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AMÉRIQUE LATINE - Église : l’héritage prophétique de la Conférence de Medellin 50 ans après

José Oscar Beozzo

mercredi 27 février 2019, par Dial

Vendredi 22 juin 2018, le CCFD-Terre Solidaire a organisé une rencontre avec le père José Oscar Beozzo (Brésil), de passage à Paris. José Oscar Beozzo est coordinateur général du Centre œcuménique de services à l’évangélisation et l’éducation populaire (CESEEP), membre et ex-président de la Commission d’études de l’histoire de l’Église en Amérique latine (CEHILA). Le CCFD a bien voulu nous transmettre la transcription de son intervention que nous publions ci-dessous en complément du texte sur les 50 ans de Medellín publié dans le numéro d’octobre [1].


Je suis très content d’être là parce que l’histoire du CCFD a des rapports et des liens avec l’église brésilienne. Helder Câmara était enthousiaste, il est venu plusieurs fois à Paris, toujours en rapport avec le CCFD. Le rêve d’une coopération internationale solide et respectueuse nous lient. Le CCFD fait partie de ce rêve, de changer le monde, avec des partenaires de tous les côtés du monde.

Un mot d’abord sur la préparation du Synode pour l’Amazonie

Il y a 11 ans, pendant la Conférence d’Aparecida [2], quand on parlait de défis du point de vue humain et écologique, on parlait de deux régions : l’Antarctique et l’Amazonie. Bergoglio était responsable de la rédaction du document final à Aparecida, et il a retenu ces questions-là. Enfin, plusieurs évêques, surtout du Brésil, demandaient à avoir un moment en commun avec les autres pays du bassin amazonien. Le Pape a donc proposé un synode pour l’année prochaine, en octobre 2019. Il y a un grand travail qui se fait en ce moment, pour voir la réalité, si différente, dans cette région de 7 millions et demi de kilomètres carrés, la moitié de l’Amérique latine, où la présence de tribus indiennes est très importante. On dénombre ainsi 380 tribus différentes, avec leurs langues, religions et cultures propres, ainsi qu’une centaine de groupes qui cherchent à éviter les contacts. Une centaine environ sont très menacés, avec la forêt qui se rétrécit, l’arrivée du soja et des pâturages.

Un document est sorti. Il y a une préparation qui se fait dans les 9 pays : Guyana, Surinam, la Guyane française, le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et le Brésil… Ces 9 pays vont participer directement, pour six mois, avec des représentations d’autres endroits.

La question la plus brûlante : d’une part, on avance sur les territoires indiens dans toute la région. C’est très difficile de stopper les capitaux brésiliens et internationaux, avec leurs grands projets miniers et hydroélectriques, mais aussi surtout des pâturages… Il y 220 millions d’hectares de pâturages au Brésil. On parle surtout du soja qui avance, mais ce ne sont « que » 29 millions d’hectares ; la canne à sucre, 9 millions ; et 220 millions pour la viande qu’on exporte partout ; c’est une pression très forte sur la région amazonienne.

Il y a aussi le discernement : ce qu’on propose c’est une Église en Amazonie avec le visage des peuples de l’Amazonie. C’est très contradictoire, car si l’on a des petites tribus indiennes un peu partout… on a aussi des grandes villes : Manaus fait déjà plus de deux millions d’habitants… Cela fait un contraste important… Toute la population était composée auparavant de gens qui travaillaient dans le caoutchouc, qui vivaient de la pêche, de petites plantations de manioc… mais maintenant il y a un afflux vers la ville. Il y a à peu près autant d’Indiens dans la périphérie de Manaus que dans leurs villages. Ils ont honte de dire qu’ils sont Indiens. Ils perdent rapidement leur identité, dans la grande ville, à cause de la discrimination. Il y a aussi énormément d’Indiens dans la ville de São Paulo : deux mille Pankararus, presque autant de Fulniôs. Il y a un univers indien dans la ville. Quand c’est la fête dans leurs villages, il partent pour un mois, ils abandonnent tout, perdent leurs emplois. Et puis ils reviennent.

C’est une région qui présente des défis pour tous ces pays-là ; mais aussi au point de vue mondial. Car c’est la forêt tropicale la plus importante, il y a donc la question du climat. À São Paulo, pour les pluies dans la région, on dépend de l’humidité de l’Amazonie. Et pour tout le reste du monde, c’est aussi un grand poumon.

