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VENEZUELA - Entre contrôle ouvrier et bureaucratie persistante

Sébastien Brulez

jeudi 16 août 2007, mis en ligne par Sébastien Brulez

Depuis près de huit mois, les travailleurs de Sanitarios Maracay gèrent leur usine sous contrôle ouvrier. Ils en demandent la nationalisation et proposent de vendre leur production de sanitaires à des prix préférentiels, pour les projets de constructions de logements sociaux lancés par le gouvernement. Cependant, malgré l’appel du président Chávez en 2005 à occuper et nationaliser les usines inactives, les obstacles sont nombreux et la plupart proviennent de l’appareil d’État lui-même.

Le bâtiment annexe de l’Assemblée nationale vénézuélienne se dresse à deux pas de la Place Bolivar, en plein centre de Caracas. Dans la salle climatisée de la Commission de développement social intégral, le fonctionnaire du ministère du travail se sent de plus en plus mal à l’aise. Il se tortille sur sa chaise et sa cravate semble l’étrangler : « Bon, si vous n’avez pas pu rencontrer le ministre cela n’est pas si grave. Vous pouvez discuter avec nous, de toute façon nous sommes tous révolutionnaires ».

Assis à côté de moi, le Secrétaire syndical national du Parti communiste esquisse un sourire moqueur. « Tu vois, ça n’est pas pour rire, c’est la réalité de ce qui se passe ici », me chuchote-t-il à l’oreille.

Il faut dire que le représentant du ministère vient d’expliquer à la Commission qu’il n’a pas rencontré les travailleurs occupant l’usine mais, par contre, il s’est réuni à plusieurs reprises avec le patron, Alvaro Pocaterra.

Les représentants des 500 travailleurs de Sanitarios Maracay n’en croient pas leurs oreilles. Leur cas résume un peu le phénomène auquel on assiste aujourd’hui au Venezuela. D’un côté, une population qui a pris conscience de ses droits, de sa condition et du processus de changements dans lequel elle s’est volontairement engagée. De l’autre, un appareil d’État qui reste en grande partie bureaucratisé et corrompu, vicié par 40 années de démocratie clientéliste.

Les huit années de révolution bolivarienne n’ont pas été capables d’éradiquer complètement ces pratiques. Comme le souligne le président Chávez en paraphrasant Antonio Gramsci : « La vieille société qui n’en finit pas de mourir et la nouvelle société qui n’en finit pas de naître ».

Pour José Pérez, membre du comité de mobilisation élu par les travailleurs de Sanitarios Maracay, c’est ni plus ni moins de cela qu’il s’agit. « Cette lutte est très importante au niveau politique et idéologique. Si nous gagnons ce combat, nous créerons un nouveau syndicalisme, un syndicalisme de classe » affirme-t-il.

Ce que demandent José et ses camarades c’est une nationalisation de l’entreprise sous contrôle ouvrier. Pas question de nommer un bureaucrate à la tête de l’usine ! Les décisions continueraient à se prendre comme à l’heure actuelle, via le comité d’entreprise élu directement par l’assemblée des travailleurs, à laquelle ce dernier rend régulièrement des comptes.

« Usine abandonnée, usine occupée »

Lorsque, le 30 avril 2006, en plein conflit social, M. Pocaterra décide de déclarer son entreprise en faillite, les travailleurs de Sanitarios Macaray prennent l’appel du président au pied de la lettre. Ils s’organisent et maintiennent dans un premier temps les fours en fonctionnement. Par la suite, ils relancent eux même une partie de la production.

« Le patron nous accuse de délinquants mais c’est un mensonge. Si c’était le cas, tout cela n’existerait pas. Jusqu’à l’heure actuelle nous avons tout maintenu dans un état impeccable », affirme Fidel en me montrant le four cuisant les pièces de salles de bain à plus de 1200 degrés.

Les premiers à quitter l’usine ont été les cadres, les ingénieurs et le personnel administratif. Ils négocient leurs prestations sociales avec le patron et le ministère du travail. Parmi les ouvriers, certains ont abandonné la lutte et sont partis chercher un emploi ailleurs. Il faut bien nourrir la famille.

