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DIAL 3733

BRÉSIL - Lettre aux ami⋅e⋅s

Xavier Plassat

mercredi 26 février 2025, mis en ligne par Dial

Nous publions ci-dessous, comme chaque hiver, la lettre annuelle que nous a fait parvenir le dominicain Xavier Plassat, membre de la Commission pastorale de la terre (CPT) au Brésil.


Araguaína, le 5 novembre 2024

Chères amies, chers amis,

comme à chaque fin d’année depuis… tant d’années, je viens partager avec vous quelques moments et quelques nouvelles significatives de l’année écoulée. Vous y percevrez probablement combien, plus que jamais, nous sommes « dans le même bateau », un motif, s’il en fallait, pour maintenir et renforcer notre solidarité.

Ce que j’aborde dans cette lettre reprend en partie la teneur de rapports plus consistants que nous adressons à nos divers partenaires (CCFD, Misereor, Fondation AFC Umani, Fondation Yo & Anne-Marie Hamoud) sur la base des actions menées par l’équipe de la Commission pastorale de la terre (CPT) dont je fais partie dans l’État du Tocantins (bordure nord-est de l’Amazonie) depuis… 1990. Une équipe qui, cette année, a connu un renouvellement à hauteur de la moitié de ses membres : nous avons en effet accueilli quatre nouveaux membres : des jeunes motivés, engagés et préparés. Ils ont entre 20 et 28 ans : Ludimila, Dhiogo, Camilla et Eduardo. Rajeunissement garanti donc [1] ! De même a été reformulée l’assistance juridique désormais assumée par un groupe de 3 jeunes avocats militants, établis dans la capitale de notre État (Palmas). Nous avons renouvelé aussi notre coordination collégiale avec l’élection à cette charge d’Evandro, Ana-Lúcia et Ludimila. Me voici désormais presque dégagé de toute charge pesante et davantage disponible pour contribuer aux actions de notre Campagne contre l’esclavage moderne.

Je présente successivement :
 le contexte où s’inscrit notre travail,
 le travail de base réalisé auprès de groupes paysans que nous accompagnons directement,
 des actions importantes réalisées au cours des neuf derniers mois,
 les actions plus spécialement liées à la lutte contre le travail esclave.

Un contexte inquiétant

Tandis que la COP16 biodiversité s’achève en ce début novembre dans une atmosphère de profonde frustration (cf Le Monde du 5 novembre), la planète tout entière suffoque face à l’accélération des changements climatiques et de leurs impacts, bien plus rapides qu’on ne l’annonçait jusqu’ici. Dans ce drame global, le Brésil est spécialement épinglé : non seulement il souffre des effets, mais il contribue à leurs causes.

Selon le système d’alerte de la déforestation du Cerrado (Mapbiomas [2]), le Tocantins a représenté en 2023 plus de la moitié de toute la déforestation enregistrée dans le Cerrado. En 2003, le Tocantins a déboisé au rythme de 631 hectares par jour, dont 87 % dans des domaines privés, totalisant 230 000 hectares (+177% par rapport à 2022).

Si l’on considère le biome amazonien, dont notre État fait également partie, les données de l’Imazon (Institut brésilien de recherche sur l’Amazonie) indiquent que la destruction cumulée de la forêt de janvier à octobre 2023 a été de 3 806 km², la 6e plus importante en 16 ans (équivalente à la destruction de 1200 terrains de football par jour). Le Tocantins fait partie des 3 États où la déforestation a connu la plus forte croissance [3].

Comme si la confusion déjà installée ne suffisait pas, le Tocantins dispose d’une loi de régularisation foncière qui, en désobéissance à la Constitution fédérale, permet de valider la propriété d’un domaine sur la seule base d’un titre « paroissial » (ancienne forme d’enregistrement datant du milieu du 19e siècle). Cela équivaut à légaliser l’accaparement de terre, une « industrie » typique de notre État. Autre manifestation claire du soutien donné à l’expansion des frontières de l’agrobusiness, les sénateurs du Tocantins tentent de faire approuver au Sénat un projet qui vise à incorporer au domaine de l’État du Tocantins toutes les terres fédérales existantes dans notre État, dont des zones stratégiques pour l’agrobusiness du soja : un chèque en blanc pour destiner ces terres à des « activités agricoles », sans aucune référence à la politique de réforme agraire.

L’agrobusiness a donc en vue une expansion territoriale sans limites. Ceci pourra causer encore plus de conflits dans les années à venir. L’option du gouvernement de l’État en faveur de l’agrobusiness à tout-va se vérifie également dans la distribution massive de semences transgéniques et d’autres intrants agricoles. Lors de la dernière récolte de 2023, le Tocantins est devenu le plus grand producteur de céréales de la région Nord : 7,6 milliards de tonnes récoltées. Un facteur aggravant est l’augmentation de l’utilisation de pesticides dans les cultures.

La priorité absolue à l’agrobusiness a de lourdes conséquences : concentration des terres et croissance de grands domaines ; dégradation de l’environnement (parfois irréversible : empoisonnement de l’eau, du sol et de l’air) ; déforestation et extinction conséquente des arbres fruitiers dans le Cerrado ; destruction des sources et cours d’eau ; élimination de la faune ; et surtout : violence brutale pratiquée contre les familles qui refusent de quitter leurs terres et exclusion sociale due à l’appauvrissement de la population rurale.

