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DIAL 3497

VENEZUELA - « La solution pour éviter une guerre civile est de chercher la compréhension, le dialogue et l’entente » : Entretien avec le père Pablo Urquiaga

Paolo Moiola

mercredi 22 mai 2019, mis en ligne par Dial

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Dans ce numéro, DIAL consacre trois articles au Venezuela qui proposent chacun un éclairage sur la tentative de coup d’État de fin avril et la situation actuelle du pays. Texte publié par Comunicaciones aliadas le 9 mai 2019.


Pablo Urquiaga Fernández est né à Pinar del Río, Cuba, en 1945. Il est arrivé au Venezuela en 1968 où il a terminé ses études de théologie à l’Université catholique Andrés Bello de Caracas. En 1975 il a été ordonné prêtre et, en 1980, après quatre années à Petare, quartier de Caracas, il est devenu le prêtre de l’Église de la Résurrection du Seigneur, à Caricuao, quartier de petite classe moyenne de la capitale.

Paolo Moiola, collaborateur de Noticias Aliadas, s’est longuement entretenu avec le père Urquiaga sur la situation économique, politique et sociale dramatique que traverse le Venezuela.

Le leader de l’opposition Leopoldo López, emprisonné depuis presque quatre ans, a été libéré le 30 avril par des militaires dissidents, acte de la phase finale de la dénommée Opération liberté, dirigée par le président autoproclamé par intérim du Venezuela, Juan Guaidó. Que pensez-vous du retour de Leopoldo López ?

Quel retour ? Le jour de la [tentative de coup d’État] M. Leopoldo López, qui était supposé être le leader de l’opposition, a demandé l’asile à l’Ambassade d’Espagne avec toute sa famille. De son côté, Juan Guaidó est dans la « clandestinité ».

On a publié une grande quantité de fausses informations (fake news) sur ce qui se passe au Venezuela, mais on accuse le gouvernement de Nicolás Maduro de ne pas garantir la liberté d’expression .

Au Venezuela la liberté d’expression a toujours existé. Je dirais même « libertinage d’expression ». Mon avis est que les « lois » devraient s’appliquer pour que les médias ne soient pas utilisés pour inciter à la violence et à la guerre, pour que ces médias dénoncent la corruption. Je respecte cette liberté mais je pense qu’elle doit avoir comme limite le respect d’autrui.

La revue étatsunienne Time a classé Juan Guaidó au nombre des responsables politiques les plus influents du monde. Que pensez-vous de ce jeune homme de 35 ans qui est sorti de nulle part et qui s’est proclamé président ?

Effectivement, Guaidó est un personnage atypique. Je ne le connais pas personnellement mais je sais qu’il a été candidat à l’élection de gouverneur de l’État de Vargas [centre nord] et qu’il a perdu ces élections, largement distancé par le gouverneur actuel en place [Jorge Luis García Carneiro, du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV)] qui a fait des miracles dans cet État qui [après de gigantesques glissements de terrain en décembre 1999] était en ruine. Après 20 ans de travail et d’efforts constants il a connu un succès extraordinaire, reconnu de tous. Je dirais de lui qu’il est le meilleur des gouverneurs chavistes de tout le Venezuela.

Guaidó a été élu [en 2015] député à l’Assemblée nationale par son parti, Volonté populaire, et a été désigné président de cette même assemblée. Le 23 janvier 2019 il s’est autoproclamé président par intérim du Venezuela sans avoir été aucunement plébiscité ; cet acte est donc antidémocratique et anticonstitutionnel. Il est vrai qu’il a suscité dans l’opposition l’espoir de prendre le pouvoir mais je crois qu’il s’est trompé de méthode. En particulier quand il approuve l’intervention de l’impérialisme états-unien, y compris la possibilité d’une invasion militaire, à laquelle le sentiment populaire est opposé à 90% dans le pays, selon de récentes enquêtes. Le peuple veut que les problèmes soient résolus par la voie pacifique et rejette catégoriquement la violence et la guerre.

À qui le peuple vénézuélien apporte-t-il son soutien ? Si l’on en croit les médias internationaux, il semblerait que presque toute la population soit du côté de l’opposition.

Le peuple vénézuélien, en ce moment, est divisé en trois clans. Les manifestations de l’opposition sont nombreuses mais les rassemblements pro-Maduro sont bien supérieurs en nombre. Ce qui se passe c’est que les manifestations de l’opposition sont diffusées à l’extérieur du pays et qu’on ne montre pas celles du gouvernement. Les rassemblements du peuple à Miraflores [devant le Palais de Miraflores, en soutien au gouvernement] sont toujours gigantesques. Je pensais que Maduro avait perdu en popularité mais je crois que la mauvaise politique de l’opposition l’a plutôt confortée.

Ici, celui qui persévère triomphe : c’est une question de résistance et de patience, même si se profile une nouvelle opposition nationaliste, une troisième voie, qui est en train de se renforcer face à l’opposition violente et désespérée, qui pense que si Maduro s’en va, tout sera résolu et qui ne se rend pas compte que Maduro est soutenu par 6 millions de Vénézuéliens chavistes qui soutiennent avec force le processus, sont prêts à souffrir de faim et de pénuries, mais ne vont pas faiblir [une opposition qui respecte le peuple].

