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DIAL 2412

HONDURAS - Terres occupées, paysans délogés

Ricardo Falla, Conseil national des jésuites du Honduras

lundi 16 octobre 2000, mis en ligne par Dial

Le Honduras a ses conflits de la terre. Le 12 septembre dernier, la police a expulsé violemment une coopérative à La Morazán. Ces terres étaient occupées depuis vingt ans et avaient été remises aux paysans dans le cadre de la réforme agraire. Peu auparavant un conflit eut lieu entre des paysans et les éleveurs qui convoitaient leurs terres, dans l’Aguán (Colón). Le 27 juillet, un éleveur a été tué et le P. Pedro Marchetti, jésuite, a été accusé d’être l’auteur intellectuel et l’instigateur de cette mort. Nous donnons à ce sujet le communiqué publié le 6 août dans El Progresso par le Conseil national des jésuites du Honduras, qui donne une idée de ce que sont ces conflits et de l’ambiance qui les entoure. Un second texte, signé par Ricardo Falla et publié par la revue Envío, septembre 2000 (El Salvador), présente trois raisons manifestant que la réforme agraire est à la fois possible et nécessaire au Honduras.


Communiqué du Conseil national des jésuites du Honduras

Voilà plus de deux mois, des paysans de l’Aguán ont occupé des terres du Centre régional d’entraînement militaire (CREM), considérées par des éleveurs et des agriculteurs comme leur appartenant. La tension entre les deux groupes s’est accrue et tous deux se sont armés. Après de nombreuses attaques menées par les éleveurs contre le campement des paysans, le 27 juillet, l’éleveur Diógenes Osorto trouve la mort au cours d’un affrontement, déclanché à partir de la maison de son frère Henry. Henry Osorto, qui est aussi le porte-parole des éleveurs, a accusé le P. Pedro Marchetti, curé de Tocoa et coordinateur de la pastorale sociale du diocèse de Trujillo, d’être le cerveau et l’instigateur de cette mort.

1. Nous démentons l’accusation portée contre notre frère jésuite, le P. Pedro Marchetti. C’est une accusation malveillante, calomnieuse et sans fondement. Pedro était avec quelques-uns d’entre nous, d’abord à Saint-Domingue, puis en El Salvador, pendant les dix jours précédant la mort de l’éleveur et jusqu’au surlendemain du tragique événement. Il n’a appris ce dernier que quatre jours plus tard.

2. Nous connaissons l’esprit de paix et de réconciliation de Pedro. Il a beau être prophète doté par Dieu d’une intelligence hors pair, il est pénétré par l’Esprit du Seigneur d’un amour pour les plus pauvres. Il a soutenu à tout moment le Mouvement paysan de l’Aguán, non par haine ni par ressentiment, mais parce qu’il sait que les paysans ont pour eux le droit et la loi. Comme peut l’attester la Commission de haut niveau du gouvernement avec laquelle il a eu une entrevue, son plus vif désir est la réconciliation sincère et la paix durable, mais, bien évidemment, fondées sur la justice et la vérité.

3. Nous déplorons la mort de M. Diógenes Osorto et présentons nos condoléances à sa famille. Mais il faut reconnaître que c’est de la maison de son frère, proche de la sienne, qu’est partie la fusillade et que lui-même est mort au combat un AK47 à la main. La réaction violente des paysans a été la conséquence d’une série d’attaques que les éleveurs ont menées contre les baraquements des paysans depuis le mois de mai.

4. Nous sommes favorables au désarmement par l’autorité. Nous ne voulons pas que le sang coule à nouveau. Encore faut-il que le désarmement soit effectué aussi bien du côté des paysans que du côté des éleveurs dans toute la zone. Le désarmement doit être basé sur une enquête pour savoir qui sont ceux qui détiennent des armes, spécialement des fusils de guerre. C’est la Direction générale des affaires criminelles (DGIC) qui doit mener l’enquête, les Cobras et la Police préventive servant seulement d’appui.

5. Nous considérons que les négociations doivent se poursuivre entre les éleveurs et le mouvement paysan. Nous voulons louer les efforts du directeur de l’Institut nationale d’agriculture (INA), Anibal Delgado Fiallos, pour faire respecter la loi et déclarer l’invalidité des titres achetés sous la protection d’un gouvernement corrompu. Nous exigeons que le gouvernement soutienne ce fonctionnaire non seulement en assurant la sécurité de celui-ci, mais encore en l’aidant, par l’intermédiaire de tous ses services, dans cette tâche d’application de la loi, que les commissions à tous les niveaux ne servent pas à le désavouer, mais à renforcer sa mission, et que le gouvernement, en tant qu’ultime responsable des actes de corruption de l’État, indemnise les éleveurs par les améliorations apportées.

