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DIAL 2385

HONDURAS - La « maquila » ou le retour à l’esclavage

Thelma Mejía

vendredi 16 juin 2000, mis en ligne par Dial

Les entreprises appelées maquilas ou maquiladoras sont des ateliers d’assemblage travaillant pour l’exportation, installés dans des zones franches d’Amérique centrale, jouissant de diverses exemptions, dépendant d’entreprises le plus souvent d’origine asiatique ou étasunienne et utilisant une main-d’œuvre essentiellement féminine. Le faible coût de la main-d’œuvre est la raison majeure de l’attrait exercé par ces pays sur les entreprises étrangères, à quoi s’ajoute la possibilité de prendre une liberté considérable en matière de respect des droits des travailleuses. Certains n’hésitent pas à parler à propos des maquilas d’un nouveau « capitalisme sauvage ». Il existe heureusement, et malgré les obstacles rencontrés, un certain nombre de cas où les salariés s’organisent pour défendre leurs droits. Nous présentons dans trois brefs dossiers (D 2385, 2386, 2387) un aperçu de la situation au Honduras, en El Salvador et au Mexique.

Ci-dessous, texte de Thelma Mejía sur la situation au Honduras, paru dans Noticias Obreras (Honduras) et dans Carta a las Iglesias (El Salvador), 16-31 mai 1999.


En Amérique Centrale, la maquila est connue comme industrie d’assemblage. Il s’agit d’une série d’ateliers dans lesquels, à partir de pièces importées de l’étranger, des produits sont assemblés dans la région avec la main-d’œuvre locale pour être réexportés une fois finis.

Des experts en la matière soutiennent que le développement des maquilas a pris de l’ampleur au Honduras à la fin de la décennie 80, lorsque le gouvernement a promulgué une loi d’investissements qui bénéficiait au capital étranger.

Ce pays d’Amérique centrale a 156 entreprises maquiladoras, qui viennent, pour la plupart, des pays asiatiques tels que Taïwan, Hong Kong et la Corée du Sud. Leur zone d’action se trouve dans la région nord du pays, où elles offrent des emplois de façon permanente à quelque 60 000 personnes, dont 90 % sont des femmes et, pour le reste, des hommes et des mineurs. Des données officielles signalent que l’industrie de l’assemblage génère des devises réelles pour un montant de 250 millions de dollars et le projet est de dépasser ce chiffre dans les deux années à venir.

À côté de ce développement apparent, la vie dans les usines maquilas est autre chose. Les ouvrières sont contraintes à faire des journées de travail épuisantes et elles sont privées de nombreux droits. Une étude élaborée par le Comité pour la défense des droits humains en Honduras (CODEH) a révélé que 90 % des femmes qui travaillent dans les maquilas n’ont pas le droit de se syndiquer.

Les femmes qui exercent ce droit sont licenciées de façon automatique, a dénoncé le Comité, et elles sont mises sur une sorte de « liste noire » qui leur rend difficile l’accès à un emploi dans une autre usine similaire.

Parmi les principales causes de licenciement, on trouve : la tentative d’organiser des syndicats, le fait de dénoncer de mauvais traitements ou d’envoyer des plaintes au ministère du travail. En général, on licencie les personnes avant qu’elles aient deux mois d’ancienneté, puisque c’est le délai de la période d’essai établi par la loi. Pendant cette période, le patron n’est pas obligé de payer des indemnités de licenciement. Elles sont aussi licenciées avant la période des congés payés, qui sont un droit acquis et inscrit dans la Constitution du pays.