Cette année les coupures d’électricité et d’eau se sont intensifiées au Venezuela. Qui peut bien être derrière tout ça ? .

Nous avons vécu des moments très difficiles en mars [2019] en raison des coupures de courant et de la pénurie d’eau. Nous en pâtissons encore mais la situation s’améliore progressivement. À Caracas, depuis plus d’une semaine [en avril] nous avons eu de l’électricité en permanence sans interruptions, mais dans certaines parties du pays la situation est encore très mauvaise. Par exemple, dans l’État de Zulia, dans le nord. Maintenant nous avons de l’électricité mais l’eau arrive pendant quelques jours et puis nous sommes à sec. À quoi cela est-il dû ? Le gouvernement dit qu’il s’agit d’un « sabotage électrique cybernétique » et l’opposition soutient que c’est dû à « un manque d’entretien et une mauvaise gestion ». Je crois que c’est une combinaison de ces deux facteurs. Personne ne peut nier que nous souffrons d’une guerre de quatrième génération. On parle aussi de guerre hybride [agression générée par une combinaison de forces irrégulières ou milices, de forces régulières dissimulées et d’agressions cybernétiques (usage du web, de drones, désinformation, attaques informatiques etc…)].

Pensez-vous que la grave crise économique du Venezuela ait été fomentée depuis l’étranger ou qu’elle est à imputer à des erreurs du gouvernement de Maduro ?

Pour répondre à ta question, je dirais que les deux choses sont vraies. La crise économique a été provoquée depuis l’étranger de façon brutale, non seulement par le blocus absurde des États-Unis mais aussi par l’hyperinflation [encouragée par le grand capital international]. Et également par les nombreuses erreurs commises par certains ministres dans ce domaine [actes de corruption] surtout dans l’entreprise PDVSA [entreprise pétrolière d’État du Venezuela]. La politique économique a été désastreuse et doit changer radicalement. Notre monnaie nationale, le bolivar, est pratiquement sur le point de disparaître, il semble que l’option du petro [cryptomonnaie soutenue par les réserves d’or, de pétrole et de gaz] soit bonne mais elle ne fonctionne pas encore au niveau du peuple, tout est pratiquement dollarisé alors que nos salaires sont en bolivares, qui ne sont plus « ni forts ni souverains [1] ».

Le salaire minimum tourne autour de 6 dollars. Des industries privées qui produisaient en abondance et avec qualité ont été nationalisées. Nombre d’entre elles ont été ruinées et nous tentons de voir, en ce moment, si leurs anciens propriétaires veulent les reprendre et les remettre en production. S’en prendre à ceux qui produisent a été une erreur fatale. Je crois que dans ce domaine le gouvernement doit opérer un changement radical et abandonner le fanatisme idéologique. Je crois que nous devons conserver toutes les réussites réelles du processus révolutionnaire lancé par [l’ex président décédé] Hugo Chávez en faveur des plus pauvres de cette terre. Ça, c’est sacré. Il faut l’améliorer et le rendre plus efficace, mais il faut produire pour pouvoir ensuite partager et distribuer équitablement. Les entreprises d’État ont commis des erreurs de gestion et manqué du sens des responsabilités.

Le président états-unien Donald Trump menace Cuba en raison de son soutien au Venezuela. Quel rôle jouent les Cubains au Venezuela ?

La présence des Cubains au Venezuela est un soutien solidaire, surtout au sein des « missions sociales » qui sont la force principale du processus révolutionnaire bolivarien. Il ne faut pas occulter l’aide militaire et stratégique que le gouvernement cubain prête au gouvernement de Caracas, dans le respect constant son évolution, propre à chaque processus.

On parle beaucoup du soutien de la Russie au gouvernement de Maduro. Croyez-vous qu’un quelconque intérêt hégémonique ou simplement des intérêts en lien avec les richesses minérales du Venezuela animent le gouvernement du président Vladimir Poutine ?

La Russie est une autre puissance politique et commerciale. Jusqu’à présent elle nous a aidés sans manifester d’intérêts hégémoniques mais pour des intérêts strictement commerciaux et stratégiques. La Russie, la Chine aussi, devront confirmer cette orientation, dans le respect permanent de notre indépendance. Nous ne voulons dépendre d’aucun empire. Ni russe ni chinois, ni états-unien. Nous voulons entretenir de bonnes relations, respectueuses, avec tous ces pays et leurs peuples, dans le respect de notre souveraineté.

Presque tous les pays sont dominés par la droite ou par des gouvernements aux orientations droitières. Ne croyez-vous pas que le Venezuela soit mal vu parce qu’il parle de socialisme ?

Notre cause comprend bien des points à corriger car les idéaux d’une société socialiste sont très éloignés de la réalité parce que la majorité du peuple n’y est pas mentalement préparée. C’est un processus « Vers le socialisme du XXe siècle » qui n’est pas encore une réalité. Dire que le socialisme au Venezuela a échoué est une erreur, car ici le socialisme n’existe pas encore. Nous sommes toujours empoisonnés par la culture égoïste du capitalisme. Nous nous efforçons d’opérer un changement mais il est lent et progressif.