Du point de vue de l’Église, là-bas, c’était toujours une Église missionnaire… des prélatures très isolées les unes des autres, confiées à des congrégations religieuses étrangères, chacune d’un pays. Après le Concile, il y a eu une intégration plus forte. Mais la plupart du clergé est encore étranger ou vient, dans le cas du Brésil, du sud du pays. Donc il y a le défi d’avoir une église avec un visage local, avec un clergé et des ministères locaux.

Sur cette question, surtout dans les évêchés qui ont beaucoup d’Indiens, comme dans la région du Rio Negro, où 85% de la population est indienne : l’évêque local dit : « Si je veux avoir des ministères avec des Indiens, il faut que ce soit des ménages. » Il faut qu’on pense au ministère des femmes et des hommes, pour avoir l’eucharistie… La question s’est donc posée de manière très forte : quels ministères faut-il pour avoir une église avec un visage local ? C’est une question très forte.

Autre aspect… l’Église en Amazonie est une église prophétique. Il y a pas mal de gens qui ont perdu la vie toutes ces années, et dernièrement surtout à cause de la question écologique. La Sœur Dorothy Stang a été assassinée parce qu’elle défendait des groupes de paysans qui pratiquaient une agriculture respectueuse de la forêt. C’est une Église qui, dans ce sens, donne un témoignage très important dans toute cette région. Car il y a une question terrible pour toute la population locale : la déforestation, l’accaparement de terres, l’invasion de réserves indiennes. Là-bas, ou l’église est prophétique ou elle n’a pas de sens. Voilà une autre question importante.

Il y a aussi l’enjeu de trouver de nouveaux chemins : comment être à la fois une église très proche des populations autochtones et qui fait face à des villes comme Manaus, Iquitos, Leticia, Belem… Des grandes villes, où les questions sont complètement différentes…

Dans la préparation du Synode, on est en train de faire une synthèse, de repérer les grandes questions dans chacun des 123 diocèses [3] de ces 9 pays de la région. C’est un fait nouveau : on essaie de mettre ensemble des apports, des interrogations, des questions sur les problèmes de toute la région…

Un réseau a été créé, le REPAM (Réseau ecclésial pan-amazonien), auquel le CCFD – Terre solidaire apporte son appui. Et qui fait un très bon travail. Après mon départ, j’aurai une réunion du groupe qui prépare le synode, le document vient de paraître il y a 15 jours, vous pouvez le télécharger sur du site du Vatican [4]. Vous pouvez aussi proposer vos apports. À la fin il y a un questionnaire – à mon avis un peu trop long ; mais il est divisé en trois parties. Une première partie sur des grandes questions : territoire, peuples indiens, diversité culturelle ; puis une deuxième partie sur le discernement (comment doit-on juger tout ce qui se passe en Amazonie ?) ; et en troisième partie, des propositions ; qu’est-ce qu’on doit faire devant ces questions ? Alors je vous invite à apporter vos points de vue humains, mais aussi d’église.

Les 50 ans de la Conférence de Medellín

J’avais pensé vous dire un mot aussi sur Medellín… sur les 50 ans de la Conférence générale de l’épiscopat latino-américain à Medellín [5]. Elle a été ouverte par Paul VI pendant le Congrès eucharistique à Bogota (le 24 août) et les évêques sont arrivés après à Medellín. La conférence a duré juste 2 semaines. Si on compare avec le Concile, c’était 4 ans, avec 3 ans de préparation. Donc c’était un temps très court. Finalement, il n’y a pas eu de document final. On a recueilli tous les apports des 16 commissions et fait un document très petit. On n’a pas eu le temps. Il y a les conclusions des 16 commissions. Et c’est bien ainsi, car on aurait beaucoup perdu si on avait essayé à faire une synthèse, qui laisserait peut-être tomber des choses plus importantes.

Il y a un point que beaucoup de gens aiment répéter : Medellín, c’est l’acte de naissance d’une église avec un visage latino-américain. Il y a déjà une forte prise de conscience pendant tout le Concile, mais à ce moment-là il s’agissait surtout de réfléchir sur quel était le chemin de l’Église pour les années à venir. Et à Medellín, on trouve vraiment des documents qui restent une sorte de référence très importante pour l’église latino-américaine.

