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Revue Alternatives Sud, vol XIV, n°2 - éditorial

Explosion urbaine et mondialisation

Laurent Delcourt

mercredi 20 juin 2007, mis en ligne par Centre Tricontinental

[>> Voir le sommaire du numéro.]

La croissance des inégalités et de la pauvreté urbaines, dont l’explosion des bidonvilles
est l’expression la plus forte, résulte d’un modèle d’« urbanisation sans développement »
induit par les ajustements structurels et le « tout-au-marché ». La ville néolibérale, lieu
de polarisation extrême, apparaît à la fois comme le support privilégié et l’horizon
ultime d’une certaine mondialisation.

« Les qualités de la vie urbaine au 21e siècle définiront les qualités de la civilisation elle-même.
Mais si l’on juge superficiellement l’état des villes mondiales, les générations futures
ne trouveront pas que cette civilisation soit particulièrement conviviale »
(Harvey, 2001).

L’humanité vient de franchir un cap historique. Selon le dernier rapport d’ONU-Habitat
(2006), le monde compte désormais plus d’urbains que de ruraux. Du fait de
l’imprécision des statistiques, peut-être cette transition démographique, révolution silencieuse
s’il en est, a-t-elle déjà eu lieu au tout début de la décennie. Quoi qu’il en soit, la tendance
séculaire à l’urbanisation, loin de s’essouffler, devrait se poursuivre. En 2030, les villes
abriteront 5 milliards d’êtres humains sur un total de 8,1 milliards, soit deux tiers de la
population mondiale. Si la croissance démographique urbaine se maintient au rythme actuel,
les villes accueilleront encore chaque jour pas moins de 180 000 nouveaux citadins (nouveaux
nés et migrants), l’équivalent chaque année de presque deux fois la ville de Tokyo (près de 35
millions d’habitants) !

La population rurale quant à elle commencera à décroître à partir de 2015. Entamant
alors une courbe descendante (- 0,32% par an), la campagne se videra de quelque 155 millions
de ruraux sur 15 ans (jusqu’en 2030). C’est dire que le pouvoir d’attraction qu’exercent les
lumières de la ville sur le monde rural n’est pas prêt de faiblir. Les villes, pour paraphraser
Braudel, resteront voraces et continueront à absorber incessamment les paysans (1986). Au
moins pour un temps ! Jusqu’en 2050 peut-être, quand la planète aura semble-t-il atteint son
maximum démographique de 10 milliards d’habitants, dont trois quarts d’urbains.

Ce boom urbain concernera principalement les pays du Sud. D’après ONU-Habitat
(ibid.), 95% de cette ultime poussée démographique des villes aura lieu dans les zones
urbaines des pays du tiers-monde. Leur population, qui augmente en moyenne deux fois plus
vite que les taux de croissance nationaux, devrait doubler au cours de la prochaine génération
pour atteindre le chiffre hallucinant de 4 milliards de personnes (80% de la population urbaine
mondiale). D’une région à l’autre, la forme, le rythme et le niveau d’urbanisation ne seront
toutefois pas identiques.

Aussi, l’Amérique latine, fortement urbanisée, a entamé sa transition urbaine voilà
déjà près de deux décennies. Après le boom démographique et migratoire des années 1950-
1980, encouragé dans un premier temps par les politiques de substitution aux importations, le
taux de croissance urbaine s’est considérablement ralenti pour se stabiliser actuellement à
2,3%. Seuls l’Amérique centrale, certains pays andins et des Caraïbes continuent à enregistrer
des taux d’urbanisation supérieurs à la moyenne régionale.

Certes, pas aussi importants que le continent asiatique qui affiche des taux annuels de
2,9% (Asie du Sud) à 3,8% (Asie du Sud-Est). Ici, ce sont les processus migratoires qui
alimenteront principalement la croissance des villes. Le cas de la Chine est à ce titre
emblématique. On estime que 200 millions de Chinois ont quitté la campagne pour la ville
depuis la fin des années 1970. Et au cours de la prochaine décennie, 250 à 350 millions de
paysans devraient les y rejoindre (Davis, 2006) !

Mais si l’Asie, et en particulier la Chine, comptent d’ores et déjà le plus grand nombre
de citadins de la planète (50% du total), c’est à l’Afrique que revient le « privilège » de
connaître la croissance urbaine la plus forte, soit un taux annuel de 4,8% pour l’ensemble du
continent. Entre 1950 et 2000, sa population urbaine a été multipliée par 9, passant de 32 à
279 millions de personnes. Plus d’un Africain sur deux devrait vivre en ville en 2015 (53,5%
contre 39,7% actuellement) ; environ 87 % de la population totale, selon certaines estimations,
en 2050 (Nolan, 2006).

Ce déchaînement démographique, qualifié tantôt d’« explosion » tantôt
d’« hyperinflation » urbaine, est rendu visible surtout par la forte croissance des mégapoles
dans le Sud. Mexico a déjà passé le cap des 20 millions d’habitants ; elle est directement
talonnée par São Paulo, Mumbai et Delhi. Dans une quinzaine d’années, Djakarta, Dacca ou
encore Karachi auront largement dépassé ce seuil. A ce moment, Mumbai comptera déjà plus
de 30 millions d’habitants. Plus impressionnante encore est la croissance vertigineuse des
grandes villes africaines. Kinshasa (8,9 millions d’habitants) et Lagos (13,4 millions) ont vu
leur population multiplier par 40 depuis les années 1950 ; Nairobi (2,82 millions) par 30. A
titre de comparaison, il a fallu un siècle (de 1800 à 1900) à Londres, en pleine révolution
industrielle, pour voir sa population se multiplier…par 7 ! Avec un taux de croissance urbaine
annuel d’environ 5%, Lagos, la plus grande ville d’Afrique, devrait abriter en 2030 près de 23
millions d’êtres humains !

Si l’explosion spectaculaire des mégapoles de plus de 8 millions d’habitants frappe
d’abord et avant tout les esprits, elle ne suffit cependant pas à rendre compte de l’ampleur des
processus d’urbanisation dans le tiers-monde. Ces « hypervilles » ne joueront en réalité qu’un
rôle secondaire dans l’augmentation de la population urbaine [1]. Près des trois quarts en effet de
cette future croissance démographique sera le fait de villes secondaires, moyennes et petites,
voire d’agglomérations ou de bourgades de faible visibilité, peuplées à peine de quelques
milliers d’âmes ; et, comme le souligne ONU-Habitat, pratiquement dépourvues de services et
d’équipements adéquats (2006).

En Afrique, les petites villes de moins de 10 000 habitants, majoritaires dans le
paysage urbain, connaissent elles aussi des taux de croissance démographique
impressionnants. En Amérique latine, ce sont les villes de moins de 500 000 habitants qui
enregistrent les taux les plus élevés. Quant à l’Asie, elle voit se multiplier le nombre de villes
« millionnaires ». L’Inde en compte déjà 35, la Chine 174, soit à elles seules plus de la moitié
des villes de plus de 1 million d’habitants dans le monde (400 actuellement, 555 en 2015). En
Chine, nombreux sont aussi les établissements humains qui acquièrent, par changement de
classification, le statut nouveau de ville.

