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DIAL 3300

Le pape François et la théologie de la libération

Marcelo Barros

vendredi 24 octobre 2014, mis en ligne par Dial

Ce texte a été publié dans la revue Consciência.Net le 22 janvier 2014. Les actes du pape François dans les quelques mois qui se sont écoulés depuis viennent étayer la perspective que l’auteur développe sur le rapport entre le pape et la théologie de la libération.

Marcelo Barros est moine bénédictin, théologien et bibliste, proche de Dom Helder Camara et de Joseph Comblin. Il est actuellement coordonnateur latino-américain de l’Association œcuménique de théologiens et de théologiennes du tiers-monde (ASETT) et conseiller, au Brésil, des communautés ecclésiales de base et des mouvements sociaux. Il a publié 45 livres dans différentes langues et collabore avec différentes revues internationales de théologie.


Depuis que François a été élu évêque de Rome, le thème de la théologie de la libération revient de façon récurrente lorsqu’on parle du Vatican et des positions du pape. En septembre 2013, le pape a reçu en audience privée le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez qui vient de publier en italien un livre écrit avec le cardinal Müller, actuel président de la Congrégation pour la doctrine de la foi [1]

De fait, tous ceux et celles qui font de la théologie de la libération ont affirmé que le plus important ce n’est pas la théologie de la libération, mais le processus social et politique de libération, aujourd’hui plus nécessaire que jamais sur tous les continents [2]. Donc, il ne s’agit pas de savoir si le pape adhère à la théologie de la libération. Ce qui est important, c’est de voir qu’il est sensible et attentif aux problèmes que cette théologie signale et dénonce dans le monde entier. Et cela, le pape le fait, que ce soit à l’occasion de ses discours et de ses entrevues, lors de son voyage sur l’île de Lampedusa pour démontrer sa solidarité envers les migrants persécutés, dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium (n° 53-60).

Le 5 décembre 2013, l’Académie des sciences du Vatican, à la demande du pape François, a invité des représentants des mouvements sociaux du monde entier pour réfléchir aux défis posés par une économie d’exclusion et ce qu’il est possible de faire face à cela.

Ceux et celles qui écoutent les discours clairs et forts du pape, ont l’impression qu’il est en train de suivre le mouvement le plus récent de la théologie de la libération qui se révèle non seulement en Amérique latine, mais au niveau international. Jusqu’à aujourd’hui, toujours liés aux forums sociaux mondiaux, ont été réalisés quatre forums mondiaux de Théologie et Libération, avec la participation de théologiens et de théologiennes européens, nord-américains, asiatiques et africains, en plus des camarades qui les ont préparés et coordonnés depuis Porto Alegre, au Brésil [3].

1.- Actualité de l’Évangile

La présence simple et sympathique du pape François et les positions qu’il a prises, me rappelle un épisode que j’ai vécu. Il y a de cela un peu moins de 50 ans, j’accompagnais à titre de secrétaire et de conseiller, Mgr Helder Câmara, alors archévêque d’Olinda et de Recife. Nous avons dans les archives de l’archevêché une lettre personnelle que, en 1966, Dom Helder Camara envoya à son ami de longue date, le pape Paul VI. Dans cette lettre, cet évêque prophète proposait au pape de poser un geste prophétique. Le pape devait renoncer à être chef d’État pour redevenir le simple évêque de Rome et en tant que tel, pasteur de l’unité des Églises. Pour signifier cela, selon cette lettre, le pape devait confier la cité du Vatican aux Nations unies (à l’UNESCO) et déménager à Saint-Jean de Latran, première résidence des évêques de Rome.

Quelques semaines plus tard, l’évêque de Recife reçu une correspondance du Vatican. Dans la lettre, le cardinal Villot, secrétaire d’État, écrivait : « Le Saint Père vous remercie pour votre lettre, mais il vous rappelle que nous ne sommes plus au temps de l’Évangile ». Dom Helder fut attristé de cette réponse. S’il était vivant aujourd’hui, il serait sûrement heureux et dirait : Finalement, après Jean XXIII, nous avons au Vatican un chrétien qui croit et exprime publiquement l’actualité de l’Évangile de Jésus. Nous vivons dans le temps de l’Évangile. Même si le pape ne peut pas encore déménager à Saint-Jean de Latran, ou s’il pense qu’il ne doit pas, pour le moment, renoncer à être chef d’État, il donne déjà des signes qu’il perçoit les contradictions et il démontre une liberté intérieure qui va dans la direction vers laquelle l’Évangile l’appelle.

2.- L’évêque de Rome

En mars 2013, lors du dernier conclave, un journaliste brésilien m’a demandé comment je voyais l’éventualité de l’élection d’un pape brésilien ? Je lui ai répondu que je ne désirais pas cela, que je préférais avoir un pape italien qui serait évêque de Rome et qui respecterait l’autonomie et l’ecclésialité propre à chaque Église locale. Lorsqu’il fut clair que l’élu serait Bergoglio, je me suis rendu compte que, dans la réalité ecclésiale actuelle, l’élection de François avait été une bénédiction. Je ne souhaitais pas avoir un pape de la théologie de la libération, mais un pape qui accepte la pluralité du monde et des Églises. Cela m’apparaît être un bon signe que, depuis son élection, le pape actuel donne au monde.

En général, les journalistes attirent l’attention sur la simplicité avec laquelle il se présente et comment il affronte avec sincérité les questions complexes, morales et institutionnelles. Je pense que sa prise de position la plus audacieuse, depuis le moment de son élection, c’est de s’être toujours présenté comme « l’évêque de Rome ». Théologiquement, cela me semble plus important et transformateur que ses positions éthiques et théologiques, parce que cela permet à l’Église de revenir au respect de la diversité des disciplines, des liturgies et même des théologies présentes sur différents continents et à l’intérieur de différentes réalités locales.