Il y a la question de la méthode. Des 16 documents du Concile… il y a un tome, le dernier, Gaudium et Spes qui part de la réalité, qui regarde les signes du temps et quelle doit être la réponse de l’Église aux joies, aux angoisses, aux espoirs de l’humanité et surtout des pauvres. Ce qui avait été fait dans un document du Concile a été repris par l’ensemble des 16 commissions de la Conférence de Medellín qui ont travaillé en suivant cette méthode, en partant de la réalité latino-américaine. Et quelque chose de très important : il ne s’agissait pas seulement de réfléchir sur les questions ; après avoir réfléchi, venait le temps d’agir, de prendre à cœur de transformer des situations qui étaient injustes.

Une autre originalité de Medellín… Le dernier document du Concile, « l’Église dans le monde d’aujourd’hui », c’est le début de Medellín. On commence par le thème de la justice, en disant que pour l’Amérique latine, c’est la question essentielle. C’est un continent à la fois chrétien et profondément injuste. Annoncer l’évangile en Amérique latine c’est faire face à des situations d’injustice et de violence.

Le premier document c’est la justice, le deuxième document c’est la paix. C’était une époque de guérillas… Il y avait eu la révolution cubaine en 1959, Camilo Torres est mort en février 1966. Un peu partout les gens se disaient, « bon, on ne trouve pas d’autre chemin pour faire face aux dictatures militaires, aux oligarchies, que de faire la guerre ».

Paul VI avait dit dans Populorum Progressio : « S’il y a des tyrannies prolongées, les peuples ont le droit de s’insurger ». Cela avait été lu en Amérique latine comme un signe de… « Voilà, s’il n’y a pas d’autres options, il y a celle-là ». Paul VI avait été très effrayé par cela et a fait un discours très fort à Bogota disant qu’aucune violence ne pourrait être justifiée.

Cela devient un thème central à Medellín. On a même décidé de faire une conférence au début – qui n’était pas prévue – pour traiter du thème de la violence. Il y a là une distinction que Paul VI a finalement accepté : il existe une violence structurelle, qui est toujours là, qui fait mourir les enfants, qui ne donne pas la terre aux travailleurs, qui ne prend pas en change l’éducation des personnes – à ce moment-là il avait encore plus de 50% d’analphabètes en Amérique latine. C’était la première violence qu’on devait combattre. Elle était la source des autres violences, une violence première, structurelle. Certes, il avait aussi la violence résultant de la guérilla, mais la plus profonde, depuis toujours, était celle qui pesait sur les paysans, sur les ouvriers, et qu’on naturalisait – on en parlait comme un état de fait, cela aurait toujours été comme ça. Mais Medellín dénonce cette violence structurelle de manière très forte.

Au Concile, on a trois documents directement sur le thème de l’église – Lumen Gentium, Orientalium Ecclesiarum, sur les églises d’Orient, Unitatis Redintegratio sur les relations œcuméniques, et ensuite Gaudium et Spes qui dit qu’il faut une église qui soit dans le monde. Il y avait des évêques qui formaient un groupe, le groupe de l’Église des pauvres ; mais ils n’ont pas réussi à ce que ce thème soit, comme disait Lercaro [6], présent dans tous les documents du Concile.

Alors que, quand on parle d’Église à Medellín, c’est de la pauvreté dans l’église. De tous les thèmes ecclésiologiques, la question centrale est la pauvreté. Il y a aussi des thèmes que le Concile n’a pas touchés et qui sont très importants à Medellín. Il y a par exemple un document sur la jeunesse. Le Concile lui consacre une phrase ici une autre phrase là, mais il n’était pas concerné par cette montée de la jeunesse dans le monde : on se souvient de mai 68 ici à Paris, mais aussi à Prague, au Brésil, quand les jeunes se révoltèrent contre cette société de consommation… Medellín prend cela à cœur, il y a un document sur la jeunesse.

Medellín a consacré un autre document à la catéchèse. Je pense au Brésil où il y a 600 000 catéchistes… On manque de prêtres et les gens reçoivent la foi par des catéchistes (presque tous de femmes). À Medellín, il y a un très bon document sur la catéchèse.

