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DIAL 2897

PÉROU - Lettre ouverte à un jeune évêque

mercredi 1er novembre 2006, mis en ligne par Dial

Le texte ci-dessous est une lettre adressée en juillet 2006 par des prêtres, des religieuses et des laïcs au nouvel évêque de la prélature d’Ayarivi au Pérou [1]. Il s’agit d’un jeune évêque, Mgr Kay Martin Schmalheusen Panizo, dont les décisions rapides et autoritaires, prises sans concertation avec les instances ecclésiales habituelles, irrespectueuses du travail effectué par ses prédécesseurs, suscitent de vives protestations. Un autre aspect du débat est l’utilisation qu’il fait de la prélature au profit d’un mouvement dénommé Sodalitium Christianae Vitae (SCV), auquel l’évêque appartient. Ce mouvement est une « société de vie apostolique », née au Pérou en 1985, approuvée par Jean-Paul II en 1997.

Outre les objectifs généraux de toute vie chrétienne, ce mouvement insiste de façon plus particulière sur la reconnaissance du Magistère, l’acceptation de Vatican II sans les « détournements » opérés par certains, et la dévotion à la Vierge Marie. Il appartient à une mouvance dont la rencontre regroupant à Rome « mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles » le 6 juin 2006 donne une bonne idée. Le SCV s’y est retrouvé en compagnie, entre autres, du Mouvement des Focolari, de la Communauté Sant’Egidio, du Chemin néo-catéchuménal, de la Fraternité Communion et libération, du Renouveau charismatique catholique. Son fondateur est un laïc, Luis Fernando Figari. Au Pérou, le SCV a des communautés dans les diocèses de Lima, Callao, Arequipa, Ica, Lurín, Chosica et la prélature d’Ayaviri. Plusieurs autres fondations sont liées à la Famille Sodalite, dont le Mouvement de vie chrétienne qui compte 25 000 membres et est présent dans 26 pays.

On savait déjà que l’épiscopat péruvien est celui qui comprend le plus d’évêques appartenant à l’Opus Dei en Amérique latine. Il faut désormais compter avec des membres de la SVC. Lorsqu’on voit le comportement de Mgr Kay Martin Schmalheusen Panizo, il est permis de s’interroger, une fois de plus, sur les nominations épiscopales en Amérique latine et particulièrement au Pérou et sur les objectifs essentiellement conservateurs poursuivis par ceux qui en décident.


Cher Frère,

Nous, prêtres, religieuses, hommes et femmes laïques de la prélature d’Ayaviri, nous nous adressons à vous pour vous faire part de quelques-unes des préoccupations qui sont les nôtres concernant notre Eglise locale. Nous le faisons dans la meilleure des dispositions d’esprit, celle-là même dans laquelle nous vous avons reçu et accueilli en tant qu’évêque de cette juridiction. Ce que nous cherchons en vous écrivant c’est à collaborer avec vous afin que, dans les meilleures conditions possibles, en conformité avec le cœur du Christ, le Bon Pasteur, vous puissiez être au service du peuple de Dieu qui vit à Sandia, Carabaya et Melgar.
Nous voulons porter à votre connaissance que cette Eglise d’Ayaviri a une histoire
vieille de 48 ans. Tout au long de ces années d’excellents pasteurs l’ont conduite avec sagesse, ont fait face à d’énormes difficultés en coresponsabilité avec les agents pastoraux de la prélature et les autres frères évêques de la région. Nous voulons parler de vos prédécesseurs : Mgr Luciano Metzinger, Mgr Luis Dalle, Mgr Francisco d’Alteroche et Mgr Juan Godayol. Tous hommes de foi, de dialogue et, surtout, instigateurs de communion ecclésiale. C’est douloureusement et avec préoccupation que nous avons le sentiment que vous-même et les personnes qui vous accompagnent vous comportez comme si la prélature n’avait pas d’histoire. Plus encore, bien des comportements nous conduisent à penser que vous êtes venu jusqu’ici avec la volonté d’ignorer le travail pastoral qui a été réalisé pendant tant d’années.

Par rapport à ce qui vient d’être dit, Monseigneur, nous voulons ajouter que nous comprenons que le gouvernement pastoral de la prélature d’Ayaviri a été remis entre vos mains en tant qu’évêque-prélat et non comme Sodalitium Christianae Vitae. Le charisme de votre famille religieuse est l’un de ceux, parmi beaucoup autres, à travers lesquels Dieu a enrichi notre Eglise locale. Par conséquent, nous croyons qu’il n’est pas de mise, comme cela se produit actuellement, d’imposer le style qui règle les relations à l’intérieur de l’institution à laquelle vous-même avez appartenu avant d’être consacré évêque.Aujourd’hui, Kay Martin, vous avez des devoirs vis-à-vis de la prélature d’Ayaviri et vous devez dialoguer avec elle dans l’obéissance de la foi.

