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DIAL 3758 - Pour l’amour des pauvres et de l’Amérique latine

Trajectoires pradosiennes entre foi, engagements et transformation sociale. (II) Robert Lebègue (1924-1998) : Naître français, Mourir chilien

Ellie Douska

vendredi 31 octobre 2025, mis en ligne par Dial

Ellie Douska est doctorante en histoire contemporaine à l’université Lyon III. Son mémoire de master 2 (2024) portait sur Les prêtres du Prado envoyés au Chili à titre de « prêtres Fidei donum » (1957-1990) [1] et elle a gentiment accepté de présenter les résultats de sa recherche dans un article que nous publions en 3 livraisons Après une introduction générale, cette deuxième partie est centrée sur la trajectoire de Robert Lebègue et la troisième sera consacrée à celle de Pierre Dupuy.


Le Prado est présent au Chili depuis 1959 à travers deux prêtres envoyés à Santiago à titre de « prêtres Fidei donum ». En 1961, ils sont rejoints par Robert Lebègue à la demande de l’épiscopat chilien et dans le cadre de sa pastorale de prise en charge des milieux populaires. Sa trajectoire, que nous retraçons ici, est une fenêtre permettant d’approcher les évolutions et les débats qui traversent tant l’Église que la société chilienne dans laquelle il se retrouve ainsi plongé.

De Gerland à Santiago : Une vocation missionnaire à la recherche de son terrain d’expression

Né le 12 décembre 1924 à Châlons-sur-Marne, Robert Lebègue est lui-même issu du milieu ouvrier auquel il décide de consacrer son activité apostolique (son père était cheminot et sa mère femme de ménage). Ordonné prêtre en juin 1950, il sera nommé vicaire à Sainte Pudentienne, une paroisse ouvrière où il demeurera pendant 4 ans. C’est vraisemblablement au cours de cette période qu’il découvre le Prado, par des canaux que l’état actuel des archives ne permet pas de retracer avec plus de détail. À la fin de l’année 1954, le nouveau « sympathisant » est en tout cas prestement envoyé par le Prado auprès de la toute nouvelle « Communauté de Gerland », pour y effectuer un stage de courte durée aux côtés des deux autres prêtres désignés pour former une « communauté de départ » [2]. C’est en effet au sein de ce quartier ouvrier de la banlieue lyonnaise que s’est établie, quelques mois auparavant et non sans débats, une « communauté pradosienne en quartier ouvrier ». Porté par le Supérieur général du Prado, Mgr Ancel, ce projet missionnaire à l’étude depuis 1952 partait d’un constat d’ordre pastoral : la séparation sociale et intellectuelle du monde ouvrier vis-à-vis du reste de la société (et de l’Église) constituait un obstacle à sa participation au culte paroissial, aux côtés des autres catégories sociales et des organisations qui leur étaient dédiées. L’établissement d’un groupe de prêtres au sein même d’un des quartiers les plus pauvres de Lyon constituerait ainsi une « expérience temporaire » devant permettre de réduire la distance perçue en favorisant « un approfondissement de la vie chrétienne chez les ouvriers qui participeraient à la vie liturgique dans une communauté particulière », c’est-à-dire « adaptée au monde ouvrier [3] ».

En 1956, Robert Lebègue est nommé vicaire à Saint-Antoine de Gerland, tandis qu’il assure en même temps la charge d’aumônier de base de divers groupes d’Action catholique. Dans ses écrits, il ne laisse aucun doute sur son admiration pour l’apostolat missionnaire entrepris à Gerland, surtout envers l’attitude personnelle de Mgr Ancel, cet « évêque au travail ». Toutefois, Robert Lebègue ne fait pas partie de ceux parmi ces confrères qui optèrent pour un travail à mi-temps [4], avant que cela ne soit interdit par Rome, et voit plus loin que le diocèse de Lyon. À cette date, il aurait déjà insisté plusieurs fois auprès du Conseil du Prado pour être envoyé en mission en Afrique, où des groupes de pradosiens se sont implantés depuis le début de la décennie [5]. La réponse demeure longtemps négative : en 1959, le cardinal-archevêque de Lyon conseille la patience ; un an plus tard, le Prado considère toujours que « l’affaire n’est pas mûre [6] ». Organe central de l’institut, le Conseil généralice du Prado examine effectivement les demandes de départ en mission exprimées par ses membres avec beaucoup de précaution. Il est notamment exigé des candidats au départ d’avoir un profil adéquat, un minimum d’expérience en France, ainsi que la solidité spirituelle et psychologique nécessaire pour affronter les épreuves que la littérature religieuse a traditionnellement liées à la mission. Aussi convient-il de rappeler que le Prado n’est pas une congrégation religieuse et qu’en vertu de son caractère diocésain, il ne peut disposer librement de tous ses membres pour les envoyer en mission selon son bon vouloir. Si le Conseil pradosien fait de son mieux pour mettre en adéquation des disponibilités internes et des demandes externes, l’orientation des sujets et la décision finale relèvent parfois d’enjeux et de dynamiques qui ne sont pas de son ressort. Il dépend tout d’abord des besoins exprimés par les Églises locales et des demandes formulées plus ou moins directement par leurs évêques. Il dépend aussi des décisions de l’épiscopat français, la majorité des pradosiens demeurant rattachés (incardinés) à leur diocèse d’origine [7]. Enfin, même dans l’hypothèse où l’ensemble de ces conditions seraient remplies, le Prado ne peut laisser partir tous ceux qui en font la demande, puisqu’il manquerait de prêtres pour remplir les tâches localement.

Robert Lebègue affirmera plus tard avoir songé devenir Père blanc et partir en Afrique, tout en rêvant de la Chine. C’est finalement vers le sous-continent américain qu’il est orienté, et plus particulièrement vers le Chili, où deux pradosiens (Pierre Rolland et André Lanson) se sont récemment implantés grâce à l’entremise de l’aumônier national de l’Action catholique ouvrière (ACO), Pedro Castex, et du vicaire général de Santiago, Mgr Carlos Gonzáles. C’est ce dernier qui assure la communication avec le Supérieur général du Prado pendant la longue vacance du siège épiscopal (entre le décès de Mgr Caro en décembre 1958 et la nomination de Mgr Silva Henríquez en juin 1961) et il se montre déjà très content du travail effectué par les prêtres du Prado. Le projet d’envoi d’un troisième pradosien naît de la rencontre entre cette satisfaction et les besoins de l’Église chilienne en termes d’encadrement spirituel de milieux populaires en expansion. Mais encore faut-il obtenir tous les agréments nécessaires à ce nouvel envoi outre-Atlantique. L’autorisation épiscopale aurait été obtenue sans grande difficulté : Mgr Pierard, évêque de Châlons, n’y aurait pas trouvé d’inconvénient. En janvier 1961, la communauté pradosienne de La Mouche-Gerland et la communauté diocésaine de Lyon se déclarent elles aussi favorables à un départ de Robert Lebègue pour le Chili. Dès lors, les choses s’enchaînent avec une rapidité propre à ce genre de procédure : en juin, Mgr Ancel adresse un courrier à l’archevêque de Santiago, Mgr Silva Henríquez, pour lui signifier la disponibilité d’un troisième prêtre du Prado et la possibilité d’un départ imminent. Robert Lebègue atterrit à Santiago un mois plus tard. Contrairement à plusieurs Fidei donum de sa génération, Robert Lebègue ne passe pas par un des organismes épiscopaux chargés de dispenser un stage de formation aux prêtres destinés à un apostolat en Amérique latine [8]. Ainsi qu’il en a été convenu avec l’archevêché de Santiago, ses premiers mois au Chili doivent servir de « période préparatoire [9] » pour apprendre la langue et s’habituer aux méthodes d’apostolat en usage localement. Ce n’est qu’à la fin de cette étape que se posera la question de son affectation dans une des équipes apostoliques du diocèse.