Les travailleurs font tourner l’usine mais ne bénéficient d’aucun statut légal pour écouler la production. De plus, les matières premières sont difficiles à obtenir, notamment à cause du boycott des entreprises qui voient d’un mauvais œil cet exemple d’autogestion. Pour l’instant, on se contente donc de vendre les pièces produites à la communauté des environs. Pas de quoi gagner un salaire digne. A ses heures de gloires, l’usine employait 750 personnes et exportait salles de bain, lavabos et toilettes dans près de 13 pays d’Amérique latine.

Fidel, lui, travaille depuis 12 ans au contrôle de qualité. Il ne peut pas se permettre d’abandonner ; à 44 ans ses chances de retrouver un emploi sont minces. Avant l’occupation de l’usine, il n’avait jamais vraiment fait de politique mais il s’y est mis, « pour défendre ses droits ».

« C’est comme un apprentissage », explique-t-il. Aujourd’hui il analyse la situation d’un œil critique : « Ici nous avons un gouvernement révolutionnaire dans lequel il existe encore une bureaucratie qui favorise les capitalistes ».

La nécessité de changements structurels

En mars dernier, le député de l’Assemblée nationale et membre de la Commission de contrôle, Eustoquio Contreras, soulignait toute la difficulté de « construire le socialisme et développer des changements structurels, tout en devant respecter les règles du jeu d’un État de droit bourgeois. Cela nous pose un grave problème de gouvernabilité. Car une chose est le “quoi” et autre chose est le “quand”, “comment” et “avec qui” ».

« Nous avons passé les premières années (NDLR : de gouvernement) à construire le pouvoir. Mais les espaces laissés par les vieux partis de la démocratie représentative ont été occupés par des acteurs du processus bolivarien qui ne se sont pas toujours révélés suffisamment efficaces. Et aujourd’hui, quand le président Chávez se propose d’approfondir la révolution, il ne dispose pas des personnes avec qui mener à bien ce projet. Il se rend alors compte qu’il a besoin d’un instrument politique et lance la création du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) » expliquait Eustoquio Contreras.

Aujourd’hui la construction du PSUV est une réalité. Après un travail préalable de la Commission promotrice, des « propulseurs » ont sillonné le pays et ont recensé plus de 5 millions de futurs militants. Ceux-ci élisent actuellement leurs représentants qui participeront au congrès idéologique. Au départ prévu pour la mi-août, il été reporté à début septembre.

M. Chávez a également annoncé qu’il déposerait dans les prochains jours son projet de réforme constitutionnelle devant l’Assemblée nationale. Comme pour le PSUV, l’un des objectifs avancés est d’élaborer les instruments pour une participation plus active de la population. Pour l’instant aucun document officiel n’a été présenté, tout au plus a-t-il donné les grandes lignes : réorganisation territoriale, en accord avec le quatrième « moteur » [1] ; le Comandante a également fait allusion à la propriété des moyens de productions et à l’économie socialiste. Thèmes censés aussi figurer dans ce projet de réforme qui devra de toute façon être approuvé par référendum populaire.

Faisant allusion à la création du PSUV, M. Chávez a expliqué à plusieurs reprises qu’« un arbre est en train de naître, nous devons en prendre soin afin qu’il grandisse droit, sans déviations ». Au delà du parti, c’est tout le processus de transformations sociales qui est concerné. Abandonner un modèle de développement pour en inventer un autre ne se fait pas sans risques ni sans contradictions, les travailleurs de Sanitarios Maracay en font l’expérience au quotidien. Mais seule une participation populaire véritable et effective pourra garantir la croissance de la graine d’espoir semée sur le continent latino-américain.


Article proposé par l’auteur qui l’a aussi publié sur son blog, La Voix du Sud.

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[1Les 5 « moteurs » de la révolution sont : 1. la loi habilitante, 2. la réforme constitutionnelle, 3. morale et lumières, 4. la nouvelle géométrie du pouvoir et 5. l’explosion du pouvoir communal.

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