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ARGENTINE - Les grands producteurs de soja manifestent contre le gouvernement

Rodolfo Koé Gutiérrez

mardi 17 mars 2020, mis en ligne par Françoise Couëdel

Vendredi 6 mars 2020.

Les grands producteurs agraires d’Argentine ont appelé à un lockout de la commercialisation des céréales à partir de lundi prochain et jusqu’à jeudi, après l’annonce par le gouvernement de la hausse des taxes pour les producteurs de plus de mille tonnes de soja.

Cette mesure est la réponse du secteur le plus dur et le plus opposé au gouvernement à la décision du ministère de l’agriculture de redistribuer l’impact des taxes en les augmentant de trois points (de 30 à 33%) sur les grands producteurs de soja, mais en les baissant de un à 12 points, moyennant des compensations, sur les producteurs de moins de 500 tonnes, lors de la dernière récolte.

La suspension de la commercialisation consisterait à ne pas envoyer de bétail au marché ni de céréales vers les ports durant les quatre jours que durera le lockout, mesure qui ne pourrait être appliquée aux éleveurs de vaches laitières, ni aux producteurs de légumes, s’ils ne disposent pas d’installations de conservation adéquates. Pendant ce temps le soja continuera à pousser dans les champs entre le lundi et le jeudi, pour le bénéfice des propriétaires, qu’ils soient nationaux ou étrangers.

Parallèlement, il avait été prévu qu’une partie des sommes récoltées par l’augmentation des retenues sur les grands producteurs serait affectée sous forme de baisse des retenues sur divers cultures régionales. La résolution de lancer une cessation d’activité contre ces mesures redistributives a été interprétée par les dirigeants du secteur rural comme contraire aux intérêts des petits producteurs et des productions régionales, et de nature que beaucoup ont qualifié de « clairement politique ».

« Il y aura suspension de la commercialisation des céréales et du bétail sur pied à partir de lundi et jusqu’à jeudi : la décision était déjà prise avant les réunions avec le ministre de l’Agriculture, Luis Bastera, et la hausse des retenues sur les producteurs de plus de 1000 tonnes de soja » a déclaré Gabriel De Raedemaeker, vice président des Confédérations rurales argentines (CRA).

« Les droits sur l’exportation sont un mauvais impôt qui incite à ralentir la production. Débattre de quelle façon il va être restitué n’est pas à notre agenda immédiat. Nous en demandons l’élimination », a-t-il ajouté.

Le projet de retenues sur le secteur du soja décidé par le gouvernement segmente sa mise en application en faveur des plus petits producteurs. La Table inter-confédération [Mesa de Enlace], dont sont membres la Confédération rurale argentine (CR), la Société rurale, Coninagro et la Fédération agraire, a rejeté le projet et se lance dans la bataille pour défendre les intérêts des grands exploitants.

« Si les mesures prises sont orientées par l’idée d’un recouvrement de taxe plus important, considérez que c’est un jeu au bénéfice zéro à court terme ; si elles sont sous-tendues par une orientation idéologique, alors… vous nous nous trouverez sur votre chemin », a affirmé la Table inter-confédération, faisant clairement allusion aux manifestations qui se sont déroulées pendant plusieurs mois, au cours de l’année 2009, lors du bras de fer entre le gouvernement de Kirchner d’alors et les dirigeants du secteur rural sur la Résolution 125, qui prétendait établir un régime de taxes modulables sur le soja.

À cette époque, le mode de contestation le plus explicite était l’appel général à manifester sur les routes des dirigeants du secteur rural et des petits producteurs (chacareros). Il a obtenu une très vaste diffusion grâce aux chaînes d’information hégémoniques qui non seulement leur ont assuré une visibilité mais qui l’ont aussi placé au premier plan des informations, pendant plusieurs mois, dans le but d’affaiblir le gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner, aujourd’hui vice-présidente de la Nation.

Selon la CRA, « seront exemptés de la mesure imposée les producteurs qui doivent déplacer leur exploitation en raison des conséquences de la sècheresse qui affecte la région centrale » précisait le communiqué.

La décision a provoqué une certaine stupeur et pas uniquement de la part du gouvernement. La segmentation qu’a annoncée le ministre Luis Bastera cette semaine a été considérée, par certains secteurs agricoles comme « le modèle le plus équitable et le plus favorable aux petits producteurs qui ait jamais existé ».

Pour certains analystes, le rejet par la CRA et la Société rurale de la proposition du gouvernement est compréhensible ; elle touche principalement les grands producteurs de la pampa humide, étroitement liés à l’agro-négoce exportateur, de plus de 10 000 quintaux (mille tonnes) de soja par récolte.

Ils ajoutent qu’il est inexplicable que Coninagro et la Fédération agraire se joignent à une mesure imposée, quand les petits producteurs et les membres de coopératives de moins de 1000 quintaux (100 tonnes) vont payer après les compensations 21% de taxes. C’est de toute évidence, ont-ils précisé, une mesure de déstabilisation dirigée contre le gouvernement de Alberto Fernandez.

En guise d’apéritif au lockout, une cinquantaine de tracteur et une centaine de camionnettes ont participé aux mobilisations sur les routes du centre de la province de Córdoba, une manifestation lancée avant que ne soit connue la proposition du gouvernement.


Rodolfo Koé Gutiérrez est un journaliste économique argentin, analyste associé au Centre latino-américain d’Analyse stratégique (CLAE, www.estrategia.la).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : http://estrategia.la/2020/03/06/argentina-los-grandes-productores-sojeros-se-lanzan-contra-el-gobierno/.

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