Il y a d’autres documents, par exemple sur l’éducation : au Concile, Gravissimum Educationis et un document sur l’éducation à Medellín. Mais la perspective est complètement différente : le Concile était préoccupé par les écoles catholiques et Medellín était préoccupé par le fait que les gens n’avaient pas le droit à l’éducation, ne disposaient pas d’écoles mises en place par l’État dont c’était la responsabilité. Medellín portait aussi la dimension d’une éducation libératrice en contrepoint à une éducation qui domestiquait les gens, au lieu d’en faire de vrais citoyens. C’est un autre document très important.

Pour ce document, il y a eu un apport substantiel d’une réunion préparatoire entre Paulo Freire et d’autres éducateurs latino-américains, et de l’expérience du MEB (Mouvement d’éducation de base) au Brésil. Au Nordeste brésilien, avant même Medellín, un demi-million de paysans étaient déjà éduqués – et non simplement alphabétisés – par le Mouvement d’éducation de base, par le biais de la radio… Il y avait toutes ces expériences préalables. En Colombie aussi, avec la Radio Sutatenza… Tout cela est repris dans ce document sur l’éducation qui dit qu’une tâche très importante est d’assurer l’éducation de tout le monde.

Il y a des manques aussi… À Medellín, il n’y a pas de document sur la Bible, sur la Parole de Dieu. Et pourtant, il y avait une expérience très vivante dans toute l’Amérique latine de lecture populaire de la Bible par les communautés. Mais Medellín n’a pas consacré un document à la Parole de Dieu. On sent que c’est un manque important… Il n’y a pas de document sur l’œcuménisme, il n’y a pas de document sur le dialogue inter-religieux, il n’y a pas de document sur la liberté religieuse. Dans tous les documents ces questions sont présentes, mais il n’y a pas de documents consacrés spécifiquement à ces questions…

Medellín a affirmé des options très importantes : l’Église, ce sont des communautés. La base de toute l’Église doit être la communauté, avec son autonomie, avec le protagonisme des laïcs, avec une place vivante pour la femme. Ces communautés sont en même temps des communautés de foi, mais aussi engagées dans la lutte pour la justice et dans l’évangélisation. C’est là une option très claire. Il y a aussi l’option pour les pauvres… qui a coûté énormément de martyres dans toute l’Amérique latine. Ces deux chemins choisis ont entraîné immédiatement une répression très forte contre le travail de l’Église : on trouve des catéchistes, des délégués de la parole en Amérique centrale, mais aussi des évêques comme Angelelli en Argentine (l’évêque de la Rioja) ; Gerardi au Guatemala, qui a rédigé le rapport de la Commission de la vérité au Guatemala… deux jours après avoir présenté le rapport dans la cathédrale, il y a été assassiné ; évidemment Romero, et Valencia Cano en Colombie… Même si on ne le reconnaissait pas : par exemple, l’Église argentine disait que c’était un accident de la route pour Angelelli.

Je me rappelle, j’étais là-bas dix ans après… Aucune église à Buenos Aires ne voulait ouvrir pour faire une messe à la mémoire d’Angelelli parce qu’on craignait les militaires… Finalement les Pallottins ont dit : « Vous pouvez la faire ici dans l’église… » On était un groupe de théologiens, mais au moment de rentrer à l’hôtel, on m’a dit : « Mais je n’ose pas faire le prêche ». C’est moi qui ais dû faire le prêche pour l’évêque argentin assassiné. Car toute l’Église disait que c’était un accident, pour ne pas avoir de problèmes avec les militaires.

Il avait un leader syndical très proche à lui qui finalement, 40 ans après, a réussi à ce qu’on ouvre le procès. Trois militaires (un général et deux colonels) ont été condamnés à vie, car ils avaient participé à préparer cet « accident »-là. C’est intéressant que ce soit un laïc, et non l’Église, qui ait bataillé pendant 40 ans pour faire justice. Et maintenant, il y a un processus canonique pour la canonisation de Mgr Angelelli, mais aussi d’un prêtre du diocèse et d’un paysan.

Romero sera canonisé cette année [2018]. La Curie romaine a bloqué le processus pendant 18 ans. Pour la raison que, selon la Congrégation pour la doctrine de la foi, il n’était pas mort par haine de la foi, mais pour des questions politiques. Elle ne reconnaissait donc pas qu’il s’agissait du cas de quelqu’un qui, motivé par la foi, avait consacré sa vie en faveur du peuple et de la justice… On a dit : « C’est de la politique, pas une question liée à la foi ». Curieusement, un mois et une semaine seulement après l’élection du Pape François, le 21 avril 2013, il a été décidé d’ouvrir le processus canonique pour la béatification de Romero et cela a ouvert le chemin pour des milliers d’autres martyrs de l’Église latino-américaine…

[…]

Questions

Sur le Synode sur l’Amazonie

- Comment se fera techniquement la compilation des contributions au document préparatoire ?