En février 1962, ayant eu écho des intentions de l’archevêque de Santiago de nommer Robert dans une paroisse autre que celle où se trouvent ses confrères pradosiens, Mgr Ancel s’empresse d’écrire à son homologue dans un sens inverse. Outre le fait qu’une affectation lui paraît précoce, le Supérieur général du Prado argumente de la nécessité d’un regroupement des pradosiens dans un même secteur. Il en va d’abord de la conformité aux Constitutions pradosiennes, qui exigent à ce que les prêtres du Prado soient regroupés en communauté, non seulement afin de rendre possible la tenue des réunions régulières prévues par ces mêmes Constitutions, mais aussi et surtout en vue de garantir un soutien mutuel d’autant plus précieux qu’ils se trouvent à l’étranger, dans un contexte radicalement différent, loin de leur institut d’appartenance et…, par extension, de tout moyen de contrôle. Il en va aussi d’une question d’ordre plus personnel : « Je ne doute absolument pas des bonnes intentions du P. Lebègue, mais je crains malgré tout qu’un peu trop laissé à lui-même, sans le contrôle des confrères du Prado, il risque de se tromper parfois, d’une façon involontaire, sur l’attitude à prendre [10] », écrit le Supérieur du Prado. La réponse du prélat chilien, tout en donnant des garanties quant à la possibilité pour Robert de ne pas manquer à ses devoirs pradosiens, ne laisse pas beaucoup de marge à la négociation : « J’ai mis le P. Lebègue dans une autre paroisse parce que chez les autres pères pradosiens, il y a beaucoup de prêtres. Mais il a toute commodité pour visiter ses frères chaque semaine. Je vous prierai de laisser le P. Lebègue où il demeure maintenant, parce que le besoin des âmes le demande [11] ».

L’insertion dans sa « terre d’adoption », une œuvre de longue haleine

En mars 1962, Robert Lebègue est ainsi nommé vicaire à Maipú, un secteur de 20 000 habitants à l’ouest de Santiago, tandis qu’il accumule rapidement des charges d’aumônier de base auprès de plusieurs mouvements d’enfance et de jeunesse ouvrière (MOANI, JOC, ACE [12]). Il semble par ailleurs jouir tout aussi rapidement de la pleine confiance de l’archevêque de Santiago et de son nouveau vicaire général, Mgr Gabriel Larraín, lequel ne manque pas de complimenter Mgr Ancel sur la qualité du travail effectué dans le diocèse par l’ensemble des prêtres du Prado. Cependant, l’adaptation dans un nouvel environnement à la fois social, culturel, ecclésial et politique ne va pas de soi. Au-delà des obstacles posés par la barrière linguistique, l’insertion dans un milieu marqué par des usages et des dynamiques qui lui sont propres est une œuvre de longue haleine. Aussi, les heurts ne sont-ils pas absents, au-delà de la bonne volonté des personnes et de l’image véhiculée par les échanges épistolaires policés entre évêques.

Au Chili (et sans doute ailleurs), les prêtres français sont en effet précédés d’une image et d’une réputation qui sont différemment appréciées. À cette époque, une partie des personnalités ecclésiastiques chiliennes regarde avec intérêt les initiatives entreprises de l’autre côté de l’Atlantique, notamment en France où l’Action catholique spécialisée est alors en plein essor et où l’expérience des prêtres-ouvriers fait l’objet d’une grande fascination. Certains évêques du sous-continent sont d’ailleurs favorables à ce que certains de leurs prêtres ou séminaristes fassent le voyage en Europe pour observer ce qui se fait et l’appliquer ensuite dans leurs diocèses d’origine, tandis que d’autres accueillent les prêtres européens d’autant plus volontiers que ceux-ci ont une expérience préalable dans l’Action catholique ou l’apostolat en milieu ouvrier. Mais cette posture n’est pas toujours partagée par l’ensemble du clergé local. Une partie a certes accueilli les initiatives de l’épiscopat avec optimisme et enthousiasme, discernant en elles un souffle de renouveau qui serait profitable à l’Église chilienne. D’autres s’opposent à tout ce qui s’apparente à une rupture avec la tradition pastorale locale. Certains craignent notamment que les prêtres étrangers n’arrivent avec la volonté d’importer ou d’imposer des méthodes d’apostolat confectionnées ailleurs, parfois jugées aussi plus « révolutionnaires » car plus « audacieuses ». On craint en outre que leur mentalité « européenne » n’exerce une influence néfaste sur le reste du clergé et des militants. C’est que les prêtres français et étrangers (dans leur ensemble, pas seulement les pradosiens) sont entourés d’une image d’avant-garde cléricale qui n’est pas du goût de tous. Pour certains prêtres chiliens, les prêtres étrangers arrivent au Chili avec une attitude « arrogante », donnant « l’impression de vouloir commander au nom de l’universalisme de la culture française [13] ». Certains évêques endossent cette conception, tel Mgr Salinas alors évêque de Linares, qui voit dans les prêtres étrangers des « agents du développement néocolonial [14] ». Cette attitude, assumée ou non, peut provoquer le rejet de la part du clergé local, qui se sent certainement méprisé par l’épiscopat chilien au profit des prêtres étrangers, lesquels se voient souvent confier de nombreuses responsabilités. Ainsi, si Robert Lebègue semble entretenir de bons rapports avec l’archevêque et son vicaire général, il s’est lui aussi retrouvé pris dans des différends interpersonnels d’ampleur variable. Il rapporte notamment ces paroles de son curé, lequel « savait déjà à son arrivée que les prêtres français du Prado étaient des desorientadores de la gente y del clero [des agents de confusion de la population et du clergé] [15] ». Mgr Ancel, qui suit les pradosiens du Chili par le biais d’une correspondance soutenue, conseille à Robert Lebègue de tenir compte à la fois des directives épiscopales et de la mentalité de son clergé d’adoption ; de veiller à ne pas vouloir « importer les méthodes françaises » ou « révolutionner » ce qui se fait au Chili, mais « d’apporter tout le positif de sa formation antérieure à l’intérieur de l’apostolat au Chili [16] » (regarder les chrétiens dans leur situation ; responsabilisation des laïcs quant à leur action apostolique…).

