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VENEZUELA - Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le pouvoir populaire sans jamais oser le demander

Grégoire Souchay

mercredi 30 décembre 2009, par Thierry Deronne

26 décembre 2009 - Vous le savez maintenant : l’organe de base de la révolution bolivarienne est le conseil communal. On en parle beaucoup, souvent, et pourtant il est difficile de se représenter ce que c’est exactement. J’ai pu rencontrer un membre d’un conseil communal qui a su très simplement m’expliquer tout ce qui peut s’y passer, y compris les problèmes rencontrés.

Un peu d’histoire

Les conseils communaux ne sont pas nés avec la Révolution. Ou plutôt, il existait auparavant des structures multiformes, les "comités de voisins", les "comités de santé", comité pour la terre, pour les plus anciens. Avec l’entrée en campagne en 1994 de Chávez, des groupes de citoyens ont commencé à former des cercles bolivariens, organisations politiques d’appui populaire, qui sont restées actives après l’arrivée au pouvoir de Chávez et ont commencé à permettre une structuration des quartiers.

Sous l’impulsion de Chávez, cette idée de « conseil communal » prend son ampleur véritable avec le cadre de la nouvelle constitution approuvée à 70% en 1999 et surtout la loi des Conseils Communaux en 2006. Les principes sont simple : « démocratie participative et protagonique ».

Reste à les mettre en application. A partir de 2007, l’élan est lancé. Des conseils se créent dans tout le pays selon des règles plus ou moins strictes. Il existe selon le ministère aujourd’hui 34000 conseils communaux dans tout le pays.

La naissance d’un conseil communal

Tout commence par un groupe de gens dans un quartier qui ont peu ou prou envie de faire bouger les choses, chavistes ou non d’ailleurs. Que ce soit dans les quartiers populaires des grandes villes ou dans les communautés rurales, paysannes ou indigènes, les conditions de vie sont souvent difficiles, parfois extrêmes, et certains problèmes locaux urgents qui ne sont visibles que pour les habitants de la communauté.

Ce groupe de gens commence à se réunir et forme un comité électoral. Celui-ci va avoir deux tâches : d’une part faire du porte-à-porte dans la zone concernée pour établir un état des lieux complet de la situation avec les attentes de chacun des habitants. Il n’y a aucune obligation de participation et tout le monde a droit à prendre part à cet état des lieux.

D’autre part, organiser les élections des membres du conseil communal. Dans celles-ci, chaque habitant va voter pour au minimum pour 3 différents comités. Un comité des finances, un comité de contrôle, et le comité exécutif.

Ce comité exécutif est lui-même composé de l’ensemble des comités de conseil, cela peut varier, j’ai pu assister à une élection où il y avait 16 comités différents : santé, éducation, location, sécurité, sport, culture, communication, égalité des genres, ...

L’élection

Pour être valables légalement les élections doivent rassembler les votes de plus de 60% des habitants de la communauté.

On élit donc ses représentants, avec un vote à bulletin secret avec comme preuve de vote un doigt trempé dans l’encre. Le dépouillement est réalisé par le comité électoral et doit systématiquement être public. Si une personne émet un doute sur ne serait-ce qu’un bulletin de vote en trop ou manquant, l’ensemble des bulletins doivent être recomptés.

Les représentants sont élus pour une durée de 5 ans. Le conseil prend alors son nom, généralement celui de sa communauté, ou parfois d’autres noms plus parlants pour les habitants.

Le développement des projets

Chacun de ces comités va ensuite se consacrer à son domaine et proposer un projet. Ce projet ne sort pas de nulle part puisque chaque comité va se référer aux besoins de la population exprimés dans l’état des lieux précédemment réalisé. Le comité a également la charge d’établir le budget nécessaire pour son projet.

Une fois défini le projet et budgétisé, celui-ci sera présenté par le/la ou les portes paroles élus devant l’ensemble de la communauté, réunie en assemblée du comité exécutif. Quand on parle d’une réunion de conseil communal, il s’agit du rassemblement général de l’ensemble des comités. Les porte-parole y sont bien sûr présents mais tout membre de la communauté peut y assister. S’il y a des votes à faire, l’on convoque les habitants pour le conseil communal suivant.

L’exécutif va alors décider en fonction encore une fois des besoins les plus urgents exprimés par la communauté, quel projet sera lancé en priorité et ces informations sont transmises au comité de finances. Celui-ci est là encore bien structuré puisque qu’il y a toujours au minimum un porte-parole, un secrétaire et un conseiller financier. Toutes ces personnes sont formées par des ateliers et des formations données de manière gratuite par le ministère.

Le ministère du pouvoir populaire pour les communes va alors allouer les fonds via le Fonds de développement communal (Fundacomunal), qui sont parfois très importants. La gestion revient à la banque communale, soit au comité financier. Le comité de contrôle s’assure que les fonds alloués seront bien acheminés vers leur destination, et surveille également la bonne tenue des mandats, le suivi des projets etc.

L’exécution pratique

Le projet est lancé, l’argent est arrivé, on passe à la phase d’exécution. Il s’agit d’une dynamique locale donc qui doit systématiquement privilégier les travailleurs de la communauté. C’est seulement dans le cas où la communauté ne dispose pas des équipes nécessaires que celle-ci peut faire appel à une main d’œuvre extérieure, là encore sous l’œil du comité de contrôle social. Ces travailleurs seront embauchés de manière contractuelle, pour exécuter la tâche précise demandée, avec toutes les conditions sociales légales qui vont avec : tickets resto, 13ème mois, retraites, assurance maladie...