Partout, ces villes émergentes et ces mégapoles ne cessent de s’étaler horizontalement,
grignotent et empiètent de plus en plus sur les territoires alentours. De fait, le monde rural
s’urbanise in situ. C’est maintenant non plus les paysans qui vont à la ville, mais la ville qui
va aux paysans. Par de complexes processus de « conurbanisation », les villes repoussent
aussi loin que possibles leurs frontières ; établissent entre elles de nouveaux nœuds ; contournent les bourgades, encerclent et enferment les villages. Et se dessinent de vastes
zones polycentriques, entrecoupées d’espaces hybrides semi-ruraux, semi-urbains.

En Chine, d’ores et déjà de gigantesques complexes urbains se forment sur la côte par
maillage de villes centrales et secondaires. Dans ce pays, la surface bâtie des villes pourrait
être multipliée par 5 d’ici 2050 ! Mexico, quant à elle, devrait continuer à s’étendre pour
former avec ses villes périphériques une seule et même zone de conurbanisation qui
regroupera près de 50 millions de personnes, soit 40% de la population nationale. L’Ouest de
l’Afrique n’est pas en reste avec la vertigineuse croissance et l’extension territoriale de ses
villes côtières. De Bénin City à Accra en passant par Lagos, sur moins de 600 km, ce sont
près de 300 entités urbaines qui fleurissent et définissent un long couloir à forte densité
démographique qui, comme le souligne Mike Davis, deviendra sans nul doute la plus grande
« tache de pauvreté urbaine de toute la planète » (Ibid.).

Modèle d’urbanisation débridée

Parallèlement à leur rapide croissance démographique, les villes du Sud ont en effet vu
littéralement exploser leurs taux de pauvreté. Au point qu’elles pourraient bientôt abriter la
majorité des pauvres de la planète, ravissant alors ce statut peu enviable aux zones rurales.
Selon l’ONU, la pauvreté pourrait toucher entre 45 et 55% de la population urbaine mondiale
en 2020. Et, plus dramatique encore, près de 78% de la population urbaine en Afrique
subsaharienne ! Les villes africaines abriteront alors quelque 400 millions d’urbains pauvres.
Déjà, la très urbanisée Amérique latine compte depuis la fin des années 1980 plus de pauvres
urbains que de pauvres ruraux : 134 millions en zones urbaines en 1999 contre 77 millions
dans les campagnes. En Asie, même si la pauvreté restera longtemps encore le triste privilège
des campagnes, en chiffres absolus, le continent compte d’ores et déjà le plus grand nombre
d’urbains pauvres de la planète.

La conséquence la plus apparente et la plus tragique de cette « urbanisation de la
pauvreté » est la croissance spectaculaire et la multiplication sans précédent depuis une
quinzaine d’années des bidonvilles [2]. Selon les experts onusiens, le nombre de personnes
vivant dans ces zones d’habitat informel a progressé de 36
% au cours des années 1990,
rythme presque aussi soutenu que l’urbanisation stricto sensu. Désormais, près de 1 milliard
de personnes s’y entassent (un citadin sur trois dans le monde) ; 90% d’entre elles dans les
seuls pays en développement. Et on s’attend à ce que ce chiffre astronomique double d’ici
2050 ! Ici encore l’Afrique subsaharienne, le Sud et l’Ouest de l’Asie donnent le ton (ONUHabitat,
2006).

En Afrique subsaharienne, l’habitat informel représente déjà l’univers quotidien de 71
à 72% de la population urbaine (90% en Ethiopie, au Tchad ou en Tanzanie). Au Kenya, les
bidonvilles des deux grands centres urbains (Mombasa et Nairobi) ont à eux seuls absorbé
85% de la croissance démographique urbaine entre 1989 et 1999. Une évolution presque
similaire pour Lagos. Son plus grand bidonville, Ajungle (90 000 habitants en 1972), abrite
désormais 1,5 million de personnes. Au total, on estime que les bidonvilles d’Afrique
subsaharienne regrouperont environ 332 millions d’urbains et on pense que ce chiffre pourrait
doubler tous les quinze ans (Davis, 2006).

Dans les cinq grandes métropoles d’Asie du Sud (Karachi, Mumbai, Delhi, Calcutta et
Dacca), ce sont quelque 15 000 communautés de bidonvilles qui ont fleuri regroupant à elles
seules une population totale de 20 millions d’habitants. Les bidonvilles de la capitale
pakistanaise continuent d’afficher des taux de croissance deux fois plus rapides que la
population en général. Oranji Township, la plus importante communauté informelle de
Karachi, abrite déjà près de 1,2 million d’êtres humains. Les bidonvilles de la seule ville de
Delhi « accueillent » quant à eux chaque année encore près de 400 000 migrants. Si on y
ajoute les nouveaux nés, quelque 10 millions de personnes devraient s’y concentrer en 2015.

Avec des taux annuels de croissance des bidonvilles proches des taux de croissance
urbaine [3], il apparaît de plus en plus clairement qu’en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud
et de l’Ouest, l’urbanisation est pratiquement devenue synonyme de « bidonvillisation ».
Autrement dit, c’est comme si le bidonville était devenu pour les nouveaux arrivants la seule
voie d’accès à la ville. Dans les autres régions, bien que les taux de croissance de l’habitat
informel soient plus bas que l’accroissement annuel de la population urbaine, ceux-ci n’en
demeurent pas moins encore très élevés. Tout comme le nombre de gens qui s’entassent dans
les bidonvilles : plus de 134 millions de personnes en Amérique latine et dans les Caraïbes ;
environ 290 millions en Asie orientale et du Sud-Est, soit respectivement 31% et 28,5% de
l’ensemble de leur population urbaine. Et ces taux sont largement dépassés au Pérou (68,1%),
aux Philippines (44,4%) ou encore au Brésil (36,6%).

L’explosion des bidonvilles, corollaire tragique de la forte poussée démographique des
villes, indique que les processus d’urbanisation ont pris dans le Sud une voie inédite. D’une
certaine manière, la croissance des villes du tiers-monde ramasse et condense sur quelques
décennies deux siècles d’évolution urbaine dans le Nord, mais elle la contredit aussi.
Débridée, elle réfute toutes les théories classiques qui voyaient dans l’essor des villes le deus
ex machina du progrès économique et humain et prédisaient que la croissance urbaine
entraînerait de facto une amélioration globale des conditions de vie, en supposant une
nécessaire interaction positive, voire l’existence d’un lien mécanique entre urbanisation,
croissance et développement.

Force est de constater que l’urbanisation du Sud est d’une toute autre nature. Sauf
peut-être en Chine et en Asie du Sud-Est. Mais ces deux régions ont aussi enregistré des taux
de croissance économique spectaculaires qui leur ont permis de tripler leur PIB depuis 1960.
Ailleurs, rien de tel. Dans la plupart des autres pays en développement, « la croissance
urbaine est privée de ces moteurs puissants que sont les exportations industrielles de Chine,
Corée et Taiwan, ainsi que de l’énorme afflux de capitaux »
(Davis, 2006). Les deux dernières
décennies y ont plutôt été synonymes de croissance faible, de récessions, voire de
désindustrialisation tendancielle comme en Inde, au Brésil, au Mexique et en Afrique du Sud.
Certains pays d’Afrique ont même enregistré des taux de croissance proches de zéro ou
négatifs qui ont plongé les villes dans un profond marasme au point que certains n’hésitent
pas à parler de « déséconomie urbaine » (Henri, 2006).