À noter que les incendies qui ont dévasté de larges espaces du Brésil et de notre région, en particulier dans l’île du Bananal – um écosystème unique au monde (la plus grande île fluviale au monde), situé au sud-ouest de notre État, ne sont pas simplement le résultat de fatalités liées à l’exceptionnelle sécheresse : des indices convergents indiquent que le feu est utilisé pour l’accaparement de terres : il est un instrument facile du « nettoyage » de territoires convoités pour être convertis en paturâges ou même en plantations de soja [4].

L’ensemble de ces facteurs aggrave la vulnérabilité des travailleurs sans alternative locale pour survivre et alimente les mouvements d’expulsion et de migration avec un risque élevé de précarité et de surexploitation du travail.

Alors que la population rurale souffre des impacts de l’avancée de l’agrobusiness, les multinationales présentes dans le Tocantins, principalement dans la transformation du soja et de la viande, affichent une croissance confortable, comme Bunge ou Cargill ou Syngenta ou les abattoirs installés dans la région, comme Minerva, JBS et Masterboi, dont une importante proportion de la production se destine à l’exportation.

Du côté des travailleurs, dans la zone d’action de la CPT Araguaia-Tocantins, le contexte actuel est celui du renforcement de l’articulation dans la lutte pour la défense et l’obtention des droits des paysans. À preuve la résilience dans l’occupation des terres et la reprise des territoires par les communautés expulsées, ainsi que le renforcement de la participation des communautés dans l’Articulation paysanne [5]. Celle-ci s’est consolidée comme une nouvelle forme d’auto-organisation des paysans et des communautés traditionnelles. En septembre 2023, l’Articulation paysanne, avec le soutien de la CPT-AT, a organisé sa 12e réunion annuelle, avec 200 participants.

La question du réchauffement climatique – et des solutions controversées proposées par le biais du marché des crédits de carbone – est également présente, compte tenu du fort potentiel de nos biomes et des pratiques traditionnelles qui y existent (encore…) pour séquestrer le carbone et « compenser » le manque de contrôle des autres acteurs planétaires. Contrairement à ce qui se passe déjà dans plusieurs communautés du Pará voisin, nous n’avons pas encore assisté au harcèlement des acheteurs de crédits de carbone dans les communautés que nous accompagnons. Cependant, cette éventualité nous a déjà incités à promouvoir le débat, la formation et la vigilance.

Nouvelles des groupes paysans accompagnés par la CPT Araguaia-Tocantins

Nous accompagnons 24 groupes (6 occupations de terre, 5 groupes de posseiros, 2 campements de sans-terre, 6 assentamentos, 1 quilombo, 3 groupes urbains et 1 groupe d’articulation de tous ces groupes, réunissant leurs leaders), distribués entre espaces urbain et rural dans cette vaste région du centre-nord du Tocantins. Ces groupes présentent des revendications différentes et se soutiennent mutuellement de manière solidaire.

Au fil des années il est possible d’identifier des changements, pas tous positifs.

Dans les assentamentos Antônio Moreira et Luar do Sertão, tous deux affectés par l’invasion de leurs « réserves légales » (aires légalement destinées à la préservation de l’environnement), les « envahisseurs » ont des profils variés : des politiciens locaux, des spéculateurs, mais aussi familles en situation d’extrême pauvreté. Leur action est facilitée par l’absence de création de nouveaux assentamentos par l’État, l’importance du chômage dans les villes et la croissance de la spéculation foncière associée à la pression de l’agrobusiness.

Les groupes en situation d’occupation ont connu pendant cette période une augmentation des violences, des incendies criminels, de l’action de milices armées et l’assassinat de dirigeants.

Prenons l’exemple de la communauté Tauá, qui réunit un groupe d’occupants (récents) et un groupe de posseiros (au profil de paysannerie traditionnelle) : en 2022 et 2023, la Tauá a vécu des scènes de terreur provoquées par un fazendeiro accapareur de terres et ses « pistoleiros » armés. Sur la principale route d’accès à la communauté, un poste de garde a été installé où 4 hommes armés menacent les paysans, tirent sur eux à balles réelles ou même incendient leurs maisons.

Deux paysans ont été battus et blessés. L’un d’eux a dû quitter la région pour éviter le pire (et se trouve depuis sous la protection de la CPT et du programme officiel de protection aux personnes menacées). Nous avons fait rapport à la police, organisé des réunions avec les organes de sécurité et de conciliation agraire, diffusé des notes publiques, aidé la communauté à élaborer des protocoles de sécurité. La violence directe n’a pris fin qu’après l’arrestation – fin 2023 – de plusieurs pistoleiros, la décision du juge d’interdire toute action du fazendeiro sur cette propriété et la suppression du poste de garde.

Dans le groupe de la Serrinha, les 36 occupants ont réussi à négocier avec l’INCRA (organisme public fédéral en charge de la réforme agraire) en vue de créer un assentamento sur la terre qu’ils revendiquent : l’annonce a été rendue publique en avril 2024 ; le nom choisi pour ce nouvel assentamento est Reginaldo Lima, en hommage à l’ancien leader du groupe, tragiquement décédé en 2019. Après toutes les difficultés que cette lutte a dû affronter, voici une conquête fondamentale pour toutes ces familles : le droit à vivre enfin de manière pacifiée sur leur territoire.