- Parmi les enjeux du Synode, on mentionne l’évolution des ministères. Est-ce que demain il serait possible d’avoir des hommes mariés ou des femmes prêtres ou qui assurent des ministères à l’intérieur de l’Église ? Quelles perspectives d’évolution y a-t-il dans ces domaines-là ?

Sur la coopération

 Quel regard portes-tu sur les évolutions de la coopération internationale ?

Réponses de José Oscar Beozzo

Sur la préparation du Synode

Il existe une commission. Le REPAM en fait partie et en est l’un des responsables. Il y a des responsables dans chaque pays et un secrétariat à Quito très engagés dans cette préparation. Au Brésil, c’est le Cardinal Hummes. Depuis qu’il est rentré de Rome, la Conférence épiscopale lui a demandé de se charger de l’Église en Amazonie. Évidemment, comme il n’a plus la charge d’un diocèse, il a plus de temps. Il a fait un énorme effort d’aller à la base. Il est allé à Sao Gabriel da Cachoeira, où il est resté dix jours… Il a visité des communautés indiennes, discuté avec les gens. Depuis trois ans, il fait ce travail au fond de l’Amazonie, dans l’Église brésilienne. Depuis la convocation du synode, il préside la commission de préparation… Dans cette commission il y a des Indiens, des théologiens, des gens de la base – j’en fais partie aussi.

C’est elle qui a proposé la première rédaction du document de consultation qui vient de sortir. Les apports des différents pays ont été mis ensemble, tous les groupes ont été à Rome pendant plus d’une semaine pour une séance commune avec les autres groupes. En est ressorti un document court (28 pages), qui est lisible. Il était sage de proposer un document ainsi, avec un questionnaire. Tout le monde peut apporter, c’est ouvert. Je ne sais pas qui va prendre en charge concrètement le dépouillement et de l’organisation des réponses… Mais l’invitation est ouverte à tout le monde.

Sur la coopération

Dans les années 60, il y a eu un grand enthousiasme, pour le P. Lebret, la revue Économie et Humanisme. Un peu partout, on se disait, pour surmonter les injustices Nord-Sud, il faut une coopération, même au niveau des gouvernements. Je pense aux Peace Corps et à d’autres initiatives de coopération gouvernementale, par exemple de la France avec l’Afrique. Tout d’un coup, on a dit que le problème était beaucoup plus profond. Je crois qu’à un moment, il y a eu un désenchantement, car on a investi beaucoup et la situation reste problématique. La situation est beaucoup plus complexe. Les changements au niveau international ne se sont pas opérés. La situation est même pire à certains égards. Par exemple, il y avait des pays qui consacraient jusqu’à 2% de leur budget à la coopération internationale ; aujourd’hui je crois qu’il n’y en a aucun qui arrive à 1%. Même les gouvernements ne s’y intéressent plus. Et dans l’Église, je crois que les nouvelles générations n’ont pas embrassé cette cause avec le même enthousiasme que la génération du temps du Concile. C’est un petit miracle qu’on continue néanmoins…

Cette coopération ne se traduit pas simplement par des ressources économiques, ce sont surtout des personnes… La personne en charge de Misereor, en Allemagne, a travaillé comme missionnaire au Maranhão pendant longtemps… Je pense aussi au chargé du secteur missionnaire de l’Église d’Autriche qui a vécu au Brésil… Franz Weber, retraité de l’Université d’Innsbruck, était missionnaire dans les communautés de base au Maranhão. Ce sont des gens qui comprennent les deux mondes : la situation de là-bas et la situation d’ici et qui se sont engagés en disant « il faut faire quelque chose ». Reprendre la coopération au niveau des jeunes, pendant deux ans, trois ans, pour faire un travail de base, cela peut permettre de faire un morceau de chemin pour récupérer cet enthousiasme et pouvoir parler ici des réalités vécues.

