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DIAL 3538

ARGENTINE - En plus de l’inflation, ce qui augmente dans le pays sont les athées et les évangélistes

Washington Uranga

lundi 29 juin 2020, par Dial

Cet article de Washington Uranga pour Página 12 (24 novembre 2019) est issu d’un entretien avec le sociologue des religions argentin Fortunato Mallimaci. Ce dernier présente les résultats généraux de la Deuxième Enquête nationale sur les croyances et les comportements religieux en Argentine.


L’étude met en évidence une augmentation des gens sans religion, un plus grand nombre de jeunes parmi les évangélistes et une influence de l’Église catholique plus sociale que religieuse.

« C’est surtout parmi les plus jeunes et particulièrement dans les grandes agglomérations que l’on enregistre l’augmentation du nombre de personnes qui se considèrent comme sans religion ». Pour Fortunato Mallimaci, docteur en sociologie des religions, c’est là l’un des résultats les plus importants de la Deuxième Enquête nationale sur les croyances et les comportements religieux en Argentine, un travail réalisé dans le cadre du programme « Société, culture et religion », avec l’appui du Conicet [1] et du CEIL [2]. Le chercheur, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs décennies, a échangé avec Página 12 à propos des principaux résultats de l’enquête qu’il a conduite avec Véronica Giménez Béliveau et Juan Cruz Esquivel, et souligné également l’augmentation de ceux qui se considèrent comme « évangélistes » (15,3% du total et 19,9% parmi les plus jeunes). Il fait remarquer qu’il s’agit là d’une « auto-perception » à l’intérieur de laquelle il existe « une grande diversité de pratiques, différents types d’évangélistes et différentes façons de comprendre ce que c’est que d’être évangéliste ».

« Tous ceux qui se disent sans religion sont en faveur d’un élargissement des droits sexuels et reproductifs, mais sur tous les autres sujets ils ont des opinions similaires à celles des autres », tandis que les évangélistes « se prononcent majoritairement contre l’avortement ». Si seulement deux enquêtés sur dix disent être toujours contre l’avortement, 41,9% des évangélistes revendique cette position, ce qui pourrait expliquer pourquoi Mauricio Macri a décidé d’annuler le protocole d’avortement non punissable provoquant ainsi la démission du secrétaire à la santé, Adolfo Rubinstein, qui l’avait initié le projet. Avec cette mesure, le Président renforce son pari politique d’appui sur les secteurs les plus conservateurs de la société dont il a besoin du soutien pour assurer sa continuité politique.

L’enquête rendue publique cette semaine montre que si 62,9% des femmes et des hommes argentins continuent à se considérer comme catholiques, ce pourcentage diminue significativement parmi ceux qui ont entre 18 et 29 ans (52,5%). En revanche le nombre de ceux qui s’identifient comme sans religion passe de 18,9% au sein de l’échantillon global à 24,7% parmi les 18-29 ans.

Quid, donc, de l’Église catholique ? D’après Mallimaci, « en Argentine l’Église catholique a davantage une influence sociale que religieuse » et cela se reflète également dans le fait que 82,4% des sondés (80,4% chez les catholiques et 86,9% chez les personnes sans religion) affirment que leur religiosité n’a pas augmenté du fait de l’élection d’un Pape argentin. Mallimaci déclare : « Je considère que le seul endroit où François est Jorge Bergoglio, c’est ici en Argentine. Les gens continuent à le considérer comme Bergoglio et non comme le Pape et analysent et évaluent ses prises de positions sociales et politiques. »

« Il ne faut pas pour autant penser que les églises se vident. C’est un processus. Les gens commencent par abandonner une pratique active, puis ils vont à l’église une fois par an. Plus tard, lorsqu’ils ont un problème, qu’ils sont assaillis par telle ou telle angoisse et ont besoin d’être soutenus, ils se rapprochent d’une communauté évangélique, la plus proche d’eux » explique Mallimaci.

Mais loin de sous-estimer l’importance des croyances dans la vie quotidienne des gens, le sociologue fait remarquer que l’espace religieux est un lieu « très significatif de participation face à la crise qui, de la même façon, concerne aussi la politique et d’autres secteurs culturels et sociaux ». Car, affirme-t-il « il faut prendre en compte qu’environ le quart de la population est en interaction quotidienne dans des espaces religieux, bien plus que dans aucun autre espace politique, social, culturel ou d’activité locale. » L’activisme religieux « continue à être le principal foyer de militantisme » et « il ne faut pas oublier que les religions constituent d’importantes communautés d’interprétation dans un monde d’incertitudes et sont des acteurs socio-religieux significatifs sur le territoire et dans la vie politique et culturelle de notre pays » ajoute Mallimaci. « Heureusement, dit-il, qu’il y a des groupes religieux qui font que les gens participent au moins à quelque chose, parce que, en général, ils ne participent pratiquement à rien ». « Cette intégration à des groupes religieux facilite ensuite la participation aux mouvements sociaux, à la prévention de la consommation de drogues, aux soupes populaires, aux visites rendues aux prisonniers. Cela peut être peu de choses, mais si l’on considère les chiffres globaux, cela finit par être important et c’est là la participation la plus importante. » L’enquête a mis en évidence en outre que « dans un contexte de bas niveaux de participation dans les manifestations et les organisations sociales, syndicales et politiques, on observe une tendance modérée à la mobilisation en faveur des droits des femmes, des questions environnementales et de l’éducation publique. »

On a demandé à Mallimaci : « Pourquoi un tel poids des évangélistes dans la politique ? » « Parce qu’il y a une radicalisation politique des évangélistes et parce qu’ils sont le groupe émergent. Parce qu’il est devenu naturel et semble normal que les catholiques, particulièrement les catholiques de droite, participent à la politique. Les évangélistes font de même. Et aussi parce que les évangélistes innovent plus et génèrent des mobilisations. Ce n’est pas le cas de la droite catholique, qui a du mal à descendre dans la rue si elle n’a pas l’appui de l’institution. »

Le travail sur la Deuxième Enquête nationale sur les croyances et attitudes religieuses en Argentine ne se termine pas avec cette première diffusion des données générales. Elle va continuer avec une analyse plus détaillée en croisant les différentes variables. Cela fournira de nouvelles informations pour l’étude du comportement des femmes et des hommes argentins en lien avec leurs croyances et ce qui s’y rapporte dans la vie sociale, politique et culturelle.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3538.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Página 12, 24 novembre 2019.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Le Conseil national de recherches scientifiques et techniques (CONICET en espagnol), créé dans les années 50, est la principale institution publique argentine de soutien à la science et à la technique – note DIAL.

[2Centre d’études et de recherches sur le travail – note DIAL.

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