Il reconsidère alors ses méthodes et quitte subitement la chambre qui lui avait été attribuée au presbytère pour s’installer au cœur d’une población, où il se construit une baraque en bois adossée à un mur d’usine. En conservant le mode de vie plus « aisé » des milieux ecclésiastiques chiliens, il avait peur de manquer à sa vocation pradosienne. Il craignait surtout de perdre toute crédibilité aux yeux des habitants de la paroisse. Comment en effet se dire « apôtre pauvre pour les pauvres » si, par son mode de vie, on demeure finalement avec un pied dans le camp des « riches » ? La démarche semble porter ses fruits, puisqu’assez rapidement « une petite équipe de foyers se constitue autour de lui [17] ». Robert Lebègue consacre l’essentiel de ses premiers temps au sein de la población à une prise de contact : il essaie de tisser des liens, se met à l’écoute des habitants, apprend à les connaître, à adopter leur mode de vie au point d’être considéré comme membre de la communauté à part entière. Pour les habitants du quartier, le pradosien finit d’ailleurs par être considéré comme « un voisin supplémentaire [18] ». « Je suis heureux », déclare-t-il dans un courrier adressé à Mgr Ancel en décembre 1962, et ajoute « Je crois que je vais demander mon incardination au diocèse de Santiago [19] ». Si le Supérieur général du Prado ne peut que se réjouir de l’intégration réussie du pradosien, il ne semble pas apprécier totalement ses nouvelles intentions :

« Tu me dis que tu as l’intention de demander ton incardination au diocèse de Santiago. Je crois que c’est vraiment prématuré et puis je crois que cela ferait beaucoup de peine à Mgr Piérard. Ne vaut-il pas mieux que tu restes en rapport avec ton diocèse d’origine ? Ne serait-il pas bon que tu te rapproches de Pierre ou du moins que tu ne sois pas trop loin de lui ? Ne pourrais-tu pas en parler à Pierre et au Père Gonzáles ? [20] ».

Nouveau déplacement. Robert Lebègue est nommé dans une paroisse ouvrière du centre de Santiago, où il se voit confier plusieurs nouvelles responsabilités auprès des mouvements d’Action catholique. Mgr Ancel reçoit toujours avec joie les compliments de Mgr Larraín et de l’archevêque de Santiago à l’égard du travail accompli par les prêtres du Prado, notamment auprès des milieux populaires urbains. Il se montre aussi rassuré de savoir, à travers ses échanges avec l’épiscopat chilien, que les prêtres du Prado s’intègrent désormais au sein du clergé diocésain et qu’ils « se sentent au Chili comme chez eux [21] ». Aussi, projette-t-on l’envoi d’un nouveau pradosien (Jean Parry) afin de renforcer les effectifs et d’accroître l’efficacité apostolique au sein du diocèse. Un croisement des diverses correspondances permet cependant de nuancer l’image d’accalmie que semblent véhiculer les courriers entre prélats. Outre les difficultés relevant de l’adaptation, les frictions de nature et d’ampleur variables soulèvent également la question de la place des pradosiens et du Prado en tant que tel. Deux ans après son arrivée au Chili, Robert Lebègue se propose de faire le point :

« Dans notre situation à Santiago c’est l’efficacité apostolique qui a dominé. Pierre a été aumônier de la JOC et André a été un lider-aumônier de la JOC. À présent me voilà aumônier fédéral de la JOC, de l’ACO et aumônier de l’enfance. Très vite toute l’ACO serait en notre responsabilité. Cela m’a fait beaucoup réfléchir. Avec Pierre échangeant sur notre vocation missionnaire nous voyons mieux que nous devons nous enfouir, disparaître au milieu des pauvres plus que de rechercher une situation d’efficacité apostolique. Je n’ai rien demandé mais j’ai bien peur que sans cesse augmente cette responsabilité pour moi ; et pour Jean Parry je crains que le vicaire général Mgr Larraín ne fasse autant pour lui [22]. »

Au regard du chemin parcouru, Robert Lebègue conclut qu’il risque de manquer à sa vocation, et que le Prado risque par extension de manquer à la sienne. Jusqu’alors en effet, les Fidei donum pradosiens s’étaient surtout préoccupés de leur « efficacité apostolique » dans le cadre des responsabilités qui leur avaient été confiées auprès des militants d’Action catholique. Toutefois, la vocation pradosienne ne demande-t-elle pas au prêtre de se faire un « apôtre pauvre pour les pauvres », cela non seulement en menant une vie matériellement pauvre, mais aussi en donnant la priorité au spirituel, notamment dans le cadre de son apostolat, c’est-à-dire en faisant du témoignage de la pauvreté évangélique le ressort même de son action ? Robert Lebègue estime ainsi qu’il y aurait des postes « où pourrait mieux s’exprimer la vocation pradosienne ». Selon lui, le Prado ne devrait pas seulement chercher à « s’insérer dans les grands centres des pays les plus pauvres », mais surtout « chercher dans les pays où il est, une insertion plus fidèle à l’Évangile et à sa vocation ». Dans le contexte chilien, cela signifierait s’approcher des « plus pauvres » que sont « les Indiens [mapuche] de la province de Cautín et Araucaria [23] ». S’ensuit un échange épistolaire assez tendu avec le Supérieur général sur un éventuel établissement des pradosiens en milieu indien et, au-delà, sur une révision générale des logiques d’orientation et d’implantation. Mgr Ancel réplique en expliquant les obstacles qui se posent. Il rappelle d’abord que le Prado ne fonctionne pas de la même façon que les Congrégations religieuses. Pour ce qui est des implantations et des nominations, il est soumis aux décisions de l’autorité épiscopale, celle du l’épiscopat français représenté entre autres par le Comité épiscopal France-Amérique latine (CEFAL) comme de la hiérarchie chilienne. Il souligne aussi que le Prado manque des forces nécessaires pour répondre à tous les appels à la fois. Il lui rappelle enfin les mises en garde du cardinal Antonio Samorè quant à la dispersion des forces. Ce à quoi le pradosien répond par un plaidoyer en faveur de la « démocratisation du Prado au loin » :

« Mgr Samorè ne vit pas en Amérique Latine et il ne peut sentir à ce point les urgences d’évangélisation de ces masses populaires. Personnellement, j’avais pensé rester ma vie entière au Chili et peu à peu prendre les responsabilités, pardonnez-moi de prendre mes responsabilités pour être plus fidèle au Chili et non à Santiago seulement, à ma vocation pradosienne. Je ne vous cache pas que le monde indien est pour moi “le préféré”. […] Pour le moment, je suis aumônier fédéral d’ACO. J’en souffre, heureusement que le seigneur a permis que je puisse vivre dans une población dans ma baraque. […] Aidez-nous à être des responsables du Prado, de son extension, de sa fidélité. N’ayez pas trop peur, ne forcez pas la complexité des problèmes, des situations. Ne jouez pas trop avec les délais, les précautions. Arrivent chaque mois des prêtres très jeunes espagnols dans tous les coins du Chili. Il faut entrer plus franchement et avec plus de liberté et de confiance dans ce grand mouvement missionnaire de l’Esprit-Saint aujourd’hui. La prudence n’empêche pas d’avancer au rythme des appels de l’Esprit-Saint. Je crains que le Prado ait pris un peu de retard. Peut-être y-a-t-il trop de centralisation au Prado et pas assez de décentralisation. […] Il va falloir faire plus confiance aux désirs apostoliques des pradosiens, à leurs démarches et décisions, sans qu’ils soient obligés d’arriver à une compréhension totale avec la Maison mère de Lyon. Il y a des choses que vous n’arrivez pas à comprendre [24] ».

