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DIAL 2351

MEXIQUE - Le combat pour la paix de la coordination indigène Xi’nich’ dans les zones isolées du Chiapas : La dignité des « fourmis »

Secours Catholique

mardi 1er février 2000, mis en ligne par Dial

La paix n’est toujours pas au rendez-vous au Chiapas. Ce n’est pourtant pas faute d’actions conduites par diverses instances afin d’amener le gouvernement mexicain à changer de politique. Le Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Mary Robinson, n’a pas manqué de faire remarquer, lors de sa visite au Chiapas fin novembre 1999, qu’il était nécessaire de réduire la présence de l’armée et qu’il existait un grave problème d’impunité. Parmi les instances qui œuvrent pour une solution juste et pacifique, les communautés affiliées à l’organisation indigène Xi’nich’ qui tentent par la voie du dialogue d’obtenir des accords de cohabitation sociale, méritent une mention particulière. Elles la méritent d’autant plus qu’elles ne cessent, comme tant d’autres, d’être victimes de mesures d’intimidation et de répression de la part des autorités. Le jury du Prix des droits de l’homme de la République française a décerné une « distinction » en septembre 1999 à l’organisation indigène Xi’nich’, sur présentation de sa candidature par le Secours Catholique (Caritas France) dont elle est l’un des partenaires. Texte communiqué et traduit par le Secours Catholique, septembre 1999.


Le contexte

Dans le courant des années 1970, une grande partie des populations mayas, tseltales et ch’oles, qui vivaient et travaillaient dans les grandes fermes d’élevage et dans les plantations de café au centre et au nord de l’État de Chiapas, aux abords de la forêt lacandone, a été forcée à émigrer massivement.

Cette émigration a été délibérément voulue et orchestrée par le gouvernement de l’État du Chiapas et par le gouvernement fédéral dans un double but : d’une part, pour diminuer la pression que les indigènes exerçaient sur les grandes propriétés agraires en demandant qu’elles soient exploitées dans l’intérêt général de la population locale, d’autre part, pour coloniser les grandes étendues de forêts qui, en tant que « domaines nationaux », restaient couverts de maquis et d’acahual, ce qui empêchait les nouveaux propriétaires, investisseurs et sociétés para-étatiques, de les exploiter à leur profit.

Pendant dix ans de nouvelles communautés se sont établies, dans un cadre communautaire, dans les vallées limitrophes du Guatemala, non sans que surgissent de multiples conflits agraires dus en majeure partie à l’irresponsabilité et à la corruption des autorités agricoles concernées. Toutes les démarches nécessaires pour répondre aux besoins sociaux et agricoles des nouveaux centres de peuplement étaient soumises à l’approbation des organismes corporatifs de l’État et du parti officiel, sans qu’il soit possible de recourir à un organisme social indépendant.

Au début des années 80, ces communautés en voie d’intégration socioculturelle ont réalisé des activités de promotion éducative (avec l’appui de l’ONG Fomento Cultural y Educativo (Aide à l’action culturelle et éducative) et de la Mission jésuite de Bachajón), pour créer un nouveau cadre de coopération entre elles afin de résoudre ensemble les problèmes à travers des démarches et un suivi des affaires de caractère social. Un réseau de coopératives de vente s’est ainsi mis en place dans les communautés, des essais ont eu lieu dans des fermes d’expérimentation agro-écologiques, et des tentatives de réponse commune aux difficultés régionales ont été faites.

Durant la décennie 80, en réponse chaque fois à des violences ou à des provocations des pouvoirs municipaux et locaux (assassinat, emprisonnement de leaders,...), trois organisations locales ont vu le jour :

 Le Comité de défense de la liberté indigène (CDLI), formé par les communautés tseltales, ch’oles et zoques, pour s’occuper des questions agraires, des droits de l’homme, de la santé, et de la promotion des femmes.

 « Tsoblei yu’n jwocoltic » (Assemblée pour la solution de nos problèmes) est née dans l’une des vallées de la région pour faire face aux problèmes sociaux tels que : alcoolisme, destruction des chemins, problèmes d’électrification, violences policières, etc....

 L’Union des communautés indigènes de la forêt du Chiapas (UCISECH), née dans un groupe de communautés le long du fleuve Usumacinta (frontière orientale du Guatemala) qui manquaient de papiers officiels et de titres de propriété et qui avaient subi déjà trois expropriations successives. Elle s’occupe en priorité de la gestion juridique, de la question agraire et des œuvres sociales.

