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DIAL 3154

VENEZUELA - « Avant la révolution, les Indiens n’étaient même pas reconnus comme faisant partie de la société », entretien avec la vice-ministre pour les peuples indiens, Aloha Núñez

Vinicius Mansur

lundi 6 juin 2011, mis en ligne par Dial, Thierry Deronne

On parle souvent du Venezuela, mais rarement des communautés indiennes qui y vivent, ni de la politique du gouvernement d’Hugo Chávez vis-à-vis des peuples indiens. Cet entretien avec la vice-ministre pour les peuples indiens, Aloha Núñez, publié dans l’hebdomadaire brésilien Brasil de Fato (n° 428, 12-18 mai 2011), nous donne l’occasion d’apporter quelques informations sur ces deux points.


De passage au Brésil où elle assistait à une réunion de l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA), la vice-ministre du pouvoir populaire pour les peuples indiens du Venezuela, Aloha Nuñez (photo) a conversé avec Brasil de Fato des conquêtes et défis des peuples indiens de son pays durant le gouvernement d’Hugo Chávez, président depuis 1999.

Indienne de l’ethnie wayúu âgée de 27 ans, née à La Guarija dans l’État de Zulia, à quelque 900 km à l’ouest de Caracas, Aloha Núñez a été coordinatrice d’une association d’étudiants indiens de l’Université de Zulia, dans le Maracaibo. Elle a aussi travaillé pour l’une des « missions » mises en place par le gouvernement Chávez avant de rejoindre le ministère.

Quelle est l’importance de la population indienne au Venezuela ?

Selon le recensement effectué en 2001, nous sommes entre 2 et 3% de la population, c’est à dire un peu plus de 500 000 Indiens. Mais ces chiffres ne correspondent pas à la réalité car ce recensement n’a pas réussi à atteindre toutes les communautés. Et toutes les personnes indiennes ne se sont pas déclarées telles. C’étaient les débuts de la révolution et avant celle-ci, pas question de droit ni de reconnaissance pour les peuples indiens. Dire que l’on était indien provoquait le rejet. Aujourd’hui les choses sont différentes, il existe une Loi organique des peuples indiens, nous avons des droits. En 2001, le recensement faisait état de l’existence de 36 peuples indiens. À présent, 44 ont été reconnus ainsi que 2800 communautés indiennes contre 2400 à l’époque.

Y-a-t-il un mouvement indien organisé au Venezuela ?

Oui, il existe plusieurs organisations indiennes tant au niveau régional que national. Chaque peuple ou tout du moins chaque région dispose d’organisations représentant leur État respectif. Au niveau national, il y a aussi des organisations comme le Conseil national indien du Venezuela, le Front indien Waike’puru ou la Confédération bolivarienne indienne du Venezuela.

Comment décrire la relation de ces mouvement avec la révolution bolivarienne ?

La lutte des peuples indiens a commencé il y a très longtemps. C’est grâce à notre mobilisation sur tout le continent américain, quand commença la lutte pour les droits des peuples autochtones à l’ONU, quand la convention 169 de l’Organisation internationale du travail [qui garantit les droits des peuples autochtones] fut conquise, que les organisations indiennes acquirent une certaine visibilité. Ensuite vint la révolution. Avant d’être élu à la présidence, le commandant Chávez s’était engagé auprès des peuples indiens à faire tout ce qui était possible pour s’acquitter de la dette historique accumulée. La position d’ouverture du président vis-à-vis des communautés indiennes date des débuts de la révolution. Elle se manifesta à travers cet engagement et ensuite, dès son arrivée au pouvoir, quand il convoqua l’Assemblée constituante et y intégra la population indienne.

Parlez-nous de ce processus.

