histoire et jusqu’à aujourd’hui ont été complices des institutions financières extérieures, autant privées et officielles que multilatérales.
15. La dette extérieure constitue une violation continue du pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels fixés par l’ONU le 16/12/66, qui exige la reconnaissance du droit de chaque nation à l’autodétermination, au développement économique ainsi qu’à la libre disposition de ses richesses et ressources naturelles et qui stipule également qu’en aucun cas un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
Les membres du Tribunal de la dette extérieure décident à l’unanimité :
La dette extérieure brésilienne, pour avoir été constituée en dehors des cadres légaux nationaux et internationaux, sans consultation de la société, pour avoir favorisé presque exclusivement les élites au détriment de la majorité de la population et pour avoir porté atteinte à la souveraineté nationale, est injuste et insoutenable éthiquement, juridiquement et politiquement. Dans les faits elle a déjà été payée et ne continue à exister que comme un mécanisme de soumission et d’asservissement de la société au pouvoir financier de l’usure et de la mondialisation du capital, et au transfert des richesses vers les créanciers. Pour cela, ce tribunal considère comme inique et illégitime le processus d’endettement brésilien parce qu’il est subordonné aux intérêts du capital financier international et des pays riches, appuyés par des organismes multilatéraux. Il déclare les élites dominantes responsables de cet endettement excessif et de l’abandon de tout projet propre au développement du Brésil.
Il déclare responsables les gouvernements et les politiques qui appuient et favorisent la subordination du Brésil à l’économie mondiale. Il déclare responsables les économistes, les juristes, les artistes et les intellectuels qui fournissent à cette subordination des fondements techniques et idéologiques. Il déclare responsable la dictature des grands moyens de communication, qui essaient de légitimer la dette et bloquent tout le débat en faveur de solutions alternatives.
Il décide de plus de communiquer aux autorités législatives, exécutives et judiciaires de l’Union, des États et des municipalités cette décision afin que la structure et la fonction de ce tribunal soient légitimement respectées.
Fondant son espoir dans les luttes populaires pour des choix alternatifs de vie, de relations sociales, d’organisation de l’économie et de la société, le tribunal propose à tous les Brésiliens et Brésiliennes les engagements et les stratégies d’actions suivants :
– L’union de tous les peuples en faveur de l’annulation générale et sans réserve des dettes extérieures des pays à bas revenus les plus endettés, le retour des richesses dont on les a dépossédés, sans autre condition sinon celle d’utiliser les ressources économisées pour le rachat des dettes sociales sous le contrôle de la société elle-même et du plein respect des droits humains de tous les citoyens.
– Pour un audit de la dette publique extérieure et de tout le processus d’endettement brésilien, avec la participation active de la société civile, afin de vérifier sur le plan comptable et juridique s’il existe encore une dette à payer, par qui elle doit être encaissée, et d’établir des normes démocratiques pour le contrôle de l’endettement.
– Pour un moratoire visant l’annulation de l’accord avec le FMI et la redéfinition des dettes basée sur les résultats de l’audit et sur l’affirmation de la souveraineté nationale.
– Pour une politique de développement centrée sur les droits de la personne et de la société et appuyée principalement sur les ressources matérielles et humaines du pays, en dépassant la logique et la pratique de l’endettement irresponsable en vigueur actuellement.
– Pour le ferme contrôle des échanges, afin que l’État puisse freiner la spéculation et restimuler l’investissement productif en incluant des mécanismes effectifs de contrôle, de fiscalisation de toutes formes d’entrées et de sorties illégales de monnaies (nationale et étrangères) et de toutes formes de marchandises en général.
– Pour la renationalisation et la démocratisation des entreprises stratégiques.
– Pour la renégociation des dettes des États et des municipalités par l’utilisation des ressources économisées pour le rachat des dettes sociales et de l’environnement, et pour la refondation du pacte fédéral dans une perspective démocratique et participative.
– Pour le renforcement des mobilisations et des campagnes comme l’ATTAC [1], qui exigent l’établissement de mécanismes de régulation et de taxation sur la circulation du capital spéculatif international, dans le but de créer un fonds destiné à redonner une vie digne aux plus pauvres.
– Pour l’union des peuples de l’Amérique latine et des Caraïbes autour de politiques alternatives et de stratégies communes au continent pour faire face ensemble au cercle vicieux de l’endettement et aux autres facteurs d’appauvrissement et de subordination qui historiquement touchent tout le continent.
Pour la participation à la Campagne du Jubilé 2000 du Conseil mondial des Églises et d’autres institutions nationales et internationales dans une mobilisation qui conduise les États démocratiques à proposer à l’Assemblée générale de l’ONU une action auprès du Tribunal international de La Haye pour juger les procédés qui ont créé et hypertrophié la dette extérieure des pays pauvres et fortement endettés, ainsi que les responsables.
Ce tribunal ici présent est le symbole d’une longue marche. Il invite pour cela les Brésiliens et les Brésiliennes à participer avec espoir et sans crainte aux initiatives qui en sortiront, à résister dans les rues et sur les places jusqu’à ce que nous réussissions à faire du Brésil une véritable patrie pour tous, et que tous puissent accéder à une vie digne et à la pleine réalisation de leur citoyenneté. C’est notre décision - qu’elle soit publiée et divulguée - la souscription n’est autorisée qu’aux femmes et hommes de bien.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2300.
– Traduction Dial.
– Source (portugais) : Tribunal de la dette extérieure, avril1999.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] ATTAC signifie : Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens. Ce mouvement est inspiré de l’idée de taxation sur les mouvements de capitaux émise par l’économiste américain Tobin, prix Nobel d’économie 1981. Il est né en France dans le sillage du Monde Diplomatique avec Ignacio Ramonet. Son siège social : 9 bis, rue de Valence 75005 Paris, Tél. : 01 43 36 30 54 - Fax : 01 43 36 26 26 (NdT).