Naissance de Xi’nich’

À la fin de 1991, à l’occasion du changement de pouvoirs municipaux, et en exerçant le droit constitutionnel de manifestation, ces trois organisations ont organisé un rassemblement dans le parc central de la ville de Palenque pour demander aux autorités d’apporter une solution aux demandes transmises des années auparavant et qui étaient restées jusqu’alors sans réponse.

Elles portaient sur la construction de chemins, écoles, maisons communautaires, agences municipales, terrains de sport, installation d’eau potable, électrification, délivrance d’actes d’état civil, suivi de dossiers agraires, arrêt de la violence, du harcèlement et des emprisonnements arbitraires par le personnel de la police ou du ministère de l’intérieur.

En réponse à cette manifestation pacifique, le gouvernement de l’État envoya plus de 200 policiers des forces de sécurité pour expulser les paysans qui manifestaient, ce qui causa plusieurs dizaines de blessés et entraîna l’incarcération de 103 indigènes. Bien que 93 aient été libérés rapidement, les dix autres considérés comme les dirigeants de l’organisation, firent l’objet d’un mandat de dépôt et furent incarcérés, accusés de « troubles de l’ordre public », « émeute », « coups et blessures », « association de malfaiteurs », et « attentat à la paix et à l’intégrité des personnes et des biens de la collectivité et de l’État », délits considérés comme délits politiques graves, punis de 40 ans de prison, sans possibilité de liberté sous caution.

Ces accusations et l’emprisonnement des responsables indigènes basés sur des mensonges du gouvernement de l’État, indigna profondément les communautés qui, loin de se disperser, décidèrent un sit-in indéfini pour exiger la liberté de leurs frères injustement emprisonnés. C’est là l’origine de Xi’nich’ mot qui en langue ch’ole veut dire « fourmi ». Les communautés adoptèrent ce nom pour le mouvement naissant qui, à l’image de ces petits insectes, répondait par le nombre pour se défendre contre l’agression externe. « Les fourmis s’organisent et travaillent ensemble harmonieusement, pour construire leur maison et leur vie. »

Ce sit-in dura 74 jours, début 1992, pendant lesquels diverses organisations de défense des droits de l’homme, nationales et internationales, sont intervenues et ont obtenu la libération de 9 des 10 détenus. Cependant, le gouvernement de l’État continuait à ne pas donner de réponse aux demandes des communautés.

Les trois organisations entamèrent alors une marche sur Mexico, faisant plus de mille kilomètres à pied, en 52 jours. Cette action réalisée en mars et avril 1992 et appelée : Xi’nich’, Marche pour la paix et les droits humains des peuples indigènes, a eu une très forte répercussion sur le plan national. Sur le parcours à travers différents États de la république, d’autres organisations, peuples et groupes indigènes se solidarisèrent et se joignirent à eux en reconnaissant chez leurs frères du Chiapas leurs propres problèmes et souffrances.

À leur arrivée à Mexico, la Secretaría de Gobernación (ministère de l’intérieur) qui dépend du pouvoir fédéral proposa d’apporter une solution aux demandes des communautés en libérant les prisonniers, en annulant des mandats d’arrêt qui avaient été lancés, et en promettant de trouver des solutions aux autres problèmes concernant la gestion agraire, les œuvres sociales et le respect des droits de l’homme, toutes choses qui, malheureusement, sont restées jusqu’à présent, pour la plupart, à l’état de promesse.

De retour dans leurs villages, les communautés décidèrent de renforcer leur union et de continuer ce mouvement né pour la défense de leurs droits collectifs. Les organisations participantes, CDLI, TSOBLEJ et UCISECH, créèrent la Coordination indigène Xi’nich’ en se regroupant par zones, et en créant des commissions de travail pour s’occuper de la défense des droits de l’homme, de la gestion des questions sociales, agraires et de santé, de la promotion de la femme, des projets concernant la production, la culture et la communication.

Développement de Xi’nich’

Le développement de Xi’nich’, qui regroupe aujourd’hui à travers ses communautés affiliées 20 000 Indiens du Chiapas de différentes ethnies, a dû rapidement s’inscrire dans le cadre créé par l’émergence puis l’enlisement du conflit du Chiapas, opposant l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le gouvernement mexicain.