Autre exemple : le quilombo Grotão, une communauté de 23 familles qui se bat depuis des décennies pour la régularisation de son territoire. Elle a récemment remporté une victoire significative avec l’expropriation – par la justice et en sa faveur – d’une partie de leur territoire ancestral (330 ha). C’est là que se trouvaient les familles avant leur expulsion judiciaire brutale (2008), les obligeant à émigrer vers les périphéries des villes voisines. Là se trouve le cimetière de la communauté, espace sacré chargé de mémoire. La réoccupation de ces terres a été menée principalement par les quilombolas les plus jeunes, qui ont fait preuve d’un engagement fort pour préserver leur culture et leur histoire. L’un des facteurs qui a favorisé cette reprise est l’accès à l’eau potable, garanti par un projet coordonné par la CPT. Accompagnée de formation et d’un travail d’organisation dans la communauté, l’action de la CPT a été fondamentale pour améliorer ainsi les conditions de vie et garantir l’installation pérenne des familles dans la dignité retrouvée.

Le groupe de 6 posseiros traditionnels de la Sussuarana, qui se bat pour cette terre depuis 1999, a obtenu une décision de justice favorable, qui reconnaît enfin ses droits. Malheureusement, l’un d’eux, décédé juste avant la décision, n’a pas pu voir son rêve se réaliser.

Enfin, l’assentamento Remansão (70 familles), bénéficiaire de notre programme RAICE (Réseau d’action intégrée pour combattre l’esclavage), a développé, avec l’aide de la CPT, un ambitieux projet de plantation de 15 000 plants de noix de cajou sur une superficie de 450 ha (projet « L’espoir qui vient de l’anacardier), ainsi que le projet « Autonomie des femmes paysannes : couture, génération de revenus et renforcement de la communauté ». Ces projets ont grandement contribué à remettre sur pied l’association constituée par les familles.

Tout allait pour le mieux quand, en juin 2024, alors que se consolidaient enfin ces projets et la stratégie engagée pour assurer la permanence des familles sur ces terres, est survenu l’assassinat du président de l’association locale, Cícero Rodrigues (photo), un leader paysan respecté dans toute la région. Le crime semble être une conséquence des confusions entretenues par les nombreux épisodes d’achat et vente de parcelles dans l’assentamento, une pratique contre laquelle Cícero s’était manifesté et qui s’est développée à mesure que se réduisait l’action de l’INCRA. Le crime a profondément ébranlé la communauté et mis en évidence le haut degré de violence existant dans nos campagnes.

La communauté paysanne traditionnelle du Mirante, 20 familles, à Campos Lindos (capitale régionale du soja), est confrontée à des tentatives répétées pour l’expulser de son territoire, soit par des moyens d’ordre « légal », soit par le biais de la dévastation environnementale provoquée par les accapareurs de terres : ils empoisonnent les eaux, détruisent les semis et déboisent le Cerrado, utilisant feu et pesticides, et menaçant directement la vie des gens. La communauté résiste, dénonce les violences et reste sur cette terre durement conquise. Elle vient d’être reconnue comme communauté paysanne traditionnelle par le ministère public fédéral, au terme d’une expertise anthropologique, qui sert aujourd’hui de preuve dans les procédures judiciaires engagées. L’organisation interne de la communauté est un exemple du genre : dans une tranquille relation entre générations, les aînés partagent leur sagesse avec les plus jeunes et, dans un dialogue ouvert, maintiennent vivante l’essence des traditions du groupe.

L’assentamento Formosa, 28 familles, situé à Darcinópolis, s’est distingué en 2024 par sa capacité à s’organiser avec d’autres groupes de la commune et créer avec eux une foire permanente de l’agriculture familiale, un projet qu’ils ont soumis au conseil municipal. Les échanges entre groupes ont permis de partager les connaissances et les pratiques en matière d’agriculture familiale. Cette action renforce l’évidence (malheureusement fréquemment mise en doute dans le discours dominant) du rôle crucial de l’agriculture familiale pour la culture et l’économie du pays : elle contribue de manière significative à la production alimentaire, à la génération de revenus et au maintien d’une vie digne, garantissant à la population l’accès à une alimentation de qualité, avec des produits frais et d’origine connue. La création de la foire renforce les liens entre agriculteurs et consommateurs et souligne l’importance de la réforme agraire aussi bien pour les gens de la campagne que pour ceux des villes.

Le quilombo Dona Juscelina, situé à Muricilândia, a été surpris par l’information reçue de l’INCRA selon laquelle le procès administratif de régularisation de son territoire serait abandonné, au motif que la « trajectoire historique » de la communauté n’a pu être attestée ; c’est ce que prétend un rapport produit par des anthropologues commis par l’INCRA, en contradiction avec les précédentes expertises. Pour tenter d’inverser cette position, le quilombo a fait appel auprès du Procureur de la République. Comme tous les quilombos du Brésil, ce quilombo a une histoire marquée par une impressionante séquence de luttes pour sa survie. Elle a débuté en Afrique avec l’invasion européenne, s’est poursuivie avec les navires des trafiquants négriers, l’esclavage, l’abolition de 1888 « qui n’a pas libéré », mais a laissé les gens « libres » sur une terre captive, et puis la faim, la misère, la sécheresse du nordeste brésilien… jusqu’au début du XXe siècle, quand leurs ancêtres, mus par l’énergie qui leur est propre, par la foi et l’espérance en des jours meilleurs, ont migré vers le nord du Brésil à la recherche de terres de paix et de bien-être, dans la fameuse épopée connue comme « Bandeira verde ». En 1952, ces gens sont finalement arrivés ici, près du fleuve Muricizal. Les terres alentour étaient vacantes, sans clôtures. Ils s’y sont installés et ont pris racine, et c’est cet endroit qu’ils apprirent à identifier comme « chez nous », mais que, depuis lors, des tiers tentent sans relâche de s’approprier.

