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DIAL 2415
VENEZUELA - Le dilemme de Chávez : idéalisme ou réalisme
Carlos A. Romero
mercredi 1er novembre 2000, mis en ligne par
Le président du Venezuela, Hugo Chávez, élu en décembre 1998, reste une figure énigmatique, notamment pour les Européens qui perçoivent que leurs repères traditionnels en matière de jugement politique fonctionnent mal dans ce cas. C’est pourquoi nous avons demandé à un politologue vénézuélien, Carlos A. Romero, professeur associé à l’Université centrale du Venezuela, de dresser un portrait de Chávez ainsi qu’un premier bilan de son gouvernement. Si les ambiguïtés ne sont pas levées, elles sont en tout cas clairement identifiées, loin de tout jugement sommaire.
Quand Hugo Chávez Frías, alors lieutenant-colonel, décida de se joindre à la tentative de coup d’État militaire contre le président démocratique du Venezuela en 1992, il n’a pas imaginé un seul instant que l’histoire lui donnerait l’occasion de diriger le pays par d’autres moyens. En effet, Chávez et ses partisans s’étaient préparés pour prendre de force le pouvoir, qu’ils estimaient confisqué par une équipe partisane qui n’avait pas réussi à apporter le bonheur aux Vénézuéliens. Bien que le coup d’État ait militairement échoué, il a réveillé une société qui, depuis, sympathise avec une cause dont le message était confus mais qui indiquait au moins un chemin : il fallait changer le cours de l’histoire d’une nation considérée comme un exemple pour l’Amérique latine.
En effet, un pays avec une importante source de devises grâce à la rente pétrolière, réussissant à établir un régime démocratique, disciplinant les forces armées sous contrôle civil et jouissant d’un solide prestige international, s’est vu engagé du jour au lendemain dans un processus de désintégration. Malheureusement, on avait déjà laissé passer plusieurs occasions de réformer le système et de l’adapter aux nouvelles réalités internationales et nationales.
Dans sa prison, Chávez comprit que la victoire de Rafael Caldera en 1993 - un ex-président de la République qui avait rompu avec le parti qu’il avait lui-même fondé en 1946, le parti COPEI - et l’alliance hétérogène qui l’avait soutenu montraient, comme d’autres manifestations électorales, que le pays se détachait de la vieille politique et cherchait quelque chose de différent. L’auréole qui l’entourait à cause de sa détention n’a pas suffi, cependant, pour qu’il abandonne l’espoir de prendre le pouvoir par la force. C’est seulement après 1995, après avoir été libéré par une grâce présidentielle, que Chávez parcourt le pays et qu’il finit par comprendre qu’il a une chance dans les élections présidentielles de 1998. Dès lors, il dirige la formation d’une alliance politique formée de trois grands secteurs : le militaire qui l’accompagnait depuis 1992 et même avant, le révolutionnaire traditionnel, une gauche qui voit en Chávez la figure providentielle qu’elle n’avait jamais trouvée, et des secteurs culturels, patronaux et sociaux qui s’étaient, d’une manière ou d’une autre, séparés de la politique traditionnelle, n’avaient pas participé à la lutte politique, étaient marginalisés, venaient de la défaite de la lutte armée des années soixante, ou simplement, qui voyaient d’une façon opportuniste que l’évolution de la situation passait par lui.
Le pari a payé. Le plus grand parti du pays, l’Action démocratique ( social-démocrate), se divise et choisit un candidat présidentiel ayant peu d’appeal. Le parti social-chrétien COPEI, dans son désir de faire peau neuve, appuie la candidature d’une ex-miss Venezuela qui n’a que sa beauté charismatique. Des secteurs indépendants ont vu dans l’image d’un ex-gouverneur [1], porte-drapeau de la décentralisation, une issue antiparti non radicale. Dans ce contexte, Chávez rompt avec l’image de candidat de gauche et putschiste à laquelle on avait voulu le réduire et reçoit un appui multi-sectoriel.