En tant qu’évêque de Rome et primat de l’unité des Églises, le pape reprend l’ecclésiologie du Concile Vatican II dans son intuition de valorisation des Églises locales (particulières). Et, en demandant que les prêtres et les évêques retournent à leur base et cherchent à servir les périphéries, François reprend la doctrine de la seconde assemblée des évêques latino-américains, celle de Medellín (1968) qui proposait : « Une Église servante et pascale, engagée à la libération de tout être humain et de chaque personne dans son intégrité » (Med. 5,15). C’est ici que se situe le fondement premier de la théologie de la libération vers l’en-dehors de la théologie.

Selon moi, l’important c’est que François a ouvert un dialogue avec toute la théologie, n’importe laquelle, parce que les deux papes précédents n’acceptaient que les théologiens de la cour. Il n’y avait plus de place dans l’Église pour une théologie qui n’était pas une simple répétition des encycliques et des documents romains.

Dans le protagonisme du pape François, il y a un problème. Si la sympathie d’un pape charismatique fait paraître positive une structure qui en soi est mauvaise et qui doit changer (la structure actuelle de la papauté avec sa vision de chrétienté), il ne ferait pas de bien à l’ensemble de l’Église. La figure de ce pape communicatif et simple est bonne pour créer un autre climat et rendre possible les changements dans les Églises locales, mais il s’avère fondamental que l’Église ne demeure pas centrée sur le Vatican.

3.- Interpellation à la théologie de la libération

Il est possible de voir dans les paroles et les gestes du pape des signes d’approbation de la théologie de la libération, mais le plus urgent est de discerner ce que François nous dit qui peut servir à une revitalisation de la théologie de la libération. Sans aucun doute, ses avertissements pour que toute l’Église hiérarchique ne perde pas le contact avec les bases et, au contraire, pour que nous vivions une nouvelle insertion, sont très importants et utiles pour tous ceux et toutes celles qui font une théologie engagée à partir de leur pratique. Malheureusement, au cours des dernières décennies, la tentation académique menace des secteurs autrefois très engagés avec les mouvements de base. Il est nécessaire de revenir à cela, que ce soit pour appuyer la réforme ecclésiale proposée par le pape, ou pour apporter une vitalité nouvelle à notre théologie.

Dans les années 1970 et au début des années 1980, certains groupes de camarades cherchaient à dialoguer et à s’insérer dans les groupes sociaux qui s’efforçaient de changer le monde. Aujourd’hui, depuis le début de ce siècle, l’Amérique latine assiste à un processus social et politique nouveau dans différents pays du continent. Lors de l’une de ses audiences, le pape fit allusion à l’intégration latino-américaine. Sans doute, s’agit-il d’un champ où la théologie de la libération doit entrer et participer.

Le processus bolivarien n’est pas uniquement une question de gouvernements comme ceux de Nicolás Maduro, Rafael Correa et Evo Morales. C’est davantage que cela, c’est un processus qui provient et qui est soutenu par les communautés indiennes et les mouvements populaires avec la participation de beaucoup de chrétiens de la base. Il est urgent que la théologie de la libération participe à cela. C’était l’intuition de mon maître, le père Joseph Comblin qui, comme théologien, est souvent allé au Venezuela et qui avait même accepté d’être observateur international lors de l’une des élections présidentielles.

Cette intuition de Comblin s’ajoute à celle de pionniers comme Helder Câmara qui déjà en 1965, dans l’une de ses lettres écrites du Concile, défendait la nécessité du bolivarianisme, comme acte de décolonisation de nos pays en relation à l’empire et d’intégration de nos peuples en une seule et grande patrie [4].

Aujourd’hui, plus encore qu’à cette époque, cette intégration s’avère nécessaire et urgente. Je pense qu’il faut espérer que, pour les frères et les sœurs qui font la théologie de la libération, les paroles et les gestes du pape François signifient davantage que ce qu’elles disent et résonnent comme les mots de l’Ange de l’Apocalypse à l’Église d’Éphèse : « Retourne à ton premier amour » (Ap 2,5). Pour la Bible, le premier amour c’est l’Exode et le temps de la lutte pour la terre dans le désert (Cf. Jr 2,1-2 ; Os 2,16-21). Pour l’Église latino-américaine qui connaît son identité depuis l’assemblée des évêques à Medellín, ce premier amour ne peut être que revenir à la mystique du Règne de Dieu, dans l’insertion concrète avec le peuple qui lutte pour sa libération.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3300.
 Traduction d’Yves Carrier.
 Source (espagnol) : revue Consciência.Net, 22 janvier 2014.

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[1Cf. G. Gutiérrez et G. Müller, Della parte dei poveri : Teologia della Liberazzione, Teologia della Chiesa, Padoue, Messaggero et Bologne, EMI, 2013. Sur ce point, voir aussi le reportage de Paolo Rodari, dans La Repubblica du 04/ 09/ 2013.

[2Cette idée était déjà défendue par L. Boff et C. Boff, Teologia da Libertação e Libertação da Teologia, Petrópolis, Vozes, 1982, p. 15 et suivantes.

[3Voir Luiz Carlos Susin, Teologia para outro mundo possível, São Paulo, Paulinas, 2006.

[4Dom Helder Câmara, Circulares Conciliares, volumen I, tomo III, 68e Circular, Rome 16-17/11/1965, Editora CEPE, Instituto Dom Helder Câmara, Recife, 2009, p. 253.

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