6. Aux moyens de communication, nous demandons d’enquêter in situ sur les faits survenus récemment. Les émetteurs radio nationaux ont fait entendre les intérêts des éleveurs. Les actions de la paysannerie en général ne leur sont pas sympathiques de nos jours. La mission des médias est de chercher activement la vérité spécialement dans les lieux difficiles d’accès, comme le département de Colón, et dans les situations où des pouvoirs occultes essaient de travestir les faits. Tout le monde connaît la situation de l’Aguán, où règnent l’impunité et le narco-trafic, nichés dans les structures du pouvoir et de la violence.

7. A la société civile et aux Églises en particulier, nous demandons un soutien pour le diocèse de Trujillo et plus spécialement pour sa pastorale sociale. Les ONG nationales et internationales connaissent l’infatigable dévouement de ce diocèse en faveur des gens sinistrés après l’ouragan Mitch. Nous demandons aux Églises et à leurs ONG d’aller visiter les paysans installés au CREM, d’entendre leur expérience et de leur apporter un réconfort. Nous souhaitons que cette année jubilaire soit pour les hommes et les femmes de la campagne le temps de grâce pour retrouver la jouissance de leurs terres, du crédit et de l’assistance technique dont ils ont été exclus par la société.

L’expérience du Centre régional d’entraînement militaire (CREM) nous montre que la réforme agraire est possible et nécessaire au Honduras.

Première raison : La mobilisation de 700 familles venues de quatre départements du pays, avec une coordination parfaite et sans l’aide de véhicules de l’État, a démontré qu’il existe chez les pauvres une très grande force qui les rend capables de tous les sacrifices et de toutes les luttes pour obtenir un lopin de terre. En contemplant leur installation (asentamiento) sur le terrain, un haut dirigeant de la Centrale nationale de travailleurs ruraux (CNTC) a déclaré n’avoir jamais rien vu de semblable au Honduras. En 1975, il y a eu de grandes mobilisations de paysans organisées par l’État vers l’Aguán et Nueva Palestina dans le département d’Olancho, mais jamais l’on n’avait vu une mobilisation de la paysannerie uniquement soutenue par la société civile.

Deuxième raison : Même si le gouvernement a voulu freiner la mobilisation, il existe désormais dans l’État l’ouverture nécessaire à la relance de la réforme agraire. Le ministre de l’Institut national d’agriculture ne s’est pas laissé acheter dans l’enquête sur l’illégalité des titres de propriété des éleveurs et il a soutenu devant le président de la République le droit des paysans sur ces terres. Le même ministre a dit le 24 août devant l’assemblée plénière des prêtres du diocèse de Trujillo que le CREM sera le point de départ pour relancer la réforme agraire. Il y a aussi une ouverture dans divers ministères ou services d’État. Même les Cobras manifestent de la sympathie pour les paysans.

Troisième raison : Il existe un soutien international : l’Église avec le mouvement du Jubilé, la FAO qui reconnaît que toujours plus de gouvernements plaident en Amérique latine pour une réforme agraire, le PNUD qui parle de la nécessité de lutter contre la pauvreté et pour l’accession à la terre, des fonctionnaires de la Banque mondiale, des techniciens et consultants des organismes internationaux, convaincus qu’il faut offrir une solution aux 300 000 familles honduriennes sans terre ou possédant moins d’un hectare. Ce sont des preuves d’un air nouveau et propice à la relance de la réforme agraire.
Il faut que ce soit un nouveau type de réforme agraire, qui combine l’État et le marché, qui combine la distribution de terres illégalement attribuées avec la distribution de terres prises sur le fond des terres achetées, qui combine les forces de la société civile, des ONG et des Églises avec les forces ministérielles, qui combine la planification au niveau national avec les mobilisations locales spontanées. Des expériences comme celle de la prise du CREM, si elles sont soigneusement préparées et étayées, peuvent nous fournir un modèle pour commencer à réfléchir et à agir afin d’ouvrir des horizons aux ruraux pauvres.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2412.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) :  El Progresso, Envio, septembre 2000.
 
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