Emma Romero Varela est une des ouvrières honduriennes qui a été licenciée des maquilas avant d’avoir atteint un an de travail. Elle travaillait dans l’usine Dos caminos au nord du pays, dans la ville de Puerto Cortés. Emma a dénoncé auprès du CODEH son licenciement sans indemnité, avec sept autres femmes. « Soudain, la contrôleuse de l’usine nous a appelées sans que nous sachions pourquoi. Lorsque nous sommes arrivées au bureau, elle nous a annoncé que nous étions licenciées », dit-elle. « Elle nous a dit que nous avions volé un ticket pour le coller à notre feuille de travail et ainsi avoir plus de salaire. Nous avons protesté et lui avons dit que c’était faux, puisque nous ne sommes pas des voleuses. Nous avons menacé de nous plaindre au ministère du travail. » Alors, les responsables de l’usine ont interdit la sortie des sept ouvrières, qu’ils ont enfermées pendant huit heures dans une pièce où elles ont été interrogées. À la fin de l’interrogatoire, on les a obligées à signer un document où elles admettaient avoir commis une faute en échange de 80 dollars de dédommagement. « Ce n’est qu’après que nous nous sommes rendu compte que l’entreprise utilisait ce type de ruse pour licencier les gens et éviter de verser des indemnités. »

Hugo Ramón Maldonado, responsable du CODEH de San Pedro Sula, au nord du pays, a expliqué que les témoignages des ouvrières renvoyées et maltraitées dans les maquilas sont nombreux car « dans ces lieux les droits humains sont violés massivement ». Il a indiqué que 40 % des ouvrières qui travaillent dans les maquilas sont l’objet de mauvais traitements physiques tels que bousculades, coups sur la tête, obligation de rester immobile sous le soleil, coups de trique, injures et cris, entre autres. L’enquête de l’organisme humanitaire signale que la plupart des entreprises préfèrent embaucher des femmes de 15 à 30 ans d’âge, qui sont obligées de passer des tests de grossesse et même de planifier leurs enfants.

Les conditions dans lesquelles les ouvrières travaillent ont amené le CODEH à dénoncer au niveau international « l’autre visage » de la maquila en Honduras, avec le témoignage de l’ouvrière Lesly Rodriguez, âgée de 15 ans. Rodriguez a dénoncé auprès du Sénat des États-Unis le fait que les femmes sont obligées de travailler en moyenne 80 heures par semaine, sans toucher d’heures supplémentaires, puisque leurs patrons leur fixent des quotas de production extrêmement élevés. « Beaucoup d’ouvrières se voient forcées d’apporter du travail à la maison faute de pouvoir remplir le quota exigé par les patrons. »

« Pendant le travail, on ne nous permet pas de parler. Si jamais on nous surprend en train de parler entre nous, on nous punit. Les contrôleurs crient et nous renvoient chez nous pendant quatre ou cinq jours sans paye. Les contrôleurs sont toujours en train de nous crier de travailler plus vite. Parfois, a accusé la fille, ils nous frappent à la tête ou au dos. » À cause de cette dénonciation, le Honduras a été sur le point de suspendre les exportations des maquilas aux États-Unis et de faire l’objet d’une plainte au niveau international.

Selon le président du CODEH, Ramón Custodio, « les femmes des maquilas se sont rendu compte qu’elles ont des droits et elles sont disposées à les défendre, notamment après que le cas de Lesly ait été connu. Nous pensons faire à partir de la fin de ce mois-ci une journée d’éducation aux droits de l’homme pour les femmes des maquilas, et nous allons enquêter sur les entreprises d’assemblage pour faire un rapport qui précise ce qui se passe dans ces centres de travail. »

De son côté, le président de la République a dit que bien qu’il puisse y avoir un choc de cultures, « les droits du travail sont inaliénables et doivent être respectés ». Selon le président, le sujet des maquilas est un sujet « très sensible qui doit être abordé avec sérieux car si les entreprises s’en vont, le Honduras aura de gros problèmes d’emploi. »

Pour l’économiste Efraín Moncada, de l’Université nationale autonome du Honduras (UNAH), la maquila au Honduras et dans les autres pays d’Amérique centrale, n’est qu’une forme « sauvage » du capitalisme, avec deux visages. « Le premier, ce sont les capitaux et l’infrastructure apportés au pays et à la région, et le deuxième est la façon inhumaine dont les ouvriers sont traités, notamment les femmes et les enfants. »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2385.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) :  Noticias Obreras et Carta a las Iglesias, mai 1999.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 

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