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DIAL 2657

CHILI - La situation sociale. Constats et actions

Pierre Dubois

mercredi 16 juillet 2003, mis en ligne par Dial

Pierre Dubois est présent au Chili depuis quarante ans. Il est aumônier de la JOC (Jeunesse ouvrière catholique) et du MOAC (Mouvement des ouvriers de l’Action catholique), au plan national et diocésain (Santiago). C’est donc à partir de cette situation de grande proximité avec la population ouvrière que, dans une lettre du 13 juin 2003 adressée à ses amis, il nous présente quelques aspects de la situation économique et sociale actuelle du Chili. Il évoque en même temps quelques actions positives menées pour faire face à cette situation.


Le chômage et la précarisation de l’emploi sont toujours les problèmes majeurs de la population. La moyenne nationale oscille autour de 10 %, mais certaines régions comme Vallenar accusent un 22 % ! « C’est triste, après avoir lutté toute la vie pour avoir sa maison, de la perdre par suite du chômage ! ». Ça l’est aussi pour les jeunes qui commencent et ne trouvent pas d’emploi, malgré un diplôme d’informaticien ou d’ingénieur. Mais ce qui fâche le plus, c’est l’utilisation froidement calculée de la crainte du chômage pour dépouiller les travailleurs de leurs conquêtes sociales : une grande surface licencie et fait immédiatement un nouveau contrat au travailleur qui accepte un rabais de salaire de 50 % ou renonce à 50 % de son indemnité pour années de service. Une imprimerie compte 200 travailleurs parmi lesquels 120 appartiennent à 4 entreprises de sous-traitance qui en font travailler un grand nombre, de 22 h à 10 h tous les jours et pour le salaire minimum.

Des situations comme celles-là sont possibles car, parallèlement, les entreprises éliminent ou neutralisent systématiquement tout ce qui sent le syndicat. A la Candelaria, mine de la région de Copiapo, un jeune me racontait qu’à son embauche il avait dû subir un interrogatoire mené par 7 personnes ; aucune question d’ordre technique, toutes tournaient sur ce qu’il pensait des syndicats. Il était alors contre eux.

Heureusement, de l’intérieur, il a ouvert les yeux et fait partie maintenant des 250 ou 300 nouveaux syndiqués grâce auxquels une grève réussie a été possible cette année. Il faut dire qu’au terme de la négociation collective précédente, l’entreprise avait fait cadeau d’une maison à chacun des dirigeants. Cette année l’entreprise tenta, mais en vain, d’acheter le jeune président du syndicat, alors qu’il menait une grève de la faim a la cathédrale de Copiapo.

L’attitude de ce dirigeant, qui réagit à contre-courant, contraste avec celles de fonctionnaires ou hommes politiques qui, oubliant leur passé de lutte contre la dictature, en imitent la corruption, affaiblissant le gouvernement de la Concertation et rendant plus difficiles l’humanisation du travail et de l’économie.

Car l’immoralité la plus forte est bien cette inégalité sociale qui grandit avec le développement économique, au niveau des personnes d’abord : Rosa, employée de maison, licenciée pour un retard à son travail, cependant justifié par une visite au dispensaire de son enfant malade, gagnait 240 000 pesos [1] ; le mari de sa patronne gagne à lui seul 6,7 millions de pesos [2] soit 28 fois plus que l’employée et 60 fois plus que le salaire minimum. Rosa concluait : « Nous ne valons rien pour eux ! » Immoralité au niveau des structures financières : des 47 entreprises étrangères qui exploitent le cuivre, 2 seulement ont déclaré des bénéfices ; les autres, seulement des pertes, auquel cas une loi datant de Pinochet les exempte d’impôts. Un spécialiste affirme que cette évasion d’impôts « légale » équivaut à mille fois ce que réclament les organisations étudiantes pour résoudre les problèmes du crédit universitaire.

Indépendamment des ressources nécessaires, la volonté des gouvernants de mener des réformes sociales urgentes comme celle de la santé, est desservie par un contexte d’organisation économique de la société, dessinée et imposée de fait par la globalisation, pour favoriser l’enrichissement des riches, aux dépens des plus pauvres, et du secteur privé, aux dépens du secteur public. Du coup tout le monde critique le projet de réforme de la santé, ceux qui sont touchés dans leurs privilèges comme les médecins, ou les bénéficiaires eux-mêmes, qui n’ont pas confiance dans son effectivité.

Comment redonner et maintenir l’espoir qu’un changement réel est possible, dans un monde super-producteur d’individualisme ? La réponse du MOAC (Mouvement des ouvriers chrétiens) chilien, appuyé l’an dernier par une excellente session internationale du MMTC (Mouvement mondial des travailleurs chrétiens) à Santiago, est qu’il nous faut lutter pour que les travailleurs et le peuple en général prennent conscience que cette situation est causée par le culte du dieu argent et puissent en connaître les mécanismes et, en même temps, soient capables de résister à ses tentations, par exemple celles de l’endettement ou de la corruption, en prenant l’initiative de petites actions toutes simples qui développent une pratique et une mystique solidaires, comme celles-ci :

 la création dans une école du soir, d’un fond commun, pour financer le ticket de bus des élèves qui perdaient leur emploi, et éviter l’abandon des études,

 le partage d’un travail de peinture avec d’autres compagnons chômeurs,

 l’accord de dix malades d’entrer une heure en retard à leur dialyse dans une clinique privée, pour obtenir que le personnel ne les fasse plus attendre pour les « brancher »,

 la décision du MOAC d’Antofagasta de ne plus fréquenter les centres commerciaux les dimanches et jours fériés pour lutter contre le travail du dimanche des employés du commerce et pour le respect de leur vie de famille.

Bien sûr, personnellement et grâce à vos apports, je continue à appuyer l’action du groupe de solidarité qui anime « le lait par bouts de rue », lequel comprend 270 enfants en une douzaine de groupes de mamans. Quant à la coopérative de santé, un professeur d’économie nous a incité à ne pas abandonner un « outil » qui risque d’être indispensable dans un futur assez proche. Quelques nouvelles adhésions montrent que la partie n’est pas perdue !

Le MOAC reste mon occupation principale ; je veille à ce que le bulletin soit toujours plus l’expression de la vie et de l’action des militants, surtout quand celle-ci provient d’une réflexion d’équipe. La session d’été de la JOC s’est développée sur la base d’actions réalisées l’an dernier par les jeunes dans leur milieu de vie et pas seulement, comme c’était habituel, à partir de ce qu’ils avaient à endurer.

Je termine par cette déclaration de Samuel, un vieux mineur de Copiapo, maintenant aveugle : « Maintenant que je ne vois plus rien, j’ai plus que jamais le désir de participer au MOAC et dans les organisations sociales ; j’ai tout mon temps pour écouter. »

Je vous laisse le soin du commentaire !


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2657.
 Traduction Dial.

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Messages

  • Très bel article M. Dubois. Je suis impressionnée par vos observations. Elles soulignent un vrai problème présent dans la majorité des pays fraîchement démocratisés (au fait, est-ce que le Chili est une démocratie ? Pardonnez mon ignorance)

    J’ai tombé sur votre article à la suite de recherche sur la situation sociale, économique et politique du Chili, car je compte bien m’y rendre pour y enseigner.

    En lisant votre article, je suis touchée par l’effort nécessaire qu’on doit premièrement porter à la valeur économique. L’objet est là n’est-ce pas : définir l’économie comme un processus de développement du pays et non de l’individu.

    Merci pour votre article. Il chatouille certainement mon appétit de partir en mission là bas.
    Bonne chance et surtout, gardez votre intégrité.

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