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DIAL 2792

AMÉRIQUE LATINE - Les transnationales : conflits réels, difficiles dialogues

mercredi 16 mars 2005, mis en ligne par Dial

Nous présentons ci-dessous quatre exemples précis de rapports entre multinationales et populations locales de différents pays. Les trois premiers cas sont franchement conflictuels, le quatrième ne l’est pas moins mais on peut y voir l’esquisse d’une tentative de dialogue pour sortir d’un conflit. Les multinationales n’ont pas bonne presse dans les populations latino-américaines qui voient en elles des puissances cherchant à profiter au maximum des richesses et avantages locaux sans se soucier de la situation des populations. Celles-ci réagissent comme si l’économie devait être au service de l’homme alors qu’elle n’est le plus souvent qu’au service des intérêts de la partie la plus privilégiée de la planète.


Bolivie : Les agissements de Suez-Aguas del Illimani

Un soulèvement pacifique met fin aux agissements de Suez-Aguas del Illimani en Bolivie.

Suez, première transnationale du monde pour l’approvisionnement en eau potable, quitte la Bolivie au terme d’une grève populaire illimitée organisée à l’appel de la Fédération des comités de voisinage (FEJUVE) de El Alto. Les raisons qui ont conduit cette dernière à demander le départ de Suez-Aguas del Illimani sont doubles : cette entreprise avait refusé d’investir pour étendre le service d’eau potable à 200 000 personnes pauvres de la ville de El Alto. Elle avait aussi décidé d’augmenter les tarifs de branchement aux réseaux d’eau potable et d’égouts pour les faire passer à 445 dollars américains, somme qui était hors de portée de 70 000 personnes dès lors exclues de la zone « desservie » par l’entreprise. Suez-Aguas del Illimani voulait que l’Etat bolivien et la coopération internationale lui accordent des subventions et des crédits à taux avantageux pour accomplir son objectif prévu contractuellement de procéder aux extensions nécessaires dans la zone considérée. Les habitants de El Alto lui ont répondu que ces subventions et crédits devaient êtres réservés à une entreprise nationale publique et non à une transnationale qui gagnait beaucoup d’argent aux dépens d’un droit qui était reconnu à tout être humain.

À deux reprises, le gouvernement bolivien a essayé de revoir le contrat passé avec Suez-Aguas del Illimani. La réponse de la transnationale a été la suivante : « … Nous ne reconnaissons pas à la Direction générale de l’assainissement pas plus qu’à aucune autre autorité de la République de Bolivie le pouvoir de discuter d’une telle révision » (29 novembre 2004). Devant cette situation et devant l’ampleur d’une grève qui s’est étendue sur trois jours, le gouvernement a pris un décret suprême instituant la fin du contrat conclu avec Suez-Aguas del Illimani simultanément à El Alto et à La Paz, le marché étant indivisible.
La grève a remporté un grand succès grâce à l’unité, à la force et au caractère pacifique du mouvement. Plus qu’à une « guerre de l’eau », elle a ressemblé à un soulèvement pour le droit à l’eau [1], au cours duquel aucun mort ni aucun blessé n’a été dénombré, la population étant sortie dans la rue et ayant investi tous les quartiers de la ville de El Alto pour exiger que l’eau soit un service public et non une affaire privée.

Dans l’immédiat, le relais sera assuré par une ancienne entreprise municipale jusqu’à ce que se constitue une nouvelle société avec la participation des habitants et sous le contrôle social de la FEJUVE. Suez-Aguas del Illimani n’a pas accepté la façon dont le contrat avait été dénoncé et se prépare à intenter une action qui se chiffrera à plusieurs millions contre la Bolivie auprès du CIADI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) [2], organisme qui relève de la Banque mondiale. Il est à noter que la Banque mondiale détient 8% des actions d’Aguas del Illimani au travers de sa branche privée, la Société financière internationale (SFI). Autrement dit, si l’action en question est jugée recevable, la Banque mondiale serait directement juge et partie. Face à cette nouvelle attaque que Suez se prépare à lancer, il est fondamental d’organiser une campagne en France et dans le monde entier contre cette transnationale qui fait partie de celles qui s’en prennent le plus souvent aux intérêts de pays en développement.