De l’autre côté de l’Atlantique, on sent le malaise de Mgr Ancel face aux propos du pradosien, surtout qu’il vient d’être mis au courant par son évêque français Mgr Piérard, tout aussi ennuyé, de ses nouvelles démarches pour se faire incardiner au diocèse de Santiago… sans consultation préalable. S’ils ont été durs à entendre, les propos de Robert Lebègue ont tout de même donné matière à réflexion au Supérieur général du Prado : Quel devrait être, au fond, le rôle des pradosiens au Chili et au-delà, en Amérique latine voire au milieu des « tiers mondes » d’une manière générale ? Comment se positionner face aux évolutions qui s’opèrent au sein de l’Église et de la société dans son ensemble ? Comment articuler fidélité à la vocation pradosienne et adaptation à des contextes en mutation constante ?

Être prêtre au Chili au tournant des années 1970 : Quel(s) engagement(s) pour quelle vocation ?

Les années 1960-70 sont marquées par des tensions et des interrogations dont le point culminant semble être atteint autour de 1968, en Amérique latine, au Chili, dans l’Église catholique et au sein même du Prado. Le laps de temps qui s’étend de l’ouverture du Concile Vatican II à l’arrivée au pouvoir de Salvador Allende au Chili, voit s’enchainer d’importants développements qui constituent aussi le décor au sein duquel évoluent les Fidei donum pradosiens. La prise en compte de cette conjoncture est indispensable pour comprendre pleinement le fondement de leurs actes, le sens de leurs propos et de leurs prises de position. Si le format de cette publication ne permet pas une analyse détaillée, il est néanmoins possible d’esquisser un tableau dont on nous pardonnera la schématisation.

Le « moment 68 » n’a pas seulement eu des répercussions politiques : il s’agit d’un tournant pour l’Église catholique aussi. Il y a bien eu un « 68 catholique [25] » dont un survol de la littérature internationale révèle le caractère plus ou moins généralisé. Jean-Louis Schlegel y voit « le début d’une critique sans fin contre l’Église-Institution, de ses structures oppressives et de son pouvoir jugé infidèle à l’Évangile [26] ». En 1968, la jeune génération se tourne vers une génération aînée souvent accusée de sclérose et d’immobilisme, au sein de l’Église aussi. Il s’agit d’une triple « crise [27] » (crise de gouvernance au sein de l’institution ecclésiale, crise de la figure du militant, crise de la figure du prêtre) dont les prémices seraient pour beaucoup d’auteurs à chercher en amont, pendant et surtout après le Concile Vatican II. S’il serait réducteur d’attribuer les bouleversements ecclésiaux qui jalonnent ce second XXe siècle au seul évènement conciliaire, il faut reconnaître qu’en confortant des courants déjà présents, il contribua à leur amplification. C’est que ce second concile du Vatican a non seulement permis à des prélats venus du monde entier de se rencontrer et de réfléchir collégialement sur l’avenir de l’Église dans un monde en évolution, mais qu’il a aussi ouvert la réflexion ecclésiale sur de nouvelles questions, donné la possibilité du dialogue œcuménique et posé les bases d’un renouveau théologique, liturgique et pastoral dont les 16 documents qui en découlent font la synthèse. Si les travaux prennent fin en décembre 1965, les débats conciliaires connaîtront de multiples prolongements, surtout en Amérique latine où les représentants de l’Église à toutes les échelles s’efforcent d’interpréter et de mettre en application ses directives, en cohérence avec les évolutions et les besoins de leurs sociétés respectives.

Insérés au milieu de la société chilienne, les Fidei donum pradosiens ne peuvent rester indifférents vis-à-vis des évolutions sociales et politiques qui la traversent. Si l’activité apostolique proprement dite occupe l’essentiel des courriers adressés au Prado, certains passages témoignent de l’attention avec laquelle certains d’entre eux suivent l’actualité dans laquelle ils baignent :

« Nous avons eu les élections municipales dimanche dernier dans tout le Chili. La Democracia cristiana sort vainqueur avec la plus forte majorité. Premier parti de Chile. Ensuite à peu de distance vient le Parti radical. Le communisme n’a pas bougé mais représente malgré tout une force avec le socialisme dans le milieu ouvrier. C’est la situation actuelle. Que sera 64 année d’élections présidentielles ? [28] »

Au moment où il écrit ces mots, Robert Lebègue occupe un double poste de curé et doyen de Nuestra Señora del Carmen (Maipú), une paroisse ouvrière d’environ 40 000 habitants désormais, tout en conservant ses multiples responsabilités auprès des mouvements d’Action catholique. S’il se tient à une position d’observateur, se gardant d’apporter la moindre réflexion sur les réalités du pays, Robert Lebègue change de position au fil des développements et surtout de son insertion au sein d’un peuple avec qui il se sent de plus en plus partie liée. Il prend l’abnégation et le dépouillement personnel du prêtre de plus en plus au sérieux. À Maipú, il vit dans des conditions d’une austérité telle qu’il inquiète même Mgr Ancel : « il vit dans une petite maison faite pour le recevoir ainsi que deux prêtres et deux diacres […]. Cette maison est assez grande mais trop pauvre. Étant donné le climat, il faudrait un plafond et une doublure des cloisons extérieures […] je me demandais s’il fallait l’encourager [29] », note-t-il dans son carnet, après l’avoir visité dans le cadre du voyage qu’il effectue en 1968. Robert Lebègue contracte même un virus qui entraine une semi-paralysie du visage et fragilise encore plus sa santé. Son grand dévouement lui a de fait préalablement valu deux syncopes et des accusations d’instabilité de la part de certains prêtres chiliens. Ses relations avec le clergé chilien paraissent effectivement houleuses. À Conchalí, il aurait eu des difficultés avec ses vicaires pour avoir donné l’impression de « vouloir tout mener et trop juger ». D’après les remarques de Mgr Ancel, Robert est « trop strict dans la mise en place d’une œuvre pastorale d’action catholique ». Quels que soient les reproches dont il fait l’objet, l’archevêque de Santiago est pourtant « formel dans la confiance et la mission données [30] ». Robert Lebègue est profondément attaché au peuple au milieu duquel il exerce son apostolat et dont il partage intégralement le quotidien. Aussi décide-t-il en 1967 de se faire naturaliser chilien, parce que « la loyauté lui demandait de renoncer à la nationalité française » et que « l’évangélisation des populations lui demandait de faire le pas [31] ».

Dans un contexte socio-politique durci, après le déclin de la démocratie chrétienne et l’élection d’Allende, les Fidei donum pradosiens sont sommés de se positionner et de faire des choix qui ne sont pas toujours bien accueillis. Parfois critiqués pour leur « impulsivité » voire leur supposée « déviation doctrinale », ces choix sont pourtant le fruit d’un long cheminement personnel, du discernement et d’une approche renouvelée de leur vocation et de leur foi à la lumière des circonstances historiques dans lesquelles ils évoluent. Ils reflètent aussi l’évolution opérée par une partie des catholiques chiliens, prêtres et laïcs, en ces années d’ébullition sociale et politique.