Aussi grande que soit la confiance que vous avez dans les membres de l’institution qui vous a formé, l’attitude qui consiste à ignorer la parole de ceux qui ont une plus grande expérience et connaissance des nécessités pastorales de la prélature, soit parce qu’ils y sont nés ou parce qu’ils y travaillent depuis de longues années, cette attitude ne semble pas très courtoise. Par conséquent la justice et la charité exigent que soient mises en place de façon urgente les instances de dialogue suivantes :

 1. Une rencontre avec tous les intervenants pastoraux de la prélature dans les meilleurs délais (nous suggérons que ce soit avant la fin juillet).
 2. La mise en place d’une Assemblée de la prélature au mois d’octobre, comme celle programmée l’an passé.
 3. La constitution, en vue du bon fonctionnement de notre prélature, du Collège de consulteurs et du Conseil presbytéral, comme le prescrit le droit canonique.

Nous saluons la création de la page Web de la prélature. Toutefois nous pouvons réitérer ce qui a été exprimé antérieurement : elle semble être surtout destinée à exalter votre personne et à faire la propagande de ce que vous faites vous et votre Famille Sodalitium. On n’y parle ni du peuple andin, de sa spiritualité délicate et de sa culture, ni des origines de la prélature, ni de l’esprit du Concile Vatican II qui l’a animée, ni des personnes qui ont donné leur vie pour l’Evangile, ni du travail pastoral réalisé jusqu’à maintenant. Pour toutes ces raisons un tel site ne nous représente pas, et par conséquent, nous ne nous identifions pas à cette page.

Nous sommes reconnaissants de la préoccupation que vous avez manifestée lors des rencontres auxquelles vous avez participé avec diverses structures de notre Eglise locale. Cependant nous voulons vous dire que vos paroles par manque de clarté sèment la confusion, elles ne sont pas l’expression limpide de ce que vous attendez de la prélature. Nous mettons même en avant que lors de certaines de ces rencontres vous avez fait usage d’un style peu propice au dialogue, de même qu’à travers certaines tierces personnes de votre entourage qui profitent de leur proximité pour imposer, ordonner ou malmener. Ce sont des attitudes qui nous indignent.

Nous attachons beaucoup d’importance à votre volonté de visiter les provinces qui font partie de cette juridiction ecclésiale. Cependant nous avons le sentiment que vous n’avez pas pris le temps nécessaire pour prendre connaissance en profondeur de la réalité de la prélature, ce qui est logique. En effet vous êtes un évêque de fraîche date, environ deux mois. Un laps de temps insuffisant sans aucun doute pour prendre quelque décision responsable que ce soit. Mais nous remarquons que vous n’en avez pas tenu compte dans les décisions que vous avez prises concernant les personnes et les institutions.

Nous voulons ici nous montrer insistants et exprimer une fois de plus notre fraternité et notre solidarité à l’égard de notre frère Francisco Fritsch que vous avez décidé de congédier. Nous voulons faire état aussi de la pression exercée sur d’autres frères, les obligeant à prendre une décision en vue d’un changement. Par conséquent nous vous demandons de revenir sur votre décision de congédier le P. Francisco et de lui permettre de continuer à être au service de la population de notre prélature. Nous sommes également préoccupés par l’intervention constante de membres de votre mouvement Sodalitium Christianae Vitae dans les paroisses et institutions sans respect du travail et des efforts déployés lors des accords assumés dans nos Assemblées de prélature, en écho aux directions pastorales que, en tant qu’Eglise locale, nous nous sommes fixées. Ce qui attire notre attention c’est que ces décisions ont été prises sans prendre en compte le Collège des consulteurs et le Conseil presbytéral, institutions extrêmement importantes dans le gouvernement pastoral, comme nous l’indiquions selon le droit ecclésiastique. De ce fait, nous vous demandons de vous conformer à ces instances.

Les intervenants pastoraux, prêtres, religieuses, hommes et femmes laïques, tous de terrain, nous savons ce que subissent personnes et institutions de notre prélature à cause de vos comportements peu évangéliques. Par conséquent nous vous demandons de changer votre attitude et votre façon d’exercer l’autorité, qui est de l’ordre du service et non de la domination. Nous pourrons ainsi continuer à vivre dans la fraternité.

Parce que nous n’avons rien à cacher, nous faisons parvenir copie de ce courrier à l’instance dirigeante de la Conférence épiscopale et à la Nonciature apostolique.

En espérant que vous preniez en compte notre sentiment et nos propositions, nous demandons à Jésus, le Bon Pasteur, de bénir votre personne et votre travail pastoral au service du peuple et pour l’unité de l’Eglise.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2897.
 Traduction : Annie Damidot pour Dial.

En cas de reproduction, mentionner la traductrice, la source (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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[1une prélature est une entité territoriale correspondant à un diocèse sans en avoir le statut juridique.

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