ALAI, 18 janvier 2005


Guatemala : La force publique protège une transnationale

Des troupes de la « sécurité publique » de la police nationale et de l’armée ont réprimé une manifestation de la population de Sololá contre le projet d’une entreprise minière canadienne. Deux personnes ont perdu la vie.

Le 11 janvier a été marqué par des incidents fâcheux survenus sur la Route panaméricaine, entre les kilomètres 124 et 126, où, pendant plusieurs jours, la population de Sololá s’est opposée au passage d’un convoi exceptionnel que l’entreprise minière Montana Exploradora de Guatemala (filiale de la société canadienne Canadian Glamis Gold) acheminait dans le cadre de son projet Marlin. La population s’opposait d’abord à la destruction d’une passerelle située au village de Los Encuentros, dans le département de Sololá, destruction pour laquelle l’entreprise n’avait demandé aucune autorisation aux collectivités locales, lesquelles avaient construit ladite passerelle avec leurs propres moyens. D’autre part, les populations de Sololá, comme sur tout l’Altiplano et dans d’autres régions du pays, se trouvent sous la menace d’exploitations à ciel ouvert, où l’on utilise du cyanure et de grandes quantités d’eau. Enfin, les autorités de Sololá ont été abusées par l’administration centrale, qui leur a expliqué que le convoi exceptionnel servirait à construire des ponts dans le département de Huehuetenango.
Il y a quelques jours, les dirigeants de la région ont demandé aux représentants de l’Etat qu’un dialogue s’instaure, ce qui a eu lieu. Lors de la dernière réunion, ils se sont entendus pour que la population et les forces de « sécurité » se retirent jusqu’à la conclusion d’un accord avec le gouvernement central. Mais cet accord a été rompu par Montana, qui a engagé une entreprise pour détruire la passerelle et faire passer le convoi exceptionnel. Elle a d’ailleurs tenté d’abattre la passerelle dans la nuit sans l’autorisation de la population.

Le 11 janvier, les forces de « sécurité publiqu », ainsi que la police nationale et l’armée, toutes deux payées avec les impôts de tous les Guatémaltèques, étaient mobilisées pour garder le convoi exceptionnel de la transnationale canadienne, et ont réprimé par la force les mouvements de population, action qui s’est soldée par deux morts : Raúl Castro et Miguel Tonil (ce dernier reste à vérifier).

Comme dans l’affaire Nueva Linda, le gouvernement du Guatemala a recouru à la force publique avec excès pour protéger des intérêts privés, ce qui montre clairement qu’il est peu apte à dialoguer, mais aussi qu’il n’hésite pas à utiliser des méthodes répressives contre la population. Par conséquent, en l’occurrence, le seul responsable de cette effusion de sang est le gouvernement du Guatemala.

Pour se justifier, le gouvernement déclare que l’état de droit doit prévaloir, mais on peut lui demander pour qui ou dans l’intérêt de qui. Car on voit bien ici que le droit des transnationales prévaut sur le droit à la vie des Guatémaltèques.

Vinicio López

ALAI, 12 janvier 2005


Équateur : L’or d’Intag convoité par une entreprise canadienne

La région d’Intag, dans la province d’Imbabura, est actuellement le théâtre d’un procès. La raison en est que l’entreprise canadienne Ascendant Exploration dit avoir subi des dommages et des préjudices de la part du journal communautaire Intag. L’entreprise demande en outre au journal de lui rembourser les frais de représentation et de justice, qui s’élèvent à plus d’un million de dollars.

Selon les habitants d’Intag, depuis qu’elle a cité en justice la rédactrice en chef de ce journal, la transnationale Ascendant a engagé quatre actions, dont deux contre le leader de la communauté Polibio Pérez, accusé d’avoir abattu illégalement des arbres et d’avoir insulté l’entreprise lors d’une entrevue donnée à Radio La Luna de Quito. Ascendant s’en est également prise à l’avocat du Centre des droits économiques et sociaux, José Serrano, là encore à la suite d’un entretien donné sur la même chaîne de radio locale.