En moins de trois ans, Robert Lebègue a opéré une évolution qui a pu surprendre ses supérieurs. Selon Roger Servy, conseiller du Prado en visite au Chili en 1970, Robert s’est distancié de ses confrères pradosiens, il a abandonné l’étude de l’Évangile et la prière au profit d’un engagement temporel (c’est-à-dire social et politique) de plus en plus important. Au nom de la solidarité avec la population et de la crédibilité de son témoignage, Robert Lebègue a par ailleurs pris des initiatives pour trouver un emploi à temps partiel, d’abord en tant que prêtre-ouvrier puis comme « prêtre-coiffeur », ainsi qu’il signe pour un temps ses courriers. En 1969, il a même participé à une toma (occupation de terrain), ce qui lui vaut une première arrestation. En même temps, l’indignation ressentie face à la détérioration des conditions de vie de son entourage le pousse à entreprendre différentes actions : réunion des travailleurs et des « sans maison » pour les informer de leurs droits, animation d’un groupe de laïcs afin de lutter pour l’amélioration de leurs conditions de vie, organisation d’actions pour dénoncer les injustices sociales et soutenir la syndicalisation des paysans. Mais plus que les luttes proprement ouvrières et syndicales, c’est le sort de la jeunesse chilienne qui le préoccupe. Il a notamment été le fondateur du mouvement d’enfants Corazones y almas valientes [Cœurs et âmes vaillantes], tandis qu’en 1970 il se prépare pour passer le concours de la fonction publique lui permettant de devenir instituteur au sein d’une école primaire d’État installée dans une población. Ces actions sont critiquées par les secteurs traditionnalistes et conservateurs de la commune de Maipú, d’autant plus que le positionnement politique de Robert Lebègue leur déplaît de plus en plus, surtout dans le climat de polarisation qui règne à l’approche des élections présidentielles. À cette époque en effet, Robert Lebègue affirme être « responsable des prêtres engagés politiquement dans l’Unité populaire [32] ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? S’agit-il d’un groupe formellement organisé ? Quels sont ses contours et ses membres ? Les sources sont trop muettes à ce sujet. Les courriers (de moins en moins nombreux) qu’il adresse au Prado laissent pourtant transparaître un malaise intérieur grandissant quant au positionnement à adopter en tant que « prêtre dans un monde en révolution [33] ».

En mai 1970, il se trouve à la tête d’une nouvelle occupation de terrain menée par un comité de sans-maisons, qui donnera naissance au campement Liberación. Gage présumé de son impartialité, son statut de prêtre lui permet même d’être élu président du comité directeur du campement pendant un an : « Lui au moins, dit-on, ne fera le jeu d’aucun parti, pas même de celui qui est au pouvoir [34] ». Son dévouement pour la défense des droits des plus déshérités attire l’attention d’un groupe d’étudiants de l’École des arts et de la communication de l’Université pontificale catholique du Chili, alors en train de filmer un court-métrage sur les conditions de vie dans les campamentos et les poblaciones de la capitale. C’est finalement le Fidei donum pradosien qui est placé au centre des projecteurs du documentaire qui en découle [35]. Robert Lebègue est en effet le seul à prendre la parole au sein de ce court métrage, outre les narrateurs. Il y déplore la traduction spatiale des inégalités sociales perceptible dans la commune de Maipú, qui est divisée entre des secteurs résidentiels et une majorité de quartiers pauvres dont les habitants sont victimes de mépris et d’indifférence. Il plaide ainsi pour une « révolution », qu’il entend comme un effort pour garantir la justice sociale au nom des principes d’un catholicisme social dont il se revendique, tout en se défendant des accusations selon lesquelles il serait un « révolutionnaire communiste » : « Je ne suis pas marxiste, même si je m’entends bien avec le marxisme », affirme-t-il.

Les modalités de son engagement politique, notamment en faveur du projet porté par l’Unité populaire (UP), sont difficiles à cerner. D’après ce qu’il renseigne dans son CV, il aurait été « responsable des prêtres politiquement engagés dans l’UP ». Cette information s’accorde avec les propos de Pierre Dupuy, lequel affirme que son confrère est politiquement engagé au sein du Parti socialiste. Mais Robert Lebègue ne fait jamais mention d’un engagement partisan, ni d’une éventuelle inscription au Parti socialiste. Il assure d’ailleurs ne pas avoir participé à des réunions de partis politiques [36]. Roger Servy note quant à lui que le pradosien a fait campagne pour Allende, mais qu’il refuse toute adhésion à un parti quelconque. Son soutien en faveur de l’UP aurait été motivé par la nécessité de se montrer solidaire des options politiques des fidèles dont il est le pasteur. Il serait aussi porté par l’euphorie généralisée des milieux populaires et poussé par la nécessité du moment : « c’était un moment historique, il fallait débloquer Église et droite [37] », écrit-il. En dépit des paroles confiantes de l’archevêque de Santiago et de son évêque auxiliaire, Mgr Ariztía, Roger Servy ne quitte pas le Chili rassuré. Au fond, il craint pour le sacerdoce du pradosien : « sa foi en l’Église est soumise à très rude épreuve [38] », conclut-il dans son rapport de voyage.

Robert Lebègue se montre effectivement partagé sur les contours et limites de son rôle sacerdotal dans le contexte chilien, surtout en ce qui concerne l’engagement partidista [partisan]. Jusqu’à quel point le prêtre peut-il et devrait-il accompagner les fidèles dont il est le pasteur dans leurs revendications et leurs combats ? Il en vient progressivement à la conclusion que le prêtre qui accepte et embrasse pleinement son double « engagement humano-sacerdotal [39] » se trouve dans une position délicate. S’il a le droit et même le devoir de s’engager aux côtés des pauvres dans leurs luttes, il assume surtout un rôle d’accompagnement et d’éclaircissement des consciences, il respecte et soutien leurs choix politiques au nom de la tolérance et de la liberté d’opinion du citoyen, mais ne participe pas forcément au jeu des partis : « Le prêtre doit accueillir et appuyer dans les partis politiques ce qui appartient à l’Évangile. Le prêtre doit rechercher l’unité du service de la libération totale de l’homme [40] », écrit-il.

L’escalade des tensions entre 1972 et 1973 lui impose cependant d’effecteur des choix nets et d’opter pour une ligne de conduite. En avril 1972, Robert Lebègue participe à la première rencontre latino-américaine du mouvement « Chrétiens pour le socialisme » (CpS) qui se déroule au même moment que la IIIe session de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), sans dissimuler son enthousiasme. Ainsi qu’il l’affirme dans une lettre adressée à sa mère, il aurait pris la parole devant des chaînes de radio et de télévision « du Canada, de la Hollande et de France », au nom des pauvres du Chili. L’initiative des CpS a été publiquement condamnée par l’archevêque de Santiago. Mais le pradosien n’exprime pas d’inquiétude, bien au contraire :

« Le cardinal réactionnaire que nous avons nous a condamnés en paroles, dans la presse ; heureusement que ce ne sont pas tous les évêques. L’histoire le jugera et nous jugera. Nous continuerons d’être avec les pauvres, de lutter pour leur libération. Rien ni personne ne nous arrêtera. Notre amour des pauvres est au-dessus de toute condamnation, de toute menace, de toutes représailles. Nous irons jusqu’aux dernières conséquences. Sache bien, maman, que ton fils ne sera jamais un lâche, un vendu quand il s’agira de libérer les pauvres et de leur annoncer Jésus-Christ. […] Nous n’abandonnerons jamais l’Église. J’espère que l’Église hiérarchique ne nous abandonnera pas et saura nous défendre et exposer sa vie pour ses prêtres et pour les hommes écrasés par la misère [41] ».