A quelques exceptions près, partout l’urbanisation s’est trouvée découplée de
l’industrialisation, du progrès économique et, plus largement, du développement humain.
L’exemple de l’Angola, du Congo (RDC), de la Tanzanie ou de la Côte d’Ivoire est
paradigmatique : malgré des taux de récession de leur économie de 2 à 5% par an, ces pays
ont connu durant la même période une croissance annuelle de leur population de 4 à 8%
(Davis, 2006). En principe, ce ralentissement économique et la baisse subséquente de l’emploi et du revenu urbains auraient dû freiner, voire inverser les flux migratoires. Il n’en a rien été.
Le déluge urbain s’est poursuivi entraînant dans son sillage son cortège de pauvreté et de
bidonvilles, de sorte que l’« urbanisation sans développement » semble être devenue l’horizon
borné des villes du tiers-monde.


Urbanisation sans développement : résultat des ajustements

Cette forme perverse d’urbanisation n’est pas seulement le produit d’une croissance
urbaine mal maîtrisée, comme nombre d’analystes le laissent entendre. Pas plus qu’elle ne
résulte d’une tendance lourde, imprévisible ou irrépressible. Elle trouve en grande partie son
origine et son explication dans une conjoncture mondiale particulière : la crise de la dette et la
récession des années 1980. Dans un contexte de mondialisation économique accrue et de
restructuration néolibérale, elle s’est ensuite trouvée confirmée et aggravée par les politiques
et les thérapies de choc appliquées uniformément et de manière obstinée, malgré des
indicateurs accablants, aux pays du Sud par les institutions financières internationales, FMI et
Banque mondiale en tête : les plans d’ajustement structurel (PAS)et, au-delà, l’ensemble des
stratégies d’ouverture et de dérégulation économiques promues à compter de cette décennie.

La longue période de récession mondiale qui s’installe au milieu des années 1970 est
plus durement qu’ailleurs ressentie dans le Sud. Les effets de la hausse des prix du pétrole
combinés à la chute du prix des matières premières et à une inflation qui deviendra bientôt
galopante, aggravés dans les zones rurales par des périodes de sécheresses prolongées et de
graves crises alimentaires, précipitent les fragiles économies du tiers-monde dans une phase
de déclin ou de stagnation. Parallèlement, avec la flambée des taux d’intérêt, les pays du Sud
voient leur dette exploser. Certains comme le Mexique se retrouvent au bord de la
banqueroute ; les autres connaissent une dangereuse et douloureuse spirale d’endettement, le
tout sur fond d’une crise généralisée de l’emploi et d’une chute du revenu moyen et des
salaires réels tant en ville que dans les campagnes.

Présentés d’abord aux pays les plus endettés comme le moyen le plus sûr de renouer
avec la croissance à travers une meilleure maîtrise des dépenses publiques et une politique
active d’ouverture économique et d’insertion sur les marchés internationaux, les PAS,
premières expressions d’un vaste chantier de réformes économiques que les institutions
financières internationales ne vont cesser de promouvoir et tenter de généraliser, n’aboutiront
dans les faits qu’à rendre la crise urbaine plus aigue. Privatisation des entreprises publiques et
des services financiers, suppression des barrières douanières, libéralisation du marché des
capitaux, réduction drastique des dépenses sociales et des subventions publiques, respect des
équilibres macroéconomiques, etc., partout, le cocktail de mesures proposées, rangées plus
tard sous l’appellation de « consensus de Washington », est identique. Leur impact sur les
villes et le monde rural le sera tout autant.

Dans les campagnes, la dérégulation du marché, la suppression des subsides, la
promotion du secteur industriel agroexportateur, de même que l’importation de plus en plus
massive de produits subsidiés en provenance du Nord (parfois à titre d’aide alimentaire),
corrélative à l’élimination des barrières douanières, et la chute des prix agricoles qui s’ensuit,
accentuent la pression sur les populations les plus pauvres et provoquent un exode rural
massif (Alternatives Sud, 2002). S’y ajouteront, ici ou là, d’autres facteurs aggravants qui vont
peser de tout leur poids sur l’augmentation des flux migratoires : mécanisation de
l’agriculture, désastres naturels et guerres civiles, en Afrique tout particulièrement. [4]. De ces
processus de « dépaysannisation », les villes récoltent largement les fruits, malgré
l’affaiblissement au même moment de leurs capacités d’accueil.

Les centres urbains du Sud subissent en effet eux aussi très durement le contrecoup
des réformes structurelles où elles sont souvent vécues au sein des couches populaires et des
classes moyennes comme de véritables catastrophes. Les privatisations, le « dégraissage » du
secteur public, les politiques d’ouverture économique, l’arrêt des subventions aux secteurs
industriels et le recentrage sur quelques exportations jugées « essentielles », entraînent une
chute brutale des emplois formels dans l’industrie et les services urbains ; et la croissance
concomitante non moins brutale des secteurs informels.

Premier laboratoire grandeur nature de l’ajustement, l’Afrique n’en sortira pas
indemne. Au Congo (RDC), la part de l’économie formelle dans le PIB chute de 4% rien
qu’en 1982, l’année même de la signature par Mobutu du premier PAS. La restructuration du
secteur public jette ensuite près de 300 000 personnes à la rue (fonctionnaires publics,
enseignants, personnel médical, etc.) sans ou presque aucune indemnité. Quant au revenu
moyen par habitant, il ne cesse de dégringoler : 288 dollars mensuels en 1960 ; 116 en 1997,
juste avant la guerre civile ; 88 dollars en 2001. Aujourd’hui, plus de 90% de la population de
Kinshasa tentent vaille que vaille de survivre à travers l’exercice d’une activité informelle
(Iyenda, 2005). Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, 78% des emplois non agricoles
relèvent maintenant du secteur informel. Vient ensuite l’Asie avec 67% (ONU-Habitat, 2006,
9). Ici encore, la restructuration libérale est en grande partie responsable d’une augmentation
du chômage urbain et de la croissance de l’informel. A Mumbai notamment, où l’emploi
industriel passe de 71,8% en 1970 à 55,7% en 1990 (Krishnan, 2005).

En Amérique latine également, un tel changement d’orientation économique n’a pu
qu’avoir des conséquences dramatiques sur la « société en général, urbaine en particulier »
(Portes et Roberts, 2004). A Buenos Aires, le taux de chômage passe de 3% en 1980 à 20% en
2001, et la part du secteur informel de 13 à 34%. Les villes de Montevideo et São Paulo
enregistrent elles aussi une forte augmentation du chômage : 7% et 9% respectivement entre
1980 et 2002/2003. Partout, en Amérique latine et dans les Caraïbes, parallèlement au déclin
ou à la stagnation de l’emploi formel, les activités informelles connaissent un spectaculaire
essor. Au Pérou, la récession causée par les PAS fait chuter l’emploi formel de 60% en 1980 à
11% à la fin de la décennie. La proportion de l’emploi informel urbain y frôle actuellement les
61%. Et partout ailleurs sur le continent, elle est rarement au-dessous de 50%.