Parfois, il n’y a pas besoin de finances étatiques, juste de main d’œuvre volontaire : nettoyage des rues, réparation d’un transformateur électrique. Les choses s’organisent évidemment aussi de manière moins formelle et beaucoup plus rapide, entre voisins.

Formation permanente

Tout ce travail est évident plutôt compliqué pour des personnes n’ayant jamais géré un budget ou ne sachant pas déposer un projet. Le gouvernement par le biais de l’École de planification du pouvoir populaire et du Fonds de développement des conseils communaux (Fundacomunal) organise donc régulièrement des ateliers de formation pour les représentants des conseils communaux. Fonction politique du conseil, organisation des projets, structure pratique, tous ces aspects évoqués sont ensuite diffusés dans les communautés par les représentants présents, afin de multiplier les savoirs.

Les salles de bataille sociale

Il s’agit d’une autre idée du président du Venezuela, mise en pratique depuis 2007. Les Salles de bataille sociale (SBS) sont des lieux de rencontre, de partage d’expérience et de coordination des différents conseils communaux. Ils n’ont pas de valeur décisoire. Les seuls maitres des décisions restent les habitants organisés.

Cependant, certaines communautés (comme celle de Gramoven) sont allées plus loin puisqu’elles ont décidé d’unir plusieurs conseils communaux pour donner naissance à un conseil sectoriel (consejo parroquial). Cela a pour principal avantage de donner naissance à des projets de plus grande ampleur.

Les problèmes courants

Les conseils communaux rencontrent deux principaux problèmes : le manque de participation de la communauté, dont parfois cela tient à des motifs purement idéologiques, les conseils communaux étant perçus par l’opposition anti-chaviste comme un organe local de contrôle du gouvernement. Mais la majorité des habitants ne participant pas ne trouve tout simplement pas d’utilité à sa présence et délègue aux représentants des comités le travail militant.

L’exposition des individualités. On retrouve quasi systématiquement des gens qui vont vouloir imposer leur vision, écraser celles du voisin, déclencher des querelles de personnes qui parasitent les conseils, et qui contribuent à parfois décourager de nombreux participants. Les querelles d’organisation sont souvent de ce ressort elles-aussi, sommes toute, le lot de n’importe quelle organisation collective.

Il y a également les problèmes de corruption, les sommes en jeu étant très importantes, l’argent est parfois mal géré, ou pas géré du tout. Et des larges parts disparaissent parfois dans la nature.

La réforme de la loi des conseils communaux

Pour parer à tout cela, le gouvernement est actuellement en train de discuter une loi, devenue organique, soit à valeur supérieure, réformant l’ancienne loi des conseils communaux. Les représentants des conseils communaux ainsi que la population participent au travers de tables rondes dans le pays à l’élaboration de cette loi.

Celles-ci alourdissent considérablement les sanctions à l’égard de ceux qui seraient pris en train de se servir dans les caisses. D’autre part la loi met en place un guichet unique, soit une instance unique dépendant du Ministère pour les communes, qui se charge de l’ensemble des questions, certaines touchant souvent plusieurs ministères à la fois (finance, communes, éducation, santé ...). Cette loi crée également un droit à la révocation d’un mandat à n’importe quel moment si le ou la représentant-e n’effectue pas correctement son mandat ou agit pour son intérêt propre. Ce qui vaut d’ailleurs aussi pour les maires, gouverneurs et présidents depuis la promulgation de la constitution Bolivarienne.

Les conseils populaires de communication

Cette fois l’idée revient à la chaine de télévision Vive TV, qui au travers de l’École latino-américaine de cinéma et de télévision a impulsé dans les quartiers la naissance des conseils populaires de communication. Il s’agit non plus d’un simple comité de communication dans les communautés, mais bien d’un processus de réappropriation de l’information par en bas.

Ici encore, des formations sont dispensées, les principaux thèmes abordés étant l’aspect théorique de la communication populaire avec la critique du modèle médiatique dominant, et la guérilla communicationnelle : il s’agit juste des outils pour donner les informations sur ce qu’il se passe dans sa communauté : fabrication de pochoirs, peinture murale, journal communal en sont les principaux. L’idée est toute récente mais ceux ci se développent rapidement au travers de l’ensemble du pays.

Vers les communes socialistes

Un récent projet gouvernemental prévoit d’aller encore plus loin. Il ne s’agit plus seulement de gérer localement la communauté mais bien qu’elle participe à la vie politique nationale et qu’elle puisse construire ses propres outils politiques populaires, en démocrate directe et concrètement par la l’articulation entre les conseils communaux d’un secteur, d’une région, en fonction de besoins productifs, sociaux. C’est l’idée des communes socialistes, l’objectif étant qu’à terme, les communes surpassent les mairies et les governaciones (gouvernement étatique) pour avoir une exécution directe des politiques nationales sans organe intermédiaire. c’est le dernier projet en date, qui est encore à l’état théorique et commence à peine à être envisagé sur le terrain.

La mort d’un conseil communal

Sachez également que les conseils communaux ne sont pas toujours éternels. Dans certaines communautés, on en a déjà créé un troisième, parce que le premier n’avait aucune participation, ou le second avait été récupéré par l’opposition qui ne faisait aucun projet communautaire mais s’en servait comme d’une tribune politique.

Une chose est dans tous les cas bien certaine, sans les conseils communaux, le Venezuela ne vivrait peut être pas ce qu’on ose appeler une révolution.


Photos copyleft

Première publication : http://www.larevolucionvive.org.ve/spip.php?article1049

Blog de l’auteur : http://escapades-bolivariennes.blogspot.com/

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