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ARGENTINE - Plus jamais : la réponse populaire au négationnisme du gouvernement libertaire

Claudio della Croce & Rubén Armendáriz

mercredi 27 mars 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

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24 mars 2024.

À partir de midi, des organismes de défenses des droits humains ont marché aux côtés des partis politiques, des centrales ouvrières et des organisations sociales lors de ce qui a été la plus grande mobilisation depuis le début de la gestion du libertaire Javier Milei et de l’instauration d’un gouvernement négationniste qui a remis en question les consensus élaborés au cours de quarante ans de démocraties et qui, en outre, approuve les principes et les objectifs économiques de la dictature civilo-militaire qui a été instaurée il y a quarante-huit ans de cela.

Des organismes des Droits humains, la CGT et les deux centrales de CTA (Centrale des travailleurs argentins), des mouvements sociaux dans tout le pays ont commémoré le Jour de la Mémoire, de la Vérité et de la Justice. L’épicentre en a été la Place de Mai, dans la capitale argentine. Cela a été une des marches les plus massives des quarante années depuis la restauration de la démocratie. Les medias parlent de quatre cent mille personnes, uniquement dans la capitale : des personnes âgées, des adultes, beaucoup de jeunes, d’enfants, unis par le slogan de « Jamais plus » de dictature ni de génocide.

La marche de cette année s’élève contre le négationnisme ou la revendication de cette époque tragique. Un événement qui a été officialiste, avec tous les problèmes qu’il suppose devient, sans que Milei et ses acolytes l’aient voulu, une forme de résistance.

Esquivel [1] lors de la cérémonie principale de la Place de Mai a déclaré « Nous condamnons le négationnisme et l’apologie du terrorisme d’État. Ce gouvernement a mis en place un protocole répressif destiné à empêcher l’exercice du droit légitime aux manifestations sociales.

« Comme ce fut le cas sous le gouvernement de Mauricio Macri et de Patricia Bullrich, la persécution et la diffamation à l’encontre des opposants politiques et sociaux redeviennent une pratique quotidienne », a déclaré Tati Almeida, responsable des Mères de la Place de Mai. Nous avons trente mille raisons de vouloir défendre la Patrie » face à ce gouvernement qui prétend rétablir la théorie des deux démons et qui revendique le terrorisme d’État.

Nous continuons à exiger une loi contre le négationnisme, qui sanctionnerait les fonctionnaires et les représentant élus qui sous-estimeraient les crimes et leurs victimes », a affirmé le document officiel de cette célébration, dans un passage lu par la responsable des Grand-mères de la Place de Mai, Estela de Carlotto, après quinze heure, au moment culminant. Elle a précisé que le projet du Gouvernement de modifier la Loi de Sécurité intérieure – y compris les missions de police des Forces armées – est « contraire aux droits humains pour tous ».

Le texte officiel des organisateurs de la célébration compare le projet économique de La Libertad avanza avec celui de la dictature : « Le gouvernement de Milei et Villaruel est en train d’exécuter, de façon brutale et accélérée, le plan d’ajustement le plus impitoyable de ces quarante années de période démocratique. C’est le retour de la misère planifiée par Martínez de Hoz. Il a été également demandé aux « représentants du peuple, députées et députés, sénateurs et sénatrices, de rejeter, en raison de son caractère inconstitutionnel, le DNU et la Loi Omnibus (présentés par le gouvernement), qui sont d’une nullité absolue »

« Milei exige les pouvoirs absolus pour détruire le pays et obliger les gouverneurs à signer l’approbation de la loi Omnibus avant le Pacte de Córdoba, le 25 mai. C’est une extorsion et une trahison de la Patrie. « Le gouvernement veut entrainer le pays vers une dictature du Marché », souligne le document qui ajoute « nous demandons aux gouverneurs de résister aux extorsions du gouvernement, de défendre le territoire national et les ressources naturelles ».

Le ministre de la Défense, Luis Pietri, a déclaré aujourd’hui que « discuter de savoir si les disparus au cours de la dictature civilo-militaire sont trente mille n’apporte rien au débat » en même temps qu’il a indiqué qu’il faut « valoriser la récupération et la consolidation de la démocratie et condamner toutes et chacune des ruptures constitutionnelles qu’a connues le pays ». Par ces propos il a contré la vice-présidente de Villaruel qui a affirmé, dans une posture provocatrice, que les disparus n’ont pas été trente mille lors de la dernière dictature militaire.

Déjà, hier le président Javier Milei avait déclaré « les disparus ne sont pas 30 000, ils sont 8753 ». Personne ne sait d’où il a sorti ces chiffres mais, qu’ils soient 30 000 ou 8753, la seule chose est qu’il ait faite a été de reconnaître le génocide.

Le gouverneur de la province de Buenos Aires, Axel Kicilof, a déclaré « la nouveauté est qu’ils veulent nier ce qui s’est passé en Argentine et, comme on le voit, ce n’est pas une chose que le peuple est disposé à permettre ». « Être présent sur la Place de Mai le prouve. Eux viennent réprimer, nous, nous sommes là pour marcher pour l’avenir, la vérité et la justice […] », a-t-il ajouté.