En 1994, le soulèvement armé de 1’EZLN a provoqué dans tout le pays une nouvelle prise de conscience de la situation des peuples indigènes.

Xi’nich’ a collaboré avec la société civile à la recherche d’une solution pacifique pour les communautés indigènes qui demandaient justice et dignité. Elle a envoyé des délégués pour renforcer les cordons de paix afin de faciliter la tenue des premiers pourparlers entre l’EZLN et le gouvernement fédéral, tandis que les communautés affiliées à Xi’nich’ situaient leur rôle en tant qu’organisation civile cherchant par des voies pacifiques une solution négociée au conflit pour obtenir une paix juste et digne pour les peuples indigènes.

En 1995, après l’escalade militaire du mois de février, Xi’nich’ a participé de nouveau à une marche depuis le Chiapas jusqu’à Mexico pour demander la reprise des négociations pour la recherche de la paix. Cette action, jointe aux nombreux efforts de la société civile, aboutit à l’approbation par le Parlement (Congreso de la Unión) de la « Loi pour le dialogue, la conciliation et la paix digne au Chiapas ». Sur la base de cette loi, le dialogue fut renoué entre l’EZLN et le gouvernement fédéral.

Xi’nich’ fut invitée à participer à ce processus connu comme le « Dialogue de San Andrés ». Lors de la première réunion de travail sur les « Droits et la culture indigènes », les communautés s’engagèrent à contribuer au processus de paix. C’est à partir de là que furent conclus les premiers accords de San Andrés, signés en février 1996, qui, plus de trois ans après, n’ont toujours pas été honorés par le gouvernement.

À partir des Dialogues de San Andrés s’est créée une structure qui a porté une grande partie des espoirs et des attentes des peuples indigènes et s’est appelée Foro Nacional Indígena (Forum national indigène), puis plus tard Congreso Nacional Indígena (CNI - Congrès national indigène). Elle est un espace de rencontre, de dialogue et de discussion au sujet des espoirs et des besoins des peuples indiens. L’organisation Xi’nich’ participe à cet espace et apporte le message des communautés qu’elle représente, et les réflexions issues du dialogue permanent qu’elle entretient avec d’autres peuples indiens du Mexique.

Depuis les six ans que dure déjà le conflit armé au Chiapas, Xi’nich’ a réfléchi sur ses propres positions sociales et politiques, pour les définir et les assumer, et aussi sur le rôle qu’il doit jouer en raison des circonstances particulières qui déterminent son identité.

D’une part, Xi’nich’ est un participant actif de la société civile et du Mouvement indigène national pour instaurer des conditions compatibles avec le processus de paix et la recherche d’une solution juste et digne.

Elle est consciente d’être, en qualité d’organisation sociale indigène, responsable de promouvoir des espaces nationaux de dialogue et susciter les efforts des peuples indigènes afin qu’ils trouvent leurs propres modalités de rencontre, d’organisation, d’expression et de manifestation publique pour la défense de leurs droits collectifs et la lutte pour leur reconnaissance.

D’autre part, elle a dû trouver, au sein des communautés et dans la vie quotidienne, une solution aux nombreux problèmes et aux tensions afin de préserver son unité et son organisation comme alternative pacifique d’organisation communautaire.

Dans l’ambiance d’une guerre de « faible intensité » qui favorise et suscite la division et l’affrontement, le rôle de Xi’nich’ consiste à :

 obtenir par la voie du dialogue des accords de cohabitation sociale entre des personnes, des groupes et des communautés tout en respectant les différences locales,

 éviter que les divisions, de plus en plus profondes, ne nuisent au fragile tissu social que les agissements de la politique officielle « anti-insurectionnelle » ont fortement dégradé et endommagé.

Ce rôle est de plus en plus difficile à tenir, en raison de la stratégie du gouvernement mexicain local et national. Celui-ci cherche à acculer et à harceler non seulement les zapatistes mais aussi les organisations sociales indigènes. Il redouble d’effort pour tenter, comme depuis quinze ans, de les neutraliser par l’intimidation, la répression, la manipulation et la corruption de telle sorte qu’elles ne soient plus porteuses des actions et initiatives en faveur de la solution des grands problèmes de fond posés par les peuples indigènes.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2351.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Secours Catholique, septembre 1999, septembre 1999.
 
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