Quelques actions marquantes de l’année 2024

Mars : Rencontre et foire des paysannes du Tocantins

La 11e Rencontre des femmes paysannes du Tocantins, organisée par la CPT Araguaia-Tocantins et le Réseau de protection des femmes paysannes « Fleurs de Sucupira », a réuni à Araguaína, en mars, des centaines de femmes et d’hommes des communautés paysannes sur le thème « Semer nos savoirs et notre agir. Récolter santé et autonomie ! » Ont été abordés des sujets liés à la santé féminine et masculine, « du corps et de l’esprit », y compris la déconstruction des masculinités toxiques qui entretiennent structurellement les violences de genre. La financiarisation, l’endettement et la lutte pour la terre, les alternatives pour l’autonomie et la génération de revenus pour les femmes, ont également été abordés. Juste après s’est tenue la 5e Foire-Exposition de l’agriculture familiale et de l’artisanat des paysannes du Tocantins, un espace de (re)rencontres, de partage et de résistance, où les « gens qui produisent la vie, et de la vie en abondance » sont venus partager leurs expériences, tisser des liens et encourager l’autonomie des femmes et des familles paysannes. Des légumes et fruits frais aux produits artisanaux (bonbons, épices, confitures, fromages, remèdes naturels, etc.), les consommateurs de notre ville d’Araguaína ont pu trouver une variété d’options et remplir leurs paniers, soutenant ainsi, dans la ligne de l’économie solidaire, la génération de revenus, l’autonomie des femmes paysannes, et des alternatives de subsistance et de résistance aux violences constantes subies par les communautés rurales.

Durant la Rencontre, des ateliers de formation et des cercles de débat ont été organisés avec les hommes, provoquant d’intéressantes réflexions sur leur rôle dans la relation entre les sexes et sur la manière dont le machisme peut mettre en danger la vie des hommes eux-mêmes, quand s’établissent des modèles de comportements qui font peu de cas de la santé physique et psychologique. Les participants ont montré qu’ils savent bien que le travail dans les champs est « rude » et présente des dangers. La discussion sur la santé psychologique a permis de problématiser les rapports entre les sexes et de percevoir les méfaits du machisme pour les hommes aussi, affectés par la « personnalité toxique du macho », et tous les risques que cela comporte. La discussion sur le genre ne paraît pas encore prise très au sérieux par les paysans. Ils sont toutefois restés très attentifs aux informations partagées à cette occasion avec le psychologue présent. En résumé, comme on dit ici : « Quand une femme avance, aucun homme ne recule ! »

Avril : Assemblée régionale de la CPT Araguaia Tocantins

En avril, notre CPT Araguaia-Tocantins a réuni sa 36e Assemblée régionale, grand moment de retrouvailles, de partage et de célébration pour tous les amis de la CPT, agents de pastorale, responsables de mouvements partenaires, membres des groupes paysans accompagnés par la CPT et de l’Articulation paysanne de lutte pour la terre et la défense des territoires. Les participants ont été invités à renouveler leur engagement pour la cause de la défense de la terre et des territoires, le souci des peuples et des communautés, la construction d’une vie digne, avec justice et paix dans les campagnes. Les expériences et actions menées par la CPT avec les communautés paysannes ont été mises en exergue ; une évaluation des actions menées et une présentation des comptes pour la période triennale 2021-2023 ont été réalisées ; nous avons aussi élu une nouvelle coordination collégiale.

Mai : Audience publique entre Articulation paysanne et INCRA et lancement du rapport annuel de la CPT nationale sur les conflits dans les campagnes au Brésil

L’audience et le lancement ont été réalisés le 10 mai, une date historique, de mémoire et d’indignation, la date que le latifundio et la cupidité de l’agrobusiness ont choisie en 1986 pour assassiner le Père Josimo Moraes Tavares, alors coordinateur de la CPT Tocantins dans le Bico do Papagaio (extrême nord du Tocantins).

La vie de Josimo a été interrompue par la balle meurtrière d’un pistoleiro à la solde de gros fermiers de la région située entre les fleuves Araguaia et Tocantins. Notre État du Tocantins est entaché dès l’origine par la violence exercée contre les défenseurs des droits de l’homme, mais la mémoire de Josimo et de tous les martyrs de la lutte pour la terre reste comme un appel constant à dénoncer et à résister à l’oppression, en vue de la justice et de la paix.

Lors de l’audience, les leaders paysans ont dénoncé les violences subies et exigé une action plus effective de l’INCRA prenant en compte les revendications des communautés, qu’il s’agisse de la réforme agraire ou de la régularisation foncière des territoires. À cette occasion a été présenté le tout nouveau rapport national de la CPT sur les conflits de terre au Brésil, en présence de représentants paysans, de mouvements sociaux et organismes pastoraux et d’institutions gouvernementales et judiciaires. Dans notre État, 81 conflits de terre ont été enregistrés en 2023, ce qui a directement affecté 20 464 personnes : 15 conflits de plus que l’année d’avant. Dans l’ensemble, les données montrent une intensification de la violence contre l’occupation et la posse [6] de la terre, ainsi que contre les personnes (blessures corporelles, menaces, intimidations, arrestations, expulsions), perpétrée principalement par des accapareurs de terres et leurs hommes de main, mais aussi par le gouvernement de l’État.