Le procès au pénal a fait suite à la parution d’un article intitulé « Les autorités cantonales et les organisations populaires locales rencontrent le directeur national des Mines », sous la plume de José Rivera (journal Intag, juillet 2004).

Dans cet article, l’auteur fait référence à la réunion des autorités cantonales, à laquelle ont assisté le directeur national des mines, l’avocat du canton Cotacachi, le président du Conseil paroissial de Plaza Gutiérrez, le maire de Cotacachi, Auki Tituaña, entre autres habitants et responsables communautaires. Selon plusieurs membres du journal, il reste à déterminer les motifs de l’action engagée et les paroles ou déclarations qui auraient constitué, aux dires de l’entreprise canadienne, des insultes et des calomnies.

Si l’on en croit le porte-parole de la transnationale canadienne, John Bolaños Moreano, l’entreprise a décidé d’entamer cette action en justice « parce que le journal Intag n’a pas répondu à la demande qui lui avait été faite de fournir des exemplaires certifiés conformes du numéro dans lequel était paru l’article supposément préjudiciable pour la société ». Serait-on devant une agression d’un journal communautaire contre une transnationale ? Serait-ce David contre Goliath ?

Un peu d’histoire

Les représentants locaux ont expliqué que l’entreprise canadienne souhaite exploiter un gisement de cuivre dans la zone et fait pression au moyen de cette action au pénal contre le journal communautaire.
Les habitants de la zone d’Intag se battent depuis huit ans pour empêcher que les travaux d’exploration détruisent des forêts et des propriétés situées sur leur territoire. L’année 1997 a été marquée par l’expulsion de la société Bishimetals, filiale de l’une des plus grandes transnationales du monde, la Mitsubishi. Plus tard, en 2002, le ministère de l’énergie et des mines a adjugé la concession à Roque Bustamante, en dépit du refus manifesté par le maire de Cotacachi, Auki Tituaña, les sept conseils paroissiaux de la zone, les membres du conseil municipal et plus de 20 organisations populaires.

Or, peu après, Bustamante a vendu ses droits à la transnationale minière Ascendant. Ainsi que le dénoncent les représentants locaux, on trouve dans cette entreprise des gens comme Ronald Andrade, ancien député au Congrès, avec toute son équipe de gardes du corps, qui, selon des témoignages des habitants du secteur, ont commis des agressions contre des responsables communautaires, le général (à la retraite) César Villacis, qui a dénoncé publiquement l’existence d’un « triangle de la subversion » composé de défenseurs des droits de l’homme et des indigènes. On trouve également le capitaine (à la retraite) Nelson Moreno, qui s’est présenté, selon les représentants locaux, comme membre de la Commission anticorruption. Il ressort de plusieurs témoignages que les personnes mentionnées ont exercé « toutes sortes de pressions » contre les habitants d’Intag. Les témoins exigent que l’on fasse une enquête et que l’on prenne les mesures appropriées.

Journal Tintají, 1-15 janvier 2005


Pérou : Quelques expériences de dialogue

La forte progression des investissements réalisés par des entreprises minières au Pérou depuis le début des années 1990 s’accompagne d’une recrudescence des conflits entre les communautés et les entreprises. Pendant la seule année 2004, le ministère de l’énergie et des mines a dû intervenir dans 97 différends et l’on prévoit que la tendance va se poursuivre cette année.

Dans un tel contexte, il importe de souligner des expériences comme celles vécues dans le pays depuis la fin de la dernière décennie, qui ont pour objet de rapprocher par le dialogue les acteurs de l’exploitation minière sur un terrain plus égalitaire et plus propice à une entente mutuelle.

Une expérience réussie

C’est ainsi que l’on peut qualifier la Table de concertation de Tintaya, dont les premières réunions remontent à décembre 2001 et qui, trois années plus tard, est parvenue à une entente entre les communautés de la province d’Espinar, dans le département andin de Cuzco, et l’entreprise australienne BHP Billiton, qui exploite la mine de cuivre BHP Tintaya.