Vous pensez que le président Maduro devrait convoquer de nouvelles élections ?

Oui. Je pense que nous devrions avoir de nouvelles élections parlementaires en décembre prochain pour que les pouvoirs soient légitimés et pour faire cesser la « désobéissance » envers l’Assemblée nationale que l’opposition a conquise largement en 2015. À cette occasion, le peuple révolutionnaire s’était très majoritairement abstenu car il était en désaccord avec le gouvernement parce que certains de ses représentants ne les écoutaient pas. Ce fut un vote sanction.

Par conséquent vous écartez l’idée de voter à nouveau pour désigner le président ?

Les élections présidentielles se sont tenues l’an dernier [le 20 mai 2018] et Nicolás Maduro a été élu avec plus de 60% des votes validés ; des partis d’opposition y ont participé. D’autres n’ont pas voulu participer et d’autres encore ont été invalidés. Voilà la vérité.

Je voulais parler d’avancer d’un an les élections pour l’Assemblée nationale et les municipales, prévues en décembre 2020. Néanmoins certains secteurs de la société civile ont proposé un pacte de paix qui serait l’occasion d’un dialogue possible entre les parties.

À l’instar d’avril 2002, lors de la tentative de coup d’État pour renverser Hugo Chávez, la hiérarchie de l’Église catholique est-elle actuellement dans le camp de l’opposition ?

Tu me demandes si la hiérarchie de l’Église a la même position qu’en 2002 ? Son opposition à Maduro est plus radicale. Ses membres sont convaincus que les choses ne vont pas changer et que la solution est qu’il s’en aille mais le plus triste est que certains de ses membres soutiennent la position de Guaidó de façon ouverte et partiale. Notre hiérarchie, à de rares exceptions près, n’est pas habilitée à arbitrer cette controverse car elle n’est pas impartiale. Il est triste de constater que ses membres parlent de dialogue et de paix et qu’ils se rangent ensuite du côté de ceux qui veulent une intervention militaire étrangère, contredisant ainsi la position digne de notre frère le Pape François. Je leur ai dit moi qu’il est important de dénoncer les erreurs du gouvernement, en exerçant notre don prophétique, mais de reconnaître aussi ses réussites.

Dans leurs écrits ils n’ont jamais reconnu aucune des réussites de la révolution en faveur des plus pauvres. Il y a un manque d’impartialité.

Je crois que nous devons changer et améliorer les choses, sans remettre en cause les avancées. Tu me demandes pourquoi ? Certains hauts dignitaires en veulent au gouvernement car il ne les a pas traités dignement et les a privés de leurs privilèges. J’ai perçu chez certains d’entre eux un sentiment de rejet et même une rancœur, pour ne pas dire une haine ; le fait que j’appelais Hugo Chávez mon frère, comme je le fais avec Maduro, les irrite. Ne sont-ils pas des frères, bien que nous ne pensions pas comme eux et qu’ils puissent se tromper ? Ne devrions-nous pas faire en sorte qu’ils se ressaisissent et dialoguent dans un esprit d’amour et de réconciliation ?

Que pensent les plus hautes instances de l’Église catholique des derniers évènements dans le pays ?

Silence total. Pour l’instant. Personne ne s’est prononcé. Nous ne leur demandons pas de se prononcer en faveur du gouvernement. Nous leur demandons de prendre position face à cette tentative de coup d’État et à l’utilisation de la violence pour prendre le pouvoir politique. Il faut leur rappeler un principe chrétien : la fin ne justifie pas les moyens. Je prie pour eux.

Pour vous quelle est la solution pour éviter une guerre civile ?

La solution pour éviter une guerre civile est de chercher la compréhension, le dialogue et l’entente. Pas avec tous. Mais seulement avec les membres de l’opposition et du gouvernement qui aiment cette patrie et qui sont de bonne volonté même s’ils pensent différemment.

L’évêque brésilien Helder Cámara disait : « Quand tu penses différemment de moi tu m’enrichis », « les divergences ne doivent pas nous opposer mais nous enrichir ». Pour cela il faut de l’humilité et savoir que personne ne détient toute la vérité. Rejeter toute forme de violence et chercher ensemble, avec tous et pour le bien de tous, une nouvelle alternative, pour que nous soyons capables de sortir de ce moment crucial par la voie pacifique. Il faut isoler les fanatiques, présents dans les deux camps, et unir les adversaires pour ne jamais revenir au passé, surmonter le cauchemar du présent et chercher à construire dans un avenir proche un pays où tous, pas juste un petit groupe, nous vivions bien et en paix.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3497.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Comunicaciones Aliadas, 9 mai 2019.

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[1Le bolivar fort a été créé pour remplacer le bolivar et lutter contre l’hyperinflation (1er janvier 2008-19 août 2018). Il a été remplacé par le bolivar souverain le 20 août 2018 – note DIAL.

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