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L’éducation comme sphère d’inclusion : une comparaison entre le Venezuela, le Chili et la Colombie

Jesse Chacón

jeudi 12 avril 2012, mis en ligne par Thierry Deronne

Presque tous les discours sociaux sont d’accord sur le rôle de l’éducation comme dépassement de l’inégalité et comme source de développement pour un pays. L’éducation est identifiée comme sphère d’inclusion, de construction et de partage de sens sociaux qui garantissent la survie de l’ensemble de la société.

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, grâce à l’élaboration de cadres internationaux de protection des droits, l’éducation possède un statut de droit humain. Rappelons que les droits humains sont un ensemble de biens primaires ou de revendications protégées juridiquement par la communauté nationale et/ou internationale et qui expriment les aspirations et les exigences de liberté, de dignité et d’équité à chaque époque de l’histoire.

Le fait de la protection juridique de ces biens par l’État ou par la communauté internationale leur confère le statut de droits. Dans le cas contraire on ne parlerait que d’aspirations morales de la part de l’humanité ou de la part d’une communauté politique nationale spécifique, mais pas d’un droit universel.

Indice GINI mesurant les niveaux d’inégalité (source : Banque mondiale)

En ce qui concerne la protection juridique du droit à l’éducation, une architecture légale internationale établit clairement le caractère obligatoire pour les États signataires de garantir l’éducation sur la base des principes de gratuité et d’universalité.

À ce sujet l’observation générale numéro 13 du Comité des droits humains, économiques et sociaux de l’ONU, par référence à l’article 13 du Pacte international des droits économiques et sociaux, établit que :

« … L’éducation doit être à la portée de tous. Cette dimension de l’accessibilité est conditionnée par les différences de rédaction du paragraphe 2 de l’article 13 sur l’enseignement primaire, secondaire et supérieur : alors que l’éducation primaire doit être gratuite pour tous, il est demandé aux États signataires de mettre en place graduellement la gratuité de l’enseignement secondaire et supérieur… »

Plus loin, l’observation numéro 13 définit la valeur sociale que revêt aujourd’hui l’éducation tant pour le développement national que pour la satisfaction des besoins et des aspirations humaines :

« … L’idée est de plus en plus acceptée selon laquelle l’éducation est un des meilleurs investissements que les États puissent réaliser mais son importance n’est pas seulement pratique : disposer d’un esprit instruit, intelligent et actif, avec une liberté et une ouverture de pensée, est un des plaisirs et des récompenses de l’existence humaine… »

En tant que pays engagé dans la construction d’une nouvelle architecture internationale garante des droits humains, l’État vénézuélien a assumé la responsabilité de réaliser les principes d’universalité et de gratuité de l’éducation primaire, secondaire et universitaire.

Pour l’éducation maternelle, primaire et secondaire, l’effort vénézuélien a été reconnu par l’UNESCO dans le cadre de la réalisation des Objectifs du Millénaire. En ce qui concerne l’enseignement universitaire, le Venezuela a été classé par l’UNESCO au deuxième rang pour le taux brut d’inscriptions d’étudiants à l’université sur le plan latino-américain et au quatrième rang mondial. Le Venezuela a augmenté pendant dix ans de 170% le nombre d’inscrits à l’université : en passant de 785 285 étudiants en 1998 à 2 120 231 en 2009.

Ces résultats ont pour base une augmentation soutenue de l’investissement dans l’éducation, qui a bondi de 107 % pendant ces années de révolution, en passant de 3,38% du Produit intérieur brut en 1998 à 7% du PIB en 2008.

L’éducation récupère sa place comme sphère d’inclusion. L’enfance et la jeunesse circulent positivement à travers tout le système éducatif. Les aspirations d’une vie meilleure trouvent leurs corrélats matériels dans une sphère liée à un modèle économique plus humain. Le Venezuela est devenu le pays le moins inégal de l’Amérique Latine avec un indice GINI de 0,39, sur une échelle où le « zéro » indique la plus grande égalité et le « un » la plus grande inégalité.

Tandis qu’au Venezuela le droit à l’éducation se fortifie, dans des pays d’Amérique latine sous hégémonie néo-libérale nous voyons ces principes communs convertis en politiques qui font de l’éducation un privilège et un outil d’exclusion générationnelle. Voyons certaines de ces politiques :
 L’État s’est désengagé de son devoir de garant et de financeur de l’éducation, la transférant peu à peu aux municipalités. Des municipalités aux ressources fragiles ont reçu une haute responsabilité.
 On abandonne le principe de la gratuité et de l’universalité de l’éducation à tous les niveaux.
 L’éducation a été remise au marché, l’éducation est devenue une marchandise. Ce processus a visé le transfert aux capitaux privés des budgets de l’éducation, que ce soit via le système des subventions éducatives au Chili ou via la sous-traitance en Colombie. Au Chili par exemple pour 1990, l’éducation subventionnée concernait 980 000 élèves alors qu’en 2009 elle a cru à 1 700 000 élèves. De même l’éducation publique municipale comptait en 1990 1 700 000 élèves pour descendre à 1 430 000 élèves en 2009.
 On cherche à installer l’idée des « écoles efficaces ». Ainsi l’éducation privée est présentée comme « de meilleure qualité » et donnant « de meilleurs résultats » alors que l’éducation publique est stigmatisée comme celle qui donne de « moins bons résultats ».

Investissement éducatif en pourcentage du PIB (UNESCO). 2. Indice GINI (niveau d’inégalité) (Banque mondiale). 3. Rang mondial pour le nombre d’étudiants universitaires (UNESCO). 4. Rang latino-américain pour le nombre d’étudiants universitaires (UNESCO). 5. Taux d’analphabétisme (UNESCO)

Ce modèle néo-libéral a fait de l’éducation un commerce, de sorte que les réussites en matière d’extension de la couverture éducative ne s’accompagnent pas de processus d’inclusion sociale ni d’amélioration de la qualité de la vie. Les cas du Chili et de la Colombie sont exemplaires. Ce sont les sociétés les plus inégalitaires d’Amérique latine. La Colombie possède un indice Gini de 0,58 et le Chili de 0,50. Les taux d’analphabétisme sont de 3.5 pour le Chili et de 6,4 pour la Colombie. Parallèlement ces pays maintiennent de faibles taux d’inscription universitaire et les jeunes qui accèdent à l’enseignement doivent le faire sous la modalité du crédit éducatif, ce qui hypothèque leurs vies pour près de 15 ans après l’obtention d’un diplôme.

L’option socialiste de construction de la société a amené le Venezuela à faire sortir l’éducation du marché et à la garantir en tant que droit à tous les niveaux, ce qui permet aujourd’hui d’élever le capital culturel de toute la population.

Lors des élections présidentielles du 7 octobre 2012 le choix se fera entre deux modèles : capitalisme néo-libéral ou socialisme bolivarien. Nous ne disons pas cela par spéculation idéologique mais à partir de la compréhension de l’impact négatif que le capitalisme néo-libéral a sur la vie quotidienne des majorités en Amérique latine.

Le 7 octobre 2012 les vénézuéliens choisiront entre l’éducation comme droit humain et comme principal outil d’inclusion sociale, ou la transformation de l’éducation en marchandise qui marginalise et exclut les grandes majorités.


Jesse Chacón est directeur du GISXXI, www.gisxxi.org

Source (espagnol) : http://www.gisxxi.org/articulos/la-educacion-como-esfera-de-inclusion-una-mirada-comparativa-entre-venezuela-chile-y-colombia-jesse-chacon-gisxxi/

Traduction de Thierry Deronne pour www.venezuelainfos.wordpress.com

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