Des députés indiens prirent part à la Constituante et la nouvelle constitution contient un chapitre spécial pour les peuples et communautés indiennes. C’est un droit dont ils n’ont jamais joui auparavant. Il n’existait précédemment qu’un article qui promettait... « l’intégration progressive des Indiens à la vie de la Nation ». Ils n’étaient même pas reconnus comme faisant partie de la société ! Par conséquent, la Constitution bolivarienne de 1999 ouvrit toute grande la porte. Il y est établi que 3 députés indiens doivent être élus à l’Assemblée nationale pour les régions Sud, Orient et Occident. En outre, dans chaque municipalité indienne, il y a des conseillers municipaux indiens et dans chaque État où vivent des communautés indiennes, il y a des législateurs indiens.

Les peuples indiens ont la garantie de disposer d’un poste au moins dans chacun de ces espaces. Ensuite vint la création de la Loi de délimitation et de garantie de l’habitat et des territoires indiens. Suivirent la mission Guaicaipuro destinée à la prise en charge des besoins sociaux de ces populations ainsi que la promulgation de la Loi organique des peuples et communautés indiennes. Je ne connais pas d’autre pays ayant des lois reconnaissant autant de droits à ces populations, dépassant de fait les exigences de la convention 169 de l’OIT.

Par la suite a été créé le ministère du pouvoir populaire pour les peuples indiens avec, à sa tête, Nicia Maldonado, une Indienne yekuana de l’Amazonie. Ceci démontre sans aucun doute une réelle volonté politique. Dans les autres pays, il n’y pas de ministères indiens. Tout au plus des fondations dépendantes de l’État et qui bien souvent ne sont même pas dirigées par des Indiens. Par conséquent, on ne peut que constater l’importance de l’engagement du commandant Chávez envers les peuples indiens et des initiatives prises par ces derniers.

Groupes indiens du Venezuela

Où en est-on des délimitations de terres ?

Elle se poursuit. Au Venezuela, la délimitation des terres est organisée à partir d’une demande des communautés ou à l’initiative de la Commission présidentielle nationale de délimitation qui se charge conjointement avec une commission régionale de l’étude des dossiers. Nous avons déjà remis 40 titres de propriété collective mais il y a encore beaucoup à faire. Ces titres sont accompagnés d’un plan d’appui afin de fournir tous les outils nécessaires pour arriver à l’autosuffisance de ses communautés qui, par la suite, pourront, à leur tour, aider le pays.

Existe-t-il une politique de promotion de la culture indienne ?

La Loi reconnaît les langues indiennes comme langues officielles. Dans les écoles des communautés indiennes, les cours sont données dans les langues locales. Avant, tout était donné en espagnol. Dans les villes où réside une population indienne, il doit y avoir au moins un enseignant chargé d’impartir soit les cours en langue indienne soit ce qu’on appelle l’éducation interculturelle bilingue. Par ailleurs, nous comptons également sur une Loi sur l’artisanat indien.

Aujourd’hui, quelles sont les principales revendications des peuples indiens ?

Mener à bout le processus de délimitation des terres. Ceci est une revendication qui existe sur tout le continent. Pour nous, il s’agit d’une priorité et le président Chávez a beaucoup insisté là-dessus. D’autre part, nous ne pouvons nier que nous avons encore des communautés en grande précarité qui demandent une assistance gouvernementale permanente. À cet effet, nous avons créé un système de coresponsabilité entre les communautés et l’État afin que les peuples assument un rôle actif dans le dépassement de leurs difficultés, en se libérant eux-mêmes de la misère et de l’analphabétisme pour atteindre le « bonheur social suprême » comme le disait déjà notre libérateur Simón Bolivar. Un nombre important de nos communautés indiennes n’a pas encore réussi à obtenir cette libération. Quelques-unes y sont arrivées. Nous vivons un processus révolutionnaire mais nous ne pouvons pas réparer miraculeusement le mal causé par 500 ans d’invasion, d’extermination et d’éducation perverse qui imposa l’image de l’Indien idiot, alcoolique et dangereux. Nous nous trouvons dans cette phase où il nous faut remplacer l’ancienne vision par une nouvelle.

Existe-t-il des conflits entre les communautés indiennes et l’État au sujet de grands projets gouvernementaux d’exploitation des ressources naturelles ?