Mai : Romaria [Pèlerinage] de la terre et des eaux « Padre Josimo »

Les 18 et 19 mai 2024 s’est déroulée à Imperatriz (État du Maranhão), à 300 km au nord d’Araguaína, la 19e Romaria de la terre et des eaux « Padre Josimo, réunissant des « pélerins » venus en particulier du Maranhão et du Tocantins, inspirés par l’appel de Josimo, martyr de la lutte pour la terre, et par cette promesse si insolite en ces temps de guerres : « Justice et Paix régneront ! », devise de notre Romaria. Des salles thématiques ont accueilli les romeiros. On y découvrait diverses expériences suscitées par la mémoire de Josimo : agroécologie, lutte pour la terre et contre le travail esclave, organisation des femmes (quebradeiras de noix de coco babaçu), jeunesses paysannes, soins et santé, quilombolas. Des films ont également été projetés, comme Mada et Bia (du nom de deux sœurs françaises, qui ont eu une longue militance dans le Bico do Papagaio), suivis d’un débat avec les réalisateurs et nos héroïnes (aujourd’hui octogénaires).

À l’aurore du 2e jour, après une messe en plein air, commença la traditionnelle marche des romeiros dans les rues de la ville, avec quatre étapes choisies pour leur valeur emblématique : un pont enjambant les eaux polluées de la rivière Bacuri, où nous avons crié : « Au secours ! La planète se meurt : nous voulons RES-PI-RER ! » ; devant l’Université du Maranhão : « Jeunesse, un autre monde est possible ! » ; sur les rives du fleuve Tocantins (qui connecte les États du Maranhão et du Tocantins), à l’embarcadère où Josimo avait accosté une dernière fois, le 10 mai 1986 : « Tout est connecté ! Avec la nature, nous formons un tout ! ».

Finalement nous sommes arrivés au Mémorial Padre Josimo, près de la place de Fátima, devant les escaliers où Josimo a été abattu par les balles meurtrières : « Justice et paix régneront ». Nous avons alors écouté le « Testament spirituel » de Josimo et partagé la bénédiction des semences confiées à chaque romeiro et romeira. Puis une « abondante » bénédiction synodale a été donnée par les mains d’un quilombola, d’une quebradeira de coco, de divers paysans et des six évêques présents, tous revêtus de l’étole spéciale de la Romaria. La tête haute, réunis au nom de la vie, nous avons finalement proclamé en litanie les noms de nos martyrs/es, témoins fidèles tombés au bord du chemin, dans leur lutte pour notre libération, et réaffirmé notre engagement « Josimo, nous voici ! ». Dans le Message final de la Romaria, nous avons ensemble assumé cette promesse : « Demain, nous produirons du pain à la taille de la faim de notre peuple. Nous aurons des fils et des filles. Nous planterons des arbres et des potagers. Nous donnerons de jolis noms à nos enfants. Nous appellerons les arbres “Mon chéri !”. Nous appellerons l’eau “Mon amour” ! Nous donnerons de jolis noms aussi à nos communautés et rebaptiserons ce monde comme “Notre maison commune !” Josimo, Présent, Présent ! »

Juin : Rencontre d’agroécologie, audience publique « Terre et Territoire » et FOSPA (Bolivie)

L’Articulation agroécologique du Tocantins a organisé, à Palmas, la 6e Rencontre d’agroécologie du Tocantins, réunissant paysans, quebradeiras de coco babaçu, peuples autochtones, quilombolas et autres peuples traditionnels, ainsi que défenseurs des droits de l’homme. Au programme : une audience avec le ministère public fédéral, le défenseur public et le ministère public du Tocantins pour débattre des questions agraires et des luttes paysannnes ; des ateliers, des débats, une foire paysanne, en présence de 400 personnes venues des 4 coins de notre État.

Avec ma jeune collègue Ludimila, nous sommes allés participer au Forum social pan-amazonien, réuni en Bolivie (à Rurrenabaque). L’accent a été mis sur la formulation de recommandations pour la promotion des droits des populations traditionnelles, sur la dénonciation des crimes de l’agrobusiness et l’imposition de projets nuisibles à la vie humaine, à la biodiversité et à l’environnement : déforestation, monocultures, invasion des territoires, utilisation de pesticides.

Problèmes communs ici et là… Une excellente occasion de plonger dans l’Amérique profonde des peuples originaires.

Juillet-août : Ateliers d’agroécologie dans la communauté Barriguda et avec les familles des groupes Vitória et Santo Antônio

Il s’agissait d’ateliers sur l’art et la manière de produire des aliments sains, sans recourir aux pesticides et aux engrais chimiques, et en mettant à profit la matière organique disponible. On a fabriqué un composteur et produit de l’engrais « bio » – un engrais organique qui fournit une bonne quantité de nutriments aux plantes. Les paysans présents ont souligné que « dans le passé, on n’utilisait pas ces “poisons” et on produisait de tout ». Moment important pour réfléchir sur les notions de sécurité et de souveraineté alimentaires et sur les stratégies nécessaires pour se maintenir sur la terre.

Septembre : 13e Rencontre paysanne à Araguaína (Casa dona Olinda)

La rencontre a réuni 300 paysans et paysannes de groupes traditionnels, quilombolas, assentados, sans-terre, posseiros, peuples autochtones, ainsi que des représentants de mouvements sociaux. Thème mobilisateur : « Résistance et prophétie : lutter pour une vie digne et le droit à la terre et au territoire ». À l’approche du 50e anniversaire de la fondation de la CPT (créée en 1975), nous avons pu ensemble réaffirmer notre engagement dans la lutte pour la terre et sur la terre et discuter des stratégies pour faire face aux projets qui menacent la vie, la paix, la justice, détruisant le Cerrado et l’Amazonie, incendiant les forêts, polluant les eaux et violant les droits des communautés. Ont été dénoncées les attaques contre l’intégrité et la sécurité des dirigeants paysans, et contre les modes de vie de toutes ces familles qui résistent. Un grand moment pour affirmer l’identité paysanne et les luttes des collectifs présents. Une célébration œcuménique finale, réalisée sur le lieu même du crime perpétré en juin contre Cícero, sur la route de son assentamento (Remansão), a dénoncé injustices et violences.