Seul le Chili, considéré comme le bon élève des politiques néolibérales, est parvenu à
maintenir l’emploi urbain voire à l’augmenter dans un premier temps, mais au prix d’un
renforcement des inégalités en termes de salaires et de conditions d’existence. La plupart des
emplois qui y ont été créés sont, comme partout ailleurs sur le continent, précaires, instables,
sous rémunérés et dépourvus de toute couverture sociale (ibid.). En Amérique latine comme
dans les Caraïbes, le secteur informel a fini par devenir le premier pourvoyeur d’emplois, loin
devant l’économie formelle. Désormais, sur 10 emplois qui y sont créés, 7 relèvent du secteur
informel – 8,5 en moyenne dans le monde (ONU-Habitat, 2006).

D’après les projections de la Banque mondiale, la reprise économique globale, le
retour de la croissance dans les années 1990, de même que les « nouvelles opportunités »
offertes par la mondialisation auraient dû donner une nouvelle impulsion à l’emploi, combler
l’abîme des inégalités héritées de la période antérieure et diminuer substantiellement la
pauvreté, urbaine en particulier. La réalité en est on ne peut plus éloignée. Les écarts ont
continué à se creuser et le nombre de pauvres urbains n’a cessé d’augmenter. Selon le PNUD,
dans 46 pays (majoritairement africains), les gens sont actuellement plus pauvres qu’en 1990 ;
et, dans 25 pays, davantage de personnes souffrent de la faim qu’il y a dix ans (2004).

Au Mexique, malgré les promesses faites lors de la signature du très médiatique
Accord de libre-échange nord-américain (Alena), le pourcentage de personnes dans un état de
pauvreté extrême est passé de 16% en 1992 à 38% en 1999. Au Brésil, en dépit de l’embellie
économique des années 1990, les favelas de São Paulo ont connu une croissance annuelle de
16,8% ; et ce taux a atteint 80% pour les seules villes d’Amazonie. En Asie du Sud-Est, la
crise des années 1997-1998, largement attribuée à la libéralisation financière et au boom
spéculatif dans l’immobilier, a plongé les fragiles classes intermédiaires dans une inévitable
spirale de pauvreté. Situation similaire en Argentine où la crise a créé des dizaines de milliers
de nouveaux pauvres. Partout ou presque, les inégalités, tant en ville qu’à la campagne, ont
continué à se creuser pour atteindre aujourd’hui de nouveaux sommets (Davis, 2006).

Assurément, depuis les années 1980, les populations urbaines du Sud se sont
retrouvées piégées au centre d’un double mouvement : dérégulation et flexibilisation du
travail d’une part, désengagement de l’Etat de l’autre. Un désengagement qui s’est traduit
surtout par une forte diminution des budgets sociaux et de l’investissement public dans
l’infrastructure, les soins de santé, le logement, l’éducation, etc. A Dar es-Salaam, les
dépenses de services publics par habitant chutent de 10% par an dans les années 1980. Au
Mexique, elles ne correspondent en 1987 plus qu’à la moitié de ce qu’elles étaient au début de
la décennie. En Ouganda, le budget consacré aux soins de santé en vient à être douze fois plus
petit que celui consacré au remboursement de la dette (ibid.). Alors même que les
opportunités d’emplois stables et relativement bien rémunérés se feront de plus en plus rares
en ville, les citadins (anciens et nouveaux) se verront simultanément privés, au nom des
politiques de rigueur budgétaire, des avantages qu’offrait la vie urbaine en termes
d’équipement et de protection.

Certes, au début des années 1980, la plupart des gouvernements du Sud avaient en
partie déjà abandonné leurs responsabilités sociales. Mais l’ajustement libéral, en démantelant
les quelques services et infrastructures encore existants, a renforcé et accélérer ce
désinvestissement, et interdit du coup toute possibilité d’une politique publique active en
matière d’accueil et d’encadrement des nouveaux urbains. La croissance des inégalités et de la
pauvreté urbaine, dont l’explosion des bidonvilles est l’expression la plus forte, est en quelque
sorte le résultat de ce double goulet d’étranglement que les institutions internationales et les
pays donateurs ont largement contribué à mettre en place. Il n’empêche, ces politiques
s’inscrivaient dans le droit fil d’un modèle de « développement » conçu spécialement pour les
villes.


Ville néolibérale : vision, discours et méthodes

L’intervention de la Banque mondiale dans le champ du développement urbain est
tardive. Ce n’est qu’au début des années 1970 qu’elle établit le rôle positif des villes,
auparavant réputées dévoreuses d’investissements non productifs, dans la croissance,
l’ouverture des marchés et le développement (Osmont,1995). A partir de là, l’institution
financière produira un discours renouvelé sur la ville, devenu enjeu économique et stratégique
majeur. Sans cesse remanié et actualisé en fonction d’un contexte mouvant et de circonstances
changeantes, ce discours reposera en définitive toujours sur une même vision instrumentale de
la ville et du développement urbain qui, elle, ne souffrira aucune remise en question. Elle ne
fera au contraire que se renforcer à mesure que se poursuivra le processus de mondialisation.

Derrière ce regard neuf porté sur la ville, devenue instrument par excellence du
développement et moteur de la croissance, une préoccupation : comment rendre la ville plus
productive, plus compétitive, donc plus attractive ? Autrement dit, il s’agissait pour la ville de
gagner en efficacité dans un monde globalisé et de plus en plus concurrentiel, tout en
mobilisant un minimum de moyens. Et cela passait nécessairement, pour la Banque, par la
création d’un climat politico-réglementaire et macroéconomique propice à l’investissement
productif, la diminution des coûts de transaction, la fin du « gaspillage » et, de fil en aiguille,
un désinvestissement progressif de l’Etat au profit du secteur privé jugé « plus efficient », la
réduction drastique et le recentrage des dépenses publiques, conditions sine qua non pour faire
de la ville « a level playing field for competition » (un cadre concurrentiel équitable) comme
le rappelait encore un conseiller onusien, une dizaine d’années après le lancement en 1986 du
New Management Program, véritable codification de la nouvelle doctrine urbaine de
l’institution (Bond, 2006).

La lutte contre la pauvreté n’était toutefois pas absente de cette doctrine. Au contraire,
elle justifiait, commandait, sous-tendait et était présentée comme le motif principal de son
engagement dans le champ urbain. Après tout, les statuts de la Banque la définissent d’abord
et avant tout comme institution d’aide au développement. Ceci dit, l’optique dès le départ était
loin d’être désintéressée. Comme le rappelle Annik Osmont, « l’intention n’était nullement
philanthropique, mais s’inscrivait dans une logique de croissance économique : il convenait
d’intégrer une population potentiellement productive mais dont les conditions de vie étaient
trop précaires et trop misérables pour qu’elle puisse devenir une main-d’œuvre profitable à
l’économie. Des populations urbaines mieux logées, vivant dans de meilleures conditions de
salubrité, mieux nourries, mieux éduquées, seront plus productives »
(Osmont, 2005).