Une autre chose à laquelle je pense… vous m’avez demandé quelles choses nous pourrions faire mieux : je rêve toujours que des organisations comme le CCFD, la CAFOD [7] et d’autres puissent mener des campagnes, travailler ensemble de manière plus forte, discuter et voir les questions qu’on peut aborder ensemble. Pour la première fois, la campagne de carême de l’année passée [2017] au Brésil, une campagne œcuménique, a été faite en conjonction avec l’Allemagne. C’était difficile, parce que l’environnement en Allemagne est une chose, mais les questions comme l’accès à l’eau, l’assainissement vont de soi pour l’Allemagne. Chez nous, c’est une lacune très importante. Mais on a travaillé ensemble, par des réunions Skype et on a fini par avoir une campagne qui était à la fois en Allemagne et au Brésil, qui prenait en considération les problèmes d’environnement chez nous au Brésil, mais qui nous faisait aussi prendre conscience du consumérisme, de la production de déchets (par exemple). Il y a des problèmes communs, sur lesquels on peut travailler ensemble. Si on pouvait resserrer les liens, faire des études ensemble… des campagnes qu’on peut mener d’un côté et de l’autre, on pourrait avancer dans ce monde, divisé, et globalisé tout à la fois – une globalisation souvent de l’indifférence, où on laisse tomber les gens, mais il est possible de réunir les préoccupations de là-bas ici et celles d’ici, là-bas… Et coopérer… faire du chemin ensemble.

Sur la question des ministères

Plusieurs évêques brésiliens ont parlé directement au Pape, en disant « il faut trouver un chemin pour que les communautés puissent avoir une présence pastorale et une présence eucharistique ». Ce qui est normal en Amazonie à l’heure actuelle, c’est qu’une fois par an, des prêtres partent en petit bateau à moteur… auparavant ils devaient ramer à la main… ils passent six mois en allant de communauté en communauté… pour célébrer l’eucharistie, baptiser des gens, célébrer des mariages… c’est impensable que l’Église puisse dépendre autant d’un clergé insuffisant et clérical, qui ne vit pas sur place. L’évêque du Xingu, Erwin Kräutler, a demandé carrément au Pape de pouvoir ordonner des responsables de communauté… Et Damien aussi, l’évêque du Tapajós… Le pape leur a dit : « Mettez-vous d’accord. » Alors, dans le document, il y a un petit chapitre dédié aux ministères. Et il commence par les femmes… Il est prudent, il parle des ministères… ce n’est pas écrit noir sur blanc… mais je pense aux diaconesses… Les évêques sont conscients que ce sont les femmes qui sont à la tête des communautés. Il faut ordonner les responsables pour la communauté. Mais c’est évoqué d’une manière discrète. On commence par les femmes… On n’ose pas dire « il faut rendre officiel des ministères féminins ». Ce sont des ministères pour des responsabilités dans la communauté. Mais on parle du besoin de ministères. J’espère que dans les réponses au questionnaire, cela émergera de façon claire…

Il s’agit de cela : avoir un ministère proche des communautés, avec des gens de la communauté. Qu’on aura évidemment à préparer… La question du célibat est importante. Dans les groupes indiens, on ne conçoit pas qu’une femme soit séparée et n’ait pas un mari… Quand j’étais dans un village indien, il y avait une femme qui avait perdu son mari. Cela durait depuis des mois, car personne dans la tribu n’avait voulu la prendre pour épouse. Cela ne marche pas, car c’est l’homme qui doit nettoyer la brousse, qui doit planter et la femme fait la récolte… dans leur division du travail, une femme sans un homme n’a pas les moyens de survivre. Finalement, ils ont pensé qu’il revenait au chef de la prendre en charge. Il avait déjà sa femme. Mais elle ne pouvait pas rester toute seule, surtout que des jeunes ont commencé à lui rendre visite. Tout le groupe a dit au chef : « c’est toi qui dois la prendre en charge ». Il avait deux femmes non pas parce qu’il le voulait, mais parce que ce n’était pas concevable que la personne reste seule.

Alors s’il y a des ministères, il faudra que ce soit un ministère du couple. Comme l’a fait Mgr Ruiz au Chiapas... Il y a eu énormément de problèmes avec Rome. Car il y avait un séminaire pour préparer les responsables indiens, il y avait même un vicaire épiscopal général pour les groupes indiens (c’était un Indien avec sa femme). Mgr Ruiz pensait justement pouvoir les ordonner. Mais cela a été freiné à Rome… C’est à vous de pousser, de dire que c’est raisonnable, nécessaire et bon devant Dieu… Comme disait Paul, « parmi vous, les baptisés, il n’y a plus de prêtre ni de juif, il n’y a pas d’esclave ni de seigneur, il n’y a pas d’homme ou de femme… » Il faut reconnaître que le baptême donne un sacerdoce, et que le sacerdoce ministériel devient un développement normal avec le baptême.

