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DIAL 3302

PÉROU - Des coupes de bois illégales à l’origine d’assassinats d’Indiens

Cecilia Remon

mardi 25 novembre 2014, mis en ligne par Dial

Dans ce numéro, nous continuons notre tour d’horizon des visages multiples de l’extractivisme actuel avec deux articles sur le Pérou. Ce deuxième texte s’intéresse aux coupes de bois illégales, et aux violences subies par les personnes qui luttent contre ces pratiques. Là encore, malheureusement, ce n’est pas nouveau : on se souvient de l’assassinat de Chico Mendes (1944-1988) au Brésil. Plus récemment (2008), DIAL s’était aussi fait l’écho de problèmes similaires au Mexique… [1] Article publié sur le site de Noticias Aliadas le 29 septembre 2014.


L’assassinat de défenseurs de la forêt met en évidence un vaste réseau d’extraction et de commercialisation illégale du bois.

« Dans la forêt, la nuit, le silence es absolu », raconte à Noticias Aliadas, Sara, une habitante qui possède une parcelle en pleine forêt au centre du Pérou. « Mais tout d’un coup, à 21h, j’entends fonctionner au loin les tronçonneuses. Je me lève aussitôt et, sans bruit, avec mon fusil et mes chiens je vais voir où on est en train d’abattre mes arbres. Mais je ne trouve pas les bûcherons. Ils se cachent. Le lendemain matin je vois des arbres abattus et des planches découpées qu’ils n’ont pas pu emporter ».

Sara est de Lima, elle a 54 ans, et, dans les années 80, on lui attribua 187 hectares de terres près de la localité de Puerto Bermúdez, dans le département central de Pasco, pour y développer l’agroforesterie et protéger certaines espèces d’arbres. En juillet dernier, on l’informa que, sans qu’elle ait été consultée et sans que sa présence ait été requise, les autorités du ministère de l’agriculture avaient modifié les limites de sa propriété en utilisant des plans falsifiés qui ne correspondent pas à la réalité physique. Elle possède, elle, les titres de propriété enregistrés et grâce à cela elle peut porter plainte, mais ce n’est pas le cas pour la plupart des 500 communautés indiennes de l’Amazonie qui, depuis des décennies, exigent les titres de propriété de leurs terres, seule façon de protéger leurs ressources forestières des coupes de bois illégales.

Mais le gouvernement péruvien ne voit aucun intérêt à remettre des titres de propriété. Selon Julia Urrunaga, directrice du programme Pérou de l’Agence de recherche environnementale (EIA), dont le siège est aux États-Unis, pour les autorités péruviennes, à Lima, « la forêt est un espace immense, plein d’arbres, où il n’y a personne ».

De la lessiveuse au lave-linge automatique

En 2012, l’EIA a publié un rapport intitulé « Le lave-linge : comment la fraude et la corruption dans le système d’attribution des concessions détruit l’avenir des forêts du Pérou » qui révèle l’imbroglio bureaucratique qui légalise, par le biais de documents que les autorités ne vérifient jamais, la commercialisation du bois extrait de zones de l’Amazonie péruvienne où les coupes ne sont pas autorisées.

En dépit de la gravité des accusations, le gouvernement a fait très peu si ce n’est quasiment rien pour freiner les coupes illégales. « La seule chose qui a avancé en deux ans c’est que maintenant tous les documents sont enregistrés dans les ordinateurs. C’est à dire qu’ils sont passés de la lessiveuse au lave-linge automatique » a déclaré Urrunaga à Noticias Aliadas.

L’assassinat de quatre Indiens asháninkas de la communauté d’Alto Tamaya Saweto, dans le département d’Ucayali, frontalier avec le Brésil, a révélé non seulement l’insécurité dans laquelle vivent les peuples premiers d’Amazonie, mais aussi l’existence d’un commerce dans lequel sont impliquées des entreprises, des autorités et des bûcherons qui opèrent dans l’illégalité.

Edwin Chota, chef de la communauté, et les dirigeants Jorge Ríos, Leonardo Quinticima et Francisco Pinedo dénonçaient depuis des années ce qui se passait sur leurs terres.