D’emblée la Banque mondiale insiste sur l’échec – en partie bien réel – des politiques
publiques urbaines menées par les gouvernements du Sud au cours de la période antérieure.
Et, très vite, en propose le remède : puisque l’Etat n’était pas parvenu à juguler la pauvreté, le
marché devait pouvoir relever le défi. Après tout, en toute bonne orthodoxie économique, le
marché n’était-il pas l’instrument le plus adéquat pour parvenir à une meilleure allocation des
ressources, ce qui à terme ne pouvait qu’être profitable aux populations urbaines les plus
pauvres ? C’est autour de cette conception hyper idéologisée de la ville, de son rôle, et d’un
modèle opérationnel « idéal-typique » à visée universelle, devenu presque « totalitaire » à
partir des années 1980, que s’articuleront tous les projets, stratégies et formules de
développement urbain de la Banque, appliqués partout de la même manière sans égards pour
les trajectoires particulières des villes du Sud et leurs spécificités sociales et culturelles (Id.,
1995).

Il en va ainsi de l’intervention de la Banque mondiale dans le domaine de l’habitat
populaire. Constatant l’échec des politiques publiques en matière de logement – les classes
moyennes et la fonction publique, principale clientèle des gouvernements, en ayant souvent
été les principales bénéficiaires –, la Banque préconise la fin des programmes de construction
subventionnée. En lieu et place, elle recommande une politique d’amélioration de l’habitat,
via la mobilisation de l’épargne privée et l’élargissement de l’offre foncière et immobilière,
afin, selon elle, de limiter les coûts et répondre au mieux à la demande solvable des plus
pauvres.

Aussi, encourage-t-elle les programmes d’aménagement in situ des bidonvilles, les
formules d’auto-construction assistée, une révision des normes à la baisse en matière de
logement, la création de nouvelles structures bancaires pour élargir l’offre de crédit, ainsi que
des mesures de régularisation des communautés informelles situées sur des terrains publics,
eux-mêmes souvent découpés, sur son insistance, en parcelles titularisables. Aux pouvoirs
publics est laissé l’investissement dans et le maintien de l’infrastructure lourde, devenue
simple support d’un habitat qu’il s’agit de rendre productif par l’amélioration du cadre de vie
d’une main-d’œuvre « potentiellement » mobilisable (Id., 2005).
Engagée dans un premier temps dans la mise en œuvre de ses propres programmes, la
Banque abandonnera bientôt ce rôle aux agences bilatérales d’aide et aux ONG pour s’investir
pleinement à partir des années 1980 dans l’entreprise de réformes institutionnelles exigées par
les PAS. Sans contrevenir à ses objectifs de départ – la diminution des coûts et la recherche
d’efficacité –, elle ne parlera alors plus que de « restructuration des services techniques et
financiers municipaux, de la mise en place de plans comptables et de cadres budgétaires
locaux (…), de la restructuration des systèmes de financement de l’habitat et des organismes
publics de construction, de la privatisation des parcs de logements sociaux et, bientôt de
l’ensemble des services urbains. Selon une logique descendante, les mesures prises à l’échelle
urbaine seront du même ordre que celles prises au niveau local, au nom de l’efficacité
maximum des investissements et des institutions qui les gèrent. C’est en fonction de cette
logique que la Banque va entreprendre l’ajustement sectoriel des villes, qui sera légitimé par
les programmes de décentralisation, échelon local de la « bonne gouvernance »
(Ibid.).

« Bonne gouvernance », le mot est lâché. A partir des années 1990, le concept revient
systématiquement dans le langage de la Banque mondiale pour justifier le rôle minimaliste
désormais dévolu à l’Etat, confiné de plus en plus dans un rôle de « fournisseur de moyens
pour le marché » et, surtout, pour légitimer une intervention accrue du secteur privé dans la
gestion urbaine. Le tout sous couvert d’un discours renouvelé de lutte contre la pauvreté.
Attribuant presque systématiquement l’indéniable croissance de la pauvreté urbaine dans les
années 1980 à l’incapacité des gouvernements du Sud à mettre en œuvre les réformes
prescrites, la Banque conditionnera alors son aide à leur capacité à se montrer « bons
gestionnaires ».

Synonyme de « good order » plus que de gouvernement démocratique des choses et
des personnes, la bonne gouvernance se traduira surtout par la recherche du cadre politicoinstitutionnel
le plus adéquat pour atteindre les « objectif du développement urbain » à travers
la mise en place de dispositifs administratifs et réglementaires susceptibles de mieux
accompagner les réformes en vigueur, et dont les maîtres mots seront décentralisation,
responsabilité budgétaire, privatisation des services urbains et planification stratégique. On
verra désormais la ville non plus seulement comme une fonction de production mais comme
une « structure de gouvernance qui de manière rationnelle gère et coordonne les transactions
économiques, sociales et politiques dont elle est le siège »
(Id.,1998).

Par ailleurs, reconnaissant ouvertement que certaines couches de la population ont pu
se trouver fragilisées par l’ajustement, la Banque mettra en place des programmes de
compensation faits de projets ciblés et uniformisés. Plus tard encore, dans un souci affecté de
mieux répondre aux besoins des plus pauvres, elle cherchera les moyens de les associer, par
l’intermédiaire des ONG et d’organisations relais, à ses projets. La participation des
communautés urbaines deviendra ainsi peu à peu son nouveau leitmotiv et cheval de bataille.
Reste que cette « participation » d’emblée sera limitée à un cadre opérationnel rigide qui ne
dérogera en rien à la logique qui sous-tend depuis le début l’action de la Banque dans le
champ urbain : le partenariat public-privé (Miraftab, 2004).

Présentés et mis en avant par les institutions internationales comme des modèles
d’intégration économiques et des succes stories en matière de développement urbain,
Shanghai, Pune ou Bangalore, ces nouvelles vitrines high tech du monde émergent, masquent
mal l’échec et les désastres engendrés par les politiques ultralibérales. L’intense concurrence
entre les villes, alimentée par les processus de mondialisation, a de manière quasi générale
renforcé les inégalités intra et inter urbaines et privilégié quelques grandes villes, en
particulier les métropoles des pays émergents, aux dépens des autres, capitales, villes
moyennes ou petites, ne disposant d’aucune structure d’accueil pour attirer les capitaux
nationaux et étrangers (Davis, 2006). Des clivages, souvent historiquement déterminés, que
l’aide internationale va accentuer puisqu’elle va de plus en plus être conditionnée à la capacité
des villes à tirer vers le haut la croissance économique nationale (Osmont, 2005). Sans parler
de l’intense concurrence fiscale que se livrent les villes qui les prive de précieuses ressources
pour leur développement social et humain (Alternatives Sud, 2007).

Ensuite, partout ou presque, la libéralisation du territoire urbain a détourné l’épargne
nationale vers le juteux marché foncier, engendré un boom spéculatif et une hausse sans
précédent des prix de l’immobilier au profit de nouveaux entrepreneurs de logements, de
chefs coutumiers, voire des secteurs populaires les plus nantis. De leurs côtés, les processus
de décentralisation ont abouti à vider les caisses des municipalités et fini par faire reposer tout
le poids de la charge fiscale sur les communautés locales (Dupont, 2005). Le transfert
administratif des compétences de l’Etat central vers les instances locales non seulement n’a
pas été accompagné d’un transfert financier proportionnel à la mesure des tâches à accomplir,
mais en plus a engendré d’importants phénomènes de corruption locale.