Questions

Rassemblement des mouvements populaires, à l’initiative du Pape François : De quelle manière cette dynamique a une articulation avec les dynamiques en cours dans le cadre du Synode ?

Cette initiative a commencé de manière modeste. Pour la première réunion à Rome – où il a proposé les trois T : toit, travail et terre comme questions essentielles pour la dignité –, il est intéressant de noter que le travail de rassembler tous ces gens a surtout été surtout l’œuvre des gens des mouvements. Par exemple, au Brésil c’était João Pedro Stédile du Mouvement des sans-terre, il avait déclaré que l’Église officielle était un peu perdue. Ce n’est qu’au dernier moment qu’on a désigné un évêque pour venir. Mais toute la préparation a été faite par des gens d’une Église qui va dans le monde parler avec tout le monde. Alors à Santa Cruz, en 2015, lors de la deuxième rencontre, il n’y avait pas cette fois 120 personnes, mais 1200 délégués, ils ont rédigé une sorte de charte avec 10 points à mettre en avant. La dernière rencontre a de nouveau eu lieu à Rome, c’était très intéressant. Ils ont déclaré : « Les gouvernements ne vont pas changer la situation internationale, pas même les Églises… » Le Pape a ajouté : « C’est à vous, les mouvements populaires, de pousser, d’exiger, de rêver à d’autres chemins possibles. C’est vous l’espoir de changements dans la situation mondiale, que ce soit sur le plan de l’environnement, de la justice sociale, du travail, de la possession de la terre... » Je crois que c’est une chose très intéressante. Il ne s’est pas adressé aux conférences épiscopales, mais directement aux mouvements. Il y aussi des personnalités, comme Mujica, l’ancien président de l’Uruguay, qui était très actif, et des gens des mouvements indiens latino-américains, certains très attachés à l’Église, d’autres pas… ils étaient tous présents à Santa Cruz, avec des propositions très intéressantes. Il serait intéressant de reprendre tout cela avec les groupes avec lesquels le CCFD travaille et de faire des sessions sur ces documents. Car c’est nouveau, frais et avec des apports très intéressants.

Liturgie revisitée au Chiapas… Quels sont les points de blocage à Rome ?

Il y a deux principes clefs dans la réforme liturgique au Concile. Le premier, c’est de dire que toutes les célébrations doivent favoriser la participation la plus pleine de toutes les personnes qui sont dans la célébration. Le concept, c’est que c’est l’assemblée qui célèbre, même s’il y a des fonctions différentes. Mais la célébration n’est pas le fait du prêtre, mais de l’assemblée. Le deuxième est qu’elle doit être inculturée : partir des éléments des cultures. La langue local est un de ces éléments, mais c’est encore plus profond. Je pense à Riobamba (Équateur), dans les Andes, l’évêque local, Mgr Proaño avait décidé que les communautés indiennes sont le centre de la vie chrétienne de chaque endroit. Il a donc dédié toute sa vie à une traduction de la bible en kichwa. Elle a été imprimée quelques semaines après sa mort. Dans toutes ces communautés il y avait des catéchistes, des dirigeants, et des célébrations qui reprenaient des éléments de la culture locale. Au Chiapas, c’est beaucoup plus fort, car dans cette zone maya (Guatemala, Chiapas), il y a des traditions très anciennes, des célébrations, de visions du monde, de Dieu… Dans leur culture le féminin et le masculin vont toujours ensemble… C’est important dans les célébrations, cette vision de Dieu beaucoup plus complète… si nous sommes à l’image de Dieu (homme et femme), alors il faut intégrer cette dimension.

