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DIAL 3068

BRÉSIL - La philosophie de Dom Hélder

Inácio Strieder

jeudi 2 juillet 2009, mis en ligne par Dial

Ce texte sur le legs philosophique de Dom Hélder vient compléter celui, plus historique, de Kenneth P. Serbin publié dans ce numéro, ainsi que dans le précédent. Son auteur, Inácio Strieder, a été directeur de l’Instituto Dom Helder Camara et est actuellement professeur de philosophie à l’Université fédérale du Pernambouc (UFPE). Texte publié le 23 février 2009 sur le site Recanto das Letras et repris le 28 dans le Jornal do Commercio, l’un des deux grands quotidiens de Recife.


Nous n’allons pas dire que Dom Hélder était un philosophe, au sens académique du terme. Mais sa vie exprimait clairement sa philosophie. Une philosophie chrétienne humaniste. Rien de ce qui est humain ne lui était étranger. Et quels sont les questionnements humains les plus fondamentaux ? Chercher des réponses aux questions que posent l’Humanité, l’Univers et l’Infini qui nous entoure. Dom Hélder avait une conception chrétienne de l’être humain. À partir de cette anthropologie, il entrait en relation avec tous les hommes, en recherchant, au-delà des races, des ethnies, des castes, des classes, du genre, des idéologies et des religions, la dignité de chaque être humain. Il aspirait du fond du cœur à un XXIe siècle sans pauvreté. Il déplorait le manque de solidarité, de fraternité et de justice entre les peuples, des riches à l’égard des pauvres, du premier monde [1] à l’égard des habitants du tiers monde. Pour lui, toutes les guerres étaient des délires fous d’hommes égarés. Les tortionnaires, régimes et individus, étaient plus dignes de compassion que ceux qui étaient torturés. À dire vrai, la douleur accablait les victimes, mais la honte, le dégoût, la dégradation la plus abjecte s’emparaient de ceux qui torturaient et de leurs complices.

Pour Dom Hélder, tous les êtres humains étaient fils du Dieu unique, créateur de l’immense univers et présent à la fois dans la vie de chacun et dans la nature entière. Toutes les créatures, animées ou inanimées, matérielles et spirituelles, révèlent la grandeur de leur créateur. Ce Dieu se manifeste dans le grand et dans le petit. Il est au delà du plus grand, et en deçà du plus petit. En lui nous parvenons à l’existence, à la vie et à l’être.

Évidemment, Dom Hélder, qui donnait comme horizon à l’homme l’immensité de l’univers et la grandeur de Dieu, ne pouvait limiter sa vie aux étroitesses quotidiennes du petit monde d’un diocèse. On peut dire qu’il se considérait comme un « évêque pour l’humanité ». Il voyageait à travers le monde en prononçant des discours, en prêchant, en dialoguant et en priant. En Asie orientale, il fut entendu et révéré par les bouddhistes ; en Europe les chrétiens luthériens et calvinistes lui firent honneur ; parmi ses diplômes, il y en avait un qui lui avait été décerné par une confrérie du candomblé [2] ; à l’ONU il a parlé avec des hommes politiques aux idéologies les plus diverses. Il savait vivre dans les palais royaux comme dans les favelas. Plus de trente universités du monde entier lui donnèrent le titre de Docteur Honoris Causa. Partout il parlait de dignité humaine, de justice, de solidarité, de droits humains, de paix.

Lui-même était une personne cultivée. Écrivain, poète, orateur, éducateur ; outre sa langue maternelle il parlait le français, l’anglais et l’espagnol. On pourrait se demander : Dom Hélder était-il un génie ? D’où lui venaient tout ce dynamisme, ce talent d’adaptation et cette si grande sagesse ? Certes, il avait des dons personnels particuliers, mais rien d’extraordinaire. Tout simplement il a pris sa vie au sérieux, et il a assumé de façon responsable une mission pendant sa vie. Lui-même disait que le secret pour rester jeune était d’avoir une cause à laquelle se vouer. Il souhaitait que chacun assume sa propre vie avec les dons que lui accordait Dieu. C’est pourquoi Dom Hélder ne privilégiait pas les différentes formes d’assistance. Il disait que les personnes étaient trop lourdes pour que nous les portions sur les épaules. Il fallait les porter dans notre cœur, c’est-à-dire leur donner les moyens de parvenir à une vie dans la dignité. Et une telle vie ne pouvait naître que de l’éducation, du travail, de la justice et de la solidarité.

Dom Hélder est mort, mais son message subsiste. C’est un homme qui fut digne de vivre sur la terre. Peu importe où il repose. Ce qui importe, c’est l’exemple de vie qu’il nous a offert, et les messages qu’il nous a laissés. N’est pas heldérien ou heldérologue celui qui dit avoir vécu aux côtés de Dom Hélder, ou avoir été membre de telle équipe qu’il avait créée.

Rendre hommage cette année à Dom Hélder à l’occasion de son centenaire ne consiste pas à promener son portrait par les rues de Recife. Il ne s’agit pas seulement de prononcer des discours élogieux au Sénat ou dans les Assemblées de la République, ou de construire des musées à sa mémoire. Respecter Dom Hélder est bien davantage. C’est faire le choix d’une vie où la calomnie et l’humiliation d’autrui soient bannies, où chacun soit respecté et où soit rendue la dignité à toutes les personnes qui en sont privées ; c’est vivre dans la clarté. La philosophie de Dom Hélder n’était pas livresque, c’était une philosophie vécue, riche de la dignité dans toutes ses dimensions.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3068.
 Traduction de L. et M. Lesay pour Dial.
 Source (portugais) : Recanto das Letras, 23 février 2009.

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[1Les pays du Nord.

[2Une des religions afro-brésiliennes pratiquées au Brésil.

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