Chávez a remporté la présidence de la République en décembre 1998 et, dès lors, il renforce ses options électorales : son gouvernement ne sera pas un gouvernement de plus dans ce qu’il appelle la « Quatrième République », il s’apprête à fonder la « Cinquième République » et pour ce faire, il convoque une Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle constitution. En matière de politique extérieure, Chávez s’est détaché d’une politique équilibrée pro-occidentale qui avait caractérisé les gouvernements précédents et il a commencé à définir une action extérieure plus progressiste, active, contradictoire et fortement accompagnée par des gestes tiers-mondistes. En matière économique, le nouveau gouvernement a maintenu la politique mixte État-marché du gouvernement précédent, mais avec des côtés populistes en matière de distribution de ressources directes par des plans sociaux, et il renforce le caractère pétrolier de la nation, tout ceci accompagné de la mise à l’écart des élites politiques traditionnelles de l’administration publique. Le nouveau cabinet, la structure dirigeante de l’État, les nouveaux membres de l’Assemblée constituante sont, dans leur majorité, des représentants d’une nouvelle équipe qui arrive au pouvoir grâce à Chávez.
Après dix-huit mois de gouvernement, le Venezuela se trouve à la croisée des chemins. La session de la Constituante, la promulgation d’une nouvelle constitution en décembre 1999, le début d’un nouveau mandat présidentiel de six ans en août 2000 et l’exercice du gouvernement donnent déjà quelques résultats : le champ politique du Venezuela a des caractères bien précis : on note un haut degré de présidentialisme et de personnalisation dans le personnage de Chávez, l’appui populaire se maintient toujours, comme on l’a vu dans le processus de relégitimation électorale du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif avec les élections de juillet dernier, l’opposition a été réduite à donner son opinion, qui n’est pas prise en compte par ceux qui décident, et le président peut toujours compter sur le soutien d’une armée qui partage avec lui les délices du pouvoir. Du point de vue économique, la montée des prix du baril de pétrole à un niveau dont on avait perdu le souvenir a permis à Chávez de « maquiller » la situation de la monnaie, des taux de change et de l’inflation, des dépenses publiques et d’un endettement vorace. D’un point de vue international, Chávez est devenu une sorte d’enfant terrible [2] des tropiques qui, avec ses mots d’esprit, ses promesses et son goût pour la photo opportunity est en train de tisser une diplomatie hyper-active qui donne peu de résultats tangibles et qui secoue la stabilité de la région. Ses querelles avec les États-Unis, la promotion de l’OPEP, sa demande d’un monde multipolaire et plus juste, sa croyance en la souveraineté nationale et ses sympathies problématiques pour la révolution continentale pourraient réveiller des émotions en Amérique latine, peut-être jusqu’à la tendresse ou simplement la compassion, mais qui à long terme peut entraîner le Venezuela sur un terrain idéaliste et peu constructif.
Il reste à voir si le défi d’améliorer les réalités et de diminuer le discours idéaliste peut mener le Venezuela à un plus haut niveau de bonheur, celui que Chávez cherchait en 1992. Pour l’instant, le président bouge avec ses propres contradictions : il veut une démocratie participative mais il se précipite vers l’autoritarisme et le contrôle absolu des institutions, il cherche à améliorer le sort du peuple mais celui-ci s’est appauvri davantage pendant ces derniers mois, il veut diversifier l’économie mais celle-ci tombe sous le poids du pétrole, et il veut un rôle de protagoniste sur le plan international mais il n’y a pas de résultats tangibles en termes d’investissement et de soutien politique.
De la résolution de ces contradictions dépendra l’avenir de Chávez et, bien sûr, celui de tout le pays.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2415.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Dial, novembre 2000.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Il s’agit de Francisco Arias Cárdenas, ex-camarade de Chávez à l’Académie militaire, qui a participé à la tentative de coup d’État en 1992, et est devenu gouverneur de la région du Zulia en 1995. Depuis 1992, les deux ont eu des rapports difficiles, mais pendant la campagne pour les élections de 1998, Chávez a mis en avant le soutien d’Arias. Ils se sont séparés ensuite et aux élections de 2000 Arias s’était aussi présenté comme candidat (NdT).
[2] En français dans le texte.