En 2000, les communautés locales, soutenues par Oxfam Amérique et l’ONG péruvienne CooperAcción, dressent un diagnostic des problèmes que l’entreprise connaît depuis 1982 en matière d’occupation des terres, d’environnement et de droits humains. Puis elles adressent un rapport en Australie, au service du contentieux d’Oxfam Community Aid Abroad, chargé des affaires liées aux retombées des activités des entreprises minières australiennes. Oxfam Community Aid Abroad étudie le dossier et décide d’exhorter la maison mère de BHP Billiton à trouver des solutions.

La Table de concertation commence à fonctionner en février 2002, avec la participation de représentants des communautés et des entreprises, ainsi que de CooperAcción, d’Oxfam Amérique, de la Coordination nationale des communautés touchées par l’industrie minière (CONACAMI) et de son bureau régional de Cuzco (CORECAMI), d’organismes fournissant des services de conseil aux communautés, et du gouvernement provincial d’Espinar.

« Lorsque le dialogue ne repose pas sur des relations équilibrées, le processus est voué à l’échec. Dans ce cas, on a essayé de créer des conditions plus ou moins équitables pour les communautés appelées à négocier avec un acteur extrêmement puissant comme l’est BHP Billiton et, à cet égard, le soutien apporté par la CONACAMI, CooperAcción et Oxfam y a été pour beaucoup », a assuré José De Echave de CooperAcción.

Le groupe a constitué quatre commissions chargées de régler des problèmes précis : occupation des terres, droits humains, environnement et développement durable. Au terme de presque trois années de négociations, le 21 décembre 2004, les communautés et l’entreprise ont signé un accord selon lequel l’entreprise s’est engagée à céder aux communautés des terres égales, en superficie, à celles dont elles avaient été expropriées par l’Etat et qui avaient été acquises par BHP Billiton, plus l’équivalent de 25 à 50% de ces terres, en fonction de leur qualité.

Contrôles environnementaux conjoints

Entre autres choses, il a été convenu que l’entreprise et les communautés procéderaient à des contrôles environnementaux conjoints en conformité avec les normes de qualité adoptées par la Table de concertation. Il a également été décidé de créer un Fonds de développement communautaire avec un apport financier de l’entreprise, et que les futures activités d’exploitation ou d’agrandissement de la mine seraient assujetties à l’accord préalable des communautés concernées.

« Nous sommes parvenus à cet accord de la façon la plus démocratique possible. Nous avons discuté du document pendant plus d’un an et nous lui avons apporté plusieurs modifications, qui avaient été débattues durant chacune des assemblées des communautés avant d’être approuvées par les commissions de la Table de concertation », a expliqué Francisco Córdoba, représentant de la CORECAMI de Cuzco.
« Il ne faut pas croire que cet accord apportera une solution à tous les problèmes passés et futurs, a affirmé De Echave. De plus, sa mise en œuvre sera compliquée. Mais nous avons jeté les bases d’une coexistence harmonieuse possible entre l’entreprise et les communautés. »

Selon Miguel Palacín, président de la CONACAMI, « une des raisons du succès du groupe de Tintaya est l’absence de l’Etat. Pour mener cette expérience, nous avons fait abstraction des lois en vigueur et nous nous sommes occupés de sujets comme la terre, le développement durable et l’environnement, que l’on ne trouve pas dans les lois et qui ne sont pas inscrits dans la politique de l’Etat. »

Quant à lui, De Echave insiste sur le fait que les acteurs « ont développé leurs capacités de dialogue, pour faire la part des revendications justifiées et comprendre les différents mécanismes en jeu à l’intérieur de chaque communauté. Chaque acteur a élaboré une stratégie pour améliorer les compétences en la matière. »

Andrés Mego

Noticias Aliadas, 3 février 2005


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2792.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : voir à la fin de chaque texte.

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[1Cf. Dial D 2763.

[2Cf. Dial D 2762.

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