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DIAL 2383

ARGENTINE - Les Mères de la Place de Mai ouvrent une « université populaire »

IPS

jeudi 1er juin 2000, mis en ligne par Dial

Le dynamisme du mouvement des Mères de la place de Mai ne faiblit pas. En plus de leurs actions permanentes pour que la vérité soit faite sur les disparus et que soient jugés les responsables, de leurs luttes pour la paix en divers points du monde, de leur travail pour des changements radicaux de société, elles viennent d’ouvrir une « université populaire » dont l’inauguration a eu lieu le 6 avril. Article d’IPS, 16 avril 2000.


L’organisation des Mères de la Place de Mai a été fondée en 1976 par un groupe de mères de disparus pendant le régime militaire (1976-1983) ; depuis lors, non seulement elle réclame les membres de leur famille disparus, mais lutte aussi pour obtenir la condamnation effective des militaires responsables et pour d’autres causes humanitaires.

Hebe de Bonafini, recteur de la maison d’études et présidente de l’organisation, a expliqué à IPS que la nouvelle institution est « libre » et veut que ses diplômes valent « par eux-mêmes », et non de par une reconnaissance officielle à laquelle elle ne fait pas confiance.

« L’État qui a gracié les assassins de nos fils n’a pas d’autorité morale pour nous reconnaître. Par contre, le haut niveau des professeurs qui ont été réunis et les Universités avec lesquelles nous avons des accords suffisent pour donner de la valeur à nos diplômes », a-t-elle assuré.

Bonafini est une des voix les plus critiques des différentes périodes démocratiques qui ont suivi la dictature, à cause des lois d’amnistie qui ont permis de ne pas juger les militaires mis en cause et de la grâce qui a évité la condamnation aux ex-commandants [de la Junte].

Bien qu’elle continue à être un symbole de la lutte contre la dictature, ses prises de position radicales l’ont amenée à s’affronter aussi aux autres organisations de droits humains, entre autres raisons, parce qu’elles ont accepté des indemnisations financières pour l’enlèvement des membres de leur famille.

Un autre groupe de Mères qui s’est séparé il y a plus de huit ans du groupe dirigé par Bonafini, Mères-Ligne fondatrice, est plus proche des Grands-mères de la Place de Mai qui recherchent leurs petits-enfants et qui sont aussi séparées du groupe de Bonafini.

Dans la nouvelle université, les inscrits, dont on n’exige pas de titres universitaires ni du second degré, pourront suivre des cours de maîtrise en droits humains, psychologie sociale, journalisme d’investigation, art et économie politique.

Les professeurs réunis sont, entre autres, le psychanalyste et dramaturge Eduardo Pavlovsky, les philosophes Rubén Dri et León Rozitchner, les écrivains Osvaldo Bayer, David Viñas et Juan Gelman, et le cinéaste Fernando « Pino » Solanas.

Les cours durent trois ans, sauf en psychologie où ils durent quatre ans. Comme l’a annoncé le directeur des études du centre, l’écrivain Vicente Zito Lemal, il y aura en outre des séminaires annuels sur « éducation populaire », « psychanalyse et marxisme » et « lecture critique du Capital de Karl Marx ».

L’Université populaire a été installée dans une maison proche du siège des Mères, acquise avec l’argent rassemblé par cette organisation au cours d’une série de concerts de rock dont les musiciens ont donné leurs cachets et leurs droits d’auteur sur la vente ultérieure d’un disque enregistré en présence du public.

Au début, en 1999, les Mères ont ouvert dans ce lieu un café littéraire - avec bar et vente de livres - qui a fonctionné aussi comme forum culturel. Il y eut alors un séminaire appelé « analyse critique de la réalité argentine », qui a eu une répercussion importante dans le monde universitaire.

Avec ce point de départ, les organisatrices se sont lancées dans le projet de faire six salles de classe, plus une salle des professeurs et un grand amphithéâtre, et elles ont eu le soutien immédiat d’écrivains, de journalistes, de psychologues et d’universitaires venant même d’autres universités dans le monde.

Le sociologue étasunien James Petras, de l’Université d’État de New-York, est en fait membre du conseil universitaire, et à l’inauguration des lieux étaient présentes des autorités de l’Université de Salamanque et du Pays basque,de Cuba et du Chili, en plus de l’Université argentine de Comahue.

Parallèlement aux cours, on pourra aussi suivre dans cette université des ateliers de courte durée sur le cinéma documentaire, les fresques murales et l’art de la rue, la vidéo et la photographie. Pour tous les cours, les inscrits doivent payer 25 dollars par mois, « pour payer les professeurs », a expliqué Bonafini.

La présidente des Mères - qui a subi l’enlèvement de deux fils et de deux belles-filles pendant la dictature - a déclaré que la nouvelle université est remplie et qu’on a dû clore les inscriptions, mais le défi est d’ouvrir en 2001 dans un bâtiment agrandi pour accueillir plus d’étudiants.

Aussi bien la dirigeante que Zito Lima ont prévenu que toutes les facilités accordées aux auditeurs n’empêcheront pas la rigueur au moment d’évaluer les élèves. Bonafini les a avertis un peu avant d’inaugurer le premier cours : « ceux qui veulent être reçus devront beaucoup étudier ».


Extraits du discours de Hebe de Bonafini, à l’inauguration de l’université populaire le 6 avril 2000

(...) Des choses très intimes me sont passées par la tête tout à l’heure. Alors que je venais ici en descendant les escaliers, nous venions toutes habillées comme pour une fête, non comme pour un accouchement où l’on s’habille avec n’importe quel vêtement, car cette fête est une manière d’accoucher différemment. C’est une fête en hommage à nos enfants et pour eux. Et je pensais, où sont-ils en ce moment ? D’où sont-ils en train de nous regarder ? Ils sont dans chaque page écrite pour les adhésions, ils sont dans chaque moment et chaque petit pas que nous les mères avons fait pour que tout ceci devienne réalité. (...)

Cette université sera la plus belle chose, le plus grand rêve, l’incroyable chemin pour la révolution, pour la révolution dont nos enfants ont rêvé et qui leur a coûté la vie, mais qui ne leur a pas enlevé leurs rêves, et à nous, ne nous a pas enlevé l’espérance et ne nous a pas enlevé non plus la possibilité d’être leurs mères pleines de fierté. Ce n’est que maintenant que je me sens digne d’être mère de mes enfants. (...)

C’est pourquoi cette université, compagnons, doit exister pour qu’y naisse une nouvelle pensée politique qui nous permette de penser aux autres comme à des égaux et non pas en les abaissant par une agonie misérable ou avec les vêtements que jettent les riches. Assez de projets pour l’enfance, fondés sur la charité, assez de projets avec le gouvernement qui dit qu’il va aider les gens qui gagnent moins de 64 pesos ! Des misérables et des hypocrites ! Nous n’en voulons certainement pas.

C’est pour cela que l’université est née, grande comme nos enfants, belle et libre, absolument libre comme eux sont nés libres (...).

Madres de la Plaza de Mayo, avril 2000


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2383.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, avril 2000.
 
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