Il est significatif de noter qu’aucun reproche n’a été formulé (du moins directement) par l’archevêque de Santiago auprès du Prado à l’égard de la prise de position de Robert Lebègue. Indirectement informé de sa participation à la rencontre des CpS, Roger Servy se montre même « très content d’en savoir davantage sur les conclusions [42] ». Bien qu’il semble se distancier d’une Église-Institution qu’il accuse de « complicité [43] » avec les structures d’oppression et d’injustice sociale, le pradosien ne remet jamais en question son appartenance enchâssée, au Prado et à l’Église. Plus encore, c’est au nom même des exigences de sa foi, de sa vocation sacerdotale et pradosienne qu’il se sent poussé à agir ainsi.

Les engagements de Robert Lebègue seraient entre autres motivés par le besoin de sauver la crédibilité de l’Église aux yeux des pauvres ; crédibilité qui serait de plus en plus menacée par les prises de position officielles de l’épiscopat chilien et par ce qu’il estime comme étant des « utilisations (engaños) de l’annonce de l’Évangile [44] ». Ce positionnement n’est pas isolé. Il s’accorde à plusieurs égards avec la ligne adoptée par le groupe de coordination des mouvements d’Action catholique en milieu ouvrier (MOAC) depuis janvier 1970. Dans le contexte de polarisation idéologique et politique aiguë qu’est celui du Chili, les membres du MOAC estiment en effet qu’il n’y a plus d’espace pour les engagements timides et les demi-mesures. Leur rôle au sein de la société chilienne serait éminemment prophétique. Plus encore, ils se définissent comme des « agents de la révolution inspirés par le message clair, précis et concret de Jésus-Christ », qui est selon eux un « message de salut et de libération de l’Homme [45] ». Cela les conduit notamment à adopter une posture critique à l’égard de l’Église-Institution et à dénoncer en elle tout ce qu’ils considèrent comme des « contre-témoignages [46] » (la richesse, la complicité avec les structures d’oppression).

La détérioration de la conjoncture socio-économique, l’accentuation des tensions et la faible opposition qu’il rencontre de la part de ses supérieurs permettent à Robert Lebègue de poursuivre sur cette ligne. Les limites de son engagement au nom de la foi chrétienne sont finalement atteintes lorsqu’il s’agit d’embrasser la révolution violente au nom de l’Évangile. En septembre 1972, Robert Lebègue confie à la discrétion et au jugement de Rober Servy sa décision de « laisser définitivement le Chili [47] ». Le pradosien avoue ne plus avoir la force physique et psychologique pour poursuivre ses divers engagements. Surtout, ces mêmes engagements le forceraient à « entrer dans des groupes armés pour résoudre le problème de libération des pauvres ». C’est une limite qu’il refuse de franchir. À cette date, il est sous mandat d’arrêt depuis 15 jours pour avoir mené une occupation de terrain et aurait même été menacé de mort. Sa naturalisation n’aurait aucun effet : aux yeux de la droite, affirme-t-il, les prêtres étrangers apparaissent indistinctement comme des « révolutionnaires [48] ». De son côté, l’épiscopat chilien ressent un malaise de plus en plus grand à l’égard des prêtres étrangers qui « jouent leur vie pour la libération des pauvres [49] ». Dans de telles conditions, Robert Lebègue ne se sent plus « en mission d’Église [50] ». Sa présence serait au contraire devenue un poids, tant pour l’Église que pour le peuple chilien. « Les Chiliens doivent résoudre la révolution seuls », dit-il, « ils ont besoin de notre absence [51] ».

Retours et demi-tours : tous les chemins mènent… en Amérique latine

Robert Lebègue prend l’avion pour la France en janvier 1973. Ce retour n’est finalement que temporaire, puisqu’il repart pour Santiago le 4 septembre 1973, « heureux à la pensée de retrouver le Chili, les pauvres, l’école, l’évêque auxiliaire, le cardinal [52] » et de reprendre les choses là où il les avait laissées. En l’espace de ces 9 mois, la conjoncture chilienne a pourtant radicalement changé. Le cap des 1000 jours de l’Unité populaire est vécu dans un climat tendu. Chaque camp se durcit dans des positions qui se veulent absolues, rendant ainsi tout dialogue impossible. Les initiatives de l’Église qui, par la voix de l’archevêque de Santiago, appelle à un désarmement des mains et des esprits, restent tout aussi inaudibles. Cette situation accentue le désordre institutionnel, tandis que la polarisation idéologique atteint rapidement tous les milieux, y compris l’Église et l’armée au sein de laquelle les généraux putschistes deviennent progressivement majoritaires. « La paix au Chili a un prix [53] », avertit la Conférence épiscopale chilienne en juillet 1973. À cette date, les mobilisations et les attentats se succèdent, alors que la possibilité d’une guerre civile plane de plus en plus dans les esprits.

Robert Lebègue est conscient de l’explosivité de la situation et des risques qu’il encourt en retournant au Chili ; en 1972 déjà, il faisait preuve de grande perspicacité : « Si l’expérience socialiste échoue, le Chili sera comme le Brésil ! [54] », écrivait-il à cette date. Le matin du 11 septembre 1973, un coup d’État orchestré par les forces armées chiliennes sous la conduite du général Pinochet plonge le pays dans une dictature qui durera 17 ans. Une répression violente s’abat sur la population dès les premiers moments du coup d’État. Insérés au cœur des milieux populaires qui deviennent la cible principale de la répression, les Fidei donum pradosiens se trouvent directement confrontés aux violences, surtout s’ils ont eu des engagements sociaux ou politiques en faveur des pauvres ou du projet socialiste de l’UP. Ceux qui ont pu (ou dû) échapper à la répression et décidé de rester au Chili doivent faire face, comme le reste de la population, à un nouveau contexte. Le 11 septembre 1973, la continuité temporelle vole en éclats, les communications s’interrompent. Robert Lebègue ne donnera des nouvelles que le 22 septembre, par une lettre qu’il parvient à envoyer à sa mère depuis l’ambassade de France où il s’est réfugié :

« Bien chère maman,

Le coup d’État militaire et la terreur font leur œuvre de mort. Tu devines comment j’ai dû souffrir dans ce déferlement de terreur, fusillades, prisonniers, exilés dans les îles, persécution, tortures. J’ai pu échapper de justesse aux dénonciations. Je suis sorti sans barbe et déguisé. Je me suis caché en trois endroits et maintenant je suis en sécurité dans une ambassade où bientôt je serai dirigé vers Paris. Le nouveau gouvernement militaire a installé sa dictature. Je ne pourrai plus, je crois, revenir au Chili. Ma vie va changer. Je vous dirai bien des choses une fois en France. Je reviens avec un sac à main et c’est tout. Ma baraque a été fouillée trois fois et mise dans un état lamentable. Il ne faut pas croire ce qui se dit à la radio, à la télé et dans les journaux. La situation ici est comme aux temps des nazis et pire […] [55] »

Une fois rapatrié, il voudrait retourner au Chili, par solidarité avec le peuple chilien. Hors de question pour ses supérieurs et ses proches de le laisser partir. La chose est d’autant plus compliquée que les évêques du sous-continent sont réticents à recevoir des prêtres étrangers, vu la situation dans laquelle ils se trouveraient ainsi parachutés. Devant l’insistance de Robert pour retourner en Amérique latine coûte que coûte, le Prado envisage tout de même plusieurs pistes. On projette d’abord de l’envoyer à Marseille, puis à Cuba. Il est finalement envoyé au Venezuela où l’évêque de Barquisimeto, Mgr Aproniano, veut bien le recevoir, « sans engagement [56] ».