Quant aux partenariats public-privé censés assurer la couverture des besoins des
communautés tout en leur donnant une voix et un rôle dans la gestion des affaires publiques,
leurs résultats sont bien plus que mitigés. En l’absence d’une équité de fait entre des
partenaires, aux intérêts par essence antagoniques, et d’une définition rigoureuse de leur rôle,
de leurs responsabilités et de leurs droits respectifs, ces partenariats ont fonctionné surtout
comme des « chevaux de Troie du néolibéralisme », en permettant l’entrée en force de
puissants opérateurs privés (firmes, multinationales, etc.) dans le champ de la gestion urbaine,
qui ont trouvé là de nouvelles opportunités de profit sur base du principe généralisé – et
dûment recommandé par la Banque mondiale – de recouvrement des coûts. Rarement, les
objectifs initiaux ont été atteints. Seuls les besoins solvables ou les demandes d’acteurs
influents ont dans la plupart des cas été satisfaits. Les autres demandes, celles des populations
les plus déshéritées, sont restées à la charge des ONG, des collectivités publiques et des
communautés urbaines (Miraftab, 2004).

De manière quasi générale enfin, la privatisation – à peine voilée dans le cadre du
partenariat public-privé –, a renchéri les prix des services urbains sans pour autant étendre
substantiellement la couverture. Ce faisant, elle a accru d’autant plus la fragilité des groupes
les plus démunis et aggravé les inégalités au sein des villes.

« Polarisation obscène »

Phénomène complexe et polymorphe, la pauvreté urbaine a longtemps été sousestimée
par les gouvernements nationaux et les instances internationales. Outre la rareté des
statistiques urbaines disponibles et le manque d’outils de mesure adéquats, cette situation
tenait surtout à la croyance très largement répandue en un « avantage » des villes sur les
campagnes. [5]. Puisqu’il était admis que l’on vivait mieux en ville, une attention moindre était
portée aux situations de pauvreté et de précarité urbaines. Aussi, l’essentiel de l’effort – et
partant, de l’aide au développement – était-il dirigé vers le monde rural considéré comme
l’antichambre de la misère. ONU-Habitat va toutefois bousculer cette croyance, en montrant,
chiffres à l’appui, dans son premier rapport sur les établissements humains, la croissance
spectaculaire de l’habitat informel en milieu urbain depuis une quinzaine d’années (2003).

Trois ans plus tard, son deuxième rapport brise un nouveau « tabou » en remettant
sérieusement en question l’avantage urbain. Anna Tibaijuka, directrice de l’organisation,
déclare ainsi lors de la présentation du rapport à Vancouver en juin 2006 : « Depuis longtemps
nous suspections que la vision optimiste générale de la ville ne correspondait pas du tout à la
réalité sur le terrain. Ce rapport montre très concrètement qu’il existe au sein d’une même
ville en réalité deux villes - d’un côté celle abritant les individus qui tirent tous les bénéfices
de la vie urbaine, de l’autre, les bidonvilles où les gens vivent parfois dans des conditions
bien pires que leurs correspondants ruraux »
(The Guardian, 2006).

De fait, de nombreuses villes du Sud, sinon la majorité d’entre elles, ont perdu leur
statut de « productrices de bien-être » pour une part de plus en plus importante de leurs
habitants. Lieu de production et de reproduction de la misère, la campagne cède peu à peu ce
douteux privilège à la ville (ONU-Habitat, 2006). Le dualisme classique « villes-campagnes »
tend à se transporter au cœur de la cité, devenu lieu d’une « polarisation obscène », où
inégalités se cumulent, se renforcent et s’approfondissent (Harvey, 2001). Les nouvelles
zones high tech de Bangalore, la « Silicon Valley » indienne, les quartiers cossus et aérés du
centre de Mumbai, les condominios des banlieues chics de São Paulo, les villas huppées de
Victoria Island à Lagos apparaissent comme des îlots de prospérité noyés dans un océan de
misère fait d’un enchevêtrement de taudis surpeuplés et de logements insalubres.

Là, une petite élite cosmopolite, économiquement bien intégrée, branchée
virtuellement sur le monde ; ici un vaste prolétariat informel sous qualifié, piégé dans le
cercle vicieux de l’exclusion, n’ayant pour seul horizon que les limites de la ville ou du
quartier. Là, des revenus plantureux et un train de vie fastueux ; ici, des conditions de vie
aléatoires, des emplois précaires, instables et sous rémunérés. Là, l’accès aux technologies de
pointe et aux équipements urbains modernes ; ici, un monde dépourvu d’infrastructures et de
services de base adéquats, règne de la débrouille et de la privation. Là, une mondialisation
« bienfaitrice » et opportune ; ici, une mondialisation déstructurante, pressante et oppressante.

Dans certaines villes, les situations de manque dépassent l’entendement. A Delhi, par
exemple, où il n’y avait en 1990 que 160 toilettes publiques pour 480 000 habitants, ou encore
dans un faubourg périphérique de Harare, où près de 1300 personnes se partagent
actuellement une seule toilette publique ! Deuxième cause de mortalité infantile dans le
monde, le manque d’eau potable reste un défi quotidien pour bon nombre d’urbains pauvres.
Surtout dans les villes d’Afrique subsaharienne où à peine 38,3% des ménages disposent d’un
accès à l’eau courante. Ici comme ailleurs dans le tiers-monde, le prix élevé de l’eau – surtout
depuis la privatisation des réseaux de distribution – est devenu un obstacle presque
insurmontable pour de nombreux citadins pauvres. [6]

Dans ces quartiers déshérités, le surpeuplement, la promiscuité, le manque d’eau
potable et l’insalubrité, accentuent toujours plus les risques sanitaires et l’impact des maladies
infectieuses. [7]
Sans parler des effets de la malnutrition, « crise invisible » selon ONU-Habitat,
qui actuellement fait des ravages en villes. Les taux de malnutrition des enfants en bas âge des
bidonvilles du Bangladesh, d’Ethiopie, de Haïti et d’Inde sont ainsi devenus presque
identiques à ceux des zones rurales. Au Brésil et en Côte d’Ivoire, ces taux sont même trois à
quatre fois plus élevés dans les bidonvilles que dans les zones rurales (2006).

De fait, on meurt généralement plus vite et plus jeune dans les zones d’habitat
informel des villes du tiers-monde que dans les autres quartiers. A Rabat, le taux de mortalité
des enfants de moins de 5 ans est ainsi 2,7 fois plus élevé dans les zones d’habitat informel
que dans les autres quartiers. Ecarts plus importants encore dans la ville du Cap (Afrique du
Sud), où le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est 5 fois plus élevé dans les
bidonvilles que dans les quartiers de moyen et haut standing (ibid.). Les villes des autres
continents ne sont guère mieux loties. La mortalité infantile dans les bidonvilles de Quito est ainsi 30 fois plus élevée que dans le reste de la ville ; et à Mumbai, elle est de 50% plus
élevée que dans les zones rurales adjacentes (Davis, 2006) !