« En ces jours où on répète qu’en Argentine il y a eu une guerre, il faut bien faire comprendre à tous que, ceux qui ont été jugés sont incarcérés pour avoir fait disparaître, pour avoir torturé, et pour avoir volé des bébés », a déclaré le gouverneur et il a ajouté « La dictature s’est exercée évidemment contre des camarades militants, mais aussi contre des syndicalistes, des délégués des usines, et tous les résistants qui se sont dressés contre un modèle entrainant la famine, la désindustrialisation, et la suppression des droits ».

L’ex-présidente Cristina Fernández de Kirchner a évoqué ce dimanche le début de la dictature civilo-militaire et demandé qu’on « puisse réfléchir, en oubliant le dogmatisme et la haine », à comment on en « est arrivé là », après avoir évoqué le bombardement de la Place de Mai en 1955. « Un jour comme aujourd’hui, il y a vingt ans de cela, j’ai accompagné le président Néstor Kirchner à la cérémonie de reconnaissance de ce qui a été le plus grand centre clandestin de détention de la Dictature civilo-militaire, instaurée le 24 mars 1976, l’ESMA », a rappelé l’ex-mandataire.

Elle a ajouté immédiatement : « C’est peut-être le lieu le plus emblématique de la tragédie politique, économique et sociale qui s’est abattue sur les Argentins ces années-là et dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences ». Elle a affirmé que la dictature de 1976 « n’a pas été la première. En juin 1955, au cours du second mandat de du Général (Juan Domingo) Perón, des avions des forces armées argentines, pilotés par des Argentins, ont lancé des tonnes de bombes sur d’autres Argentines et Argentins qui circulaient, un jour de semaine, sur la Place de Mai et ses alentours, et ils ont fait des centaines de morts et de milliers de blessés ».

La députée nationale du Front de gauche, Myriam Bregman, a critiqué le spot, diffusé par le Gouvernement de Javier Milei, pour le Jour national de la mémoire pour la Vérité et la Justice. « Parmi tous ces faits falsifiés ou manipulés (par exemple Yofre, – secrétaire des services d’intelligence de l’État entre 1989 et 1990, sous le gouvernement de Carlos Menem – a oublié que les réparations économiques ont été celles du gouvernement de Menem dont il a été membre) , il y a cette vidéo officielle qui réduit la lutte de notre peuple pour obtenir des jugements et des châtiments, à un problème financier, ce qui n’a même pas effleuré l’esprit des génocidaires ».

Le gouvernement de Javier Milei, ce dimanche, a officiellement nié que le nombre des disparus ait été de trente mille au cours de la dernière dictature militaire. Il l’a fait en diffusant sur les réseaux sociaux de la Casa Rosada une vidéo dans laquelle un ex guérillero (Luis Labraña) affirme que c’est lui qui a inventé ce nombre, en Hollande. Dans une nouvelle vidéo de provocation, le Gouvernement sur les réseaux sociaux officiels, cherche à justifier l’action des militaires sous la dernière dictature. Elle évoque une « mémoire complète » et ment pour justifier le génocide. Elle ravive la théorie néfaste des deux démons et dénigre la lutte historique pour les droits humains en disant que « tout ça c’était pour de l’argent ».

C’est la première fois, en quarante ans de gouvernements constitutionnels, que depuis laCasa Rosada la décision a été prise de remettre en cause la jurisprudence nationale et internationale, la reconstruction de la vérité historique attestée par tous les jugements, les recherches académiques, les livres, les films et la documentation accumulée au cours des décennies par des organismes des droits humains (nationaux et internationaux), des institutions de l’État même, qui convergent pour affirmer qu’en Argentine il y a eu un génocide.

Ces témoignages diffusés depuis le gouvernement et le repaire de trolls qui le contrôle, tentent de renforcer l’idée qu’en Argentine il y a eu une « guerre » dans laquelle le gouvernement a commis des « excès ». Cela est destiné à dissimuler le véritable terrorisme d’État contre la population dans son ensemble et pour exiger une sorte de « mémoire complète » qui mettrait sur le même plan les actions des organisations armées (pratiquement décimées le 24 mars) et le projet d’extermination, de vols de bébés et de misère planifiée, lancé par les juntes militaires à la demande des grandes entreprises nationales et multinationales.


Claudio Della Croce est un économiste et enseignant argentin. Rubén Armendáriz est un journaliste et politologue argentin. Ils sont tous les deux associés au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/03/24/nunca-mas-la-respuesta-popular-al-negacionismo-del-gobierno-libertario/.

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[1Adolfo Pérez Esquivel est un activiste argentin qui a obtenu le prix Nobel en 1980 pour avoir notamment résisté à la dictature argentine dans les années 1970. Il a été incarcéré et torturé par le régime en 1977 – NdlT.

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