Au printemps 1974, Robert Lebègue s’installe donc dans la paroisse Ruezga Norte du diocèse de Barquisimeto, la capitale de l’État de Lara. Ses pensées sont toutefois encore à Santiago. À Barquisimeto, il anime un Comité pour la solidarité avec le Chili, aux côtés Tatiana Carvajal, une journaliste chilienne exilée au Venezuela. Il prend aussi des initiatives pour organiser le quartier pauvre de Ruezga avec l’aide de quelques prêtres missionnaires et de laïcs : il accompagne la formation du premier comité de quartier, organe central dans la dénonciation des conditions de vie et de santé des habitants qui vivent à côté d’eaux contaminées ; il fonde aussi des cercles d’étude où l’on réfléchit aux problèmes du quotidien, notamment à travers une formation politique et idéologique. La communauté se transforme rapidement en lieu de réflexion et de mobilisation sociale. Mais ces engagements successifs finissent par indisposer les autorités municipales et l’épiscopat vénézuéliens. En 1978, il est expulsé à la fois de la paroisse et du pays. Il peut toutefois retourner au Chili, où Mgr Ariztía l’accepte volontiers. Nommé évêque de Copiapo en décembre 1976, Mgr Ariztía est très tôt devenu une figure centrale de la dénonciation des violations des droits humains commises par Junte militaire. Il apprécie Robert Lebègue pour avoir travaillé avec lui à Santiago et souhaite l’avoir à ses côtés. Mais le contexte de dictature ne facilite pas la situation du pradosien.

En 1979, ce contexte pousse Mgr Ariztía à revenir sur sa décision et à en prendre une autre, à contre-cœur. Sans mettre en cause « son esprit sacerdotal », l’évêque de Copiapo est contraint de renvoyer Robert par souci de « prudence pastorale », afin d’assurer sa sécurité. Que s’est-il passé ? Le prélat chilien retrace les faits dans un courrier qu’il adresse au Prado le 22 septembre [57]. Plus que l’opposition entre l’Église et les autorités militaires, ce sont les tensions et les « tendances de trahison à l’intérieur même de l’Église » qui constituent une menace pour le pradosien. Quelques jours plus tôt, Mgr Ariztía a été sollicité par l’Autorité gouvernementale de la région et prié de renvoyer Robert du diocèse (et du pays). Pour quels motifs ? Selon les autorités militaires, Robert « sèmerait continuellement une attitude de mécontentement, de critique et de rejet du gouvernement au sein de la population », il serait constamment en train de « faire de la politique ». On a aussi fait savoir à l’évêque de Copiapo que le pradosien était sous surveillance depuis plusieurs mois, qu’il y aurait entre autres des enregistrements… Mgr Ariztía s’occupe de la situation avec réalisme et lucidité :

« J’estime qu’il peut y avoir en cela une petite dose de vérité, car le tempérament de Robert est fort, il parle avec clarté et part toujours de la vie des ouvriers, de la réalité, des problèmes concrets et tout ça est directement lié au politique, ce qui est mal catalogué par l’officialisme. Je crois aussi qu’il y a beaucoup de faux dans ces accusations et qu’il y a des erreurs de compréhension vis-à-vis des paroles et de l’attitude de Robert, non seulement de la part des autorités, mais parfois aussi de la part des gens de la población où il travaille. […] N’oublions pas qu’ici au Chili il ne s’agit pas de droits, mais que nous sommes en dictature.

Copiapo est une ville relativement jeune, et toutes les tensions se vivent plus intensément que dans une grande ville. Ces dernières années ont été très dures. […] Mais ce qui à mon sens est le plus grave, c’est que sur le plan ecclésial nous sommes très loin d’un esprit d’unité, et beaucoup de pluralismes légitimes – qui ailleurs ne posent pas de problème – s’expriment ici sous forme de tensions profondes qui peuvent facilement provoquer des ruptures. D’autant plus quand il s’agit d’un tempérament fort et si absolu, sans nuances, comme celui de Robert [58] ».

L’évêque de Copiapo reconnaît qu’il a mal jugé des circonstances et de la fragilité des équilibres en demandant à Robert de venir dans son diocèse. Il estime pourtant que le pradosien « pourrait offrir un excellent service d’Église » dans un lieu aux dimensions de Santiago, où il passerait plus inaperçu. L’intéressé a préalablement été informé des faits et de la décision prise à son égard, qu’il accepte douloureusement. Il partira pour Santiago dans la foulée… et y demeure indéfiniment.

Robert Lebègue poursuit son apostolat au Chili, où il meurt le 27 novembre 1998, à l’âge de 74 ans. Il est enseveli à Freirina, au milieu d’un peuple qui l’a « adopté » et qu’en retour il a profondément aimé. Les lieux dans lesquels il a exercé son apostolat conservent d’ailleurs une trace de son passage : à Copiapo, existent ainsi une Fondation de développement social, une rue et un centre pour seniors qui portent son nom ; à Freirina, la radio locale anime une émission intitulée « Le Prophète », en sa mémoire. La trajectoire de Robert Lebègue est celle d’une vocation qui l’entraîna du quartier ouvrier de Gerland aux poblaciones du Chili, où la rencontre avec les milieux ouvriers et leur quotidien fut à l’origine d’un renouvellement (ou d’un approfondissement) de cette même vocation, à travers sa confrontation avec une réalité sociale, politique et culturelle radicalement autre. Si le contexte chilien, auquel il ne peut rester indifférent, le conduit vers ce qui a pu être interprété comme une certaine marginalisation à l’égard de l’Église institutionnelle et de ses cadres, par un engagement social et politique de plus en plus poussé, ses appartenances multiples n’ont pourtant jamais été mises en question. Bien au contraire, il semble avoir été amené à une meilleure définition du périmètre de chacune de ses appartenances : « Les gens ne sont pas toujours d’accord mais je leur rappelle que je ne suis pas prêtre pour construire la société à leur place […] Ma fonction de prêtre, je l’exerce envers les chrétiens baptisés qu’ils sont, ayant envers eux ministère de rassemblement et de réconciliation [59] ». Son engagement temporel a été motivé par la double exigence de sa foi chrétienne et de sa vocation pradosienne. S’il affirme être disposé à « aller jusqu’aux dernières conséquences » pour l’amour et pour la « libération des pauvres », les limites de cet engagement et de cette solidarité sont atteintes lorsqu’il s’agit de participer à la révolution armée. Pour Robert Lebègue, le prêtre a le droit voire le devoir moral, en tant que chrétien, de dénoncer un ordre injuste et de lutter pour la défense des droits humains, ceux des plus pauvres en particulier. Mais il ne peut défendre l’Évangile par la violence et les armes. Ce n’est pas tout à fait le point de vue de son confrère, Pierre Dupuy, dont nous présenterons la trajectoire dans la prochaine et dernière partie de cette publication.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3758.