Sur le front des luttes contre le travail esclave

L’année 2023 avait été une année record pour le nombre de personnes trouvées en situation de travail esclave (3 472 dont 3 288 ont été tirées d’affaire par l’action d’inspecteurs du travail).

En contraste l’année 2024 a été marquée depuis janvier par un mouvement revendicatif de la catégorie des inspecteurs du travail, qui a entraîné une paralysie relative des opérations d’investigation du travail esclave : une raison de plus pour intensifier notre Campagne nationale « Ouvre l’œil pour ne pas tomber en esclavage ». Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’esclavage ici n’a jamais cessé : il a juste acquis de nouveaux oripeaux après la signature de la Loi d’abolition en… 1888. La précarité des conditions de travail, la croissance des modalités de travail informel et le déni de la dignité humaine conduisent de nombreuses personnes à la condition d’esclaves modernes. Les inégalités et le manque d’opportunités d’emploi décent, la permanence de la concentration des terres et l’héritage esclavagiste et raciste du Brésil maintiennent beaucoup de travailleurs/ses sur les routes de l’esclavage.

Un facteur essentiel pour combattre le travail esclave est la dénonciation par ceux qui en sont victimes ou en ont connaissance. Aujourd’hui, les dénonciations peuvent être faites en ligne, en toute confidentialité, en accédant directement au ministère du travail (ipe.sit.trabalho.gov.br). La CPT, autrefois canal essentiel pour accueillir les plaintes d’ouvriers agricoles « fugitifs », continue dans chacune de ses équipes locales d’être à la disposition de toute personne désireuse d’accomplir cet acte citoyen : dénoncer le crime pour sauver la dignité de beaucoup. Parmi les personnes libérées de l’esclavage en 2023, 2 630 se trouvaient employées dans des activités rurales : café, canne à sucre, soja, élevage bovin figurent parmi les activités les plus citées. À noter, ces dernières années, la fréquence croissante des cas de travail esclave domestique, une pratique qui se nourrit de la d’une pratique ancestrale : des jeunes filles et des femmes, pricipalement noires, maintenues des années ou même toute une vie durant en position de servitude, comme domestiques, au service de familles aisées. En 2023 on a enregistré 40 employées domestiques ainsi libérées, certaines après des dizaines d’années de servitude.

Sônia : un cas emblématique

Parmi ces employées domestiques maintenues en conditions analogues à celles d’esclave, il y a le cas de Sônia Maria de Jésus dont je vous avais informé l’an passé : cette femme noire, atteinte de déficience auditive profonde, avait été libérée par le Groupe d’inspection mobile en juin 2023, dans la luxueuse résidence d’un haut magistrat de la Cour de justice de l’État de Santa Catarina, Jorge Luiz de Borba. L’affaire avait fait la une des journaux : depuis ses 11 ans et pendant plus de 40 ans, Sônia avait été la servante, bonne à tout faire, privée de tout contact avec sa famille d’origine, ne recevant ni soins ni instruction (pas même la langue des signes). Le pire dans cette histoire, encore non résolue, c’est que ce haut magistrat a réussi à utiliser sa position au sommet de la hiérarchie et l’allégation boiteuse selon laquelle « cette fille faisait partie de la famille », pour obtenir de la Cour suprême l’autorisation de reprendre Sônia chez lui. Pour le moment rien n’y a fait : ni la mobilisation de notre CPT au niveau de la Commission nationale contre l’esclavage (où nous représentons la société civile), ni notre intervention auprès de la Commission interaméricaine des droits humains (OEA), ni notre action comme amicus curiae, ni notre intervention devant la Commission des droits de l’homme du Sénat [7], ni la croissante mobilisation autour de Sônia et de sa famille biologique (#SoniaLivre !)

Profil-type

Selon les données analysées par notre Campagne (disponibles ici), il existe un profil bien défini des personnes réduites en esclavage moderne au Brésil. Plus de 80% d’entre elles sont noires, 4% sont de peuples autochtones, 6% sont des femmes ; 43% sont des migrants du « Nordeste » à la recherche de meilleures conditions de vie dans d’autres régions du pays. Ces quelques chiffres illustrent les diverses causes qui peuvent conduire une personne à la condition d’esclave. Les luttes pour la terre, pour les territoires et pour tous les droits de l’homme, autrement dit, contre toute cause de vulnérabilité, sont une partie fondamentale de la lutte contre le travail esclave.

Voilà pourquoi, depuis 1997, nous animons cette Campagne nationale « Ouvre les yeux pour ne pas devenir esclave », qui propose des stratégies collectives d’intervention pour attaquer les causes structurelles de l’esclavage moderne et proposer des alternatives de vie dans la dignité.

D’autres actions initiées antérieurement ont suivi leur cours en 2024 telles que notre partenariat avec le réalisateur du film Pureza et du documentaire Servidão, tous deux consacrés au thème de l’esclavage moderne et objets d’une ample divulgation au Brésil ; notre participation à deux procès intentés devant le Tribunal de Paris, par une coalition d’ONG contre les groupes Casino et BNP-Paribas, sur la base de la loi française relative au devoir de Vigilance, et motivés par la contribution à la déforestation, à l’invasion de territoires protégés ou même à la pratique du travail esclave, de la part d’entreprises qu’ils contrôlent ou financent en Amazonie, en lien avec le secteur bovin.