Aux risques sanitaires et à leur incidence sur la mortalité sont venus s’ajouter d’autres
risques qui renforcent les inégalités intra muros et aggravent la fragilité des populations
urbaines les plus pauvres : risques liés aux catastrophes naturelles et à la pollution, les
bidonvilles étant construits dans des matériaux peu résistants et le plus souvent situés sur
terrains instables, inondables ou à proximité de décharges ou de zones dangereuses. [8] ; risques
aussi liés aux évictions et expulsions dont plusieurs gouvernements du Sud se sont fait les
champions. [9] ; risques enfin liés à la criminalité, à la violence physique et aux tensions
interethniques et religieuses qui ont connu un essor sans précédent depuis les années 1980.

Autrefois étape transitoire, le bidonville tend à devenir – quand il n’est pas tout
simplement démantelé par les autorités urbaines – un lieu de « résidence » permanent pour les
nouveaux arrivants ; le seul débouché possible pour cette main-d’œuvre devenue excédentaire
et généralement peu qualifiée. Les portes de sortie s’y font rares. L’ascenseur social ne
fonctionne plus. Les opportunités d’emploi même diminuent en raison de la stigmatisation et
de l’exclusion dont ces populations sont généralement l’objet. Quant à l’avantage urbain d’un
meilleur accès à l’éducation et à la culture, il demeure, comme le souligne ONU-Habitat, « un
mythe pour la majorité des habitants des bidonvilles »
. C’est que pour l’habitant du bidonville
un choix dramatique s’impose de plus en plus souvent : soit assurer ses besoins en termes de
survie, soit financer l’éducation des enfants. Une situation d’autant plus préoccupante que la
population des bidonvilles est majoritairement jeune et l’est de plus en plus, l’accroissement
naturel ayant pris la relève des migrations dans le processus d’urbanisation (2006).

Défis urbains à l’heure de la mondialisation

La ville néolibérale est à l’image d’une mondialisation dont elle est à la fois le support
privilégié et l’horizon ultime. Devenue lieu de polarisation extrême, elle a reproduit à son
échelle, projeté et imprimé dans son espace les croissantes inégalités et contradictions
engendrées par un quart de siècle de réformes libérales et de concurrence acharnée. Partout, la
tendance à la précarisation et à l’informalisation d’un nombre toujours plus grand de citadins
s’est confirmée et aggravée. Plus que tout, l’explosion des bidonvilles, considérée pourtant
par les instances internationales comme l’un des problèmes mondiaux majeurs du 21e siècle
au même titre que le changement climatique, témoigne de l’échec des politiques néolibérales
de la ville.

Un constat que partage ONU-Habitat qui indique dans un premier rapport qui tranche
avec le style retenu et conventionnel d’autres agences onusiennes : « l’orientation
fondamentale des interventions tant nationales qu’internationales au cours des vingt
dernières années a (…) renforcé la croissance de la pauvreté urbaine et des bidonvilles, tout
comme l’exclusion et les inégalités ».
Et de recommander ensuite un retour de l’Etat dans la
sphère urbaine et la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques intégrées à l’échelle de
la ville (2003).

Pour accablant et unanime que soit ce constat, il n’a pas pour autant débouché sur une
révision des logiques fondamentales qui commandent les projets urbains des organisations

internationales, des pays donateurs et des gouvernements nationaux. Malgré l’accent nouveau
mis sur la « lutte contre la pauvreté, » la « bonne gouvernance » et la « participation de la
société civile », l’orientation « classique » est restée inchangée. La croissance, la
compétitivité et l’attractivité urbaine restent prioritaires. La libéralisation et la privatisation
des territoires de la ville vont bon train. On voit mal comment, dans ces conditions, ralentir ou
inverser l’évolution en cours – ou ne faudrait-il parler plutôt d’involution ? – aux
conséquences sociales, mais aussi écologiques, politiques et culturelles désastreuses et bientôt
irrémédiables.

De toute évidence, ni les programmes ciblés à destination des plus pauvres, trop
souvent limités et peu adaptés aux environnements urbains spécifiques ; ni les projets visant à
formaliser le monde de l’informel (aides à la création de micro-entreprises, facilités de crédits,
etc.) ; ni une augmentation substantielle de l’aide au développement, comme le demande
ONU-Habitat à défaut d’une annulation de la dette urbaine, et moins encore l’ensemble de ces
stratégies qui reposent sur la confiance inébranlable en un « marché autorégulateur » censé
assurer au plus grand nombre infrastructures et services appropriés, ne suffiront à « améliorer
les conditions de vie de 100 millions d’habitants de bidonvilles d’ici 2020 », 11e cible du
huitième Objectif du Millénaire. Et encore, cet objectif apparaît-il bien modeste et
minimaliste au regard du raz-de-marée à venir. D’ici-là en effet ce n’est non pas 100 mais
bien 400 millions de personnes – selon les prévisions les plus basses – qu’il faudra loger
décemment11.

Dans ces contextes urbains dégradés et face à l’aveuglement, à l’inertie des autorités
urbaines et des instances internationales et, plus généralement, à leur absence de véritable
macrostratégie en matière de lutte contre la pauvreté, on voit toutefois apparaître, s’organiser
et se mobiliser des groupes de citadins qui localement réinvestissent l’espace politique de la
ville et réinventent de nouvelles formes de vivre ensemble (démocratie locale, budget
participatif, économie solidaire, usines et hôpitaux récupérés, etc.). Mouvement des sans toit
au Brésil, assemblées populaires en Argentine ou en Bolivie, mouvement contre la vie chère
au Niger et, partout ailleurs, associations d’habitants, réseaux d’entraide et d’échange local,
organisations de base, groupes de femmes, de citoyens, de jeunes ou de chômeurs, etc.,
prennent l’initiative, revendiquent une participation accrue à la gestion de la cité, des
conditions de vie et de travail décentes, l’arrêt des expulsions ou encore de nouvelles
politiques publiques (en matière de logements, d’habitats, d’infrastructures et d’équipements,
etc.) adaptées aux besoins du plus grand nombre. Bref, ils réclament, pour reprendre la
formule synthétique de Gustave Massiah, « un droit à la ville et des droits dans la ville »
(2005).

A l’échelle régionale et internationale, un processus de convergence s’est également
mis en branle, des coalitions se sont formées à l’instar d’Habitat International Cooalition, de
l’Alliance internationale des habitants ou encore de l’Asian Coalition for Housing Rights qui
entendent faire pression sur les instances internationales et promouvoir, contre
l’instrumentalisation néolibérale des villes qui confère à leurs habitants le simple statut de
clients, de consommateurs ou de producteurs, et vide les espaces de la ville de leur
traditionnel contenu politique, un modèle alternatif de cités mettant l’accent avant tout sur les
priorités sociales, environnementales et culturelles.