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[1Ellie Douska, Les prêtres du Prado envoyés au Chili à titre de « prêtres Fidei donum » (1957-1990), mémoire de master 2 préparé sous la direction d’Olivier Chatelan, université Jean Moulin Lyon III, 2024, 346 p.

[2Archives du Prado, site de Lyon : Conseil général, séance du 22 décembre 1954.

[3Archives du Prado, site de Lyon : Conseil général, séance du 28 août 1957.

[4La question des prêtres-ouvriers, longtemps débattue à Rome, occupe une place tout aussi centrale dans les débats qui s’expriment au sein du Prado et dans les échanges de celui-ci avec les évêques français, notamment au sujet de la Communauté de Gerland. S’il soutient l’expérience des prêtres-ouvriers, Mgr Ancel est formel sur les limites d’un tel engagement, du moins de la part du Prado et de ses membres. Pour le Supérieur général du Prado, le partage du milieu et du quotidien des ouvriers ne doit pas déboucher, pour le prêtre, sur l’identification à une catégorie sociale et à l’appropriation de ses orientations idéologiques ; l’obéissance exige par ailleurs de se plier aux décisions de la hiérarchie en matière d’apostolat. Ainsi, s’il est autorisé par Rome à s’établir lui-même au sein de la Communauté de Gerland et à avoir un emploi à mi-temps, à domicile, Mgr Ancel demande aux pradosiens d’observer la plus grande discrétion possible et se retirera après l’interdiction pontificale.

[5À Bobo-Dioulasso, en Algérie et au Maroc.

[6Archives du Prado, site de Lyon : Conseil général, séance du 25 janvier 1960.

[7En vertu de son caractère diocésain, le Prado est soumis aux décisions épiscopales dans les diocèses où il est présent. Ses membres, bien qu’étant originaires de différentes régions, restent incardinés dans leurs diocèses d’origine, sauf exceptions réglées par des conventions bilatérales entre les évêques et le Prado. À cette époque, le Prado effectue pourtant des démarches auprès de la Congrégation des religieux afin d’être reconnu en tant qu’institut séculier de droit pontifical. Il s’agit aussi, par ce biais, d’obtenir un indult (dérogation) permettant à certains prêtres d’être directement incardinés à l’Institut, sur autorisation préalable de leurs évêques. Ces derniers forment le « corps franc » du Prado, plus tard dénommé « communauté générale », et sont particulièrement disponibles pour être envoyés n’importe où afin de remplir les besoins de l’Église là où ils s’expriment.

[8Dans les années 1950, divers organismes de coordination et de formation pour les prêtres envisageant d’exercer une partie de leur apostolat en Amérique latine ont été mis sur pied en Europe : la Obra de Cooperación Sacerdotal Hispanoamericana (OCSHA) à Madrid et le Collège pour l’Amérique latine (COPAL) à Louvain assurent des stages de formation et constituent un passage quasi-obligé d’une grande partie des prêtres Fidei donum dans les décennies qui suivent.

[9Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Mgr Ancel à Mgr Silva Henríquez, 21 janvier 1962.

[10Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Mgr Ancel à Mgr Silva Henríquez, 17 février 1962.

[11Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Mgr Silva Henríquez à Mgr Ancel, 5 mars 1962.

[12Acronymes de, dans l’ordre : Movimiento obrero de acción católica de los niños ; Juventud obrera católica ; Acción católica estudiante.

[13Archives du Prado, site de Lyon : Assemblée internationale 1968, « Le Prado au Chili et au Mexique ».

[14David Fernández Fernández, Historia oral de la Iglesia católica en Santiago de Chile desde el Concilio Vaticano II hasta el golpe de 1973, Cádiz, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Cádiz, p. 168.

[15Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Robert Lebègue à Mgr Ancel, 19 décembre 1962.

[16Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Mgr Ancel à Robert Lebègue, 11 janvier 1963.

[17Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Dossier de Robert Lebègue, coupure de presse.

[18« Rasgos de sacerdotales pradosianos », écrit-témoignage communiqué par Guido Gossens.

[19Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Robert Lebègue à Mgr Ancel, 19 décembre 1962.

[20Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Mgr Ancel à Robert Lebègue, 11 janvier 1963.

[21Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Mgr Ancel à Mgr Silva Henríquez, 21 janvier 1962.

[22Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Robert Lebègue à Mgr Ancel, 10 avril 1963.

[23Ibid.

[24Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Robert Lebègue à Mgr Ancel, 26 avril 1963.

[25Julio De La Cueva Merino, Joseba Louzao Villar [dir.], Un 68 católico. Catolicismo e izquierda en los largos anos sesenta, Madrid, Marcial Pons, Ediciones de Historia, 2023.

[26Jean-Louis Schlegel, « La révolution dans l’Église », Esprit, mai 2008, p. 54-71.

[27Denis Pelletier, « Religion et politique autour de mai 1968 », Socio, n°10, 2018, p. 87-100.

[28Archives du Prado, site de Lyon : Chili I, Lettre de Robert Lebègue à Mgr Ancel, 10 avril 1963.

[29Archives du Prado, site de Lyon : Compte-rendu du voyage en Amérique latine, 1968.

[30Ibid.

[31Ibid.

[32Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, CV de Robert Lebègue.

[33Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à Roger Servy, 22 février 1972.

[34Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Dossier de Robert Lebègue, coupure de presse.

[3521 de junio de 1971, documentaire réalisé par les étudiants de l’École des arts et de la communication de l’Université pontificale catholique du Chili, archive filmique, Université pontificale catholique du Chili. Disponible en ligne sur : http://archivofilmico.uc.cl/archivo/21-de-junio-de-1971/.

[36Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à Roger Servy, 22 février 1972.

[37Archives du Prado, site de Lyon : Compte-rendu du voyage de Roger Servy en Amérique Latine, 1970-71.

[38Ibid.

[39Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à Roger Servy, 22 février 1972.

[40Ibid.

[41Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à sa mère, 6 mai 1972.

[42Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Roger Servy à Robert Lebègue, 24 mai 1972.

[43Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à Roger Servy, 22 février 1972.

[44Ibid.

[45Marcos Fernández Labbé, « “Ser uno de ellos” : mundo popular, politización sacerdotal y acción política en Chila a fines de la década 1960 », Itinerantes : Revista de Historia y Religión, n°16, 2022, p. 42.

[46Ibid.

[47Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à Roger Servy, 14 septembre 1972.

[48Ibid.

[49Ibid.

[50Ibid.

[51Ibid.

[52Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à Roger Servy, 31 août 1973.

[53« La Paz en Chile tiene un precio », Exhortation du Comité permanent de l’épiscopat chilien, 16 juillet 1973.

[54Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à sa mère, 6 mai 1972.

[55Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Robert Lebègue à sa mère, 22 septembre 1973.

[56Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Mgr Aproniano à Roger Servy, 4 avril 1974.

[57Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, Lettre de Mgr Ariztía à Roger Servy, 22 septembre 1979.

[58Ibid.

[59Archives du Prado, site de Lyon : Chili II, dossier de Robert Lebègue.