Échange de bonnes pratiques

En septembre, la CPT de Tucuruí (Pará) a organisé un échange entre les réseaux locaux de vigilance contre l’esclavage animés par les CPT du Maranhão, Pará et Tocantins. Y ont participé les membres du Programme RAICE d’Itupiranga (Pará), de Codó (Maranhão) et d’Araguaína (Tocantins), ainsi que divers membres d’agences municipales ou gouvernementales, et de l’université, ainsi que de la coordination nationale de notre Campagne. Un premier débat a porté sur « Travail en réseau – Défis et nouvelles voies possibles » ; un second a traité du « Rôle des communautés dans la lutte contre le travail esclave », animé par mon collègue d’Araguaína, Evandro, éducateur et actuel coordinateur de la Campagne nationale « De Olho aberto para não virar escravo » ; le dernier débat a réfléchi sur « L’intervention du service d’assistance sociale dans la lutte contre le travail esclave », sous la houlette de la Secrétaire à l’assistance sociale de la ville de Codó. Comme l’a souligné l’une des participantes : « Ce travail de la CPT et d’autres institutions pour accueillir les gens [retirés d’esclavage], les réinsérer dans la communauté, leur permettre de revenir sur leur territoire et pouvoir s’intégrer dans un réseau de travail qui brise réellement le cycle du travail esclave, ce travail doit s’articuler avec celui de la justice et des autres institutions, en particulier celles en charge des diverses politiques publiques concernées ». C’est tout l’enjeu du « flux d’assistance » aux personnes victimes d’esclavage, un instrument nouveau – sorte d’organigramme – créé pour orienter l’action des divers partenaires.

Mobilisations locales contre l’esclavage

Comme chaque année à la même date, pour marquer la mémoire du massacre d’Unaí (assassinat de 3 inspecteurs du travail et leur chauffeur, le 28 janvier 2004) nous réalisons animations et mobilisations en divers lieux stratégiques pour inciter la population à la vigilance.

Présence active de la CPT au sein de la COETRAE-Tocantins

La CPT Araguaia-Tocantins vient d’animer une journée de travail des membres de la COETRAE (Commission pour l’éradication du travail esclave dans le Tocantins) pour mettre en place l’organigramme [ou « flux »] d’assistance aux victimes du travail esclave dans notre État.

Objectif : mieux identifier les stratégies d’intervention et les acteurs de la lutte contre le travail esclave de la prévention jusqu’à l’attention aux victimes, en mettant l’accent sur le rôle de la politique d’assistance sociale. Parmi les intervenants : un représentant du ministère du développement social ; un inspecteur du travail du département national d’éradication du travail esclave ; et moi, pour la CPT, à la manœuvre pour coordonner les travaux. Le travail esclave dans le Tocantins est, malheureusement, une vieille tradition. Les chiffres dont nous disposons aujourd’hui ne signalent plus sa présence en grande proportion, mais traduisent précisément l’invisibilité croissante d’un phénomène au sujet duquel nous avons assez d’indices pour penser qu’il continue. C’est pourquoi il est important de se mobiliser pour faire un travail plus intensif de prévention, d’investigation, de vigilance et d’attention aux victimes.

Agrobusiness ou agroécologie ?… en guise de réflexion finale

La domination croissante de l’agrobusiness [8] menace directement la pérennité des communautés paysannes, particulièrement dans notre région de Cerrado, élue « nouvelle frontière agricole ».

L’option pour l’agriculture agroécologique et les débats qu’elle suscite sont plus que jamais pertinents, au moment où le modèle de l’agrobusiness expose sa capacité de nuisance pour l’avenir de la planète.

Un Brésil « développementiste » (avec sa devise positiviste « Ordre et Progrès ») a réussi à produire une image déformée de sa paysannerie, en particulier celle des régions Nord et Nordeste : celle d’un peuple accroché à l’arriération, incapable d’absorber les changements nécessaires que le temps exige. Les médias du Brésil martèlent 24 heures sur 24 que « l’Agro est pop », c’est-à-dire : une vision idéologique selon laquelle tout ce qui ne suit pas la ligne de l’agrobusiness est tourné vers le passé.

Notre vision n’est pas idéologique. Elle n’entend pas idéaliser un modèle utopique de paysannerie.

L’expérience aux côtés des communautés que nous accompagnons depuis des décennies nous a amenés à boire à d’autres sources.

Nous voyons chaque jour comment, face aux défis extrêmes imposés par des structures héritées de siècles d’esclavage et de discrimination, des groupes sociaux historiquement dominés et hostilisés ont réussi à préserver et à maintenir avec la nature une saine relation d’échange, attentive aux besoins du sol et aux richesses innées du biome, gardiens respectueux des innombrables formes de vie, cultivant la biodiversité. Ils savent qu’elle seule peut garantir la pérennité de l’eau et des plantes, et la sécurité des aliments sur la table des consommateurs.