Ce que demandent ces nouveaux acteurs internationaux, c’est un nouveau pacte social
urbain qui garantisse et réalise effectivement les droits (au logement, aux soins de santé, à
l’éducation, à la participation politique, à la protection, etc.) des citadins, réaffirme le
caractère inaliénable, public et collectif des services urbains, encourage la mise en œuvre et le
11. Entre 2000 et 2006, les bidonvilles ont « accueilli » plus de 200 millions de personnes (ONU-Habitat, 2006) !
Ce qui suffit à montrer le peu d’ambition de l’objectif fixé par les gouvernements.
renforcement de politiques publiques adaptées aux contextes singuliers et aux besoins
multiples des citadins, et établissent de nouveaux rapports entre villes et campagnes,
problématiques urbaines et problématiques agraires – en particulier réforme agraire et
souveraineté alimentaire – étant étroitement liées.

Reste que ces organisations de base et mouvements sociaux sont encore très
minoritaires dans le paysage urbain. Véritable « laboratoire de l’exploitation humaine »,
dominé par les stratégies individuelles de survie et une concurrence forcenée entre les plus
défavorisés, le monde fragmenté et éclaté de l’informel n’offre pas le terreau le plus propice à
l’émergence d’une force d’émancipation collective. Ici, quand le collectif s’affirme, il prend
le plus souvent la forme des sectarismes religieux, de communautés évangéliques ou de
structures apolitiques et violentes, comme l’essor du crime organisé dans les grandes villes du
Sud et, avec lui, l’explosion des taux de criminalité le laissent supposer.

Relégués, certains quartiers de bidonville apparaissent de plus en plus comme des
zones de non droit, pratiquement « hors société », abandonnées par l’Etat. Parfois, ils se
trouvent même désertés par les organisations sociales et populaires. Telle est la tendance qui
s’observe dans les favelas de Rio ou de São Paulo où ces organisations doivent quitter leur
traditionnel champ d’action sociale sous la contrainte et la pression des bandes organisées qui
y inventent de nouvelles formes de clientélisme mafieux (Peralva, 2001).

Trouver le moyen de réinvestir ces zones, y recréer du lien social et du sens politique
et y impulser de nouvelles dynamiques démocratiques constituent certainement, avec la mise
en place de politiques publiques coordonnées, l’enjeu le plus important pour l’avenir. Le pari
est loin d’être gagné car comme le souligne très justement Mike Davis : « Un prolétariat
informel a-t-il la moindre chance de se transformer en « sujet historique », solution miracle
des prophéties marxistes ? Une force de travail désagrégée peut-elle se réagréger en un
projet d’émancipation globale ? Les formes de protestation dominantes des mégavilles
déshéritées ressembleront-elles plutôt aux émeutes urbaines de l’ère victorienne : des
explosions épisodiques pendant les crises de consommation alternant avec la routine de la
gestion clientélaire, du spectacle populiste et de la démagogie ethnique ?
(2005).


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[1Environ 53% de la population urbaine vit actuellement dans des villes de moins de 500 000 habitants, et 22%
dans des villes de 1 million à 5 millions d’habitants. Les vingt plus grandes villes de la planète ne regroupent
qu’à peine 4 % de la population urbaine totale (ONU-Habitat, 2006).

[2ONU-Habitat définit le ménage habitant dans un bidonville – ou taudis – comme un groupe de personnes
vivant sous le même toit et manquant au moins d’un des éléments suivants : un logement durable à caractère
permanent et offrant une protection contre les phénomènes climatiques extrêmes ; un espace habitable suffisant,
à savoir pas plus de trois personnes par chambre ; un accès à l’eau potable en quantité suffisante et à un prix
abordable ; un accès à des installations sanitaires adéquates (toilettes privées et publiques partagées par un
nombre raisonnable de personnes) ; enfin une sécurité d’occupation contre le risque d’expulsion forcée.

[3Ces taux sont respectivement de 4,53 et 4,58% par an pour l’Afrique subsaharienne, 2,2 et 2,89 pour l’Asie du
Sud et 2,71 et 2,96% pour l’Asie occidentale. En ce qui concerne les autres régions, ils sont respectivement de
1,28 et 2,21% pour l’Amérique latine et les Caraïbes ; 2,28 et 3,39% pour l’Asie orientale ; 1,34 et 3,82% pour le
Sud-Est asiatique. Seule l’Afrique du Nord affiche un taux de croissance des bidonvilles négatif (- 0,25% par an)
pour un taux de croissance urbaine de 2,48% (ONU-Habitat, 2006).

[4Sur les quelque 6 millions de réfugiés de guerre que compte en 1998 le Soudan, les trois quarts viendront
s’installer en zones urbaines ; la moitié rien qu’à Khartoum (ONU-Habitat, 2006).

[5Diana Mitlin a ainsi montré que les Plans stratégiques pour la réduction de la pauvreté (PSRP), héritiers des
PAS, se caractérisent par le peu d’intérêt accordé aux phénomènes de pauvreté urbaine. Et de souligner l’absence
d’une méthodologie commune et le peu de pertinence des modes de calcul utilisés. Dans plusieurs PSRP, seul est
pris en compte l’indice classique du seuil de pauvreté nationale pour évaluer la pauvreté urbaine, oubliant que
vivre en ville nécessite généralement un revenu plus élevé, en raison de besoins qui y sont dédoublés (transports,
accès aux services, éducation, etc.) et d’un coût de la vie généralement plus haut. Certains critères retenus dans
les quelques rares tentatives de trouver un indice composite censé refléter ces besoins tiennent parfois de
l’absurde. Ainsi, dans quelques PSRP, seul un critère de distance physique a été retenu pour mesurer l’accès au
service urbain. Comme si l’usage de ce service n’avait pas lui aussi un coût parfois très important (Mitlin, 2004).

[6A Kibera (Nairobi), les habitants des bidonvilles paient leur eau 5 fois plus chère – à revenus égaux – que les
usagers américains. En moyenne, les habitants les plus pauvres des villes d’Afrique subsaharienne consacrent un
tiers de leur revenu à l’eau et au traitement des maladies liées à l’insalubrité de l’eau. Les maladies liées à l’eau
ont également un impact très important sur les revenus et les conditions de vies des populations urbaines pauvres
des villes d’Asie du Sud. Aussi, en Inde, quelque 60 % des patients hospitalisés le sont à cause de maladies liées
à l’eau..

[7A Khartoum, par exemple, le taux d’incidence moyen de la diarrhée dans les zones d’habitat informels est de
40% contre 29% dans le monde rural ; de 27% dans les taudis de Nairobi contre 19% dans les zones rurales
alentours. Il en va de même pour l’impact du sida bien plus élevé dans les quartiers défavorisés.

[8Après le tremblement de terre de Bam (Iran) en 2003, une enquête a conclu que la majorité des 40 000
victimes vivaient dans des logements en briques crues traditionnelles. La majorité des victimes du tsunami, en
décembre 2004, vivaient également dans des logements informels.

[9Le Zimbabwe est le champion toute catégorie en termes d’éviction et de destruction de zones d’habitats
informels. En 2005 la tristement célèbre opération « Restore Order », dite aussi « Opération Murambatsvina »,
commanditée par le Gouvernement Mugabe a affecté directement près de 700 000 personnes, les unes ayant
perdu leurs logements, les autres leur principale source de revenu. Et indirectement, à des degrés divers, quelque
2,4 millions de personnes (Warah, 2005).

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