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BRÉSIL - Le carnaval de Rio met en scène les minorités et s’adonne à la critique politique

Nara Lacerda

lundi 2 mars 2020, mis en ligne par Pedro Picho

24 février 2020.

Dès la première nuit de défilés, les écoles de samba ont rendu hommage à la force des femmes, au Christ des périphéries, aux populations indiennes et aux adeptes du candomblé.

Dès le dimanche 23 février, les écoles de samba du Groupe spécial de Rio de Janeiro répercutèrent le cri des minorités sur le sambodrôme de la Sapucaí. Les défilés ne manquèrent pas d’évoquer les pauvres, les femmes, les Noirs et les peuples indiens : ainsi l’école de la Mangueira a présenté un Christ né dans la favela et l’école de la Grande Rio a apporté les symboles du candomblé et chanté l’histoire du « père de saint », Joãzinho da Goimea.

L’école Estácio de Sá ouvrit la nuit avec le thème Pedra (« la pierre »), pour critiquer la dévastation de l’environnement. Les impacts de l’exploitation minière étaient abordés par un char allégorique, « À la recherche de l’or », évoquant la situation des garimpeiros (chercheurs d’or) : « O garimpo traz o ouro, a cobiça dos mortais / Peneirar, peneirar / Devastando a natureza no Pará dos Carajás » [« Creuser donne de l’or pour l’avidité des mortels. / Tamiser, tamiser, / C’est en dévastant la nature dans les mines du Carajás, dans l’État du Para »].

Croyances afro-brésiliennes

Les luttes des femmes et la conquête de leur autonomie étaient le fil conducteur du défilé de l’école Unidos do Viradouro, avec l’histoire des travailleuses d’Itapuã. Sous le thème Alma Lavada (« L’âme lessivée ») elle rendait hommage aux anciennes lavandières de Salvador de Bahia, devenues référence culturelle pour leurs chansons de la vie quotidienne des gens simples de la capitale.

Les moments les plus excitants de la nuit furent imprégnés de références aux religions originaires d’Afrique. La samba de Viradouro fit une salutation à Oxum qui, dès le premier couplet, fut reprise en chœur par le public. Pleine de références au candomblé, la présentation de Viradouro honorait ainsi l’Orixá [1] des eaux douces avec divers chars allégoriques. Le char de tête transportait l’athlète Anna Giulia nageant dans un grand aquarium. Seule femme noire de l’équipe de natation synchronisée de l’équipe nationale brésilienne, elle portait une queue de sirène dorée, également en hommage à Oxum. Le réservoir était rempli d’eau minérale en raison de la crise de l’eau à Rio de Janeiro.

Les académies de la Grande Rio ont également apporté sur le sambodrôme de la Sapucaí la spiritualité de la matrice africaine. Elles mettaient en scène l’histoire d’un « père de saint », Joãzinho da Goimea, l’un des plus représentatifs du candomblé. Le couple de tête, porte-drapeau et meneur de la troupe, traversait l’avenue, habillé de costumes se référant à Exu et Pomba Gira. Les déguisements, les personnages et les chars allégoriques présentaient les rituels des terreiros, comme des éléments essentiels de la culture brésilienne.

Christ de la périphérie et lutte des pauvres

La Mangueira, champion en 2019, a marqué la nuit avec plusieurs représentations de Jésus-Christ sous le thème « La vérité vous rendra libres » [2]. Dans le groupe de tête, le Christ est apparu habillé comme un jeune de quartier populaire, contrôlé par la police, lui et ses amis. La reine de la batterie, Evelyn Bastos, habillée en Jésus, a traversé l’avenue sans danser, représentant le messie de manière théâtrale et dramatique. La performance d’Evelyn a été l’une des questions les plus discutées sur les réseaux sociaux. Avant le défilé, elle a posté sur son profil Instagram : « Et si Jésus était une femme ? Est-ce que ton cœur l’accepterait ? Est-ce que tes yeux l’apercevrait ? Ton amour a-t-il des limites ? ». Pour rappeler que le Christ a été persécuté, réprimé et torturé par l’État, l’école présentait aussi un char avec Jésus figuré par un garçon noir de la périphérie, allusion aux jeunes de la population noire qui meurent le plus des mains de la police au Brésil.