« Chota était un dirigeant connu et actif luttant contre les coupes de bois illégales » explique Urrunaga. « Il avait déposé plusieurs plaintes à Pucallpa [la capitale d’Ucayali] et à Lima mais qui avaient toutes été classées. Il avait des documents, des vidéos, les coordonnées GPS des lieux. Il avait identifié une série de personnes impliqués, dont il avait les noms et prénoms, avec photos. Avec ces assassinats, le message des mafias des coupes illégales à ceux qui s’opposent à cette activité est « laissez-moi opérer, même les autorités me laissent tranquilles ». Le message est « tais- toi ».

Un des premiers à dénoncer ce qui se passait dans le Alto Tamaya-Soweto, fut David Salisbury, géographe et professeur de l’Université de Richmond, dans l’État de Virginie, aux États-Unis. Durant plus de 10 ans il conseilla Chota et sa communauté dans leur lutte pour obtenir les titres de propriété de leurs terres.

Selon Salisbury, Chota avait adressé plus de 100 lettres à des institutions péruviennes et brésiliennes pour solliciter leur protection et la prise en compte de ses revendications. Il voulait porter son cas devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH).

Bûcherons asservis

La répercussion internationale de ce cas, plus importante qu’au niveau local, a obligé les autorités à agir. Des organisations indiennes, des groupes de défenseurs des droits humains, des organismes internationaux, y compris la CIDH elle-même, et le Haut commissariat des Nations unies pour les droits humains, ont exigé du gouvernement que soient protégées les communautés indiennes et que soient arrêtés, jugés et sanctionnés les responsables.

Le gouvernement a déclaré qu’il avait identifié les assassins présumés des indiens. Il s’agirait de bûcherons illégaux, mais pour Urrunaga « arrêter les bûcherons ne résout pas le problème. En général il s’agit de personnes qui travaillent dans des conditions de quasi esclavage, qui abattent des arbres pour survivre. »

« Derrière tout cela opère une organisation beaucoup plus complexe dont l’objectif est de satisfaire la demande en bois semi-précieux, destinés aux marchés internationaux » a-t-elle ajouté.

Cependant, elle précise que les coupes illégales ne sont pas seulement une activité qui détruit les forêts mais que c’est le fer de lance qui ouvre le chemin à d’autres activités illégales ».

Fabiola Muñoz, directrice du Service forestier national du Pérou (SERFOR), qui dépend du ministère de l’agriculture, confirme que dans les zones sur lesquelles on a des informations concernant l’existence de coupes illégales se trouvent aussi des corridors de circulation du narcotrafic et des zones de culture de coca. De fait, la communauté même d’Alto Tamaya-Saweto a accusé les narcotrafiquants d’utiliser l’extraction illégale du bois pour camoufler le trafic de drogue.

Entre mars et mai 2014, la Surintendance des douanes et de l’administration des impôts (SUNAT) a saisi plus de 6 millions de mètres cubes de bois correspondant à des espèces protégées qui n’avaient pas de certification légale garantissant leur origine. La valeur du bois des coupes illégales était estimée à plus de 20 millions de dollars. Mais il s’agit d’opérations de contrôle qui ne sont pas permanentes.

La Banque mondiale estime qu’entre 80% et 90% du bois qu’exporte le Pérou, principalement vers la Chine et d’autres marchés asiatiques sont illégaux. Selon les chiffres fournis par le Gouvernement régional de Loreto, le Pérou perd chaque année 250 millions de dollars avec ces coupes illégales.

Outre son engagement à remettre des titres de propriété à la communauté Alto Tamaya-Saweto, le ministre de l’intérieur Daniel Urresti a annoncé, le 15 septembre, la nomination d’un haut commissaire pour lutter contre les coupes de bois illégales dans tout le pays, qui dépendra de la Présidence du conseil des ministres. Un général, retraité de la Police nationale, a été nommé à ce poste malgré les nombreuses critiques à son égard. Il s’agit de César Fourment Paredes, qui, hormis le fait qu’il n’a aucune connaissance sur l’extraction et la commercialisation du bois, a travaillé en étroite collaboration avec de hauts responsables de la police en lien avec Vladimir Montesinos, le conseiller en matière de sécurité de l’ancien président aujourd’hui emprisonné, Alberto Fujimori (1990-2000).


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3302.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 29 septembre 2014.

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