Le Chiapas est l’endroit où on est allé le plus loin en matière de rendre et reconnaître le ministère aux communautés. Mais Mgr Ruiz n’a jamais réussi à avoir l’autorisation de Rome pour consacrer des ministères et ordonner ces dirigeants. Mais ils prenaient en charge les célébrations… à la manière de chaque peuple, les Tseltals, les Tsotsils, les Chamulas…

Sur la situation actuelle au Brésil [en juin 2018]

Il y a douze candidats à la présidentielle au Brésil. Ceux des partis plus importants (Mouvement démocratique brésilien, MDB, parti du président, dont le candidat a moins d’1% d’intentions de vote dans les sondages). Le candidat des Démocrates (DEM), le président de la Chambre qui a joué un rôle très important pour approuver toutes les mesures impopulaires au Parlement est aussi à moins d’1% des intentions de vote. En revanche, Lula à lui tout-seul a plus d’intentions de vote que les douze autres candidats ensemble. Il est en prison. C’est une drôle d’élection. Avec un candidat qui a plus d’intention de vote que les douze autres candidats. Le candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), Alckmin (gouverneur de São Paulo), est bloqué à 5-6% des intentions de vote. Alors, ils sont désespérés… ils ont fait ce coup d’État, éliminé Dilma, mis Lula en prison, mais ils n’arrivent pas à avoir un candidat… il va être fabriqué par le Rede Globo…

Donc on est vraiment dans une impasse, avec des mesures très anti-nationalistes. On ne sait pas jusqu’où les militaires vont tolérer cela, car on vend tout à l’étranger. Même le Pré-sal [8]

Ce gouvernement s’est retiré de l’UNASUR, au moment de crises pareilles en Amérique latine, il y avait un organisme vers lequel on pouvait se tourner... Le BRICS est en retrait… Le Brésil s’est retiré de la scène internationale… C’est un moment difficile, avec un gouvernement de droite en Argentine, Piñera qui a remplacé Bachelet au Chili, les résultats des élections en Colombie ont porté au pouvoir un gouvernement qui est contre les immigrants (il y a déjà plus d’un million de Vénézuéliens qui ont passé la frontière…) et contre les accords de paix… qui ont été si difficiles à finaliser après 60 ans de guerre civile… Au Nicaragua, l’Église catholique s’est retirée de la table de négociations… il y a eu beaucoup de morts sans solutions à la crise. Le Venezuela est en crise. Le président de l’Équateur est maintenant à droite… et on prépare un procès contre l’ancien président… On manipule la presse, le pouvoir judiciaire. Je ne vois pas comment on va sortir de cette impasse, malheureusement…

Conclusions CCFD - Terre Solidaire

La réflexion sur les 50 ans de Medellín va se poursuivre. Au mois d’août, il y aura le Congrès latino-américain de théologie au Salvador organisé par Amerindia, partenaire du CCFD – Terre solidaire, pour discuter des façons dont Medellín illumine l’Église universelle et l’Église en Amérique latine aujourd’hui. On sera présents pour rapporter ces discussions ici en France.

On est aussi attentifs au processus de préparation du Synode sur l’Amazonie. On travaille avec le Secours catholique dans le cadre du REPAM. Une réunion est prévue en septembre en Allemagne avec d’autres organismes de solidarité internationale, des mouvements et des services d’Église pour un apport collectif au Synode.

On sera aussi partie prenante, au moins en esprit, de la cérémonie de canonisation de Mgr Romero.

Donc, on essaie de nous inscrire dans cette continuité et de nous inspirer de toutes ces dynamiques de l’Église en Amérique latine… Merci à José Oscar Beozzo d’être venu en témoigner !


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3004.
 Source (français) : retranscription transmise par le CCFD-Terre solidaire le 7 septembre 2018, revue par DIAL.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[25e Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, organisée à Aparecida (Brésil) en mai 2007 – note des transcripteurs.

[3Ce sont des diocèses énormes, par exemple Xingu a 70 000 km². Le diocèse de Pedro Casaldáliga, sur le fleuve Araguaia, fait aussi plus de 70 000 km². Ce n’est pas très peuplé, mais c’est immense, avec du transport qui se fait notamment par les fleuves. C’est en train de changer, car on ouvre des routes : la transamazonienne, la périmétrale nord, une nouvelle qui va de Cuiabá à Santarém.

[4Le texte est aussi bien en français, qu’en espagnol et en portugais – note des transcripteurs.

[5Du 26 août au 6 septembre 1968 – note des transcripteurs.

[6Cardinal archevêque de Bologne à l’époque.

[7Catholic Agency For Overseas Development – note DIAL.

[8Réserves de pétrole dans des couches géologiques profondes en haute mer.

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