La critique de la violence et des inégalités était également présente dans le défilé de União da Ilha, avec ce thème : « Aux croisements de la vie, entre ruelles, rues et sentiers, la chance est lancée : Sauve qui peut ! » L’école retraçait la vie quotidienne des favelas et des périphéries brésiliennes, en représentant les morros surveillés par des hélicoptères aux armes pointées sur la population et tout près un bus victime d’un attentat. Les chars de l’école de l’Ilha présentaient les hommes politiques de manière cocasse, assis sur des vases hygiéniques, loin de la réalité des sans-abris.

Le carnaval a véritablement mis en scène une réponse au conservatisme, à la violence et au manque d’attention au peuple, dès la première nuit du groupe spécial, confirmant ainsi que le débat ne quittera pas l’avenue de la Sapucaí en 2020, comme cela s’est produit l’année dernière. Dernière à défiler, la Portela a raconté l’histoire du peuple indien Tupinambá arrivant à Rio de Janeiro et se croyant parvenu au paradis. À travers légendes, coutumes et richesses de la région avant la colonisation jusqu’au chaos urbain et aux problèmes d’aujourd’hui, l’école a retracé, au long de son défilé, l’histoire de Rio sans renoncer à la critique. La journée à la Sapucaí s’est terminée au petit matin par un hymne à la nature, à l’esprit communautaire et par un message direct au gouvernement de Jair Bolsonaro : « Índio pede paz mas é de guerra / Nossa aldeia é sem partido ou facção / Não tem bispo, nem se curva a capitão » [« L’Indien veut la paix et non pas la guerre. / Notre village est sans parti ni faction. / Il n’a pas d’évêque et ne se courbe pas devant un capitaine. »].


Clip officiel de la Mangueira 2020

Format 1980 x 1080 (FullHD, 194 Mo [3])

« Eu sou da Estação Primeira de Nazaré
Rosto negro, sangue índio, corpo de mulher
Moleque pelintra do buraco quente
Meu nome é Jesus da gente
Nasci de peito aberto, de punho cerrado
Meu pai carpinteiro desempregado
Minha mãe é Maria das Dores Brasil
Enxugo o suor de quem desce e sobe ladeira
Me encontro no amor que não encontra fronteira
Procura por mim nas fileiras contra a opressão
E no olhar da porta-bandeira pro seu pavilhão
Eu tô que tô dependurado
Em cordéis e corcovados
Mas será que todo povo entendeu o meu recado ?
Porque de novo cravejaram o meu corpo
Os profetas da intolerância
Sem saber que a esperança
Brilha mais que a escuridão
Favela, pega a visão
Não tem futuro sem partilha
Nem messias de arma na mão
Favela, pega a visão
Eu faço fé na minha gente
Que é semente do seu chão
Do céu deu pra ouvir
O desabafo sincopado da cidade
Quarei tambor, da cruz fiz esplendor
E num domingo verde e rosa
Ressurgi pro cordão da liberdade
Mangueira
Samba que o samba é uma reza
Se alguém por acaso despreza
Teme a força que ele tem
Mangueira
Vão te inventar mil pecados
Mas eu estou do seu lado
E do lado do samba também.
 »

Marluci Brasil de Castro, éducatrice et romancière, a réalisé une explication de texte du clip (portugais).


Traduction française de Pedro Picho.

Source (portugais du Brésil) : https://www.brasildefato.com.br/2020/02/24/forca-das-mulheres-cristo-periferico-indigenas-e-candomble-marcam-desfile-no-rio.

Voir aussi : https://www.brasildefato.com.br/2020/02/23/engajamento-e-protestos-marcam-o-carnaval-2020-em-todo-o-pais.

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[1Les Orixás sont des divinités afro-brésiliennes, honorées dans les maisons de candomblé, les terreiros. Oxum est la divinité des eaux douces, Exu le gardien des maisons, Pomba Gira, la reine de la nuit. Le père de saint est une sorte de prêtre des terreiros – NdT.

[2« La vérité vous rendra libres » est une citation de l’évangile de Jean, souvent reprise à contre-sens par le président Bolsonaro, proche des églises évangéliques – NdT.

[3Lancer la vidéo puis cliquer sur l’image avec le bouton droit et choisir « télécharger la vidéo » si votre connexion est trop lente pour la voir directement ici – NdE.

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