Oui. Mais au Venezuela nous respectons la convention 169 de l’OIT qui prévoit le consentement libre des communautés. Par conséquent, chaque fois qu’un projet doit être réalisé dans une communauté indienne, celle-ci doit être consultée et informée au préalable. Si les communautés émettent des doutes, il est nécessaire de dialoguer afin de les éclaircir et de renoncer à la réalisation d’un projet si celle-ci s’y oppose.

L’État a-t-il déjà renoncé à la réalisation d’un projet ?

Une fois, il y a quelque temps déjà. Il s’agissait de concessions pour l’exploitation du charbon en territoire yukpa. Les Indiens étaient contre le projet et ayant été informé de leur plainte, le président Cháve organisa un meeting avec plus de 2000 travailleurs du secteur pétrolier et annonça qu’il n’y aurait pas de concessions. Et en effet, il n’y a pas eu de concessions. Cette histoire fut très controversée car certaines ONG disaient que nous ne voulions pas délimiter les territoires yukpa. Ils espéraient gagner une certaine autonomie après la délimitation. Dans ce cas, l’action des ONG a poussé la communauté à critiquer et même à expulser un dirigeant, le camarade Sabino Romero. Les ONG l’utilisaient comme porte-parole unique des Indiens, transformant la lutte de toute une communauté en lutte personnelle. Ces ONG disaient de Sabino Romero qu’il était le cacique des caciques, le plus combatif de tous. Mais, quand vous parlez avec les membres de la communauté, ils vous disent que ce n’est pas vraiment cela, que les ONG organisaient des assemblées avec un seul cacique, pas avec tous. En assemblée, la communauté a fini par déclarer une ONG persona non grata.

Quelle est la situation de ce cacique aujourd’hui ?

Une des conséquences du conflit fut l’affrontement entre deux communautés indiennes et leurs leaders. Sabino Romero et un autre camarade. Il y a eu un échange de coups de feu entre les deux camps et 3 personnes ont perdu la vie. À la suite de ses assassinats, Sabino Romero et Alexander Romero furent arrêtés. C’est alors que les ONG commencèrent à les qualifier de « prisonniers politiques ». Un procès est en cours. Il est important de souligner que ce sont les propres Yupka qui ont décidé que Sabino Romero devait être jugé par la justice ordinaire. Selon la loi yukpa, l’assassinat d’un membre de la communauté est puni de mort. Nous nous trouvons dans un processus de transformation pour ne plus en arriver à de tels extrêmes. C’est pourquoi la communauté décida, lors d’une assemblée qui fut même télévisée, qu’il fallait le livrer à la justice ordinaire. Ceci aida à la compréhension de la situation car tout le monde avait tendance à victimiser Sabino Romero. Aujourd’hui il est en liberté conditionnelle. La communauté dit qu’elle ne veut plus de Sabino, lui réplique qu’il pourrait y avoir des morts si on lui interdit de revenir. Ceci préoccupe le gouvernement car nous ne voulons pas d’affrontement entre Yukpa.

L’État reconnaît-il la justice indienne ?

Oui. La Constitution et la Loi organique des peuples et communautés indiennes reconnaît la justice traditionnelle. Mais il reste des zones d’ombre. Les lois indiennes sont faites à travers l’assemblée communautaire. Certaines choses doivent être normalisées : la peine de mort n’existe pas au Venezuela et jamais nous ne l’appuierions. Chaque communauté a ses particularités et nous les étudions afin de garantir qu’aucune n’applique des peines qui violent les droits humains.

La vice-ministre Aloha Nuñez accueillie par la communauté sioux (Dakota) dans le cadre de l’aide en gasoil de chauffage du gouvernement d’Hugo Chávez aux communautés indiennes des États-Unis

 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3154.
 Texte français publié, avec les photos, sur le site de La revolución ViVe, le 28 mai 2011. Traduction de Yerko Ivan, revue par Dial.
 Source (portugais) : Brasil de Fato n° 428, 12-18 mai 2011.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française originale (La revolución ViVe - www.larevolucionvive.org.ve) et l’une des adresses internet de l’article.

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