Encerclés et littéralement harcelés par les pratiques artificielles de l’agrobusiness qui les empoisonnent et menacent leur vie au quotidien (littéralement : les avions larguent des tonnes de pesticides parfois au ras des maisons), ces communautés réalisent des prouesses dans l’usage et l’invention constante de pratiques de production adaptées : systèmes agroforestiers, à l’instar des communautés Serrinha et Taboca ; pratiques agroécologiques traditionnelles insérées dans des processus diversifiés et des circuits courts de distribution, comme dans le quilombo du Grotão ; l’utilisation et la mise en valeur de noix de cajou du cru, abondantes dans ce cerrado préservé, comme dans l’assentamento Remansão ; l’attention aux rythmes de reproduction du sol et de ses nutriments, avec ses besoins périodiques de jachère, comme à la Sussuarana.

Notre projet est de soutenir le protagonisme et la résilience des familles paysannes sur la terre, avec leurs exigences de sécurité, de légalisation de l’occupation des terres, de préservation des territoires et de leur biodiversité, de protection contre les violations des droits (et la violence), en appuyant des politiques publiques adaptées au profil de l’agriculture familiale. Il ne s’agit pas d’apporter du dehors une nouvelle vision socio-politique qui serait centrée sur l’adaptation de la paysannerie aux exigences d’une agriculture standardisée par l’agrobusiness, exigences qui éloignent tout horizon de durabilité.

Nous considérons comme défis principaux les facteurs qui contribuent à la désagrégation des communautés, tels que les violences que les communautés subissent dans la lutte pour la terre ; le départ des jeunes ; l’insuffisante préparation des nouveaux dirigeants. Cela accentue la nécessité de renforcer la mobilisation sociale et la formation, contribuer à l’organisation interne et favoriser le protagonisme des personnes impliquées.

Il nous faut dépasser le dilemme fréquent entre « éteindre les incendies » (éviter les expulsions, dénoncer les violences) et « promouvoir des alternatives » : agir pour provoquer des changements non seulement immédiats ou palliatifs, mais des transformations durables.

Il y a du pain sur la planche…

E la nave va…
Bon chemin d’Avent et Joyeux Noël 2024 ! Laissons-nous porter par l’espérance du nouveau-né.
Un autre monde est toujours possible ! Et à l’année prochaine « se Deus quiser » !
Meu abraço,

Xavier Plassat et toute l’équipe de la Commission Pastorale de la Terre Araguaia-Tocantins

Vous pouvez continuer à nous aider ! Idéalement, pour cette année 2025, il nous faut trouver environ 30 000 euros avec vos dons de 2024. C’est un petit peu plus que ce que nous avons réuni avec vos dons de 2023 pour cette année 2024 (25 000 euros).

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Merci !


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[1Ont pris un autre cap : Pedro (la retraite), Felipe (l’enseignement) et Laudinha et Lorrany (retour vers la famille et des activités moins « risquées »).

[3Dernière minute – une « bonne » nouvelle : selon l’Institut national (brésilien) de recherche spatiale (Inpe), la déforestation a baissé de 30% en Amazonie et de 25% dans le Cerrado au cours des 12 derniers mois (août-juillet) : Entre août 2023 et juillet 2024, les quatre États qui forment le MATOPIBA [Maranhão, Tocantins, Piauí, Bahia], aire privilégiée d’expansion de l’agrobusiness sur le cerrado au Brésil, ont réduit la superficie déboisée par rapport à la même période antérieure.

À Bahia, la baisse a été de 63,3%, de 15,1% dans le Maranhão, de 10,1% dans le Piauí et de 9,6% dans le Tocantins […] La superficie déboisée en Amazonie s’est élevée à 6 288 km² entre août 2023 et juillet 2024, selon les chiffres officiels du gouvernement fédéral publiés le 6 novembre par l’Institut national de recherches spatiales (Inpe). […] Malgré les incendies d’août et de septembre, il y a eu une baisse de 30,6 % de la superficie totale déboisée entre les deux saisons. Lors de l’édition précédente, le chiffre était de 9 064 km², entre août 2022 et juillet 2023. Avec cette réduction de 2 776 km², le chiffre de cette année est le plus bas depuis 2017. […] Le Cerrado a perdu 8 174 km² de végétation native entre août 2023 et juillet 2024. Ce chiffre est en baisse de 25,7% par rapport à la période précédente (11 002 km²). Dans ce biome, c’est la première réduction en quatre ans. Voir O Globo du 06/11/2024 et Le Monde du 07/11/2024.

[4Cf. Repórter Brasil : Une superficie presque quatre fois plus grande que la ville d’Amsterdam détruite dans le Pantanal. La déforestation illégale d’une zone de 81 200 hectares a été causée par l’éleveur de bétail Claudecy Oliveira Lemes et est la plus importante jamais enregistrée dans le Mato Grosso, selon les autorités brésiliennes. Les incendies criminels qui dévastent les terres autochtones du sud du Pará, comme dans les terres Apyterewa et Trincheira-Bacajá, font partie d’une action coordonnée des accapareurs de terres. Les incendies sont concentrés le long des routes et des pâturages illégaux, révélant l’action délibérée d’envahisseurs. Même après avoir été expulsés, ils reviennent rapidement et utilisent le feu comme une arme pour développer leurs activités illégales.

[5L’Articulation paysanne de lutte pour la terre et la défense des territoires dans le Tocantins est constituée d’une trentaine de groupes paysans.

[6Posse : désigne le droit acquis sur une parcelle de terre par suite de son occupation et sa mise en valeur ; son détenteur est posseiro, sans titre formel de propriété.

[8À preuve la pression constante et agressive du bloc ruraliste au Congrès, multipliant projets et lois destinées à imposer sa marque aux politiques publiques du pays : légitimation de l’accaparement de terres, flexibilisation des politiques de protection de l’environnement, attaques dirigées contre les populations traditionnelles ou originaires.

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